CRETE
L’ETOURDISSEMENT DES PAYSAGES ET DES RUINES…*

*Gustave FLAUBERT, « L’Education sentimentale »

AVRIL 2007
CARTE GRECE CRETE
CARTE CRETE

 

GEOGRAPHIE

« Une montagne dans la mer. »

- Position : la Crète se situe au sud de la Grèce continentale.

- Superficie : 8336 kilomètres carrés, cinquième île de la Méditerranée par son étendue, (après la Sicile, la Sardaigne, Chypre et la Corse). D’est en ouest, l’île est longue de 260 kilomètres et, du nord au sud, large de 60 kilomètres.

- Relief : trois massifs montagneux. Point culminant : le Mont Ida, 2456 mètres.

- Population : 621 340 habitants (2011).

MYTHES

Zeus naît en Crète. Sa mère, Rhéa, le protège de l’appétit de son père Cronos. L’île abrite les amours de Zeus (changé en taureau) et de sa captive, Europe. Fruit de leurs œuvres naît Minos, roi légendaire de Crète. Son épouse Pasiphaé, succombe aux charmes de ce taureau, envoyé par Poseidon, et enfante le Minotaure. Minos l’enferme dans le Labyrinthe édifié par l’architecte Dédale. Tous les neuf ans, il faut livrer tribut à ce monstre, sept jeunes gens et sept jeunes filles qu’il dévore vivant. Ruse (un fil) et courage permettent à Thésée et Ariane, fille du roi Minos, de tuer le Minotaure et de sortir du Labyrinthe.

Dédale, l’architecte et son fils, Icare, tentent de s’échapper de l’île pour fuir la vengeance de Minos : Dédale construit des ailes en cire ; mais, Icare vole trop près du soleil et y laisse la vie…

HISTOIRE

- Berceau de la civilisation minoenne (adjectif forgé à partir de Minos), « l’une des civilisations les plus brillantes de l’âge du bronze ».

Voir texte du journal de voyage.

RELIGION MINOENNE

C’est « une religion apparemment douce et bienveillante », tournée vers la nature, comme en témoignent certains de ses symboles : taureau, serpent, colombes, double hache (nœud sacré)… Autres symboles, les cornes de taureau ou les bras levés de la déesse, comme deux cornes de taureau.

A la déesse-mère (couple déesse – mère – dieu mâle), on offre de la nourriture et des breuvages. Le culte est célébré par des prêtres et des prêtresses. Dès les temps néolithiques et pré-palatiaux, les Minoens croient en une vie posthume.

RITUEL

- le balancement rituel : on se balance sur des balançoires ou des cordes tendues entre des arbres ou des poteaux. On retrouve une telle pratique en Inde et, également, dans certaines régions rurales de la Grèce contemporaine.

- les tauromachies sacrées : des jeunes gens saisissent l’animal par les cornes (voilà qui fait songer à la corrida portugaise) et effectuent une série de sauts périlleux au-dessus de l’échine de la bête.

- les processions liées aux rites agricoles, à la végétation : un prêtre joueur de sistre (variété de luth) officie, ainsi que des chanteurs.

- les fêtes marines.

- objets rituels, kernos : un ensemble de petites coupes d’argile attachées à un vase central et, dans lesquelles on dépose diverses variétés de fruits.

La religion minoenne fusionnera avec celle des envahisseurs grecs.

ECONOMIE

- agriculture : 35 millions d’oliviers, vigne, alcool de marc de raisin (raki ou tsikoudia).

Voir texte du journal de voyage.

- problèmes écologiques : décharges sauvages. Rivages victimes de dégazages.

MUSIQUE

Les deux instruments majeurs de la musique traditionnelle crétoise sont, aujourd’hui, la lyra, une vièle nantie de trois cordes, et le laouto qui l’accompagne ; c’est un luth dont le corps est large et le manche, long ; les cordes, dont le nombre peut varier, sont pincées. Thanassis Skordalos et Kostas Moundakis sont reconnus parmi les maîtres de la lyra. Pendant des siècles, la musique crétoise sera influencée par des styles et des techniques venues de l’est : ainsi la lyre crétoise est semblable à celle d’Istanbul. Son origine, selon les sources, est double : elle aurait été importée par les Arabes venant d’Espagne, qui conquirent la Crète de 823 à 961, prétendent les uns ; les autres affirment qu’elle serait arrivée, au XII° siècle, de Constantinople…

A la fin du XVII° siècle, un nouvel instrument apparaît, le violon. Il deviendra l’instrument cardinal de la musique folklorique crétoise au XX° siècle.

Aux alentours de 1810, Georgios le Crétois remet au goût du jour les traditions musicales de l’époque byzantine. La plupart des chansons et des musiques crétoises actuelles puisent leurs racines au sein des influences turques.

Les premières stars de la musique crétoise son, entre autres, Andreas Rodinos, Stelios Koutsourelis, Efstratios Kalogeridis, Kostas Moundakis, Thanassis Skordalos… Dans les années soixante, les illustres Nikos Xylouris et Yiannis Markopoulos mélangent la tradition crétoise et des techniques « modernes ». Ils essuient de virulentes critiques des conservateurs…

Parmi les musiciens, Charalambos, Garganourakis et Vassilis Skoulas.

 

Journal de voyage

Samedi 28 avril

Au terme d’une nuit nomade éprouvante, le temps de ce voyage nocturne, repos et repas à Elounda, en ce magnifique hôtel qui regarde la mer et défie les montagnes…

A 19 heures, un taxi emprunte la route de la côte nord, en direction d’Heraklion, pour gagner ensuite Archanes, petite ville, située à 18 kilomètres au sud de la capitale, où demeure Ross Daly, le plus crétois des musiciens anglo-saxons ! Ross et le chien Mirza nous accueillent au point de rendez-vous ; nous les suivons à travers de jolies petites rues désertes, dont l’alignement des maisons épouse le tracé. Belle demeure, acquise voici quatre ans, celle de notre ami est précédée d’un jardin.

Sur la cheminée de la cuisine, trône une rangée d’épices broyées par le maître de maison. Le café est accompagné d’un délicieux petit gâteau, pomme et fromage, arrosé de miel. La compagne du musicien et un couple d’amis s’affairent pour préparer le dîner…

A l’étage, on découvre une pièce confortable dont les murs recèlent quelques beaux instruments qui y sont accrochés : erhu chinois et plusieurs rabab afghans. Ross en a restauré… trente-cinq ! Trente-cinq instruments victimes des exactions des talibans qu’il a « restitués », une fois restaurés, à l’Afghanistan. Nous devisons… « Les Crétois, nous dit-on, sont chauvins mais pas indépendantistes. La musique crétoise se commercialise. Nombre de jeunes s’y initient ; mais on la joue à l’occasion des mariages pour faire danser les invités ainsi que pour divertir les touristes : toujours le même air, cinquante-cinq fois si nécessaire ! Les musiciens répètent la tradition et même, ils la rabâchent, sans aucune créativité, condition essentielle, pourtant, pour qu’elle se pérennise. La société et le mode de vie ont changé ; on ne peut se contenter de reproduire la musique qui y était attachée. Quelques jeunes échappent à ce travers comme Zacharis Spyrioakis de Hania ou bien ce musicien, âgé de dix-huit ans, auquel, dit Ross, j’ai enseigné la lyra et qui s’apprête à partir en Irlande pour s’initier à la tradition irlandaise. La population cultivée méprise cette musique, poursuit-on. Les vieux affirment qu’elle a pour fonction d’accompagner la danse et ne saurait satisfaire la seule écoute. Quant aux jeunes, pour la plupart, ils en font un métier dans la perspective de gagner de l’argent. Heureusement, il reste les amateurs ! Ils jouent pour le plaisir, voilà qui est important ! »

Le maître suggère, ensuite, de séjourner à Athènes et Thessalonique, au cours de l’hiver, pour écouter les musiques de la tradition de diverses régions de Grèce, en particulier, celle de l’Epire et surtout du Pont, dans la région de la Mer noire, fort méconnues à l’extérieur de la Grèce. Bonne idée !

Arrosé d’un excellent vin rouge crétois, le dîner est succulent : poulet, accompagné de légumes, riz safrané et hachis de viande, le tout parfumé d’épices qui se dérobent à l’ardeur. Et, pour conclure ces agapes, les fraises, d’un beau rouge foncé, sont gorgées de sucre.

Aux alentours de 23 heures 30, nous partons pour Heraklion et admirons au passage son fort vénitien, ses remparts… Au « Trianta Exi », on écoute Giorgis Vrentzos entouré de trois complices : deux laouto, un instrument plus proche de la mandoline que du ud (luth arabe), et un daff (tambour sur cadre). Ce-dernier magnifie joliment aussi les sonorités de la flûte et de la cornemuse en peau de chèvre issue des montagnes qui s’élèvent au centre de l’île. Berger, Vrentzos s’accompagne à la mandoline et chante en dialecte crétois la tradition, air de danse ou chants popularisés par Nikos Xilouris. Le café qui accueille ce concert est bondé de jeunes ; ils chantent avec le musicien certains des titres de son répertoire.

Il est une heure trente. Au centre de la ville, on retrouve l’ami taxi qui nous reconduira à Elounda. En passant devant le bel hôtel « Megaron », Ross raconte : « dans les années 8O, le propriétaire, joueur invétéré, a perdu sa fortune aux dés, puis sa femme et son hôtel. Il s’est ensuite précipité dans le vide du haut du toit de cet édifice. Depuis ce suicide, une malédiction frappe cet hôtel… » Une histoire grecque, en somme…

 

Dimanche 29 avril

Le centre d’Elounda est truffé de restaurants, de cafés et de boutiques. Sur le port, près de l’église, l’un de ces établissements, le « Marylena », prodigue le dîner. Dokos et fromage grillé précèdent le stifado, sorte de daube de bœuf marinée dans un mélange d’oignons, vinaigre et vin. Un vin rouge crétois arrose le repas.

 

Lundi 30 avril

Déjeuner au yacht-club. Promenade à pied : la mer est déserte et calme. A l’hôtel « Peninsula » sévit une clientèle russe, arrogante et bruyante …

Le dîner au « Marylena » offre les saveurs de l’agneau, cuit à l’étouffée, accompagné de vin de Crète.

 

Mardi 1° mai

Le ciel est gris. Célèbre-t-il le deuil du travail ?

 

Mercredi 2 mai

Ciel bleu. En début d’après-midi, on prend le chemin d’Agios Nikolaos, à huit kilomètres d’Elounda. Le déjeuner se déroule à l’ombre de la treille du « Pelagos » : purée de fèves, boulettes de courgettes et dokos précèdent un risotto de crevettes pêchées ici. Le vin blanc local, kritikos topikos, est un délice ! Face au lac Voulismeni, bordé de cafés et de restaurants, que dominent des immeubles de quatre à cinq étages, on sirote un café « turc » qu’ici on baptise « grec »… Une longue promenade à pied, le long de ce charmant petit port et au bord de la mer, incite à la contemplation de ce grandiose paysage de montagnes, enveloppé dans un voile de brume, qui en face s’impose au regard. La balade se poursuit à travers rues escarpées et escaliers de cette ville qui regorge de commerces : boutiques de souvenirs, bijouteries, échoppes d’épices… Au terme de l’ascension d’un escalier qui griffe la falaise, on s’octroie la dégustation d’un autre café au bord du lac.

Aux alentours de dix-neuf heures, un taxi file vers Mochlos, petit port de pêche blotti sur la côte septentrionale de l’île, au pied d’une gigantesque carrière de gypse, découpée dans la montagne, de l’autre côté de la splendide baie de Mirabello. Il fut autrefois l’un des centres d’échanges avec l’Asie mineure. Une quarantaine de minutes plus tard, on atteint l’entrée du village, sur les hauteurs. Là s’élève un ensemble de maisons neuves que la famille du musicien Stelios Petrakis, qui nous accueille, envisage de louer. Elle demeure dans l’une d’entre elles, qui abritera les agapes. Une autre héberge un studio d’enregistrement que Stelios s’emploie à installer et, dans l’avenir, d’éventuels musiciens.

En ce jour qui s’achève, l’ombre engloutit la lumière : la nature offre un spectacle d’une rare beauté et, le silence confère à cet instant comme une solennité. En face, sur un îlot, dans ce clair-obscur de fin du jour, on admire les vestiges d’un port minoen.

Sous l’auvent de la maison, ouzo ou raki, c’est l’heure de l’apéritif… A la cuisine s’affaire la mère de Stelios et, le fumet des mets qu’elle accommode flatte l’odorat et aiguise l’appétit. « Nous prendrons l’apéritif, avait dit Stelios au téléphone, et ensuite, le processus suivra son cours.» D’évidence, le « processus » suivait son cours… On déposa et disposa sur la table les divers ingrédients du traditionnel mezze : poulpe, dolmaties, artichauts sauvages, fèves, fromage… et pain. La conversation s’instaura et s’épanouit tandis qu’arrivaient, les uns après les autres, les invités : le frère aîné, ingénieur et musicien amateur, Giorgis Stavrakakis (luth) ; Mitsos Stavrakakis, poète et amateur de Prévert, qu’il lisait en français quand il résidait à Paris, Vassilis Stavrakakis, voix et mandoline. Plus tard, un couple ami et Giorgis Xylouris (luth et voix), issu d’une illustre famille de musiciens, se joindront à nous. Le vin rouge de Crète fit son apparition sur la table avant que la lune en sa plénitude blanchisse de ses rayons blafards la mer et le paysage. On dégusta ensuite une savoureuse soupe de poissons et les morceaux d’un poisson –sans doute un gros bar- accompagnés de pommes de terre et de carottes cuites à l’eau. Au fil des libations, la conversation s’anima. Le père de Stelios, qui fut maire, se remémorait ce congrès, tenu à Saint-Malo, et évoquait « ce poète, ami de la Grèce, Chateaubriand ». Les Grecs ont la mémoire longue ! Stelios, notre hôte, prit sa lyra, faîte de cèdre et d’érable, et la musique fit taire les conversations. La tradition crétoise et les compositions originales, entre autres de Stelios, qui s’y enracinent animèrent l’amicale réunion jusqu’à une heure avancée de la nuit. Le peuple crétois a la réputation d’être fier et généreux, une réputation qui n’est guère usurpée ! Parmi les artistes présents, il en est trois, Giorgis, Stelios et Vassilis qui accompagneront Ross Daly au Théâtre de la Ville de Paris, en juin 2008. A… deux heures du matin, un musicien nous raccompagne. La nuit sera courte !

 

Jeudi 3 mai

Ciel d’azur. A huit heures, départ en car : journée consacrée à la découverte de la vallée des morts et de la côte orientale de l’île. Premier arrêt à Sitia le temps d’un rapide café grec dégusté face à la mer, tapis bleu étendu entre deux montagnes… Magnifique ! Au fil du trajet, l’accompagnatrice commente et raconte la Crète et le quotidien des Crétois : les prix – ils ont triplé lors du passage à l’euro – et, les ressources de l’île… Ainsi, la vigne depuis quatre mille ans, 35 millions d’oliviers et l’huile d’olive, les primeurs et les bananes, cultivées sous serre sur la côte sud… Elle évoque les zones montagneuses et les terres fertiles, telle la Messara, grenier de la Crète… Et encore, l’élevage des moutons et des chèvres, une race sauvage présente sur l’île depuis des millénaires, mais point de bœufs, la pêche et « le poisson si cher », les produits laitiers, tel le yaourt local, le miel… Et cette végétation spécifique, comme ce palmier dépourvu de dattes, l’absence de céréales, etc. Instructif !

Aux alentours de onze heures, on atteint la vallée des morts et on entame la randonnée au fond de cette gorge. J’avance en tête afin de contempler un paysage vierge de toute présence humaine. Le début du parcours, en direction du lit du torrent, est fort accidenté et marqué par une importante déclivité. Ensuite, le sol est plus plat, mais caillouteux et semé d’embûches : rochers, passages étroits… La végétation est abondante et variée ; les lauriers – roses pullulent. Les oiseaux chantent. Les chèvres s’abritent sous les bosquets. Les parois rougeâtres des falaises dominent le lit de la rivière : elles sont percées d’anfractuosités et offrent formes et dimensions diverses. Les anciens Minoens leur confiaient leurs morts : des squelettes y ont été retrouvés. Voilà pourquoi cette gorge porte le nom de vallée des morts. En un peu plus d’une heure, on parcourt le chemin, long d’environ cinq kilomètres, qui traverse le site. Un peu plus loin, à Kato, on retrouve la mer et, face à l’estran, une tavernaki. Comme d’ordinaire, le personnel est souriant et aimable. Les Crétois sont charmants et honnêtes : ils se gardent d’abuser le visiteur. Ainsi, les chauffeurs de taxi sont-ils intègres et serviables. Le repas à l’abri du soleil et face à la mer est composé de délices : une douzaine de petites sardines grillées sur un lit de riz et un copieux yaourt au lait de brebis, sucré au miel du pays. Il fait doux, le ciel est bleu, la mer azur : on prend son temps.

En début d’après-midi, on reprend la route en direction de la palmeraie de Vai, modeste palmeraie qui jouxte la mer et clôt la plage de sable gris qu’encadrent deux éminences. Ce sont des palmiers autochtones, de petite taille, qui ne donnent pas de fruits. Des estivants profitent du soleil et quelques- uns des plaisirs de la mer. Des chaises longues, disposées sous les parasols, s’offrent aux visiteurs moyennant quatre euros. On remarque quelques touristes russes.

Sur le coup de dix-sept heures, nous prenons la route du retour à travers les paysages sauvages et grandioses de la côte orientale. La route s’enroule entre mer et montagne. De temps à autre, on aperçoit un troupeau de chèvres ou de moutons qui s’engraisse en broutant l’herbe des pentes. La route est semée d’embûches et le chauffeur roule à une vitesse qui autorise la contemplation des fastes de la nature.

Nouvelle escale pour visiter un monastère : il abrite dix moines et leur supérieur. On admire sa chapelle Renaissance, ornée d’une jolie rosace et, l’on s’attarde, ensuite, dans le musée : il recèle divers objets religieux vénérables, comme des chasubles ainsi qu’une belle collection d’icônes dont les plus anciennes datent du XVIII° siècle. On découvre les techniques de peinture utilisées, sfumato ou pochoir, et les codes qui régissent la représentation des personnages et les couleurs. Ainsi, le Christ enfant fait-il le geste de la bénédiction, un geste rond pour demander la parole, comme dans l’Antiquité… L’école crétoise se distingue par la représentation du visage et des mains, l’un et l’autre de forme allongée. Elle influencera El Greco (Domenikos Theotokopoulos, dit le Greco, 1541 – 1614), natif de l’île, avant qu’il ne gagne Venise, puis Tolède. On contemple trois magnifiques vierges à l’enfant et une grande icône peuplée de cent personnages, dont une femme à demie- dévêtue qui représente la création.

« Quelle sérénité ! Quelle douceur ! Le soleil, maintenant, se couchait et les murs blanchis à la chaux prirent une couleur rose », écrit à propos d’un monastère, Nikos Kazantzakis, le plus crétois des écrivains grecs dans Alexis Zorba : c’est ce qu’on ressent encore dans ces lieux protégés des fureurs du monde. » (Michel Samson, Le Monde, 2 août 2008)

Nous poursuivons notre chemin en direction de Ierapetra, sur la côte sud, par une route escarpée. C’est un paysage plus terne que celui de la côte est. Dans les champs qui bordent la route, on cultive sous serre une variété de bananes locales. Nous traversons, ensuite, de sud au nord, la partie la plus étroite de l’île : treize kilomètres, de Ierapedra à Agios Nicolaos.

Arrivée tardive à l’hôtel ; apéritif au bar avec le directeur de l’établissement. Une aimable conversation s’anime : « les Grecs, dit-il, ne savent pas exporter. L’image que vend la Grèce, c’est le soleil et l’Antiquité, le siècle de Périclès. C’est insuffisant. Qui connaît l’extraordinaire variété des fromages produits dans ce pays ? En Grèce, on fait les choses au dernier moment, comme les travaux, dans la perspective des jeux olympiques. La musique crétoise ? Personne ne fait l’effort : ni les musiciens ni les visiteurs. C’est ainsi…

Dîner gastronomique à l’Old Mill : salade chèvre-jambon de Parme, médaillon de veau, le tout arrosé d’un excellent vin rouge du Péloponnèse. La pleine lune éclaire un paysage marin légèrement estompé. Le calme est absolu.

 

Vendredi 4 mai

Sous un ciel bleu, départ matinal pour Cnossos, par la route d’Heraklion. On dit qu’à l’époque antique, le cyprès abondait dans la région. Le site est vaste, le palais édifié au sommet d’une colline. De nombreux mythes sont liés à ce lieu : ils ne sont pas l’Histoire mais, portent l’empreinte de certains évènements. Si l’on raisonne philosophiquement, on sait que la pensée mythique est proche de la religion et que celle-ci s’oppose à la raison…

UN PEU D’HISTOIRE

- La bourgade néolithique de Cnossos (5700- ou 7000, selon les sources- 2800A.C.) abrite une population, venue d’Anatolie, qui pratique l’agriculture, l’élevage et l’artisanat. L’habitat en brique crue repose sur des fondations en pierre. Seul les métaux sont inconnus jusqu’à l’âge du bronze. Les villageois vouent un culte à la « Grande Mère », déesse de la fertilité.

- Age du bronze (2800-2600, selon les sources - 1100 A.C.) :

Venus d’Anatolie, donc, des envahisseurs indo-européens, ont débarqué en Crète au début de la période minoenne dite ancienne ou pré-palatiale ; ils se sont ajoutés aux populations néolithiques. « Cette grande île aux paysages sauvages, a-t-on écrit, a abrité l’une des civilisations les plus brillantes de l’âge du bronze, civilisation qui a largement contribué à l’éveil du monde grec. » C’est dire ! Tandis que l’Europe ne connaît que la vie sauvage, en Crète, on construit villes et palais… Sans doute, les Crétois ont-ils été influencés par l’Egypte et la Mésopotamie. C’est le temps d’un premier miracle culturel, celui de la civilisation minoenne. « Cette civilisation pacifique, nous dit-on, chante la joie des fêtes, l’ordonnance des rites, les splendeurs magnifiées de la nature, le tempérament ardent et la beauté de la femme crétoise, l’égale de l’homme. »

On distingue quatre périodes : pré-palatiale (2600 -2100, il n’en demeure aucun vestige), palatiale (2100 – 1600, on en conserve peu de traces), néo- palatiale (1600- 1500 A.C.) et post- palatiale.

*palatiale, dite encore paléo- palatiale (selon les sources, 2100- 1650 ou 1600 A.C) : on recense trois palais à Cnossos, Phaistos et Malia. Les édifices sont construits autour d’une cour centrale : elle prodigue air et lumière et, recèle des dépotoirs circulaires. Le palais conserve, au sein de vastes magasins, les produits de la terre et de l’élevage dont il assure le commerce. Il abrite également des jarres géantes. Des ateliers produisent des objets en céramique et en pierre, des pièces d’orfèvrerie et d’autres, issues des arts mineurs. Le palais est le fief des hiérarchies administrative et religieuse. Par ailleurs, des grottes sont utilisées comme tombes ; elles accueillent les sépultures dans des jarres.

*néo- palatiale (selon les sources, 1700 -1450 ou 1600 – 1500 A.C.) : en 1700, un séisme a endommagé le site et occasionné, ensuite, une reconstruction des palais et « villas ». Propylées (portes monumentales), colonnades, escaliers, puits de lumière et larges portes apparaissent. Les voies processionnelles sont légèrement surélevées. La cour est dallée. Au rez-de-chaussée, se succèdent magasins, sanctuaires, trésor et encore, bain lustral et octroi. Au terme de la voie royale, se trouve une aire théâtrale cérémonielle, édifiée en pierre, pour adorer la déesse- mère, incarnée par la reine ou une princesse.

On remarque les « appartements royaux », les grandes maisons du clergé, des dignitaires et des « bourgeois » ; elles sont ornées de fresques. C’est l’époque de l’apogée de Cnossos. On estime la superficie de la ville à douze hectares et demi ou à sept hectares et demi, selon les sources, et son peuplement, entre quinze mille et vingt mille habitants. Elle est dotée d’un port et desservie par un réseau de canalisations et d’égouts. Les tombes à chambres taillées recèlent un riche mobilier funéraire. Les habitants vivent heureux dans cette cité pacifique dont les navires dominent les mers. Ils vénèrent la déesse- mère.

*post- palatiale (selon les sources, 14OO – 1100 ou 1450 – 1200 A.C.) : à la suite de diverses catastrophes, survenues aux alentours de 1450 A.C., et de l’invasion des Achéens, venus de Grèce continentale, une nouvelle dynastie, celle des Mycéniens, règne sur Cnossos. Le linéaire B succède aux hiéroglyphes et au linéaire A ; il est la plus ancienne forme écrite connue de la langue grecque. De nouvelles divinités apparaissent ainsi qu’un esprit militariste. Les Mycéniens se contentent de gouverner ; la vie en Crète demeure purement minoenne.

Influence :

On prétend que la découverte de l’art minoen, au début du XX° siècle, aurait suscité « l’intérêt de nombreux artistes, peintres comme Bonnard et Roussel, sculpteur comme Bourdelle, céramistes et verriers comme Gallé et Lalique ; son élégance raffinée, ses fresques aux aplats d’éclatantes couleurs marqueront un style décoratif, celui des Ballets russes. »

Le même expert souligne que « l’esthétique crétoise et l’esthétique grecque traduisent des natures d’esprit et de sensibilité fort différentes. L’art grec est avant tout ordre, équilibre, harmonie, prédominance des lignes et des volumes pour exprimer l’essentiel. L’art minoen, dans l’architecture même des palais, étrangère à toute discipline précise, semble s’adapter à un développement, naturel ; peintures et sculptures doivent leur éclat et leur charme à une exubérance, une fraîcheur, un goût de la nature, une sensualité que la Grèce ne manifestera jamais ou seulement à son déclin durant la période hellénistique. »

- Age du fer (1100 ou 1200, selon les sources – 67 A.C.) :

La Crète, qui a légué aux vainqueurs achéens un pan de son patrimoine culturel, est de nouveau envahie, au cours du XII° siècle A.C., par les Doriens. Jusqu’au VIII° siècle A.C., l’île demeure un centre culturel et économique.

On distingue sept périodes : subminoenne et protogéométrique, géométrique, archaïque ancienne, archaïque mûre, classique et hellénistique.

- Epoque gréco- romaine (67 A.C. – 323 ou 395 P.C., selon les sources) :

La Crète appartient alors à l’Empire romain.

- Période proto- byzantine (323 ou 395 P.C., selon les sources -824 P.C.) :

La Crète fait partie de l’Empire romain d’orient, byzantin.

- Domination arabe (823 ou 824 – 961), période byzantine (961- 1204) domination vénitienne (1216 – 1669).

- Domination turque (1669- 1898).

- 1898 : la Crète bénéficie d’un statut d’autonomie sous tutelle internationale.

- 1913 : l’île est rattachée à la Grèce.

On le voit, au fil de l’Histoire, riche et tourmentée, et des invasions, « cette Crète aux mille mémoires » s’est enrichie de l’apport de diverses cultures.

 

VISITE DU SITE, NOTES EPARSES

On marche au cœur du site : dépotoirs circulaires- couloirs processionnels-cour dallée. Propylées. Fresque de la procession. Magasins, citernes et quatre-cents jarres, soit une capacité de stockage de l’eau de… 80 000 litres ! Les murs des magasins portent des symboles gravés : double hache, étoile, rameau témoignent du caractère sacré…

Salle du trône : trône et banc d’albâtre, cuvette en porphyre. Sanctuaire. Fresques dites de la « Parisienne », des « Dames en bleu », jeux de taureau.

Salle lustrale : la fresque des griffons, dotés d’une tête d’aigle et d’un corps de lion, atteste la puissance royale et divine.

Sanctuaire tripartite central : les trésors du sanctuaire recèlent des fosses rectangulaires ; là étaient gardées les déesses aux serpents ainsi que d’autres objets rituels.

A l’ouest, deux pièces, nanties d’un pilier central, sur lequel sont gravés des symboles sacrés, et de cuvettes adjacentes en pierre, antérieures et postérieures : elles étaient destinées à recevoir des offrandes liquides. Là se déroulait une sorte de culte du pilier : la déesse, pensait-on, y demeurait.

Secteur des ateliers : lapidaire (travail de la pierre), potier et, cuvette en gypse.

Le palais compte cinq étages et l’aile ouest, trois. Un imposant réseau d’escaliers livre l’accès aux étages ; le « grand escalier », pourvu de marches d’albâtre larges, de faible hauteur et respectant une légère pente pour faciliter montée et descente, est l’un des chefs- d’œuvre de l’architecture minoenne.

Terrasse de la garde.

La reine disposait d’une baignoire en terre cuite, d’un cabinet de toilettes et de latrines ! Un art de vivre ! Des fresques représentent dauphins bleus, danseuse, spirales…

On remarque également le système d’égouts, le magasin des jarres géantes du premier palais, les ateliers de céramique, le corridor du jeu d’échecs, un jeu royal qui ressemble à un échiquier…

Octroi.

Beauté de la nature et vestiges d’un riche passé, « l’étourdissement des paysages et des ruines », et, cet art de vivre que les Crétois contemporains ont su perpétuer.