BIRMANIE / MYANMAR, 2006
Depuis le 18 juin 1989, l’Union birmane est devenue l’Union du Myanmar. Le pays est gouverné par une junte militaire. En 2004, on recensait plus de 52 millions d’habitants dont environ quatre millions dans la capitale, Rangoun (Yangon). La majorité de la population (80%) vit à la campagne. 85% des Birmans sont bouddhistes.Le fondateur du premier empire birman monte sur le trône, à Bagan, en 1044. Les Britanniques achèvent la conquête du pays à la fin du XIX °siècle. Mandalay est fondé en 1861. En 1942-1943, les Japonais occupent la Birmanie dont ils reconnaissent « l’indépendance ». En 1945, le pays est libéré par les Alliés avec le concours d’Aung San, père de Aung San Suu Kyi. Deux ans plus tard, le héros de l’indépendance est assassiné. En janvier 1948, l’Union birmane devient indépendante. En 1962, un coup d’Etat porte les militaires au pouvoir ; ils l’exercent encore aujourd’hui.
DES TRADITIONS PRESERVEES
« Si l’on voulait assimiler la musique birmane à un aspect culturel plus concret, c’est avec Pagan, l’ancienne capitale, qu’il convient de faire la comparaison ; cette véritable forêt de plusieurs centaines de temples aux innombrables fresques murales et statues de Bouddha, ces mille éclosions de motifs floraux sculptés sur la pierre, ces architectures aussi variées que grandioses sont à l’image éblouissante de la richesse inouïe de cette musique dont l’écho s’est à peine amoindri au cours des âges. »
Jacques Brunet, ethnomusicologue, cité par le Musée Guimet.
26 octobre 2006,
YANGON (RANGOUN)
L’ARTISAN DE RANGOUN
Une pièce de mon appareil de photo est cassée. Accompagné d’un interprète, je cherche un réparateur, quête, à mon avis, vouée à l’échec… Pourtant, dans un quartier où échoppes de photographes et boutiques de matériel électronique pullulent, il en est un !
Il travaille torse nu, le bas du corps enveloppé dans le traditionnel longyi, un long pagne qui ceint les hanches des Birmans. Son atelier est minuscule. Il y règne une chaleur étouffante. Dans une heure, dit-il, la pièce sera remplacée et la réparation effectuée. Je suis incrédule et crains le pire mais, il est urgent d’attendre. Il faut donc passer le temps…De jeunes nonnes, de rose vêtues s’avancent ; en quête d’aumône, elles chantent en pali, l’antique langue sacrée. C’est la fin de la journée, la sortie des bureaux, et les transports en commun sont pris d’assaut…
Le réparateur a fait des miracles : il a changé le dos de l’appareil pour quinze mille kyats. Une misère ! Précieux petits métiers qui, hélas ! ont, depuis belle lurette, disparu chez nous.
L’OR DE SHWEDAGON
« De l’or partout ; auprès et au loin, de l’or se détachant sur de l’or ».
Pierre Loti, « Les pagodes d’or »
Tandis que le soleil décline sur Rangoun, la chaleur demeure. De loin, la masse d’or de Shwedagon s’impose. À l’approche du monument, on remarque les lions qui gardent l’entrée (il en existe quatre). Dans sa cage de verre, un ascenseur élève le visiteur jusqu’à l’étage. L’étranger doit acquitter cinq dollars. Puis, comme tout un chacun, il se déchausse. Les pieds nus, il peut entamer la visite. Il doit faire le tour du stupa* par la gauche ; c’est la règle. Celui-ci, doré, s’élève à quatre-vingt – dix-huit mètres de haut. Il est incrusté de cinq mille diamants et renferme huit cheveux du Bouddha. Ces reliques lui confèrent la qualité de sanctuaire le plus sacré du pays.
Le soleil darde ses derniers feux sur les parois recouvertes de feuilles d’or apposées par les fidèles. Une flèche s’élève au sommet; elle recèle quantité de pierres précieuses dont, dit-on, un rubis, de soixante-seize carats ! Alentour, tout est or, jade et bois précieux…Agenouillée à même la pierre, une dizaine de femmes psalmodie en pali face à l’un des Bouddha. Les statues qui le représentent reçoivent l’eau purificatrice, les offrandes, telles ces fleurs blanches, et la lumière des chandelles. Adossées aux colonnades, des effigies des nat** supérieurs, ces esprits invoqués par les Birmans, entourent le stupa. Ils serrent une conque entre leurs mains. Un deuxième cercle est dessiné par des oratoires. Vêtus de robes de couleurs, moines et nonnes vont et viennent, prient, méditent…Le nombre des visiteurs étrangers s’amenuise ; les Birmans s’en viennent et font leurs dévotions…
Des enfants jouent, des hommes et des femmes se promènent ; ils prient et, imitant leur progéniture, frappent telle ou telle cloche à l’aide d’un gros pilon de bois. Le son cristallin de l’une ou de l’autre accompagne nos pas.
Le ciel s’assombrit et orne la toile de son dais d’un croissant de lune. Il fait doux. Dans les ténèbres, resplendissent les ors de la pagode ainsi que ceux des toits ouvragés qui coiffent les escaliers y conduisant. La lumière d’or qui émane de cette merveille éclaire la nuit.
L’or éclaire la nuit…
TELEPHONE
Une boutique de téléphone jouxte un modeste café ; la terrasse de l’estaminet est bondée de jeunes, pour la plupart habillée à la manière traditionnelle, la taille ceinte d’un longyi. Assis sur des tabourets autour de petites tables, ils sirotent du thé sucré au lait concentré. Les discussions sont animées et joyeuses.
Souriants et sympathiques, trois garçons gèrent la boutique. Les trois vieux téléphones sont pris d’assaut. D’abord, il faut commander la communication au central et ensuite, attendre… Les deux phrases prononcées s’envoleront vers la France sur les ailes de quatre dollars !
AEROPORT
Le pays est vaste ; trajets ferroviaires et routiers (à condition que les routes soient carrossables) sont longs : l’avion est un moyen de transport commode. À l’intérieur de l’aéroport, le secteur « vols domestiques », exigu, manque de confort. La salle d’attente est comble : les passagers, vêtus du longyi, sont en majorité birmans. Les sièges regardent deux écrans de télévision qui diffusent en continu des publicités en couleurs… Il fait chaud et, la chaleur est accablante. Deux bonzes patientent : l’un lit le journal, l’autre médite. Peut-être.
Embarquement : à l’avant de l’appareil, s’installe un officier ; il porte un uniforme de cérémonie, comme à la parade. Le pan gauche de sa vareuse est constellé de décorations : un héros ? Non, le ministre du tourisme. Sûrement un conquérant… de devises.
Le 27 et 28 octobre,
NAY PYI DAW
AEROPORT BIS
Décollage. Repas chaud. Survol du damier des rizières. Cinquante minutes de vol. À Nay Pyi Daw, la nouvelle capitale, située à plus de 300 kilomètres au nord de Rangoun, l’aéroport est situé en rase campagne. Un majestueux bâtiment est destiné à l’accueil des personnalités. Pour le vulgum pecus, rien. On récupère les bagages sur une remorque : rustique, non ?
ARCHITECTURE
La voiture file à travers un paysage de rizières et de champs de coton qui composent la campagne jusqu’à la nouvelle capitale. En ville, les ministères sont tous construits sur le même modèle : ce sont de petits bâtiments de deux étages, édifiés en béton, crépi blanc et couleur, selon un plan en U évasé, soit un corps de logis et deux ailes adjacentes. L’ensemble est dépourvu de cachet
À l’angle de deux carrefours, des ouvriers s’échinent : ils achèvent la construction de murs de pierre qui corsètent la terre. À la nuit tombée, ils s’épuisent encore…
À la découverte du centre – ville. À gauche, le quartier des fonctionnaires : petits immeubles sans grâce dont la hauteur n’excédent pas quatre étages, tous identiques. Comme dans la chanson : « little boxes… ». La place du marché est aussi une gare routière. Une vaste halle fermée offre une litanie de magasins dont les vitrines regardent l’extérieur. À côté, cafeteria en plein air : tables basses et petits tabourets. Plus loin, s’étend une large halle couverte également, mais dépourvue de murs et donc, ouverte sur l’extérieur. À l’intérieur, des allées rectilignes sont tracées par l’alignement de blocs de béton surélevés sur lesquels, assis en tailleur, se tiennent les marchands. L’odeur est fort nauséabonde et les lieux assez obscurs.
Une esplanade domine le marché ; c’est le quartier des restaurants. Ils sont regroupés au rez-de-chaussée d’un bâtiment. Tous offrent une terrasse aux chalands. De ce belvédère, on observe un lot d’immeubles de plusieurs étages où vivent les ouvriers. Il faut le secours d’une voiture pour gagner le quartier des hauts-fonctionnaires : ils demeurent dans des résidences qui ne comptent que deux étages. Non loin de là, résident les ministres : chacun dispose d’une villa cernée de murs couronnés de barbelés. Est-on jamais trop prudent ?
- « Mais il y a bien un palais présidentiel », interroge naïvement le visiteur ?
- « Sans doute, mais c’est sûrement secret », répond le guide. Est-on jamais, etc.
Ailleurs, se trouve le quartier des militaires. Un hôpital, un lycée, un hôtel de ville sont en construction, « mais pas encore de prison », dit l’accompagnateur malicieux.
La ville est donc divisée en quartiers composés d’immeubles, crépis de couleurs variées (bleu, vert, rose) et coiffés de toits de tôle. Ces quartiers sont dispersés et éloignés des ministères. Est-on jamais, etc. Et la voierie est loin d’être achevée…Pour l’heure, c’est une ville à la campagne, édifiée au milieu de nulle part. Les insectes et rampants de toute espèce s’y ébattent librement. Ainsi sauterelles aimables et lézards fort bavards apprécient ma chambre et ma compagnie…
L’architecture de cette nouvelle capitale est quelconque. Elle ne suscite ni le rêve ni l’envie d’y vivre. On songe à Brasilia, mais, sans doute, n’existe-t-il pas de Niemeyer birman…
RESTAURANT
L’air conditionné est glacial. L’écran de télévision affiche des images à forte teneur américaine. En tenue traditionnelle, de nombreux Birmans dînent, rassemblés autour de grandes tables rondes. Au centre, sont disposés les plats et les épices et chacun se sert. Au menu, porc aigre-doux, riz cuit à la vapeur et banane frite ; excellent mais fort indigeste !
COMPETITION MUSICALE
Une compétition nationale réunit les meilleurs musiciens du pays dans la capitale. Pour écouter tel ou tel, il faut, me dit-on, « l’autorisation de l’officier responsable », digne représentant de Tatmadaw, puissante et omniprésente armée birmane, pilier du régime. Finalement, quatre membres du jury arriveront à l’hôtel dans le sillage du « guide-interprète » : originaires de Yangon, ce sont des maîtres. Ils perpétuent la tradition fort ancienne de la musique classique birmane. L’aubade, dans ma chambre, se prolongera deux bonnes heures…
Pédagogues, ils livrent au visiteur quelques clés relatives à leur art. Il existe, expliquent-ils :
- Quatre types d’échelles : hnyinn lone, auk pyan, palei yoedaya (baw lae), myan zeang (XVIII°-XIX° siècles),
- Cinq catégories d’instruments :
1) KYEY : bronzes ou cuivres
2) K YO : cordes
3) THAYEY : cuir (tambour)
4) LEI : vents (flûtes, hautbois…)
5) LET KHUT : bambou (castagnettes, pattala (xylophone) : sept notes)
- Quatre thèmes : nature, amour, philosophie bouddhiste – nirvana (le non-être), hommage et célébration.
Le quatuor présent est en fait un trio : flûte, harpe et voix. Ce-dernier tient aussi les cymbalettes de métal en sa main droite et une paire de castagnettes en sa main gauche. Aux XI° et XII° siècles, la harpe saung gauk (ou saw kauk) était tendue de trois cordes ; elle en compte seize aujourd’hui et s’accorde grâce à un jeu de cordelettes,
Assis sur des chaises, ils jouent :
°PALE, célébration du roi, de la reine et de la prospérité du pays
°PALE, (même mélodie), amours dramatiques
°AUK PYAN, même formation augmentée d’une seconde voix : do-ré-mi-sol-la… la nostalgie
°HNYINN LONE, la prospérité du pays
°MYAN ZEANG, sentiments suscités par la pluie
Cette musique est un genre de musique de chambre ; elle se jouait autrefois au sein des palais, dans l’intimité des intérieurs. Comme en Thaïlande, en France ou ailleurs, on distinguait musique vouée à l’exécution à l’intérieur des palais et musique jouée à l’extérieur.
FEUILLETON
À la télévision, le feuilleton quotidien coréen est, dit-on, très apprécié par les Birmans.
Le 29 octobre,
MATIN
Ciel bleu Matisse. Toasts à l’anglaise et délicieuse marmelade locale. Vestiges de la présence britannique ? L’écran de télévision vomit les news d’une chaîne américaine : les images ne connaissent guère l’embargo.
MIDI
Le curry de porc est un peu gras.
APRES-MIDI, MARCHE
À cette heure, de nombreux commerçants et une foule de chalands peuplent les deux marchés de la capitale ; le troisième ne compte encore que quelques boutiques. Le premier, couvert et fermé donc, est un grand bazar où l’on trouve tout : habillement -on y voit même des tailleurs-, ustensiles de cuisine, papeterie, etc. Le second, couvert et ouvert, on l’a dit, offre, sur des étals de béton d’environ un mètre de hauteur, comme son voisin, tous les produits de bouche : poisson séché, viande, légumes (carottes blanches, patates douces, gingembre…), fruits (oranges, pommes, bananes…), œufs, huile de sésame, d’arachide, de palme, riz court, long ou cassé destiné à la fabrication de la farine et, bien d’autres choses encore… Sur les étals, les enfants dorment auprès de leur mère. On songe à la description d’un marché birman à laquelle se livre George Orwell dans « Une histoire birmane » (Editions Ivrea).
Les abords des marchés sont le fief des commerçants ambulants : gargotes à ciel ouvert – elles proposent des nouilles relevées d’une sauce épicée au poisson-, marchands de petits pains, de brochettes et de soupes… officient sous une chaleur accablante. Des femmes fument le cheroot*, ce cigare birman, le visage enduit de thanaka**, à la fois protection et maquillage naturels.
* Voir plus loin, 4 novembre.** Issue de l’écorce d’un arbre, poncée et lavée à l’eau, cette pâte, de couleur jaune claire, est également dotée de vertus antiseptiques. Elle exhale un agréable parfum.
Au coin de la rue, les motos-taxis guettent le client. Leurs chauffeurs portent le casque ; certains osent le casque nazi… Les cyclos – pousses hèlent le chaland et les bus attendent l’heure du départ.
À l’ombre d’un petit café, le chauffeur, en compagnie de sa sœur, une marchande d’œufs, sirote un expresso…
LAWKA MAN AUNG
COBRA
À Lawka Man Aung, au milieu des manguiers, s’élève un stupa d’or ; un Bouddha trône au cœur du chantier de la pagode que l’on construit pour l’abriter ; une maison sur pilotis accueille « l’ordination des bonzes » ; on en repeint les lions blancs qui gardent l’entrée ; un cobra se prélasse dans l’édicule édifié à son intention : il était l’hôte des lieux, le voilà promu animal quasi sacré… Alentour se dressent de nombreux arbres parmi lesquels on distingue les tecks aux larges feuilles. Une essence dont le Myanmar est l’un des premiers producteurs et exportateurs.
PYINMANA
DU VILLAGE BAMAR À LA VILLE
Sur la route de Pyinmana, un village bamar* dont les maisons, murs et toits, sont faites de roseau tressé. À moins que ce ne soit du bambou ?
Pyinmana, cité qui abrite environ 100 000 habitants, fût le quartier général de la résistance contre les Japonais. Elle est, aujourd’hui, une ville de cantonnement. Elle compte de nombreux commerces : les magasins de toutes sortes abondent. C’est là que les paysans des environs s’approvisionnent et vendent leurs produits : riz, canne à sucre, buffles. Le Yangon-Mandalay s’arrête en celle ville. Demain nous l’emprunterons…
PYAUN LOUNG
SUR LA ROUTE
Sur la route du barrage hydro-électrique de Pyaun Loung, on croise des attelages de deux buffles tirant charrette, des chars- à- banc de dimension modeste, que protège une toile, menés par des chevaux de petite taille dont la tête est fleurie, des cyclo- pousse traditionnels ainsi que leur traduction moderne, nantie d’un moteur… Sur le chemin, des hameaux bamar rassemblent quelques maisons aux murs tressés de roseau, coiffées d’une armature du même végétal, couverte de fibres issues de la même plante. Il arrive que les murs soient édifiés en matériaux durs et les toits, hélas ! en tôle.
Sous le soleil déclinant, des paysans travaillent dans l’eau d’une rizière, à l’abri d’un couvre-chef. Non loin de là, respectant un plan en L, un village aligne ses cases sur pilotis, une architecture qui protège des dommages de la mousson. Un homme s’affaire : il tresse du roseau tandis que d’autres villageois fabriquent des briques en terre cuite. L’une des cases abrite une modeste épicerie. Une nuée d’enfants entoure le visiteur. Les gens semblent bien pauvres.
La route est truffée d’ornières ; elle est ensuite escarpée pour grimper jusqu‘au faîte de la digue qui forme le barrage. Nous voilà seuls au sein de ce paysage majestueux. Silence absolu. Le lac artificiel formé par le barrage est un diamant incrusté dans le diadème émeraude des montagnes alentour.
Soudain, le guide se change ! Il quitte sa tenue occidentale et revêt des vêtements traditionnels. Etrange ! En ce pays, je ne comprends pas tout…
NAY PYI DAW
PIEGE
La voiture file en direction de l’université Yezin, située à une cinquantaine de kilomètres de notre lieu de séjour. Là, nous devons écouter, en fin d’après-midi, les musiciens conviés par « l’officier responsable de la compétition nationale ». À l’approche de l’université ainsi qu’à l’entrée de celle-ci, des policiers en faction semblent nous attendre… À la porte de la salle de spectacle, une brochette d’uniformes jouxte un homme âgé d’une cinquantaine d’années environ et vêtu du costume traditionnel. « C’est, dit le guide-interprète, l’officier qui a tout organisé ». Et quelle organisation ! Nous pénétrons dans une vaste salle dont seuls les premiers rangs sont occupés et, à l’évidence, par des artistes, comme le laisse à penser la tenue traditionnelle qu’ils portent. Au-delà du premier rang, face à la scène, canapés et fauteuils profonds ont été disposés ainsi que des guéridons. Hors scène, côté jardin, les instruments d’un magnifique saing waing*, l’orchestre traditionnel birman, étincèlent de tous leurs ors. Auprès de cet orchestre, s’aligne une rangée de caméras et d’appareils de photographie. Tout s’éclaire, mais trop tard : c’est un échange, musique contre image. Je t’offre notre musique, tu me donnes ton image. Ou plutôt, celle de l’institution culturelle parisienne que je représente au cours de cette mission. Le mal est fait, faisons bonne figure.
L’officier me présente deux « vénérables » (titre conféré par l’Etat) maîtres assis au premier rang. L’un d’eux me révèle son âge : 84 ans. Caméras et appareils mitraillent : ils ne lâcheront plus leur proie, deux heures durant. On me convie à m’asseoir à la droite de l’officier organisateur. Le guide-interprète prend place à ma droite. Interrogé, il m’avoue qu’il était au courant. Il ne m’en a rien dit. Soit il est dupe, soit il est complice. Manipulateur ? Quoiqu’il en soit, je suis furieux ! L’orchestre joue ; l’officier m’entraîne à sa suite pour l’observer de près et me prie de me placer de sorte que les caméras puissent filmer. Je les ignore.
Tandis que le spectacle commence, l’officier pose à nouveau une série de questions relatives à mes fonctions. J’ai déjà répondu à ces mêmes interrogations en prélude à la représentation. Peu après, un militaire s’approche de l’interprète et, je vois ce-dernier lui remettre ma carte de visite professionnelle sans me demander mon avis. L’uniforme note consciencieusement les informations. Nouvelles questions : j’envoie paître l’interprète en lui précisant que je ne peux écouter la musique et parler simultanément. À mon tour de poser des questions :
- Quel est votre grade ?
- Colonel.
- Comment vous appelez-vous ?
Pas de réponse.
L’écoute de musiciens traditionnels s’est métamorphosée en manipulation parfaite : ma présence a été instrumentalisée. À quelle fin ?
SPECTACLE
Au terme de ces prolégomènes, le spectacle prévu à mon intention peut se dérouler :
La scène est parée de rideaux de couleurs jaune, rouge et verte. Le spectacle est un long défilé, qui se prolonge deux heures durant, des lauréats de « la division Yangon ». Ils sont en principe tous vêtus de vert- amande, couleur emblématique de cette région.
Par ordre d’entrée en scène :
-1) THIRI MG MG SAING WAING (mao me) : ils devraient être huit (c’est la norme), mais ils ont sept hommes, habillés et enturbannés de blanc. Sept virtuoses ! Les voix, elles, chantent la prospérité du pays. Trois étoiles !
-2) MA CHIT SU SATIN SAING WAING : il se compose de sept adorables fillettes de cinq à dix ans. Certaines sont les élèves de l’un des « vénérables » maîtres présents (ou peut-être des deux). On m’invite à nouveau à m’approcher ; visiblement le colonel est fan.
Elles chantent, elles aussi, la prospérité du pays : un thème imposé ? Elles me diront ensuite qu’elles travaillent la musique deux heures par jour. On s’en serait douté tant elles sont étonnantes et excellentes. Trois étoiles encore !
La suite des festivités, soit quinze autres numéros, n’offre guère, à quelques exceptions près, le même intérêt. Ainsi, deux jeunes filles célèbrent les beautés de la forêt et des fleurs, une autre, « en tenue de princesse »,danse et minaude, une voix monotone, accompagnée d’une mandoline et de cymbalettes, chante la beauté du Myanmar, thème convenu, un duo mixte piano-voix inflige sa médiocrité, escorté par l’orchestre, un danseur doué, costume rouge-argent, chante, un autre duo piano-voix susurre un chant suave, « la colline de Mandalay… », une voix terne, soutenue par une harpe et des cymbalettes, évoque la beauté des paysages, le même danseur, parure rouge et jaune cette fois, offre une danse traditionnelle déstructurée et acrobatique, voix et harpe rappellent que la nature est belle, un très jeune cithariste accompagne une voix masculine, une danseuse, vêtue de rouge, mime joliment, sur les éclats de l’orchestre, les trois étapes de la vie : jeune-fille, femme et dame âgée, le piano soutient la voix d’une fillette, un jeune garçon martèle le patala de bambou et ce xylophone accompagne une voix féminine. C’est ensuite MG AUNG CHYAINT, un intéressant « groupe de musique rurale pour les fêtes » qui se présente : il joue « surtout à l’occasion du noviciat » des bonzes. Il se compose de cinq jeunes garçons (deux tambours bifaces, un hautbois, un bambou et des cymbales) et d’un danseur, bondissant et bonimenteur, qui dialogue avec l’un des musiciens par la parole et le chant. Le final réunit tous les artistes sur scène : ils saluent, je les félicite et les remercie.
Bref échange afin de connaître la procédure à suivre pour inviter tel ou tel artiste ou ensemble en France : « c’est, me dit-on, le ministre qui décide ; il faut s’adresser à l’ambassade du Myanmar ». Le colonel n’est guère bavard. Il s’exprime laconiquement. Je lui tends ma carte espérant que, selon l’usage, il me présente la sienne : en vain. Son nom me restera inconnu. Seul le directeur du département des Beaux- Arts de l’Université me laisse son nom et son numéro de téléphone. Voiture et chauffeur attendent devant la porte de la salle. Retour…
TRAVAUX PUBLICS
Au cœur des deux grands carrefours de la ville, des ouvriers s’affairent pour achever les gigantesques murs de pierre qui retiennent la terre. Plus loin, ils déversent les cailloux entassés dans de petites bassines plates pour empierrer la chaussée. L’épandage du goudron bouillant s’effectue également à la main avec un récipient troué que l’on promène d’un pas alerte au-dessus des pierres. Misérable technologie.
Les abords de la ville sont encore un chantier. L’entrée de l’imposant hôtel de ville est en construction. Le guide requiert, à mon intention, l’autorisation de prendre une photo, auprès du duo de jeunes policiers en faction à proximité :
-« Non, car ce n’est pas terminé et ce n’est pas joli ». Sans commentaire.
Plus loin, un tractopelle tranche la pente d’une colline. À l’orée de la ville, la poussière des travaux enveloppe un stupa et un modeste monastère qui abrite trois moines. Nous gravissons les marches. À l’ombre, deux jeunes jouent aux dames avec des capsules de bouteilles sur un damier de fortune. Sous la protection du Bouddha, un chien se prélasse. À l’abri du toit qui coiffe l’escalier, deux garçons dorment…
Le 30 octobre,
TERRE
En cette matinée, la campagne vit au rythme du pas lent des buffles et des gestes mesurés des paysans oeuvrant dans les rizières. « La terre, dit le guide-interprète, appartient au patron ainsi que les maisons où demeurent les ouvriers agricoles ». Sur le chemin, deux maisons traditionnelles bamar méritent que l’on s’y arrête…
PYINMANA
GARE
La ville est très animée : carrioles, cyclo-pousses et motos ainsi que des portefaix se croisent et se bousculent…Ici, un temple baptiste, là, une mosquée… La gare grouille de monde ; les voyageurs croulent sous les sacs et les ballots de toute sorte… Les trains se succèdent : les voitures sont estampillées « lower class », « upper class », « sleeper », « restaurant »… Une myriade de vendeurs à la sauvette propose ses services ; des chiens errants s’approchent en quête de quelque pitance. Assises, des familles entières, accompagnées d’une nuée d’enfants, attendent sans manifester une quelconque impatience. La chaleur, il est vrai, demeure supportable. À l’heure dite, le Yangon-Mandalay se fait attendre… Il n’aura qu’une heure de retard et s’ébranlera à 13heures 05.
TRAIN
Le wagon est un sleeper de six compartiments, pourvus chacun de quatre couchettes et, précieux privilège, de l’air conditionné. Offert par la Chine au Myanmar, ce train prodigue un confort spartiate. Le côté couloir est occulté et dépourvu de vitres. Dans le couloir, règne une chaleur accablante. La vitesse de croisière n’est guère très élevée et pourtant, le convoi vibre de toutes ses tôles, tel un navire en proie à la furie d’une mer déchaînée. La locomotive ne sifflera pas trois fois mais, à maintes reprises pour dégager la voie encombrée de buffles, de femmes et d’enfants auxquels les passagers jettent des bouteilles d’eau… vides ! Le train roule, le guide disparaît, un jeune employé de la compagnie s’allonge face à moi… Je suis surpris : que fait-il là ? Mission de surveillance en l’absence du guide ou nouveau piège ? Par la fenêtre du compartiment, je regarde défiler les paysages bucoliques de la campagne birmane…
VU À TRAVERS LA FENETRE DU TRAIN YANGON – NAY PYI DAW (LA NOUVELLE CAPITALE) - MANDALAY
La campagne ! Des rizières et des champs de canne à sucre et, à l’occasion, vers l’est, à l’horizon, des montagnes enveloppées dans un léger voile de nébulosité. C’est une partie de la fertile plaine centrale qui se déroule sous un ciel bleu indélébile. J’aperçois ces petites gares que le convoi dédaigne, où quelques rares voyageurs patientent : Kyidaungan, Pyokwe, et Sinthé. La plaine et ses rizières se peuplent ensuite de palmiers et les montagnes s’évanouissent à l’horizon…Passé Nyaumelun, apparaissent des cactus et se dessinent à nouveau des sommets… D’autres modestes gares défilent encore : Yamethin, Piawewe…En cette localité, cruelle métaphore, les sarcophages du cimetière jouxtent les ordures de la décharge.
Ici, deux buffles gris se vautrent au creux d’une mare, de l’eau jusqu’aux naseaux, et narguent le soleil qui brûle. Là, deux autres tout blancs tirent l’araire…Et, tout au long du chemin, témoignages de la dévotion, ces balises du ciel disséminées dans la campagne, les stupa dorés ou immaculés qui, la nuit, s’enturbannent de guirlandes de lumière. Et voilà qu’à nouveau s’étendent les rizières et s’élèvent cactées, agaves et arbustes divers. Sur la digue d’un canal d’irrigation, des écoliers portant longyi traditionnel, cette longue étoffe de couleur drapée autour de la taille, s’en reviennent de l’école, un sac tissé du lac Inlé en bandoulière. La plupart vont à pied, quelques-uns disposent d’un vélo.
Ici, parcelles de terre sombre fraîchement retournée, là, rizières vertes ou jaunes. À mi-chemin, le train s’arrête à la gare de Thazi : des vendeuses à la sauvette sont assises sur les rails de la voie adjacente tandis que buffles et chevaux en tondent l’herbe…Et, ensuite, il y a la terre encore et les montagnes et, des moutons qui paissent… À nouveau des cactées… Enfin, rizières et bananiers, dernières images du film.
Il est dix-sept heures vingt-cinq, le soleil décline sur la gare de Myittha. La nuit tombe et aveugle ma fenêtre. Seul quelques lumières témoignent que la vie continue malgré les ténèbres.
À dix-neuf heures huit, enfin, le train arrive en gare de Mandalay : une horde de jeunes garçons grimpe dans les wagons encore en mouvement et tente de s’emparer des bagages des voyageurs. La résistance est rude ! Dans le hall de la gare ; ce sont les chauffeurs qui agressent les passagers. Il faut quitter au plus vite cette immense et haute station de chemin de fer…
Lundi 30 octobre 2006,
MANDALAY
Mandalay, est, dit-on, « la ville birmane par excellence ». Pour atteindre notre gîte, on longe la muraille édifiée par le roi Mindon. C’est ce roi réformateur (1853-1878), ouvert au monde, qui, transférant sa cour à Mandalay, en 1861, en fit la capitale du royaume.
« Les rues de Mandalay poussiéreuses, encombrées, noyées sous un soleil éblouissant, sont larges et droites, écrit Somerset Maugham, au début des années 20 (« Un gentleman en Asie », Editions du Rocher, 1993). De lourds tramways y passent, chargés de hordes de voyageurs ; ceux-ci occupent les sièges et le couloir central, et ils s’accrochent en masse aux marchepieds, comme des mouches s’agglutinent sur une mangue trop mûre. Les maisons, ornées de balcons et de vérandas, ont l’aspect négligé des maisons de la grand-rue d’une ville d’Occident en déclin. On y voit point d’étroites ruelles, ou de voies tortueuses que l’imagination puisse parcourir en quête de l’inimaginable. Peu importe : Mandalay a son nom ; l’intonation descendante de ce mot charmant s’est enrichie du clair-obscur de la poésie. »
Sans doute, aujourd’hui, la ville est-elle davantage victime des désagréments de la poussière et du bruit, mais sa structure demeure et, elle conserve nombre d’attraits. Elle est, en outre, au cœur d’un territoire qui regorge de trésors.
Le soir, dans le jardin arboré, à la lueur des lanternes, dîner BBQ tandis que se déroule, auprès des frangipaniers en fleurs, un spectacle, mis en scène, qui conjugue musique, marionnettes et « danses des dynasties ». L’ensemble est empreint de médiocrité comme le plus souvent en pareille occurrence. Voilà qui est fort regrettable car, nombre de visiteurs étrangers n’auront guère d’autre opportunité de découvrir ces expressions artistiques birmanes.
Le 31 octobre,
KUTHODAW, « LE PLUS GRAND LIVRE DU MONDE »
Depuis 1872, le stupa est entouré de pagodons blancs, coiffés d’or. « Chacun abrite, dit le guide, l’une des 729 stèles de marbre portant la version définitive du Tripitaka (le canon bouddhique), établie par le concile (…) On raconte que 2400 moines se relayèrent pendant six mois pour réciter le texte dans son intégralité ».
SHENANDAW KYAUNG
L’un des deux monastères de la « cité dorée », édifié en teck, à l’exception du toit fait de tôle, est une merveille : une véritable dentelle de bois parée de sculptures. Autrefois, ses parois extérieures étaient recouvertes d’or, de vermillon et de mosaïques de verre. Seul le plafond a conservé ses ors. Les sculptures représentent des nat (esprits), des personnages de la mythologie et de l’Histoire, la naissance de Bouddha et même, fruit sans doute de l’influence britannique, des anges aux mains jointes.
Cet édifice faisait partie du palais royal. Mindon, le souverain, y expira en 1878. Son fils, Tibaw, craignant qu’il fût hanté par le fantôme de son défunt père, le fit démonter et installer sur son site actuel. En 1945, il échappa ainsi aux bombardements qui détruisirent le palais. C’est le seul bâtiment en bois de la « cité dorée » qui demeure. Un autre monastère le jouxte ; il porte le beau nom de « monastère incomparable ».
KINGGALON GOLDLEAF
Mandalay est le royaume des artisans. Un atelier, Kinggalon goldleaf, fabrique ces fines feuilles d’or que les fidèles apposent, entre autres, sur les statues du Bouddha afin d’acquérir des mérites. Au fil d’un long processus, au cours duquel on bat, à l’aide d’une sorte de masse, les paquets de feuilles d’or pendant de longues heures, celles-ci s’amenuisent et s’affinent ; elles se métamorphosent en une fine pellicule d’or. Ensuite, les femmes les taillent en carrés avec un couteau de jade puis, les doigts enduits de sable, les disposent délicatement entre des feuilles de papier si minces qu’on les dirait transparentes.
Ce papier est issu du bambou : l’écorce et les nœuds sont découpés en de fines baguettes qu’on laisse tremper, pendant trois ans, dans des jarres emplies d’eau. Parvenu à ce terme, le bois de bambou est transformé en fibres à partir desquelles on fait une pâte. Etalée sur une sorte de tamis et séchée, elle se transforme en une feuille d’une certaine épaisseur. Elle sera, ensuite, battue avec deux gros bâtons en bois, jusqu’à l’obtention de cette mince feuille de papier qui protège la fine feuille d’or. Le temps est une notion relative.
Les garçons qui battent l’or travaillent debout, torse et bras nus, muscles saillants, et leurs corps ruissellent de sueur. Le paquet de feuilles destiné à être battu est fixé sur une grosse pierre, revêtue de marbre, posée entre les pieds de chacun. Ce sont des garçons jeunes et robustes qui s’épuisent à cette tâche. Le rythme de leurs masses se combine à celui des bâtons qui châtient le papier. Comme s’enchevêtrent ceux des instruments du saing waing traditionnel ?
AU-DELÀ DE LEURS PIEDS
Une procession de moines s’avance*. Ils sont douze, drapés de grenat, à la queue leu leu. Ils se protègent le visage à l’abri d’un large éventail : ainsi éloignent-ils la tentation de « regarder trois coudées au-delà de leurs pieds »… Deux novices ferment la marche.
LE SANCTUAIRE LE PLUS SACRE
Le Mahamuni est considéré comme le « sanctuaire le plus sacré de Mandalay ». Au terme de bien des tribulations, cette statue du Bouddha est accueillie au sein d’une pagode construite à son intention et ravagée par le feu en 1884. L’actuelle est une copie restaurée récemment.
C’est un Bouddha assis, en bronze, d’une hauteur de trois mètres quatre-vingt de hauteur. Il est enrobé d’une épaisse couche de feuilles d’or, fruit d’une ferveur populaire, dont le visiteur est témoin. Celle-ci lui confère une sorte d’embonpoint qui dissout la netteté des formes. La dévotion demeure, en l’absence des femmes auxquelles il est interdit d’approcher.
NOVICES
Musique et klaxons, un cortège de camionnettes envahit la rue. Assis à l’arrière des véhicules, à l’ombre des ombrelles d’or, trônent des jeunes garçons. Ce sont des novices sur le chemin du monastère. Un moine tondra la toison de ces éphèbes. Ensuite, ils seront astreints à obéir à l’un des religieux. Plus les parents investissent dans ce jour, plus ils acquièrent de mérites… Les bonzes jouissent d’un respect absolu et, conformément à la coutume, la plupart des jeunes Birmans passe par le monastère.
FAMILLE
Une pièce ouverte sur la rue : un intérieur modeste. La famille déjeune : riz et poisson que les convives saisissent de la main droite sous forme de boule. Au fond, s’élève un autel peuplé de statues des nat. Elles jouxtent celles des nat shan* qui n’offrent pas le même aspect. On prie un jeune garçon et une femme medium de présenter un simulacre de cérémonie à mon intention. Tout le monde rit. Sauf moi : l’humour birman, à l’évidence, ne m’est guère familier.
MARBRE
Le long de l’allée des tailleurs de marbre, les artisans cisèlent des œuvres pour tout le pays ; ils exportent aussi en Chine : ainsi, les statues de lions birmans ont la gueule ouverte, celles destinées aux clients chinois la ferment. Les sculpteurs travaillent, semble-t-il, pour la plupart, à la scie électrique. En revanche, le ciseau et le burin creusent les motifs décoratifs au sein desquels, parfois, s’inscrit la couleur. Que sculptent-ils? Des Bouddha bien entendu, et puis, des lions, des éléphants, des lingam* et, bien d’autres choses encore…
TAPISSIERS
Les abords du sombre atelier sont peuplés de sculptures et de décorations en bois. À l’intérieur, dort une kyrielle de marionnettes. À une cinquantaine de centimètres du sol, sur des formes carrées en bois, sont tendues des étoffes telles celles qui servent à confectionner les robes des moines. Des jeunes-filles et des femmes au regard acéré cousent sur la toile des motifs divers, comme le paon, symbole du pouvoir, ainsi que de minuscules perles de verre coloré. La décoration est quelque peu chargée à mon goût mais, dans la pièce adjacente, un négociant indien semble apprécier : portable en main, il photographie les pièces qu’on lui présente ; elles conjuguent tradition et modernité.
BRONZE
C’est un atelier à ciel ouvert où l’on fond des Bouddha en bronze au fil de quatre phases de fabrication :
-sculpter le Bouddha en terre mêlée d’écorce de riz,
-mouler cette sculpture dans la cire,
-mouler sur cette cire un amalgame de terre, d’écorce de riz et d’os de chevaux broyés,
-couler le bronze dans ce dernier moule.
À l’ombre, un vieil homme sculpte un Bouddha en terre mêlée d’écorce de riz. Il œuvre avec ses mains et à l’aide d’un outil : ses gestes sont précis et minutieux.
Ensuite, on longe la muraille du palais du roi Mindon ; elle est si longue que l’on a l’impression de demeurer sur place. Aujourd’hui, des ouvriers récurent ses larges douves…
BAZAR
Depuis 1990, le marché Zegyo est installé dans de nouveaux bâtiments édifiés en béton. C’est un vaste bazar qui vend, en gros comme aux particuliers, presque tous les articles de consommation courante. Ils sont stockés à l’abri de hauts placards et sur des étagères en teck : longyi, vêtements, chaussures, vaisselle, quincaillerie, aliments, médicaments, livres, papeterie… Tous ces produits fabriqués localement ou bien en Inde ou encore en Chine. À la sortie du marché, une femme vend des criquets grillés.
MARBRE BIS
Le Kyauktawgyi abrite un immense Bouddha en marbre, taillé en un seul bloc, au XIX° siècle. Il me laisse… de marbre.
CREPUSCULE
La colline de Mandalay s’élève à une hauteur de deux cents mètres, belvédère idéal pour jouir du coucher du soleil, spectacle quotidien et toujours renouvelé. Au loin, s’étendent les hauts- plateaux shan enveloppés dans leur voile de nébulosité, le « fleuve nourricier », Irrawaddy ou Ayeyarwady*,en bas, l’université de recherche de médecine traditionnelle et une autre, dédiée à la technologie, la vaste prison de la ville, un hôtel, l’ensemble des stèles de marbre et… la campagne tressée du damier des rizières.
À dix-sept heures et quinze minutes, le soleil enflamme le fleuve qui flamboie ; puis, il sombre au creux d’un nuage et caresse, ensuite, les lointains de la montagne shan avant de s’effacer.
MARIONNETTES
Le Théâtre de Marionnettes de Mandalay compte une soixantaine de places. L’orchestre saing waing se compose de six vénérables musiciens : gong circulaire, vingt- et-un tambours, gong rectangulaire, hautbois, castagnettes-cymbales, gros tambour-six tambours. Tous sont vêtus et coiffés de blanc.
Une très jeune harpiste, accompagnée par l’orchestre, prélude au spectacle. Une jeune danseuse lui succède ; elle évolue avec deux bougies. Viennent ensuite les marionnettes. Elles sont mues par des fils, nombreux. Comme souvent en Asie, l’histoire est complexe qui mêle les dieux et les hommes. L’orient, on le sait, est « compliqué ». Qu’importe, c’est, de toute évidence, un spectacle populaire. De simples toiles de fond plantent le décor. De temps à autre, un rideau s’efface et apparaissent les montreurs.
Deux épisodes, qui concluent la représentation, présentent un intérêt particulier. Le premier met en scène une marionnette et une danseuse manipulée comme une poupée. Le second, final du spectacle, réunit six marionnettes et autant de montreurs à vue qui dialoguent. Le vieux maître, âgé de soixante-seize ans, extraordinaire acteur, semble éprouver un infini plaisir. Ce n’est pas la marionnette qui danse, c’est le montreur : magnifique !
L’un de ses partenaires, jeune-homme de vingt-quatre ans, est son disciple. Il a entamé son initiation cinq ans auparavant. Cet art, né au XI° siècle et attesté au XV°, est en voie d’extinction. Les jeunes ne s’y intéressent guère. Ils préfèrent, dit le jeune montreur, « écouter des cd et regarder des vidéos ». Même ses propres amis, avoue-t-il, n’assistent jamais à ce spectacle.
Autrefois, la représentation se prolongeait tout au long de la nuit. D’ici quelques jours, le théâtre présentera le spectacle dans son intégralité, de vingt-et-une heures trente à… six heures trente.
Le 1 novembre,
FLEUVE
Il est sept heures sous le ciel bleu. Des fenêtres de la chambre, je contemple les flèches des innombrables pagodes qui percent la mer verte des arbres. «(…) en ces pays-là, écrit Pierre Loti (« Les pagodes d’or »), temples, palais, casques de dieux ou de rois, doivent être surmontés de quelque chose d’aigu et d’infiniment long, -sans doute pour attirer les effluves célestes comme les paratonnerres attirent les orages. » Quatre-vingt-dix minutes plus tard, on gagne la rive du fleuve, où règne une certaine animation à cette heure matinale. L’Ayeyarwady charrie des limons : ses eaux calmes et boueuses baignent des bancs de sable dont certains forment de véritables îles. Sur les rives de ces îles artificielles, on aperçoit des villages de pêcheurs nomades que la montée des eaux, quand sévit la mousson, invite à déménager.
Un bateau d’une jauge modeste, piloté par deux jeunes frères, vogue vers Mingun, située sur l’autre rive. Sur le pont supérieur, deux fauteuils d’osier nous accueillent. De ce promontoire, on domine le fleuve large et tranquille : panorama grandiose et spectacle animé. Bateaux, barges, pinasses, « bateaux mouches » et pirogues croisent sur les eaux, chargés de marchandises, de passagers ou de poisson frais. Des trains de bambou et de bois de teck sont tirés par des bateaux ; des pêcheurs relèvent leurs filets, ils rament debout, rames croisées… Le trafic fluvial, malgré l’absence de lourdes embarcations, n’est guère négligeable : le fleuve est une artère vitale pour les échanges. Il fait bon, le vent est doux et caressant, le regard comblé. Au terme d’une petite heure de navigation, on aborde sur une maigre plage de terre grise. À ce moment, la chaleur saisit le visiteur.
MINGUN
TAS
À dix kilomètres au nord-ouest de Mandalay, Mingun n’est accessible que par bateau. C’est, dit-on, « le plus gros tas de briques du monde », une pagode inachevée qui suscite l’intérêt. Deux gigantesques « clinthe », mi- lions mi-griffons, en gardent l’entrée, située près du fleuve. « De plan carré, commente le guide, le soubassement du Montara Gyi –tel est le nom de l’édifice- repose sur cinq terrasses décroissantes ».
Pieds nus, conformément à l’usage, on gravit le monument en empruntant un semblant d’escalier escarpé. Arrivé au sommet, une cinquantaine de mètres plus haut, soit le tiers de la hauteur initialement prévue, on jouit d’une belle vue sur le village et ses pagodes ainsi que sur le fleuve. Au terme d’une telle ascension sous le soleil, c’est un cadeau bien mérité !
Incursion, à proximité du fleuve, au sein de l’hospice bouddhique. Il accueille personnes âgées et sans abri de la région : visite de l’une des maisons occupée par des femmes, un dortoir de vingt-cinq lits. Certaines pensionnaires dorment, d’autres mendient « one dollar ». La plupart semble ravie de l’aubaine d’une visite qui rompt la solitude et, affiche un sourire.
Plus loin, un pavillon abrite… quatre-vingt- dix tonnes de bronze, une lourde cloche qui défie le temps.
LE PLUS BEAU DES TEMPLES
Au nord du village resplendit la pagode Hsinbyume ou Myatheindan. Elle serait, dit-on, « l’un des plus beaux temples de Birmanie ». Erigée en 1816 à la mémoire d’une princesse, épouse du roi, c’est le Taj Mahal birman. Son architecture évoque la pagode Sulamani, résidence mythique du roi des nat qui s’élève au sommet du mont Meru, le centre de l’univers : « le stupa central, précise le guide, est entouré de sept terrasses concentriques fermées par des parapets en forme de vagues, telles les sept chaînes de montagnes qui entourent le mont Meru. » On grimpe jusqu’à son faîte par un escalier abrupt, encombré de mendiants et d’enfants vendeurs à la sauvette. En haut, est enfermée une seule statue du Bouddha et, si l’on en croit la légende, une émeraude.
Monastères (kyaung) et petits stupa sont reliés par des sentiers ombragés dont on devine le tracé. Ces édifices sont disséminés dans la verdure, au flanc de la colline qui domine Mingun. De cette hauteur, on jouit d’un beau panorama.
En bas, des enfants, vêtus d’un longyi de couleur verte, reviennent de l’école à pied ou à vélo… Sous les flamboyants et les mimosas jaunes, une femme cuit des petites galettes de farine de riz. Marchands du temple et galeristes hèlent le chaland…
Midi, l’heure du retour : le bateau navigue dans le sens du courant, sa vitesse de croisière gagne en rapidité et réduit la durée de la traversée vers Mandalay à moins d’une heure. Déjeuner au bord du fleuve, à l’ombre des mimosas, d’une soupe de légumes et de thé.
SAGAING
HAUT LIEU
Sagaing est le haut lieu du bouddhisme birman. On y recense, dit-on, plus de six cents monastères, d’innombrables temples, stupa et grottes, édifiés à la gloire de Bouddha au flanc des collines et au creux des vallées qui ourlent la rive occidentale du fleuve. On prétend que cinq mille moines vivent dans « ce décor d’Arcadie que festonnent d’interminables escaliers ». Entre Mingun et Sagaing, les rives de l’Ayeyarwady sont plantées d’arbres : manguiers, frangipaniers, bougainvillées ou tamarins. Résidences et monastères se dissimulent dans la verdure, au fond des vallées ou à l’assaut des coteaux. Juchés sur les crêtes, les temples dominent la campagne « de leurs spires blanches ».
Suivons le guide ! La pagode Kaung Mhudaw, construite au XVII° siècle, porte un dôme, hémisphère parfait de « quarante-six mètres de hauteur et de deux cents soixante- quatorze de circonférence ». Il évoque, si l’on en croit la légende, le galbe des seins de la favorite du roi. L’architecture de ce dôme « repose, affirme le guide, sur trois terrasses circulaires ; la plus basse est ornée de cents vingt nat et deva (ils séjournent dans les mondes divins), chacun à l’abri d’une niche individuelle. Le stupa est entouré de huit cents douze piliers en pierre, hauts de un mètre cinquante et creusés de petites niches abritant des lampes à huile ». (Bibliothèque du Voyageur).La décoration offre quatre rangées de motifs : fleur de banian et fleurs de lotus.
COLLINE
En voiture, on gravit la colline de Sagaing. Au sein de la pagode Son Oo Ponnga Shin, on admire un Bouddha du XVII° siècle, encadré d’un lapin (qu’il fût dans une vie antérieure) et d’une grenouille, de bon augure, tous deux en bronze.
À l’extérieur, le regard s’aventure à travers les frondaisons des frangipaniers et contemple le paysage : colline de Mandalay, fleuve et flèches d’une pléthore d’édifices religieux. Paisible, un moine est assis là.
PEINTRE
À proximité, un artiste peint des paysages birmans sur du papier photo avec des pinceaux, qu’il trempe dans un mélange d’encre et d’huile, et une lame de rasoir. Il achève devant moi un paysage du lac Inlé et un autre inspiré par le pont de teck voisin.
AMARAPURA
TECK
Sur le flanc est de la cité d’Amarapura s’étend le lac Taungthaman ; à sec, il se métamorphose en une terre fertile. Le U Bein, un pont en teck, l’enjambe. C’est une passerelle branlante de 1200 mètres de long, construite au XVIII° siècle, avec les planches de teck d’un palais abandonné.
Il faut une quinzaine de minutes pour le traverser. Des abris autorisent une halte propice au repos ou à la contemplation du paysage. Spectacle saisissant que cet étroit chemin de bois qui s’élance et enjambe le lac. Nombre de piétons et, malheureusement, de cyclistes (ils bravent l’interdiction) l’empruntent. Une foule de vendeurs à la sauvette propose aux chalands divers objets d’artisanat plus ou moins authentiques. Des échoppes improvisées offrent bouteilles d’eau, bananes vertes, cacahuètes… L’un lit les lignes de la main, l’autre pêche à la ligne. Beaucoup mendie. Les éclopés de tout acabit quémandent une obole. Moines et novices sont légion.
Un jeune vendeur, portant longyi, San, âgé de onze ans, s’adresse à moi dans un charmant français. Orphelin de père, dit-il, il vit avec sa mère et sa sœur. Après l’école, il vend des colliers de jade, probablement faux. « C’est pas cher et c’est local », assure-t-il. Il se débrouille également en anglais et en italien. Sa frimousse respire vivacité et intelligence. Puisse-t-il vaincre sa condition. Beaucoup d’enfants, nombreux dans ce pays, « en moyenne deux ou trois par famille », dit le guide, sont réduits à des pratiques identiques.
Le soleil décline et, entre deux arbres morts, flamboie sur les eaux du lac. Les photographes sont à l’affût. Dernière image, une larme rouge, comme un fruit mûr, accrochée entre les deux branches d’un arbre mort. Les surréalistes auraient aimé.
COCO
Dîner : curry de poulet et riz coco, délicieuse banane cuite également au coco, thé anglais. À côté, un « petit frère », joyau karen dix-sept carats, brille sous les bambous et les lanternes blanches de ce jardin…
MANDALAY
DANSE
Représentation de danses traditionnelles au Mintha Theater, petit théâtre qui ne compte guère plus d’une quarantaine de places. L’orchestre traditionnel ne séduit guère ; la sélection de danses pas davantage. À l’exception du solo d’un garçon singe balu (l’ogre…) et d’une fillette qui jongle avec un ballon et des cerceaux. La plupart des danses est fort expressive et s’apparente à l’art du mime et du comique, parfois proche de la farce.
À l’issue de la représentation, le maître des lieux, monsieur Ohn Maung, offre au visiteur une prestation de l’Ensemble Bobadin, résidant à Mandalay et fraîchement médaillé (meilleure interprétation) de la compétition nationale. Il s’installe en lieu et place de l’orchestre du spectacle. Il compte sept musiciens, dont le chef, monsieur Bobadin, joue les vingt-et-un tambours. Les autres frappent le gong circulaire, les six tambours alignés, le tambour bifaces, les cymbales, le triangle métallique et les castagnettes ou les cymbalettes.
Le répertoire, éclectique, recèle musique auspicieuse, mélodie pour accompagner le roi sortant du palais, souhait de victoire et de prospérité adressé au souverain, imitation du langage (ils chantent), solo de chaque musicien, à tour de rôle, musique des nat, musique rurale birmane, composition d’un maître du chef de l’orchestre. L’interprétation apparaît légère, suave et fine. On n’avait pas jusqu’à présent joui de telles sonorités à l’écoute de ces musiques.
Le jeudi 2 novembre,
MANDALAY-BAGAN (ou PAGAN)
MATIN
Le jour se lève. Dernier regard à la longue enceinte du palais du roi Mindon. La mousson et les inondations ont détérioré la route qui conduit à l’aéroport. À six heures trente, le soleil apparaît, le ciel bleuit. Une théorie de moines marche à la queue leu leu sur le bas- côté de la route. Ainsi vont-ils, dès potron-minet quémander leur nourriture. Attelages de deux buffles blancs tirant charrette, ils vont de leur pas lourd et lent de par les routes… On résiste à la puanteur d’un élevage de crabes d’eau douce qui prospère non loin de la voie.
En vingt-cinq minutes, le vol de Yangon Airways relie Mandalay à Bagan.
BAGAN
MARATHON
Dès dix heures, c’est un marathon qui commence au cœur de cette plaine, arrosée par l’Ayeyarwady et hérissée des flèches de ces milliers de pagodes et de stupa édifiés entre les XI° et XIII° siècles. Les guides sont intarissables et livrent mille détails relatifs à l’architecture des édifices de la cité. « La Bibliothèque du Voyageur » est un ouvrage bien documenté.
Le plus important des reliquaires de Bagan, le Shwezigon (shwe=or), est le prototype des zedi, ces stupa birmans dont la construction fût achevée à la fin du XI° siècle. Dans une petite salle, siègent trente-sept nat, c’est le « panthéon des nat ». La fête de cet édifice mêle le culte du Bouddha à celui des nat. On dit que le roi Anawrahtra pensait que « les hommes ne viendront pas honorer la foi nouvelle. Laissons les venir vénérer leurs anciens dieux et, petit à petit ils se laisseront convaincre ». Un souverain avisé en somme.
Coiffé d’une flèche pyramidale, le Gubyaukgyi est un temple-grotte édifié au XIII° siècle. Il est décoré de belles fresques qui illustrent des épisodes des jataka : cinq-cents quarante-sept contes relatent les principaux évènements qui ont jalonné les vies antérieures de Sidhartha Gautama (Bouddha). Certaines peintures ont disparu ; celles qui restent paraissent un peu ternes.
L’un des plus beaux monuments, le temple d’Ananda –« la sagesse infinie »- est aussi l’un des mieux conservés. Il s’élève à l’est de la muraille, partiellement relevée, de l’enceinte de la vieille ville. Cinquante-six mètres de hauteur, l’imposante masse blanche de ce chef d’œuvre de l’architecture môn, achevé à la fin du XI° siècle, domine la plaine.
Une fois les travaux terminés, « le roi, précise le guide, selon la coutume brahmanique, exécute son architecte de ses propres mains afin que le chef-d’œuvre reste unique ». L’ensemble dessine une croix grecque parfaite. La structure centrale forme un cube de cinquante-trois mètres de côté. Au centre, on découvre un cube plein ; chacune de ses faces est décorée d’un Bouddha colossal en teck doré debout, haut de neuf mètres cinquante. Deux de ces statues, nord et sud, sont d’époque (XI° siècle) : leur regard et leurs lèvres changent d’expression au fur et à mesure que l’on avance. Les deux autres, de style et d’expression différents, datent du XVIII° siècle… Et bien d’autres trésors encore…
Voir l’histoire de ce temple selon la « Chronique du palais de cristal », Bibliothèque du Voyageur, pages 203 et sq.(Gallimard).
DEJEUNER
Au bord du fleuve, un restaurant ouvert sur la végétation et l’eau, construit en teck et bambou tressé. Le kebab poulet est un plat en sauce fort épicé.
LAQUES
La laque est la résine noire d’un arbre qui croît en altitude, dans les montagnes shan. L’art de la laque, qui fût inventé, dit-on, au Japon, obéit à un processus long et complexe. D’abord, il faut un support en bois, bambou ou crin de cheval tressé avec des lamelles de bambou. Point de papier : il sert à fabriquer de fausses laques. Sur ce support, on appose une première couche de laque, poncée, lavée et séchée, une seconde ainsi qu’une couche d’argile, également poncée et lavée. Suivront douze couches de laque, chacune à une semaine d’intervalle, soit trois mois. Au cours de cette période, les laques sèchent dans une cave humide. Il faudra ensuite récidiver et répéter l’opération pour les douze couches du verso ! Long et complexe donc.
Dans une cour arborée de cet atelier, à l’abri d’un toit, trois garçons poncent des assiettes après la deuxième des couches de laque initiale. Un peu plus loin, douze jeunes-filles, assises par terre, et alignées face à face en deux rangées, lavent des plats à l’eau et s’amusent de la présence du visiteur étranger. À proximité, trois garçons gravent au stylet les premiers motifs. Un peu plus loin, sous un toit, une douzaine de filles, jeunes, assises à même le sol, les yeux rivés sur leur ouvrage, gravent les motifs de la dernière couche de couleur, le vert. La première est le noir, la deuxième le rouge. Le travail se prolonge huit heures par jour. Le soleil déjà, décline et, à seize heures trente, le labeur s’achève.
Conseils pratiques :
La laque résiste au feu de la cigarette, se lave à l’eau et au savon à l’aide d’un chiffon de coton. On reconnaît les faux, entre autres, à leur brillance excessive et à l’absence de relief des motifs. À la porte des temples, les marchands sévissent : attention !
PAGODES
Dhammanyingyi, dite « pagode la plus massive », belle construction toute en brique. Un peu plus loin, sous le soleil déclinant, Sulamani resplendit dans la lumière de ses briques. On gravit ensuite les marches de Pyatthadagyi, construite dans le même matériau, pour accéder à la terrasse supérieure qui domine Bagan. Le regard alors se repaît de la beauté du site : il s’attarde sur ces constructions de brique rouge qui pointent au cœur des cultures verdoyantes (arbres, champs de canne à sucre, pois…), il erre d’une flèche blanche à la toiture dorée d’un stupa, du fleuve dont la rive est hérissée de flèches à la crête des montagnes qui barrent l’horizon et derrière lesquelles le soleil sombrera. Le regard ne se lasse point de contempler ce paysage dédié aux dieux, magnifié par la dévotion des fidèles, pétri de sérénité et éclatant de beauté.
Le soleil flamboie. Il enflamme les ors des pagodes et colore la blancheur des stupa. On peut, ici, méditer à loisir sur l’ineffable beauté du monde et… la bêtise des hommes qu’incarne une hideuse tour, édifiée par un hôtel de luxe afin que ses clients jouissent du statut d’admirateurs privilégiés de ce spectacle ineffable chaque jour renouvelé. Le dernier rayon du soleil à peine éteint, la faune nocturne inaugure son bavardage. Moins vive, la lumière n’efface guère la beauté de ce paysage unique et la paix qui en émane demeure.
Le vendredi 3 novembre,
BAGAN-HEHO
MONTGOLFIERES
Sur le chemin de l’aéroport, deux montgolfières accrochées au-dessus des pagodes comme des points sur des i…
HAUTS-PLATEAUX
Les hauts-plateaux shan culminent à plus de mille mètres d’altitude. C’est un paysage de mamelons verdoyants et de sommets plus élevés, de pins et de routes sinueuses qui serpentent à travers monts. Mais le long des chemins, s’alignent flamboyants jaunes et rouges et manguiers. Vaches et zébus paissent dans les pâturages. On cultive le maïs, une des bases de l’alimentation shan comme le riz, et le colza dont on extrait l’huile. Sur la route, on croise quelques femmes de l’ethnie Pa-o.
Mythe fondateur :
Les Pa-o se pensent issus de l’union d’une femme serpent et d’un magicien. Leur costume traditionnel est la métaphore de ces origines. Les femmes sont coiffées d’une serviette éponge de couleur posée sur la tête : elle figure la tête du serpent ; elles portent plusieurs couches de vêtements : elles symbolisent les écailles de l’animal. Les hommes ont pour couvre-chef un turban en serviette éponge : c’est celui du magicien. Si no é vero, é bene trovato.
VIN
La route, bordée de pins, serpente dans la montagne en direction d’Aythaya, seul vignoble birman ayant adopté les procédés européens. Amoureux de la Birmanie et du vin, un Allemand le crée en 1998. Il s’étend sur douze hectares à flanc de coteaux, au pied des montagnes shan, à 1300 mètres d’altitude. Il bénéficie d’un sol calcaire, du soleil et de chutes de pluie limitées. Depuis 2004, il produit des vins rosé, blanc et rouge et distille de la garapa.
La température est douce : on se promène à travers les vignes… Un panneau rappelle « interdit de cueillir ». De jeunes pousses en pot portent la cicatrice d’une greffe : pour bonifier le cépage ? Près de la maison s’épanouit un jacquier ; plus loin, un avocatier et aussi un banian…
À l’issue de la visite, dégustation, concluante, d’un verre de vin blanc : robe légèrement or, sec en bouche, fruité ensuite et gouleyant. La bouteille est esthétiquement étiquetée.
TAUNGGYI
CAPITALE
Taunggyi est la capitale des shan. Cette petite ville sans cachet est fort bruyante en ce jour de fête. La circulation est anarchique. Les motos chinoises montées par deux, trois, voire quatre passagers pétaradent comme les taxis collectifs, surchargés de voyageurs dont certains s’agrippent à l’extérieur du véhicule.
Un « pont de cordes » enjambe une modeste vallée. Non loin de là, un « panthéon des nat » shan s’élève comme un oratoire, au bord de la route. Deux jeunes motards y font halte et se placent sous la protection de ces esprits : offrandes, brève oraison du gardien des nat et « bénédiction » à l’aide d’un rameau plongé dans l’eau. Les deux jeunes gens parent ensuite leur moto de deux flots blanc et rouge puis, ils s’en vont affronter les périls de la route…
FOIRE
Quelques kilomètres plus loin, au pied d’une pagode, se trouvent les lieux de la « compétition des montgolfières ». C’est une gigantesque foire. Des deux côtés d’une rue piétonne, s’alignent des centaines de stands. Dans une bousculade permanente et un tohu-bohu assourdissant on y trouve tout : du pain et des jeux ! Des jeux de hasard qui requièrent une mise d’argent : loto, loterie, roulette, etc. Au micro, dans chaque échoppe, un « animateur » s’égosille et les hauts – parleurs diffusent un son saturé. Le guide-interprète birman affirme : « les Shan sont plus joueurs que les Birmans ». Un peu partout, des musiques agressent l’oreille du chaland. Dans ce vacarme déambule une foule bon – enfant…
Le soleil décline et une légère fraîcheur advient. Des visiteurs se désaltèrent et se restaurent autour des tables et le long des comptoirs d’innombrables petits cafés, bars et gargotes ou bien auprès de centaines de vendeurs à la sauvette. Que mangent-ils ? Saucisson de poulet, rondes galettes, riz vapeur ou safrané (« faux safran » de couleur noire), riz gluant vendu dans un bambou évidé, fritures, graine de tournesol et bien d’autres mets encore… Et des échoppes proposent diverses boissons. Par ailleurs, on vend plantes médicinales et thanaka, outils fabriqués par les forgerons tels que ciseaux, râteaux, pelles, pioches… sans leur manche, vêtements : chemises, pull-over, jeans, casquettes de base-ball et même bonnets de père noël rouge et blanc ! Les chalands sont habillés chaudement, tels les Européens en hiver ; nombre de jeunes portent jeans et caquette de base-ball, rarement le longyi et guère le costume traditionnel. La mode est vecteur d’uniformité. L’uniformisation de la laideur est en marche, camarade !
CAFARD
Dîner au « centre- ville ». Ce restaurant birman aligne de grandes tablées familiales autour desquelles dînent, en ce soir de fête, également des bandes de jeunes et des couples. La soupe aux radis est grasse mais mangeable, le curry de poulet a oublié la viande et, dans le compotier de bananes se niche un cafard… Bon appétit !
LA FÊTE
En début de soirée, sur le chemin de la fête, beaucoup de maisons et de boutiques sont décorées de guirlandes lumineuses comme on le fait chez nous pour les fêtes de Noël.
La fête, ici, consiste à adresser au ciel des montgolfières. Bouddhiste, elle est d’origine hindouiste et s’enracine probablement dans le terreau de ces croyances animistes relatives au feu, à la lumière… Bouddha ayant rasé ses cheveux les aurait lancés en l’air. Ceux-ci ne seraient pas retombés et auraient accédé au ciel où ils demeurent, à l’abri d’une pagode céleste. C’est vers celle-ci que montent les montgolfières chargées de lumière.
On refuse de s’engouffrer dans une telle cohue bruyante et, trouve refuge dans l’enceinte d’une pagode, édifiée voici environ cinq ans. Beaucoup ont eu la même idée…
Face à la pagode, sur une estrade, se déroule une compétition de chin long, le foot – ball birman. Ce sport, accompagné par le même orchestre que celui qui rythme les combats de boxe birmane, requiert adresse, agilité et précision. Les joueurs, disposés en cercle, « jonglent» avec la balle en rotin : ils doivent la maintenir en l’air aussi longtemps que possible, à l’aide de leurs pieds, de leurs cuisses et de leurs genoux. Au micro, un expert s’échauffe en commentant le jeu tandis que se prépare l’équipe suivante. Accrochés à l’arrière d’un camion, trois jeunes novices regardent. L’aîné m’invite au monastère…
Au terme du match de chin long, on observe la compétition de tissage qui se prolonge jusqu’à l’aube. Des femmes rivalisent, en respectant des règles précises, sous le contrôle d’un jury : elles tissent une robe qui habillera la statue du Bouddha.
Le parvis de la pagode est noir de monde et l’emplacement réservé aux touristes bondé. Faisons comme les Birmans et attendons assis sur le parvis. Il y a là des familles venues avec leurs provisions, des moines accompagnés de novices… La plupart tourne autour de la pagode dans les deux sens tant il y a foule. Normalement, on tourne de gauche à droite. Beaucoup de jeunes, certains vêtus comme les gamins de nos banlieues, composent cette foule.
Un feu d’artifices assez quelconque précède le lancer de montgolfières. On perçoit dans le lointain les sonorités des tambours shan. Il est vingt heures trente : toute de lumière, une petite montgolfière s’élève. Puis, superbes dans leur décor de lumière, trois autres, plus imposantes, se succèdent dans l’heure qui suit. Le processus est lent et s’éternise. Il fait froid, je renonce.
Le samedi 4 novembre,
MONASTERE
Ce matin, le ciel est azur et le paysage empreint de légèreté. Comme transparent. Cap sur Nyaung Shwe, littéralement « banian doré ». En chemin, on visite le monastère Yanbye Man Bye, édifié en teck au XIX° siècle, sauf le toit qui aligne des tôles plus ou moins rouillées. La décoration tisse une véritable dentelle en bois de teck. L’un des motifs représente deux dragons qui se font face et se regardent en dragons de faïence. Dans l’enceinte du monastère, un moine se douche à l’aide d’un seau d’eau. À la fenêtre de l’un des bâtiments, un autre religieux, d’un âge vénérable, dévoile le visage serein d’un vieux sage avenant.
LAC INLE (ou INLAY)
LAC
Arrivés à destination, on découvre un port qui abrite des pirogues motorisées, moyen de transport idéal au sein de cette région lacustre. Les autochtones ne s’en privent guère. On file à bord de l’une d’entre elles au cœur d’un paysage enchanteur dont la beauté sublime laisse pantois. On navigue d’abord sur les eaux d’un grand canal, bordé d’une végétation lacustre verdoyante. De multiples ramifications plus étroites conduisent au lac Inlé, serti dans l’écrin des montagnes : « in-lay », littéralement petit lac, mesure « vingt-deux kilomètres de long sur onze de largeur », précise le guide. C’est le pays des Inthas. Pêcheurs et agriculteurs, ils vivent dans des villages lacustres. Le lac en compte dix-sept. Il communique par un canal avec un autre lac. La végétation est abondante et la flore particulièrement (lotus, jacinthe d’eau…), tomates croissant dans les « jardins flottants » qui associent végétation, terre et (ou bien) argile. Les oiseaux, aigrettes blanches et cormorans noirs, volent à tire d’aile…
HOTELS
L’Inle Resort, hôtel construit sur pilotis, respecte le style traditionnel, comme une douzaine d’autres d’ailleurs. Tous « polluent gravement le lac », ose le « station manager ». Nous voilà prévenus. Il semble que les autorités n’autorisent plus la construction de nouveaux hôtels sur ces eaux dont la transparence laisse deviner la limpidité.La chambre 909, agrémenté d’une terrasse qui regarde les eaux et la végétation, est un havre de paix et de beauté. Contemplant cette nature luxuriante, on peut méditer.
LAC BIS
En fin de matinée, on embarque à nouveau. Sur le lac, la lumière est belle ; les eaux sont tranquilles. Les pêcheurs jettent lignes et filets et ces nasses dont l’armature recourt au bambou. Ils rament de la main et du pied droits ; mais, parfois, pour accomplir leur tâche, ils sollicitent seulement le pied droit, debout sur leur esquif.
TISSERANDES
Au village In Paw Khon, les tisserandes sont reines. Elles tissent coton et soie, étoffes ornées de motifs dits « de Chiang Maï », en Thaïlande, ainsi que les fibres de tiges de lotus. Ces fibres sont recueillies en découpant dans les tiges de lotus des sections tous les dix centimètres environ pour les extraire. Elles sont ensuite filées et tissées. Et vendues… cher !
PELERINAGE
Brève incursion à la pagode Phaung Daw Oo, très fréquentée en ce jour de fête. Des nonnes coréennes, crâne rasé et vêtues de gris, conduisent la prière de leurs ouailles. Pèlerinage ?
CHATS
La pirogue fait escale au « monastère des chats », Knagphalgyaung. En ce jour férié, les chats sont en vacances : ils se prélassent au soleil…
« GIRAFES »
Courte visite au Inn Shwe Pyi, le centre traditionnel de tissage manuel padaung : cinq femmes à anneaux, dites « girafes », filent et tissent. À l’exception de l’une d’entre elles, elles sont jeunes. Elles portent autour de leur cou un certain nombre d’anneaux en cuivre. Bien qu’elles n’appartiennent pas à une ethnie de la région, elles attirent les touristes auxquels elles vendent leurs textiles.
SHAN
La pirogue à moteur vogue vers Nyaung Shwe. Le soleil s’est évanoui mais, cependant, le paysage se reflète dans les eaux calmes et limpides du lac, un décor naturel des origines du monde : tout est beauté.
Après l’une des nombreuses coupures d’électricité, c’est la maison du maître qui accueille le visiteur venu écouter un ensemble de sept musiciens shan.Dans la cour, des sièges ont été disposés, face à l’orchestre, ainsi qu’un guéridon garni de fruits, de friandises, de bouteilles d’eau et de verres de thé. Et voilà que s’élève d’une pagode voisine un chant répétitif comme une prière.
Dès que retentissent les premières mesures de musique shan, voisins et enfants se rassemblent derrière nous pour jouir du spectacle. Les musiciens et les danseurs appartiennent à l’Association de culture nationale shan, Shan Yoyar Gyinkyemho Amph Phae. Ils se produisent à l’occasion des fêtes, initiations, noviciat, mariages et évènements officiels.
Les musiciens, tous d’un âge vénérable, portent la tenue traditionnelle shan : veste et large pantalon turban blanc écru.
Instruments de l’orchestre shan :
- MOUNG : ensemble de cinq gongs,
- SHAN AUSSI : gros tambour cylindrique et tambours plus petits,
- NHE : hautbois,
- SI : cymbalettes,
- YAG WAN : cymbales,
- WA LAD KHUT : castagnettes de bambou (grandes).
Le programme proposé, ce soir, est riche :
1- La danse du feu procède de l’art martial et célèbre la fête des montgolfières : les mains des danseurs animent six bâtons enflammés à chacune de leur extrémité, et douze flammes dansent dans la nuit.
2- Six filles habillées de vert offrent la danse des filles du lac : petits pas comptés et mouvements aériens et gracieux des mains.
3- Danse martiale, dansée, autrefois, lors de l’intronisation d’un nouveau seigneur shan et, aujourd’hui, à l’occasion de la cérémonie des novices : deux danseurs évoluent, l’un armé de deux bâtons, l’autre de deux sabres.
4- Nouvelle danse des filles du lac, empreinte de grâce, accompagnée par un gros tambour cylindrique, un hautbois, des cymbales et un gong.
5- Suit une danse de l’ethnie Pa-o qui vit dans la région shan : deux femmes vêtues de noir et coiffées d’une serviette jaune dansent sur les rythmes frappés par le gros tambour cylindrique, les cymbales et le gong.
6- Une pièce de musique rurale birmane, adoptée (ou adaptée ?) par les Shan, interprétée par deux petits tambours cylindriques, un hautbois, une voix qui, en outre, fait claquer trois castagnettes en bambou et, des cymbalettes. Une petite-fille danse ; un homme muni d’une ombrelle la rejoint et fait le pitre…
7- Un danseur, armé de deux sabres s’anime sur les rythmes scandés par un tambour cylindrique, cinq gongs, une paire de cymbales et des cymbalettes.
8- Danse des planteuses de thé padaung ; les musiciens frappent cymbales, gong, deux bambous et un tambour cylindrique.
9- Une musique shan : tambour cylindrique, cinq gongs, cymbales, cymbalettes et hautbois ; elle n’accompagne aucun danseur.
10- Danse de Kinnari (femme oiseau) et Kinnarya (homme oiseau) : la musique est interprétée par la même formation que la pièce précédente, à l’exception du hautbois.
Un danseur et une danseuse, parés d’une immense aile dorsale colorée qui se déploie jusqu’au bras, content l’histoire d’un oiseau mythique mi- femme- mi- oiseau –mi-homme-mi-oiseau. Magnifique !
11- Une formation identique accompagne la danse du Tô, autre animal mythique doté d’un long corps, monté sur quatre pattes, et d’une tête de cervidé. Deux danseurs animent l’animal. Il joue avec un briquet et une bougie et… fait peur aux enfants !
12- Danse des femmes shan à l’occasion de la fête des lumières : quatre jeunes-filles, deux vêtues de rouge, les deux autres de jaune. Toutes les quatre coiffées à la manière des femmes shan, un nœud au-dessus de chaque oreille. Chacune abrite un lampion au creux de chaque main.
13-14- Point de danseurs. Les deux pièces instrumentales, neuf mesures, obéissent à deux rythmes shan différents. Pour les interpréter, deux maîtres s’ajoutent à la formation et alternent à la frappe du tambour cylindrique et à l’éclat des cymbales. Une musique étonnante et qui sonne « moderne ».
La plupart de ces danses figure au répertoire des fêtes religieuses.
On regagne l’embarcadère en moto. Le retour en pirogue, à la lueur de la pleine lune, offre un plaisir rare : les paysages alentour se mirent dans l’eau. C’est un spectacle en noir et blanc, un lavis, dans la lumière de « cette obscure clarté qui tombe » de la lune et émerveille le regard… Promenade pédestre au bord du lac.
Le dimanche 5 novembre,
VISITE
PIROGUES
Les « taxis-pirogues » filent à la vitesse du hors-bord, soulevant un nuage d’écume dans le sillage de la poupe. Ils transportent passagers et marchandises. Chacune porte un nom ; ainsi « Golden Express », parmi d’autres, ou bien, à l’occasion, celui d’un tour opérateur.
Déjà, les pêcheurs sont à l’œuvre et, s’activent à bord de leurs bateaux, manoeuvrant lignes, filets et nasses. D’autres embarcations se chargent d’algues qui fertiliseront les jardins flottants et nourriront les animaux. Quelques- uns puisent l’argile des canaux pour modeler des briques et bâtir maison.
MARCHE FLOTTANT
À l’exception de quelques barques qui proposent des légumes au chaland, la plupart offre des souvenirs aux touristes. L’industrie du tourisme a détruit une tradition locale. Dommage !
La balade se poursuit au fil des canaux, bordés de banians et de bambous, où flottent des barques, les buffles se vautrent, pataugent les enfants tandis que les femmes lavent le linge…
SHWE INN TAIN
NOUVEAU PIEGE
Arrivé à proximité de l’ancienne pagode joliment dénommée Shwe Inn Tain, lac doré peu profond, édifiée au XVII° siècle, on tombe dans le piège tendu aux touristes ; du débarcadère jusqu’au monument, le chemin est balisé : des échoppes de souvenirs s’alignent des deux côtés ! Nous en emprunterons donc un autre, plus accidenté mais verdoyant. Suivent trente minutes de marche sous le soleil… Construits en briques, les stupa témoignent sans doute d’une influence indienne. Tous ne sont pas en parfait état. Certains sont ornés de l’effigie sculptée des dieux.
On regagne le bateau en traversant la bambouseraie et, on apprécie son calme et sa fraîcheur. À proximité de l’endroit où l’eau du canal se précipite en cascade, des jeunes gens nus lavent leur linge. Un peu plus loin, des femmes procèdent à leur toilette dans une eau chargée d’argile. Auprès d’une maison, sèchent des briques de couleur claire, composées d’argile, de sable et de chaux.
CHEROOT
À Sebolé, trois femmes assises sur le plancher d’une maison roulent ces drôles de cigarettes que l’on nomme cheroot. Cultivé près de Bagan, le tabac est aromatisé avec un mélange de miel, fruit de tamarin et sucre de palme. Ecrivant ces mots, ma mémoire en restitue le parfum suave.
Les femmes tiennent une sorte de court bâton en bois dans la main gauche, assorti d’une feuille de papier de petite dimension ; celle-ci reçoit le tabac et, à son extrémité inférieure, un long manchon en tige de palme. Elles glissent alors la feuille de tabac, le papier à cigarettes, et roule le tout d’un geste rapide. Elles ajoutent ensuite un point de colle de riz pour fixer la feuille, coupent le manchon, égalisent la feuille au ciseau et replient l’une des extrémités. Si filtre il y a, il est en feuilles de maïs et roulé avec le papier.
ENVIRONNEMENT
Long trajet sur les eaux du lac pour regagner l’hôtel. Les treize hôtels sont construits soit sur la rive soit sur des pilotis qui s’enfoncent dans l’eau. Cette industrie hôtelière pollue le lac mais tout un chacun également : sacs plastiques – ils étouffent la faune – kleenex, bouteilles… Sur les toits des maisons comme sur ceux des pagodes qui jalonnent les canaux, la tôle fait son apparition ; elle se substitue aux fibres de bambou, au nom, sans doute, d’un soi-disant progrès.
JARDINS FLOTTANTS
Les jardins flottants sont aménagés sur la végétation du lac avec le concours des sédiments et de l’argile. Les paysans, essentiellement les femmes, y cultivent des primeurs telles que tomates, choux- fleurs… Ces jardins sont découpés, achetés par les cultivateurs et remorqués jusqu’à leur maison de bambou ! Des barques se croisent, chargées d’une plante qui, bouillie, produit une teinture naturelle.Une frise de légers nuages blancs s’accroche aux sommets des montagnes dont les eaux tranquilles réfléchissent l’image. Sous le soleil à son zénith, le lac est éblouissant de beauté et le regard encore s’extasie devant l’un des plus grandioses paysages du monde.
Lundi 6 novembre,
O LAC !
À sept heures, le piroguier met le cap sur l’embarcadère de Nyaung Shwe : dernières images du lac et des canaux, de ce paysage enchanteur d’eau et de montagnes qui accueille une végétation verdoyante. Les pirogues à moteur se succèdent tirant leur traîne blanche et les oiseaux s’envolent à leur approche. Pêcheurs et paysans s’affairent qui, depuis des lustres, puisent dans les eaux du lac subsistance et bonheur de vivre au cœur de cette nature profuse.
ECOLIERS
Depuis l’embarcadère de Nyaung Shwe, c’est en voiture que se poursuit l’itinéraire tandis que se succèdent les images d’un paysage lacustre voilé de brume. Les fermes sont construites en bambou. Sur le chemin de l’école, les enfants, garçons et filles, portent le même longyi, ici de couleur verte, et le sac du lac en bandoulière.
HEHO
VOL
Myanmar Airways, compagnie aérienne de l’Etat, n’est guère sûre. En revanche, Yangon Airways, Air Mandalay ou Bagan Airways, compagnies privées, offrent un service de qualité et une meilleure sécurité. L’appareil de Yangon Airways survole le damier jaune et vert des champs de colza et des rizières, les hameaux et leurs bouquets d’arbres, un paysage aux allures de bocage normand. Apparaissent ensuite les montagnes enveloppées de brume.
YANGON (RANGOUN)
CONSEILLER CULTUREL
L’irrationnel, prétend-t-on, gouverne la vie des Birmans… Le conseiller culturel de l’ambassade de France raconte qu’un éditeur birman souhaite traduire Sartre et Camus en langue birmane tandis qu’un comédien aimerait monter Ionesco. Il affirme que l’existentialisme et le théâtre de l’absurde sont fort prisés dans ce pays, comme les concepts de liberté et de laïcité. Malheureusement, on manque de traducteurs.
MUSEE NATIONAL
Le rez-de-chaussée du musée retrace l’histoire de l’évolution de l’écriture birmane. Esthétiquement belle, elle n’a guère, cependant, suscité un art de la calligraphie. On admire ensuite quelques exemples de graphie d’écrivains birmans des XIX° et XX° siècles. Au deuxième étage, une salle expose les instruments de musique traditionnelle birmans, môn, shan… Entre autres, deux saing waing, ornés de motifs décoratifs divers, ainsi qu’une variété de tambours, des flûtes, dont de belles doubles- flûtes, des hautbois dotés d’un pavillon en cuivre, des luths, aujourd’hui rares, de petits violons autochtones et des violons adaptés de l’instrument occidental, des instruments à trois et six cordes en forme de crocodile, de magnifiques harpes birmanes, dont une de dimension modeste à l’usage des femmes. Bel instrument également que ce violon à double caisse creuse.
COLOSSAL
Un pavillon, le Kyauk Htat Gyi, abrite un colossal Bouddha couché de… soixante-dix mètres de long ! Oeuvre récente et impressionnante, elle remplace la statue d’un Bouddha assis. Auprès des pieds gigantesques, ornés de feuilles de lotus, d’éventails, d’animaux, comme des hiéroglyphes, un écriteau résume l’enseignement du Bouddha en trois préceptes :
- Ne pas faire mal,
- Cultiver le mérite,
- Purifier son esprit.
Qu’on se le dise !
La représentation du Bouddha obéit à des règles strictes ; elles autorisent quatre postures : assise, debout, en marche, couchée sur le côté droit. Ces positions se combinent avec les gestes des mains, les mudra.
Le monastère qui jouxte cet édifice est un centre important d’études bouddhiques : quelque six cents moines se consacrent à la méditation et à l’étude des textes pâli anciens. Ce pays connaît une forte densité de bonzes au kilomètre carré…
Le mardi 7 novembre,
CONCERT
Sur une scène en plein air de l’Alliance française s’est installé un orchestre traditionnel, un saing waing, l’Ensemble Myanmar Pyi Kyawk Seinn. Il se compose de quinze musiciens et des instruments suivants : quatre gongs maung sein de dimensions diverses, un ensemble de dix-huit gongs et dix kye wein, vingt-et-un tambours pat wein, un haut tambour sakhont, six petits tambours khauklon bad, un tambour bifaces pad ma, des cymbales yagyon, des cymbalettes si, un bambou wa et un gong posé sur le sol, un hautbois kné ou flûte, une cithare don min, un violon myanmar tayaw et la magnifique harpe courbe saw kauk (ou saung gauk). Deux chanteurs, un homme et une femme, complètent la formation.
L’Ensemble interprète un répertoire contemporain et ancien. Tous les instruments ne jouent pas ensemble. Certaines pièces associent hautbois, cithare, violon, harpe et voix sur fond de gongs et de tambours, d’autres sont des soli. Certains instruments dialoguent. Parties instrumentales et chantées alternent. Il n’y a guère de tutti… La douzaine de pièces offertes séduit : un beau concert.
AMBASSADE
« Nous avons la chance de vous avoir dans nos murs… », dit son excellence l’ambassadeur de France au Myanmar, Jean-Michel Lacombe, en accueillant le visiteur. Voilà qui est bien aimable. L’entretien qui suit est instructif.
Verbatim : l’action de la France en Birmanie se développe dans deux domaines : la culture et la médecine. Des échanges culturels se tissent et l’Alliance française est un bel outil, sa bibliothèque entre autres. Trois professeurs de médecine français, un cardiologue, une spécialiste du sida et un autre, qui a ouvert trois hôpitaux, oeuvrent avec des fonds levés par des ONG. Par ailleurs, il existe un projet de formation d’urgentistes –la spécialité n’existe pas- avec des fonds publics. Enfin, on récupère des matériels déclassés par l’Assistance Publique.
MEDECINE ET GEOPOLITIQUE
Les médecins locaux sont formés en Birmanie, spécialisation incluse. Les trois maladies principales sont le sida, la tuberculose et la malaria. Les autorités ont d’abord nié le sida, ce qui a favorisé sa propagation. La prostitution est, dit-on, courante en Thaïlande et à la frontière chinoise… L’un des professeurs de médecine français a montré aux autorités les statistiques de contamination du corps des officiers de l’armée birmane, ce qui a tout changé… Ceux-ci sont, pour la plupart, formés en Chine et, en Russie, les officiers de l’armée de l’air. Quelques-uns sont formés par les Américains, par l’intermédiaire de la Thaïlande. Mais de cela, on ne parle pas… Chine et Russie convoitent pétrole et gaz birmans…
REGIME
Le Myanmar est un Etat policier, si l’on en croit diverses sources autorisées. Tout déplacement doit être déclaré. Recevoir des parents également. La police opère les vérifications d’usage sur le coup de minuit. Même un ambassadeur est tenu d’informer les autorités de ses déplacements dans le cadre de circuits touristiques. Pour tout autre déplacement, il doit solliciter l’autorisation des autorités, laquelle arrive, parfois, après la date prévue du voyage.
Certains Birmans moisissent dans les prisons du pays depuis 1988. L’opposante Aung San Suu Kyi, « la dame », est muselée depuis des lustres. Une caste militaire, qui s’auto-reproduit, capte l’essentiel du PIB. On ne dispose d’aucune statistique économique fiable. Beaucoup pensent que les sanctions économiques sont inefficaces et qu’il faut encourager le développement du tourisme : il est une ouverture et l’occasion de contacts.
Le mercredi 8 novembre,
NAT PWE
Un nat pwe est une cérémonie d’origine animiste. Selon l’usage, j’en suis le donateur. Elle se déroule dans le quartier de Thatu, chez U Tunkyi, soixante-dix-huit ans, descendant en ligne collatérale du nilé (petit frère) du roi Mindon. Il est le responsable d’une troupe de mediums. Au cours de la cérémonie rituelle, qui associe musique, danse et consommation d’alcool, les mediums, des travestis, les nat-gadaw (« fiancées des esprits »), entrent en communication, avec les nat, et, possédés par ceux-ci, entrent en transe. Par ailleurs, les nat sont « honorés sous la forme d’une noix de coco ceinte d’un turban dans chacun des foyers birmans, ou sous la forme de statues couvertes d’offrandes… » (« Le goût de la Birmanie », Mercure de France).
Une pièce de dimension moyenne abrite l’autel des nat, l’orchestre saing waing, les participants et les invités.
Face à l’autel des nat, évoluent deux danseurs. Ces deux mediums portent une veste blanche, ceinturée de mauve, et un longyi rose. L’un est coiffé d’un turban en voile rose, l’autre d’un même voile, mais de couleur jaune. Une étole en tulle rose, ornée de motifs, pare le cou de chacun. Tous les deux tiennent à la main, selon le moment, un bouquet de feuilles et de fleurs jaunes, des sabres ou une main de bananes. Statique, leur danse repose sur des pas sautillants, sans déplacement dans l’espace. Les mouvements de leurs bras et de leurs mains sont empreints d’une grâce que l’on osera qualifier de féminine. Sans excès. Ils consomment, et offrent aux nat, jus d’orange et cigarettes et, ils effectuent une série de tours sur eux-mêmes, de gauche à droite.
On allume alors des bougies que l’on dispose au pied des statues des nat sur l’autel. Les deux mediums se défont de leur étole. Deux bouteilles d’alcool font leur apparition : c’est du whisky. L’un des danseurs se dévêt de ses habits de cérémonie. L’autre danse et brandit comme étendard rameaux de feuilles et fleurs ainsi qu’un sabre. Ses bras dessinent d’amples mouvements, ses pieds, des pas plus lents. Un bouquet dans chaque main, il se livre à des sautillements. Possédé, il est ce nat cavalier, monté sur un cheval blanc, que l’on voit là sur l’autel. Le deuxième danseur s’efface à son tour.
Apparaît un nat femme. En fait, c’est un travesti : un voile transparent de couleur rose couvre sa longue chevelure noire –une perruque- qui tombe dans son dos ; il porte une robe blanche à traîne, ornée de motifs de couleur or. Des bas blancs enveloppent mollets et pieds. Le haut-du-corps est jaune clair et l’étole affiche le même coloris. Chacune de ses mains serre un bouquet. Il danse brièvement.
Lui succèdent les nat sœur et frère, des nat shan : sur l’autel, ils sont habillés de noir. En l’occurrence, la sœur, un travesti, ongles longs et effilés, tout de bleu vêtue est nantie d’une traîne. Sabre à la main, elle effectue de grands pas et des mouvements saccadés. Un sabre dans chaque main, le frère est habillé de jaune. Tous deux hument un compotier d’oranges qui leur est présenté. La sœur se livre à des sautillements ; son frère l’imite ensuite. L’orange, le fruit préféré du nat?
Voici le nat de la bufflesse -c’est un homme- accompagné de son fils (il a tué sa mère). Elle porte une robe noire et or qui se prolonge en traîne, un chemisier gris, et une étole de même couleur ceint son cou. Elle est coiffée d’une tête de bufflesse. Le fils est doté d’un habit riche en couleurs : il marie le blanc, le rose, le jaune et le vert. Un « assistant » présente deux poissons vivants dont s’empare la bufflesse. Le poisson, le mets apprécié par le nat ?
Ensuite, se présente l’incarnation du nat gardien de vaches : vêtement rose et blanc, bouteille d’alcool à la main, il pivote sur lui –même et asperge les alentours.
Le nat de la reine des serpents s’avance alors, deux sabres à la main (c’est le même personnage qui inaugurait la cérémonie et incarnait, ensuite, la bufflesse mais, désormais, privé de sa coiffure). Riz et bouteilles d’alcool apparaissent : mets offerts aux nat ? Un homme tend un billet de banque… Bière à la main, la reine des serpents parle… « Les nat voyagent, dit-elle ; ils n’ont pas besoin de passeport… » Elle dira plus tard : « je suis devenu nat en 1888. » C’est un nat bavard ; il s’exprime en recourant à une litanie de gros mots.
Lui succède le nat de Taungbyon*, mi –femme mi -ogresse, incarné par un homme, flanqué de ses deux fils, outrageusement maquillés, bouquets de feuilles et de fleurs en mains. La mère ogresse, cheveux longs, est habillée de blanc et rouge et tient deux plumets en plume de paon ; elle porte une marque au front. Les fils adoptent l’un le rose, l’autre le jaune. Elle danse avec eux et déploie des trésors de minauderie. Seule ensuite, elle se montre fort expansive. Nous sommes au théâtre : talent de danseur et de comédien avéré ! Elle se marie avec un musulman venu de l’Inde et conçoit donc des fils de même confession qui seront adoptés par le premier roi de Bagan.
Changement de costumes ; deux personnes s’ajoutent aux trois précédentes et enchaînent : adviennent les nat indiens. Turbans jaune et orangé, sari parme. Cinq nat, donc, bijoux et boucles d’oreille, évoluent au fil d’un tableau très coloré. Bouquets, jus d’orange, cigarettes… Les nat-gadaw aiment boire et fumer. Soudain, le plus jeune des deux fils, qu’illumine un sourire, danse. Le travesti portant sari danse, animé par une grâce infinie. Puis, billets de banque en mains, il discourt.
Entre un danseur sautillant…
Voici le nat Ko Gyi Kyaw, tout en blanc et bleu, coiffure de même couleur en forme d’éventail. Portant sabre, bouteille en main, expressif, il danse et la pointe de ses pieds frôle à peine le sol. Il se saisit ensuite d’un coq en bois doré qu’il tient dans une main et, dans l’autre, un bol à oboles, rempli de billets, dont, tenu à l’envers, rien ne tombe ! Extraordinaire danseur, il sombre à la fin de sa prestation, dans les prolégomènes de la transe. On le soutient.
Deux femmes, deux véritables femmes, mediums amateur, se substituent -trop longuement- aux professionnels…
Le nat Ko Gyi Kyaw revient, bouteille à la main. C’est un travesti aux ongles très longs…
Enfin, voilà un nat fantôme, à demi – nu, lui aussi lesté d’une bouteille. Il avale un morceau de poulet et danse avec véhémence ; il évolue jusqu’au petit autel disposé auprès de la porte d’entrée. Là s’achève la cérémonie, à l’heure du déjeuner et de la sieste. Elle se poursuivra sur le coup de seize heures et se prolongera jusqu’à dix-neuf heures.
Un medium peut incarner divers nat successivement ou séparément. Les voix des chanteurs sont hélas ! amplifiées et saturées : elles blessent l’oreille. Dans la pièce située au-dessus, où les hommes se métamorphosent en nat-gadaw, est édifié un important autel bouddhiste : les nat et Bouddha font bon ménage, ils peuvent partager la même table.
MARCHE
Visite au marché Bogyoke Aung San, général Aung San, héros national et père de l’illustre « dame », Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, « père de la dame prix Nobel », dira le guide. C’est un grand marché couvert sans aucun cachet. On y fera quelques emplettes de dernière minute, au pas de course… Et l’on acquerra quelques disques de la production locale dans une jolie boutique moderne de ce marché.
POUR CONCLURE
La beauté de la nature est profuse… « Pagodes d’or, courbes d’un fleuve, méditation, et junte militaire… Tout est dit et rien n’est dit », écrit Christophe Ono-dit-Biot. C’est le « paradoxe birman ». Ainsi, peut-on penser, « paradoxalement », qu’une dictature militaire, ayant isolé le pays, a contribué à protéger et à sauvegarder les traditions… On empruntera la conclusion à Jean-Claude Buhrer et Claude B. Levenson : … « la Birmanie, pays charnière, reste à la fois méconnue et attirante (…) La contradiction subsiste sans trêve entre une beauté prenante voilée de nostalgie et l’injustice flagrante faite à un peuple par un régime qu’il a désavoué. »
GLOSSAIRE
AUNG : victoire
AYE : tranquille
CHEROOT : « cigare birman »
CHIN LONG : sport national birman
GYI : grand, haut
HTI : ombrelle, souvent parée de clochettes et incrustée de pierres précieuses, qui coiffe les stupa
IN : lac
KEZUBE : merci
LAY : petit
LONGYI : longue pièce de tissu qui ceint la taille des hommes et des femmes et tombe jusqu’aux chevilles
NAT : esprits, au nombre de trente-sept/ NAT-PWE : cérémonie rituelle/ NAT-GADAW : « fiancée des esprits »
NILE : petit frère
PAGODE : désigne un temple, un stupa, un zedi
SAING : orchestre
SHWE : or
STUPA : ou zedi, cône effilé ; il recèle souvent des reliques du Bouddha
TATMADAW : l’armée birmane, pilier de la junte
THANAKA : maquillage et antiseptique
Article non publié pour la revue Esprit des Temps Birmans