PROLÉGOMÈNES

 

VOYAGES

« Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d’esprit avaient également diminué. Des années passèrent; et il supportait le désoeuvrement de son intelligence et l’inertie de son cœur. »

Gustave Flaubert, in « L’Education sentimentale »

 

INVITATIONS AU VOYAGE

« Un élan impérieux me pousse à l’aventure.

Le soleil ne reste pas immobile dans le ciel,
Dans sa course, il survole terres et océans.
La vague ne s’attarde pas sur la grève solitaire,
Les tempêtes se déchaînent à travers le pays.

L’oiseau, dans le sillage des nuages rapides, vole vers les lointains… »

Justinus Kerner, poème d’un lied de Robert Schumann.

 

CURIOSITÉS

« Et l’aventure commence dans « la vitesse foudroyante du passé. »
Raymond Carver

Voyager ! Aller voir ailleurs stimule depuis l’enfance ma curiosité. Né sur les rivages de la côte bretonne, le commerce quotidien de la mer a toujours porté mes rêves vers d’autres horizons, comme ces vagues qui voguent à l’infini vers des lointains inconnus. La Bretagne est une province maritime ; ses marins partent alors de Saint-Malo pour de longues et rudes campagnes pêcher la morue au large de l’île de Terre-Neuve… À l’époque, cette région déshéritée est encore une terre d’émigration et nombre de ses enfants va chercher fortune ailleurs : à Paris ou bien aux « colonies ». Fief d’un catholicisme qui nourrit une foi populaire, elle dépêche aussi ses prêtres aux quatre coins du monde. Les récits de ces marins, colons, missionnaires, de retour au pays, bercent mon enfance, fécondent mon imagination et attisent mes désirs d’aventure : Esquimaux du Canada, coutumes de Madagascar, fêtes d’Indochine… autant de souvenirs inscrits dans ma mémoire.

L’un de ces « colons d’Indochine », technicien cultivé, exercera une influence durable sur l’enfant que je suis. Curieux des us et coutumes des Vietnamiens, il filme, avec les premières pellicules couleurs, le quotidien et les fêtes. Images et commentaires excitent ma curiosité et alimentent mes rêves de voyage. Comme la description des courses de traîneaux dans le grand nord canadien d’un missionnaire ou les récits de tempête des marins…

Enfin, proche de ma famille, un homme a sans doute, dès mes jeunes années, stimulé, sans le savoir, mes désirs d’aventure et ma vocation de journaliste, profession qui postule une insatiable curiosité pour témoigner de la vie des hommes. Au cours des heures sombres de l’Occupation, il est l’une des voix de Radio Londres dans la fameuse émission « Les Français parlent aux Français », diffusée par la BBC. Il dirige ensuite une importante agence de presse… Enfant de l’après-guerre, j’entends, à chaque réunion de famille ou presque, célébrer son aventure héroïque et sa brillante carrière : l’enfant rêve et la passion du journalisme s’instille dans sa conscience.

Plus tard, au tout début des années soixante-dix, frais émoulu de la Faculté, je le rencontre, chez un membre de ma famille, au cours de ses vacances estivales en Bretagne. C’est un homme de haute taille, alors légèrement corpulent. Il est vêtu d’une vareuse bleue et du pantalon de toile rouge des marins du coin. Il m’interroge au sujet de mes études et nous évoquons mon avenir. De Gaulle est mort l’année précédente ; je me permets de taquiner son ancien compagnon quant à son engagement gaulliste et à sa fidélité à l’homme de Londres. Il ne se formalise guère, sourit, s‘enquiert de mon âge et dit : « Jeune homme, imaginez, vous avez une vingtaine d’années et vous entendez, à la radio anglaise, une voix qui vous dit « Non à l’oppression, oui à la liberté et vive l’aventure », que faîtes-vous ? » Je n’ai jamais oublié cette aimable leçon.

La conjonction de ces diverses influences a probablement contribué à forger une conscience éprise de l’ailleurs et désireuse de comprendre l’autre.

 

PRELUDE AU PREMIER VOYAGE

« C’est qu’on apprend beaucoup en voyageant. »
Alejo Carpentier, Concert Baroque.

Mon premier voyage date de septembre 1957. Il me conduisit, en famille, de Bretagne en Roussillon, à travers les Pyrénées. J’ai par hasard retrouvé mon « journal de voyage » (que j’avais oublié) tenu au fil des pages à petits carreaux d’un carnet vert, format de poche. Relisant ces notes succinctes d’un garçon de onze ans, je suis surpris de constater leur précision… journalistique ! Ainsi :

« Le lac de Gaube, à 1800 mètres d’altitude, 47 mètres de profondeur. Une chute d’eau, la chute du Gaube, à cinquante mètres du lac. Promenade en bateau. Neiges éternelles. »

Une description sans commentaire, certes un peu sèche, mais rigoureuse. Du même auteur, les photos correspondantes ne sont pas dépourvues d’intérêt.

Suivront divers séjours « linguistiques » en Angleterre : un chaque année jusqu’en terminale. Apprendre une langue étrangère m’intéresse et ces étranges Britanniques me fascinent ! Le haddock fumé du premier breakfast, servi à sept heures trente, surprend le jeune garçon que je suis mais, on s’habitue ! Et de famille d‘accueil en famille d’accueil, je découvre, au fil des années, des milieux sociaux divers, différentes manières de vivre et d’autres us et coutumes. Au gré des excursions, défilent les paisibles paysages de la campagne anglaise et ses charmants villages et se succèdent les visites des sites prestigieux : Oxford et Cambridge, Canterbury, Windsor et Londres que, à cette époque, je connais bien mieux que Paris et où, inconscient plus que téméraire, je m’aventure volontiers, curieux et solitaire. Années fertiles d’apprentissage et d’initiation.