REPUBLIQUE DE CHINE, TAIWAN
LA FIERTE DES TRIBUS

SEPTEMBRE-OCTOBRE 2007

« Le patrimoine de l’humanité est sans nul doute appauvri par l’éradication des cultures dites minoritaires qui participent, à l’égal des grandes civilisations, à l’histoire de l’homme et à une plus grande intelligence de sa finalité. »

« Les derniers rois de Thulé », Jean Malaurie, Terre Humaine, Plon.

 
CARTE-TAIWAN2
 

LE CHANT DES ABORIGENES

VENDREDI 28 SEPTEMBRE 2007

TAIPEI

C’est un vol direct Eva Air Paris -Taipei qui atterrit à 6 heures 30 locales. Il est 0 heure 30 à Paris. L’aéroport Taoyuan est d’une extrême modernité et d’une propreté méticuleuse. Aucune attente n’est infligée aux passagers à la police des frontières : suis-je le seul ? À l’extérieur, quelques taxis jaunes attendent le chaland. Le ciel est bleu ; il fait déjà chaud : 32 degrés !

À travers un dédale d’immeubles, édifiés au pied des montagnes, un chauffeur nous conduit au Howard Plaza, hôtel dont la capacité excède 600 chambres. Les lieux sont dépourvus de charme et l’absence de double vitrage laisse libre cours au vacarme de la circulation et du métro aérien.

À midi, le thermomètre  affiche 35 degrés ! Déjeuner au Chafortea, maison de thé contemporaine dont le design est séduisant. L’idée originale, qui depuis s’est propagée, est que tout est composé avec du thé, y compris les mets servis. Une jolie boutique propose une large variété de thés, serrés dans des emballages dont les couleurs chantent la renommée : orangé, or, vert, rouge… Certaines boîtes sont en métal, d’autres en carton. Quelques-unes sont frappées d’un chiffre…

Le repas est copieux : soupe aux raviolis, pousses de bambou aux crevettes, riz, travers de porc au soja cuits dans une feuille de lotus, gelée de thé vert, thé vert glacé et sucré !

Ce jour, a décidé le gouvernement, est dédié à l’anniversaire de Confucius. La visite du temple qui lui est consacré s’impose. Le premier élevé pour son culte fut détruit par les Japonais en 1907. L’actuel a été édifié à partir de 1927. C’est un lieu calme et reposant. Simple et sobre, son architecture s’élève au milieu de jardins et de ponts miniatures. Les toits de la porte sont construits « en queue d’hirondelle », ornés d’un soleil levant et d’un phénix.

Devant le dacheng, pavillon principal du temple, une estrade de pierre accueille, une fois par an, à l’occasion de l’anniversaire du penseur, la danse Yi, le rite de sacrifice le plus solennel de la Chine ancienne. Le nombre des danseurs variait en fonction du rang de la personnalité qui conduisait la cérémonie et pouvait s’élever à huit rangées de huit danseurs, soit soixante – quatre. On se satisfait aujourd’hui de six rangées de six danseurs chacune, soit trente-six danseurs. Cette danse Yi a pour origine des illustrations du « Livre des rites Bangon », écrit sous la dynastie Ming (1368-1643).

Le 28 septembre, à six heures, la municipalité de Taipei procède à la cérémonie shidian au temple de Confucius. En son entier, elle compte trente-sept phases. Au cours du rituel principal, les participants se dirigent vers leur place, accueillent l’esprit de Confucius, accomplissent trois rites sacrificiels, offrent sacrifices et vin et brûlent de la monnaie de singe. Ces trois rites de sacrifice -chacun composant une séquence de trente-deux « poses » de danse accompagnées de musique et de poésie chantée- expriment la vénération à l’égard du Grand Sage.

LES HUIT TONS ET LA MUSIQUE CEREMONIELLE

« La musique et la danse de cour, pratiquées dans les rituels pour célébrer la naissance du Grand Sage, au temple de Confucius, ont été maintenues au fil des dynasties successives, commente le guide. Officielle, la musique est solennelle ; elle est fondée sur dacheng yuezhang, une ode au Sage composée sous le règne de l’empereur Hongwu (1368-1398) de la dynastie des Ming. »

L’exécution de cette musique requiert des instruments façonnés avec les matériaux naturels suivants : calebasse, argile, bois, cuir, pierre, métal, cordes et bambou. Ceux utilisés au cours de la cérémonie recèlent les huit tons de l’ancienne musique. C’est la tradition qui prescrit l’emplacement des instruments. Quant aux arrangements, ils évoquent, dit-on, les cloches des mâtines et les tambours des vêpres.

À quelques pas de là, le temple taoiste Bao An est consacré au dieu de la médecine. Il est aussi exubérant que son voisin est sobre : façade et intérieur resplendissent d’une riche ornementation.

La rencontre avec un groupe de beiguan est décevante : l’ensemble comprend cithare qin, flûte, percussions, luth pipa… mais point de hautbois suona, voilà qui est étrange. À mon interrogation, on répond que le maître de suona est à l’hôpital. Les musiciens écoutés sont des « seconds couteaux » et l’extrait présenté n’est pas du pur beiguan. Rendez-vous manqué ; partons !

La voiture se dirige vers le quartier où l’on achète les herbes médicinales, Xichang street et Dihua street : une allée longue de 500 mètres, bordée des deux côtés de boutiques plus ou moins vastes où l’on vend, outre nombre de variétés de thé, toutes sortes de plantes et d’animaux séchés ( crevettes ou coquilles Saint-Jacques) ainsi que des fruits secs qui participent à l’alimentation et à la pharmacopée appréciées des autochtones. Depuis 1738, dit-on, cette allée est vouée à ce commerce. Elle est, par ailleurs, flanquée de quelques belles façades héritées de l’époque japonaise, certaines joliment restaurées.

Le véhicule chargé de collecter les ordures s’avance : ce sont les riverains qui y déversent eux-mêmes leurs détritus…

Le musée des marionnettes propose une intéressante exposition : marionnettes chinoises anciennes à gaine et à fil -les deux techniques sont contemporaines- costumes d’époque pour habiller ces poupées, outils nécessaires à leur fabrication, castelets… L’exposition interroge : qu’est-ce qui provoque le rire ? Elle suggère quelques réponses : les difformités telle l’hydrocéphalie, par exemple, la stigmatisation des « gens des basses classes »… Hélas ! C’est universel.

Un étage entier est consacré aux marionnettes sur eau du Vietnam qui, là-bas, évoluent dans les rizières. Enfin, est évoqué à la fin du parcours, le terme de la vie, le thème de la mort.

Chengdu road avoisine une place où s’élève la Red Playhouse, édifice construit, en 1904, par un architecte japonais. On dit que c’est la plus ancienne maison de thé et de jeu de l’île. Aujourd’hui, on la loue pour y présenter des activités culturelles. Sa façade en briques rouges attire le regard ; c‘est la curiosité du quartier.

Exténué et aspirant au sommeil, je suis néanmoins conduit route de Canton, au temple Longshan, dédié à Guanyin. Reconstruit à plusieurs reprises -seule la statue de Guanyin est l’originale- il est surnommé « longshan » ou montagnes des dragons : nombre de dragons sont, en effet, tapis sur son toit ou bien se lovent autour de ses piliers. Ils assurent la protection de la divinité. Et celle du voyageur épuisé ?

« Ao ba » exprime la satisfaction au terme d’un bon repas. C’est aussi l’enseigne d’un restaurant de qualité : décor sobre et apaisant, déclinant la palette des tons gris, mets raffinés et copieux.Thé servi à volonté, travers de porc aigre-doux (on peine à arriver à bon port avec les baguettes), poulet (le pilon du volatile lui aussi résiste), concombre cuit…Les convives sont familiers des bonnes manières et les serveuses accortes ; quant à leurs acolytes, ils composent un vivant catalogue d’éphèbes, « garçons de cristal » empruntés au roman de Bai Xianyong (Picquier poche) ?

De retour à l’hôtel à l’issue de cette journée marathon, je subis le vacarme de la chambre voisine : les Chinois sont amis du bruit. C’est ainsi. Et tant pis si c’est un lieu commun.

Taipei, Temple de Confucius
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Détail temple
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Temple, plafond
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Visite du Temple
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Temple Tao / Bao Am
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Temple Tao / Bao Am
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Façade, Quartier Xichang St et Dihua St
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Magasin d'herbes médicinales
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Façade, Quartier Xichang St et Dihua St
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Dihua St
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Quartier Xichang St et Dihua St
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Temple de Longshan
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Temple de Longshan, monnaie de singe
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Lac de la Lune et du Soleil
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Temple de Wen Wu
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Temple de Wen Wu
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Temple de Wen Wu
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Temple de Wen Wu
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Temple de Wen Wu
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SAMEDI 29 SEPTEMBRE

TAIPEI-TAICHUNG

La gare centrale de Taipei, moderne et propre comme un sou neuf, est nantie d’espaces d’attente agréables. Le Taiwan High Speed Railway (T.H.S.R.) est à quai. Plus bas que le TGV et moins confortable, ce train ressemble au Shinkansen japonais. À 11heures18, il s’ébranle en direction de Taichung. Il est composé de douze voitures, soit une de plus que le TGV. À l’intérieur de chacune, une allée sépare les deux sièges de gauche des trois situés à droite. Un panneau lumineux indique le nom des gares desservies ainsi que la vitesse, 282 kilomètres à l’heure. Le panorama urbain qui défile, à ma gauche, n’offre guère d’intérêt.

À12 heures10, le train atteint Taichung. La gare, ultramoderne, allie l’acier, le verre et la pierre grise. Le vaste espace public n’est point envahi par les voyageurs. La propreté des lieux est telle qu’elle rendrait jaloux le plus maniaque des Suisses allemands : du sol au plafond, tout brille ! À l’intérieur de la gare, une boutique Relay et plusieurs petits restaurants offrent leurs services : un sandwich jambon fromage et une pâtisserie suffiront à apaiser la faim.

En voiture ! Direction la montagne et « le lac de la lune et du soleil » sur les rives duquel aimait à résider Tchang Kai Tchek, ancien président de l’île et ennemi juré de Mao.

La végétation varie avec le paysage : bananiers, palmiers, canne à sucre ou bambous se succèdent. La route court à travers les vallons puis, elle s’enroule autour des flancs des montagnes. En certains endroits, on remarque plusieurs camions soigneusement garés. Les chauffeurs s’arrêtent là pour acheter ces chiques de bétel qu’ils mâchent en conduisant. Les échoppes sont tenues par des femmes jeunes et jolies, souvent court vêtues, dit-on. Alors, les mauvaises langues s’échauffent et échafaudent mille histoires et anecdotes prêtées à ces coquins de chauffeurs…

LE LETTRÉ ET LE GENERAL

Le lac s’inscrit dans l’écrin des montagnes comme un diamant dans une bague.  Malheureusement, quelques hôtels hideux souillent la beauté du paysage : business is business et les Chinois, souvent, sont des commerçants avisés. Un autre lieu commun ? On songe  avec nostalgie à la magnificence du lac Inlé en Birmanie…

Sur le chemin, un temple neuf connu sous le nom de Wen Wu (le lettré et le général). On vient y prier pour solliciter la protection du lettré avant de passer un examen. Quant au général, l’histoire ne dit pas quelle protection il accorde… Du mirador situé à ses pieds, on contemple le site. Sur la rive opposée pointe une pagode et, à droite, au bord de l’eau, des carrelets.

Étape au bed and breakfast local ; chambre coquette.

NOUS LES THAO

Au milieu de l’après-midi, on marche vers le hameau qui abrite les Thao, tribu aborigène de la plaine. Passée une petite église éclatante de blancheur, à mi-côte, près d’un autel bouddhiste, mais à l’extérieur, se tient une femme âgée parée de multiples couleurs : c’est une shamane. Elle officie devant un panier empli d’étoffes et de colliers : ils symbolisent l’âme des ancêtres. Aujourd’hui, c’est le dernier jour de lusan, le nouvel an des Thao qui se prolonge un mois durant.

Un peu plus haut, se blottit le hameau édifié pour accueillir cette tribu après un séisme dont elle fût victime. À l’entrée, un panneau proclame « ita Thao », nous, les Thao. Un peu plus loin est érigée une sculpture en bois : deux personnages et un cerf. Elle dit l’histoire de cette tribu. Aborigènes, les Thao vivaient dans les montagnes et ils chassaient le cerf. À la poursuite de l’animal, ils finirent par arriver au bord du lac…

Spécialiste des aborigènes de l’île, le professeur Wu* affirme qu’ils sont des aborigènes de la plaine. Il précise qu’ils composent une société patrilinéaire et exogame. Le -ou la- shamane est le lien entre la terre et le ciel et prodigue des soins. Dans de cette tribu, la fonction n’est pas héréditaire : le shamane voit en rêve celui ou celle qui va lui succéder.**

* Disciple de feu le professeur Shu Tchang Hue, qui étudia en France, il est l’auteur d’une thèse de doctorat en ethnomusicologie, consacrée aux aborigènes Bunun et soutenue à l’université de Nanterre.

**Cf. le livret des CD Echos du Chili et Echos des Mapuches, Buda Musique.

 

Au sein du hameau, chacun s’active : on rôtit des porcs entiers à la broche, sur un billot, on découpe un gros poisson pêché dans le lac, on tranche des quartiers de viande, on tresse des couronnes avec des végétaux… Fête et agapes se préparent. Les enfants s’amusent comme tous les enfants… Adultes et jeunes répètent les danses qui animeront la soirée.

Cinq hommes et garçons, coiffés d’un serre-tête blanc et noir, sont vêtus d’un boléro brodé de couleur crème, d’une sorte de pantalon, également brodé, blanc cassé, porté par dessus un short noir. Sept femmes et jeunes filles, les cheveux retenus par un serre-tête rouge, noir et bleu, sont habillées d’une longue jupe rouge. Hommes ou femmes enchaînent une série de rondes : ronde des paniers, ronde des lances, ronde des pêcheurs munis d’une rame, d’un filet et de nasses, ronde des chasseurs, armés d’arcs, ronde des pilons. Au cours de cette dernière danse, les femmes martèlent une pierre et créent ainsi une étonnante lithophonie.

C’est ensuite le temps des agapes. Assis derrière de longues tables, les convives mangent avec avidité. D’autres demeurent debout. Le repas est copieux, arrosé de vin de riz, breuvage qui titre dix degrés.

Quatre femmes shamanes font leur entrée. Présentées « au public », elles posent pour les photographes. Leur fonction au sein de cette tribu consiste à perpétuer le culte des ancêtres et  à  remédier à certaines maladies. Après cette « diversion », suit une série de danses « modernes » qui ne présentent guère d’intérêt. La musique, pour celles-ci comme pour celles-là, héritées de la tradition, émane d’une sonorisation tonitruante. Le Chinois est ami du bruit !

À l’issue du festin, à l’extérieur puis à l’intérieur de l’une des maisons, s’élève un chant a cappella grave et lent. Les Thao frappent sur les cloisons, les tables… pour signifier aux ancêtres qu’ils sont bien là, présents. À l’extérieur, deux rondes tournent en sens opposés. Le cercle des enfants à l’intérieur de celui des adultes. À intervalle plus ou moins régulier, le sens s’inverse et le rythme s’accélère. Puis, la danse se fige et tous les visages se tournent vers le ciel, appel adressé aux ancêtres pour qu’ils participent. Ensuite, précédée d’un bouclier dit « de la lune et du soleil » (c’est écrit sur l’écu), une procession s’ébranle. Au fil de la nuit, elle chemine de maison en maison… Ainsi, les ancêtres visitent-ils les vivants. Ce sont les ancêtres qui pénètrent chez les vivants, au cœur de leur foyer. À chaque arrêt, le même chant s’élève, la même ronde s’anime. À chaque étape, des nourritures terrestres attendent les participants. Tout au long de la procession, pétards et feux d’artifices éclatent. Tous les quartiers de la ville résonnent ainsi, toute la nuit, jusqu’à l’aube… Le Chinois, n’est-ce pas, aime le bruit ! La connaissance de la tradition exige parfois un certain esprit d’abnégation !

Le restaurant est juché au dernier étage d’un hôtel : la table désignée regarde le lac. De ce mirador, on contemple les toits rouges, inondés de lumière, du temple Wen Wu et, plus tard, les arabesques d’un feu d’artifices jaillissant de la rive opposée pour célébrer la pleine lune. Le dîner régale les convives des délices d’un poulet en sauce, de raviolis, d’aubergines frites et de pâtisseries accompagnées de thé.

Promenade digestive sur la jetée jusqu’au kiosque situé au bord du lac. Au retour, face à ce miroir d’eau, une terrasse accueille le promeneur : en robe blanche, le vin de riz recèle trop de sucre à mon goût. La conversation avec un architecte, assis  à la table voisine, est enrichissante. C’est lui qui, après le séisme, a construit le village thao et, désormais, il se consacre aux aborigènes. Philosophe, il dit : « ils ont tout perdu et ils ont tout ». Suit une discussion relative au culte des ancêtres : un culte pratiqué un peu partout dans le monde.

Aux alentours de 23 heures arrive la procession, précédée de l’inévitable horde des scooters…
La nuit sera blanche, peuplée du vacarme des tirs de pétards et des feux d’artifices et scandée par le chant des ancêtres, le leitmotiv de cette longue soirée de fête.

Eglise catholique
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Sculpture en bois à l'entrée du village thao
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Avant les agapes chez les thaos
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Préparation des couronnes chez les thaos
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Thaos
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Danse thao
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Thaos
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Jambières femme thao
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Thaos
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Thaos
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Danse mixte thao
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Shamane thao
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Shamanes thaos
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Ronde thao
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DIMANCHE 30 SEPTEMBRE

VILLAGE SDEIQ DE RENAI

Matinal, le réveil est difficile. Comme hier, la chaleur règne. C’est au faîte d’un hôtel voisin que l’on sert le petit-déjeuner. Le regard vagabonde sur les eaux du lac, s’attarde sur le rutilant temple de Wen Wu, s’accroche à la haute colonne de la pagode…

Au milieu de la matinée, on s’achemine vers le village des Sdeiq (prononcer sodiaq) ou Seediq, tribu aborigène fort indépendante. Etape en pleine nature, à la table d’un restaurant situé au pied des montagnes. Madame Yuh-Fen Tseng nous y attend. Ethnomusicologue, elle est une disciple du professeur Wu. Charmante et compétente, elle initie le profane aux cultures aborigènes et à celle des Sdeiq, en sirotant un thé d’orge glacé.

Taiwan, dit-elle, reconnaît treize tribus aborigènes dont deux vivent en plaine, les Thao et les Kamalang. Il existe d’autres tribus, mais, au fil du temps et des turpitudes de l’histoire, elles se sont mélangées avec les Han, ceux que les étrangers nomment Chinois. Par  ailleurs, l’occupant japonais a contraint certaines tribus de la montagne à descendre dans la plaine dans la perspective de les disperser.

Les Sdeiq vivent dans la montagne, à l’est du lac, à environ mille mètres d’altitude. Plus isolés, ils ont mieux préservé leur tradition, une tradition de chant polyphonique et de danse. Ce sont des hommes forts, des guerriers qui, autrefois, coupaient les têtes de leurs ennemis. Afin de briser leur résistance, les Japonais les ont divisés et disséminés en divers endroits. Ils ont mélangé les locuteurs des trois dialectes : les locuteurs du dialecte A et du dialecte B, les locuteurs du dialecte B et du dialecte C, etc. Ceux qui nous attendent n’ont pas résisté aux Japonais ; ils vivent encore dans la montagne. Cette tribu est la source des autres Sdeiq.

Ce qui distinguait les Sdeiq, c’était le tatouage du visage et la pratique de la chasse. Les deux étaient liés : le bon chasseur est gratifié d’un tatouage qui orne son visage. C’est également la récompense de la femme qui excelle dans l’exécution du tissage. Mais la pratique du tatouage fut interdite par les Japonais. Plus tard, elle tomba en désuétude du fait de la combinaison de trois facteurs : l’influence des missionnaires protestants, l’arrivée de Tchang Kai Tchek et le mélange des membres de la tribu avec la population han. Désormais les Sdeiq vivent comme les autres citoyens. Reste l’esprit. C’est à dire ce culte des ancêtres et des valeurs dont ils sont porteurs. Les Sdeiq perpétuent une croyance en un arc-en-ciel qui s’appuie sur un pont. Ce pont permet d’accéder aux ancêtres. Ce credo fonde leur danse : la ronde est formée de deux arcs-en-ciel assemblés. Ils évoluent les yeux tournés vers le sol car, ils ne doivent pas se regarder.

Autrefois, les Sdeiq pratiquaient une agriculture sur brûlis. Aujourd’hui, ils conservent en  partie leur vocation agricole et cultivent leur lopin de terre. Les jeunes sont arboriculteurs et horticulteurs ou bien, ils travaillent en ville, à l’usine ou sur les chantiers. Le chef de tribu est choisi (élu ?) pour son habileté. Le shamane, homme ou, plus souvent, femme, intercède auprès du ciel pour que la moisson soit riche, la chasse fructueuse, la pluie propice…

Dans cette tribu, les jeunes parlent encore leur dialecte : les enfants l’étudient à l’école primaire là où est implantée la tribu. Le gouvernement considère que la diversité est l’une des caractéristiques de l’île et encourage les cultures aborigènes. Tel est le discours officiel.
Dans le champ musical, les Sdeiq jouent de la guimbarde ainsi que d’une flûte droite en bambou dont le jeu requiert une ficelle. Mais le cœur de leur musique demeure le chant polyphonique. Souvent, à l’issue de la chasse et lors du partage du gibier, ils improvisaient pour raconter leurs prouesses. Le répertoire d’ailleurs ne compte que des chants de chasse mais, c’était en général les femmes qui chantaient et célébraient leur héros. Le processus se déroulait de la manière suivante : sur le chemin du retour, certains cris émis par les hommes et telles notes de flûte étaient autant de signaux codés adressés aux femmes et indiquaient le nombre de têtes de gibier tuées ou d’ennemis; puis, les hommes racontaient leur chasse aux femmes et celles-ci improvisaient. L’homme également chantait en solo et, ensuite, les femmes improvisaient une  polyphonie.

Généralement, les femmes dansent une ronde. La plus âgée mène la danse : elle l’improvise, comme la mélodie et les paroles, de courtes phrases. Souvent la chorégraphie est « figurative », elle illustre les paroles. Chants et danses sont d’ordre rituel ; ils sont offerts à  l’esprit des ancêtres. Comme la vie de la tribu, le feu du foyer ne doit jamais s’éteindre. Il en est de même pour la musique, sinon cela porte malheur. Voilà pourquoi, le chant a recours à la technique du canon, ou du relais, qui autrefois pouvait conduire à la transe.

Au village, les réjouissances se déroulent au sein du temple protestant où nous accueille le jeune pasteur, membre de la tribu. Il sera rejoint ensuite par une consoeur. La double appartenance religieuse ne pose guère de problèmes, dit-on, d’autant que la prestation offerte à notre intention n’est pas une cérémonie rituelle.

Les douze femmes portent une robe rouge, striée de quelques rayures et ornée de fleurs dans la partie haute. Les quatre hommes, dont le jeune pasteur, sont vêtus d’une sorte de short de couleur sombre, d’une courte tunique rouge, traversée de rayures sur la poitrine, comme une toge de petite dimension, attachée à la hauteur de l’épaule. Ils s’alignent en deux rangées et disent une prière qui se conclue par « amen »… Ensuite, ils forment une ronde dont le centre est occupé par le « héros », muni d’une flûte à ficelle, et la dame qui mène la danse. Le chant est beau et répétitif. À la fin, terme de la chasse, le chasseur, coiffé de fibres végétales, distribue (ou réclame ?) la nourriture…

Puis, un vieil homme, il serait l’un des derniers à maîtriser les arcanes de l’instrument, offre une démonstration de guimbarde de une à quatre lames (il en existe nanties de sept lames).

De retour au restaurant que dominent les montagnes, c’est l’heure de savourer le poulet vapeur, spécialité locale, accompagné de riz, de tofu et de l’omelette à la ciboulette.

DU VIN ET UN BOUDDHA

L’après-midi, on tente de visiter les chais du vin de Shaoshing. En vain car, les lieux se réduisent à une sorte de magasin bruyant, animé par le seul appât du gain.

Monsieur Lin, chauffeur émérite, propose la visite d’un temple bouddhiste. Construit à flanc de montagne, c’est une gigantesque masse de béton, surmontée de métal, qui fait face à un énorme Bouddha or, adossé à la montagne opposée. Auprès de lui, le Bacchus de Caravage est une miniature ! Les moines vont et viennent alentour, chevauchant leur scooter…Sans doute faudrait-il réfléchir à la scootérisation de Taiwan par les Nippons fripons…

À l’intérieur du temple, tout est haut, massif et laid. Les statues imposent leur démesure. Celle d’un sage taoïste, dont on dit, selon l’expression consacrée, qu’il a été « revêtu du manteau de Bouddha », étonne en ce lieu qui ne déparerait pas à Las Vegas.

À l’extérieur, une nonne balaie le jardin…

Ce temple, apprend-t-on, scolarise plus de 300 enfants dans le cycle primaire, dès l’âge de sept ans, et quelques centaines d’autres dans l’enseignement secondaire, tous en internat.

POLYPHONIES BUNUN

Au sud-ouest du lac, rencontre, en compagnie du professeur Wu, de la communauté Bunun de Minde. Son ensemble choral porte le joli nom d’une plante, Lileh.

Autrefois, et jusqu’au début du XX° siècle, les Bunun, peuple guerrier, coupaient les têtes de leurs ennemis. Chasseurs et agriculteurs, ils cultivaient le millet. Aujourd’hui encore, ils demeurent bons chasseurs, mais cultivent la vigne. Ils produisent raisin de table et vin rosé. Ils récoltent également légumes et fruits, en particulier des prunes, avec lesquelles ils élaborent un vin de couleur verte.

Les Bunun pratiquent le mariage endogamique. Ils ne sont plus soumis à l’autorité d’un chef de tribu. Désormais un chef de village remplit plus ou moins les fonctions équivalant à celles de maire. Aujourd’hui, les Bunun sont tous protestants et ce groupe compte un pasteur en son sein. Le shamane, qui était toujours un homme, ne l’est plus qu’à moitié. Celui de cette communauté a hérité la fonction de son père. Il assure la relation entre la terre et le ciel, mais il ne soigne plus ou bien ses pratiques thérapeutiques sont  clandestines car, interdites. En revanche, le culte des ancêtres perdure.

Les costumes traditionnels de la tribu sont sobres. Les femmes vont vêtues de noir. Les hommes portent une sorte de jupe de même couleur, qui rompt avec la nudité d’autrefois, ainsi qu’un genre de boléro orné de motifs géométriques de couleurs vives. Une boucle d’oreille en coquillage fossile, que l’on trouve dans les montagnes, confère à ces costauds un faux air de mauvais garçons.

La tradition musicale est exclusivement polyphonique. Des mouvements accompagnent le chant mais point de danse. Selon le professeur Wu, le répertoire ne connaît ni chant de mariage ni chant funèbre. Ce soir, il se compose de chants rituels de chasse et de coupeurs de têtes, de couplets pour les enfants, de chansons dites agricoles. Celles-ci comprennent des chansons à boire, d’autres mélancoliques  et d’autres encore pour que la récolte du millet soit féconde. L’un de ces chants, intitulé « passi but but », porté par les voix des hommes, est l’un des plus beaux. Ce chœur puissant exprime la force des coupeurs de têtes.

A Taïchung, au restaurant de l’hôtel, riz oriental roboratif et pudding aux fruits savoureux. L’hôtel, confortable et silencieux, est agréable. La nuit sera douce…

Homme sdeiq / Le pasteur
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Danse sdeiq
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Danse sdeiq
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Costume sdeiq, détail
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Costume féminin sdeiq, détail
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Le joueur de guimbarde sdeiq
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Nonne d'un temple bouddhiste
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Femmes bunun
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Bunun
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Bunun / Passi But But
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Costume masculin bunun, détail
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Flûte nasale sepiuma paiwan
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Fillette sepiuma paiwan
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Danse sepiuma paiwan
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Une partie de la dote du mariage sepiuma paiwan
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Garçonnet sepiuma paiwan
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Costume homme sepiuma paiwan, détail
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Chef sepiuma paiwan
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Rizière au delà de Meinong
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LUNDI 1 OCTOBRE

TAICHUNG-KAOHSIUNG- ZHAO CHAO-MEINONG-KAOHSIUNG-TAIPEI

Départ matinal en train à grande vitesse pour Kaohsiung. Arrivée, une heure plus tard, dans une gare moderne, au terme d‘un court voyage sans intérêt à travers un paysage urbain et laid. Un ami du professeur Wu, instituteur, nous conduit en voiture à Zhao Chao que nous découvrons quatre-vingt-dix minutes plus tard. Enfin la campagne ! Un paysage agricole de cultures diverses : arbres à bétel tels de minces palmiers, champs de papayers, bananeraies, plantations d’ananas, parcelles de millet…C’est le sud : il fait chaud.

MARIAGE CHEZ LES PIUMA

En ce milieu de matinée, les Sepiuma, les hommes de Piuma, Ping-Ho en mandarin, de la tribu païwan ont revêtus leurs habits traditionnels. Ils attendent le visiteur étranger rassemblés sous le toit d’un immense hangar. Ils ont préparé un rituel de mariage, lourds préparatifs, sans doute onéreux. Le chef de village nous accueille accompagné de l’un de ses prédécesseurs et d’un disciple du professeur Wu. Présentations à deux femmes, chefs de tribu héréditaires dont la coiffure est ornée de trois plumes, à d’anciens chefs de village ainsi qu’à un ex-ministre des affaires aborigènes… Conversation avec le chef de village et un des anciens titulaires de cette fonction : autrefois, les Païwan, agriculteurs et chasseurs, vivaient dans la montagne. Par ce qu’il fallait se défendre, ils étaient aussi des guerriers. Adeptes du culte des ancêtres, ils l’ont aujourd’hui abandonné : 90% des Sepiuma sont protestants et 10% catholiques; il existe encore des shamanes, mais ils ne pratiquent plus, sauf à l’occasion des fêtes. Cette fonction était dévolue à des femmes « choisies par Dieu » : l’élue trouvait une graine au pied de sa couche, c’était le signe. Tous, y compris l’ethnomusicologue, jurent ignorer qui plaçait la graine…

La langue parlée est le païwan, celle aussi des enfants qui vivent au sein de la tribu. On choisit  son conjoint plutôt parmi les membres de la tribu mais pas exclusivement. Par ailleurs, homme ou femme, c’est l’aîné de la famille qui transmet le nom selon un système complexe. L’égalité homme femme est respectée dans l’exercice du pouvoir, mais la société est divisée en quatre niveaux (classes ?) : chef de tribu (qui ne travaille pas), nobles, citoyens 1 et citoyens 2 et, c’est le nom qui permet de distinguer. Une autre tribu, les Rukai, connaît le même système.

Aujourd’hui, les vieux sont agriculteurs ; les plus jeunes travaillent en ville dans la construction et les bureaux.

Les masques brodés sur le gilet du chef de village étaient la marque du chef de tribu. Aujourd’hui, n’importe qui peut bénéficier de cet apanage. Les dents de sangliers tués à la chasse ne sont pas de simples ornements ; elles symbolisent le courage du héros.

Le répertoire musical se compose de berceuses, de chants d’adieu -ceux, particuliers, qui accompagnent le départ de la fiancée en pleurs lorsqu’elle quitte la maison de ses parents- de chants de deuil…

Ecoutons l’échantillon aimablement proposé :

1-Un homme joue de la double flûte nasale. Appelée biti, elle exprime la joie ou bien la tristesse, selon l’occasion, demande en mariage ou bien enterrement ! En l’occurrence, pour accueillir le visiteur, elle distille la joie. L’homme insuffle l’air avec ses narines ; la main droite joue la mélodie sur les trois trous de l’instrument. À main gauche, la flûte ne comporte aucun trou.

2- Chants d’amour et de mariage : une femme en solo d’abord, dotée d’une fort belle voix puis, en duo avec un homme.

3- Quatorze hommes forment un demi- cercle. Une femme chante, puis deux ainsi que, ensuite, les hommes qui dansent dans le sens des aiguilles d’une montre, en se tenant par leurs mains croisées. Cette danse célèbre le héros, guerrier ou chasseur.

4- Les dix-huit femmes se placent devant les quinze hommes, le chef de village demeurant hors scène et un homme chante puis, tous.

5- Les mêmes, mais la soliste est la femme qui chantait au début de la prestation. Un léger balancement d’un pied sur l’autre met le corps en mouvement…

6- Hommes et femmes s’assoient. Un homme portant une jupe noire offre un mouchoir de couleur rouge à l’une des jeunes femmes. S’éloignant, il lui fait un signe de la main.

Un autre s’avance. Il s’adresse à un autre homme. Sans doute est-ce un émissaire du prétendant dépêché auprès d’un membre de la famille de la femme convoitée. Ce sont les intermédiaires. On imagine qu’ils négocient la dote…
Un homme crie…
Rituel de mariage

Tous se dirigent vers la structure de bambou disposée face à l’estrade. Les hommes s’affairent ; assises du côté droit, les femmes chantent.

1- Danse.

2- Assises, les femmes chantent. Les hommes portent des fléaux sur lesquels est entreposée la dote : quartiers de viande (trois gigots de marcassin), régimes de bananes, couronnes de fleurs, bouteilles de millet fermenté (deux), et, pièces de valeur, ces colliers qui se transmettent de génération en génération. La dote comporte aussi une terre. À l’exception des colliers, sa composition témoigne de la vocation agricole des Sepiuma.

3- Hommes et femmes ensemble se tiennent mains croisées. Ils chantent et dansent d’un pas saccadé.

4- Deux hommes discutent autour de la dote. Un troisième (le chef ?) s’exprime.

Des couronnes de fleurs jaunes sont posées sur la tête des chefs de tribu (les deux femmes précitées) puis, sur… ma propre tête ! Du millet fermenté est offert aux deux chefs de tribu dans une sorte de double godet.

Commence alors une course pour rattraper la fiancée qui s’enfuit (mariage par enlèvement ?). Ensuite, tous dansent : une danse en chaîne de la gauche vers la droite.
Ce rituel est celui, précise-t-on, d’un mariage normal et non d’un mariage noble.

UN HAKKA EN AVIGNON ?

À la mi-journée, nous partons en voiture, à travers la campagne, en direction de Meinong. La ville a préservé quelques rues bordées de maisons anciennes. Mais, comme partout, le centre est constellé d’enseignes multicolores. Au-delà des frontières de la cité s’étend la campagne. De chaque côté de la route défilent le damier des champs et quelques villages; on aperçoit un élevage de canards… Une heure plus tard, en pleine nature, au pied des montagnes, s‘élève, au milieu des rizières et des bananeraies, un modeste temple. Il abrite la divinité de la terre. Les rizières, sèches à cette époque, fournissent deux récoltes par an. On y cultive aussi des plants de tabac.

Nos hôtes sont des Hakkas, ces premiers immigrants venus du Henan, province du centre de la Chine continentale, au XVII° siècle. Etablis, dit-on, dans les montagnes, ils ont développé sur l‘île les cultures du riz, du thé et de la canne à sucre.

Le Zo pa est un art hakka. Il associe plusieurs disciplines, mime, chant, danse, art martial, comédie… et requiert un talent protéiforme. Art de la rue, tissé de courtes saynètes dont paroles et dialogues se développent en langue hakka, il impose à l’artiste l’obligation d’attirer l’attention du chaland. Yang Shiao Hen, 69 ans, en est l’un des derniers maîtres. Il s’est initié à cet art, dès l’âge de quatorze ans, au sein de troupes de spectacle de rue. Depuis, c’est son gagne pain. Il tente par ailleurs d’en transmettre les secrets en enseignant séparément chant, danse, mime… Mais, dit-il, « le niveau des élèves est médiocre et cet art est voué à s’éteindre.Il existe aussi chez les Han mais, il y est moins répandu. »

La musique qui l ‘accompagne est très ancienne. Elle se transmet oralement, mais aussi en recourant aux partitions. Les chants sont ceux de la montagne hakka. Ils sont arrivés à Taiwan dans le sillage de l’immigration hakka aux alentours de 1660.

Les Hakkas étaient agriculteurs et, ils le demeurent. Cependant, nombre de jeunes sont, aujourd’hui, employés de bureau en ville, tandis que certains encore pratiquent l’agriculture biologique. En pays hakka, ils parlent leur propre langue.

Tandis que monsieur Hen se maquille, les musiciens s’installent devant leurs motos, au pied d’un arbre vénérable. Ils accompagnent Yang Shiao Hen depuis longtemps : leur complicité est évidente. Sa fille tient les percussions et un petit gong, un homme, le erhu, vièle à deux cordes, un autre, un second erhu.

Monsieur Hen a revêtu une ceinture rouge et, muni d’un fléau, il interprète un camelot vendeur de bibelots : il fait l’article à une cliente imaginaire et bonimente… Son visage manifeste une expressivité convaincante, son corps, une ductilité et une légèreté telles qu’on le croirait en apesanteur. Raffiné, son jeu est désopilant. Dans les rues d’Avignon, il ferait un malheur.
Madame Shu Wu Mei chante ces chants hakka de la montagne, appris au sein de la communauté. « Chanter, dit-elle, est mon loisir favori ». Vêtue de bleu, foulard rouge à la main, elle chante d’une voix nasillarde des paroles qui évoquent le travail à la montagne ainsi qu’une chanson d’amour. Monsieur Hen se livre ensuite à une parodie de kung-fu. Madame Mei, en bleu et rose, foulard en main, offre une chanson qui présente au visiteur le village et la maison qui l’accueilleront. La dernière saynète réunit les deux protagonistes. La femme porte tenue rose, l’homme tablier blanc, ceinture rouge, baluchon jaune à l’épaule et parapluie en main. C’est l’adieu du mari, qui part au travail, à son épouse… À la fin, il m’offre le parapluie, objet traditionnel de la région acheté à mon intention. Délicate attention.

La voiture file vers l’aéroport de Kaohsiung. Un grand nombre de poids lourds circule sur cet axe : la ville abrite l’un des principaux ports de l’île. Ceci explique cela. Le vol prévu est annulé. C’est une autre compagnie, Mandarin Airlines, qui nous dépose à Taipei en fin d’après-midi.

Les locaux de la Chai Found Music accueille six musiciens et une chanteuse d’opéra chinois. C’est un ensemble de musique sizhu, formation de musique de chambre. Il se compose d’une flûte di, d’un luth pipa, d’une cithare qin, d’une guitare en forme de lune ruan, d’une vièle erhu, tenue par le maître, et, pour certaines pièces, d’une cithare guzheng.

L’ensemble interprète d’abord une pièce contemporaine. Il accompagne ensuite la belle voix de la chanteuse au fil de cette « mélodie à sept mots » issue d’un opéra classique de Taiwan. C’est l’histoire d’un ouvrier qui se munit d’un miroir pour contempler la jeune fille riche qu’il convoite. Mais, il casse le miroir… Suit une pièce de beiguan (sans suona) virtuose et raffinée. Délaissant le guzheng, l’ensemble escorte la voix, une voix de tête, plus aiguë que dans la pièce précédente. L’opéra de Taiwan requiert, dit-on, une voix plus aiguë pour chanter « la grande mélodie ». En guise de conclusion, les musiciens jouent et chantent une chanson taiwanaise divertissante, « la sauterelle et le coq ».

DES AMIS POLYNESIENS ?

Dans la banlieue de Taipei, les locaux d’une école primaire sont prêtés, jusqu’à 22 heures, à des groupes ou associations. En divers endroits, des femmes s’exercent à la danse… Sur les marches qui conduisent aux étages, s’alignent des mots anglais : les enfants se familiarisent ainsi avec cette langue dont ils commencent l’apprentissage dès le primaire.

Dans une salle de classe impeccable et confortable, disposant de quatre ordinateurs, se déroule la présentation d’un groupe appartenant à l’ethnie amis. Venus travailler à Taipei, ces Amis sont tous originaires de la province de Taidong et du même village, Atolan, situé à proximité de la mer. Comme une centaine d’entre eux résidant à Taipei, d’autres membres de la tribu vivent dans la montagne. Mais, le bleu de leurs costumes évoque, disent-ils, les couleurs de la mer. Les dames âgées de trente à soixante ans portant col bleu sont mariées. Les plus jeunes s’habillent comme bon leur semble. Le leader du groupe est paré d’un pantalon multicolore, autrefois apanage du seul chef de tribu. Aujourd’hui, chacun peut le revêtir. Ce «  responsable » se qualifie de « porte-parole de la tribu » : « Les Amis, dit-il, adhèrent à l’une ou l’autre de ces quatre croyances : catholicisme, protestantisme, « nouveau protestantisme » (sont-ce les évangélistes ?) ou bouddhisme. » Au village, deux shamanes soignent voire, retrouvent les vaches perdues… Ils connaissent les voies du ciel et les arcanes de la terre.

Lors de la fête de la moisson, une cérémonie honore les ancêtres. On choisit son conjoint au sein de la tribu ou à l’extérieur (endogamie et exogamie). Le chef de tribu est élu. Au-delà de l’âge de vingt ans, tous parlent la langue ; les enfants, eux, en connaissent des mots épars. Au village, les parents travaillent dans les secteurs de l’artisanat et du tourisme. Certains sont agriculteurs ou bien pêcheurs. « A Taipei, nous sommes employés de bureau, infirmiers, informaticiens, ouvriers d’usine… Nous avons appris la musique d’oreille auprès de personnes âgées. Par ailleurs, les jeunes suivent un genre de cours intensif avant la fête des moissons. »

C’est précisément une danse et un chant de empruntés à cette fête qui ouvre la prestation du groupe : assis, dix hommes chantent en effectuant des mouvements de bras qu’ils lèvent et baissent alternativement. Suit une danse du héros guerrier, en deux temps :

-les dix hommes dansent, un parapluie à l’épaule (symbolise-t-il une arme ?). Le pas est un saut puissant. Ensuite, neuf femmes chantent et martèlent le sol de leurs pieds en dessinant des mouvements avec leurs bras.

-sept hommes chantent en sautillant puissamment et en lançant leurs bras avec force. Les femmes ensuite, déroulent une danse en chaîne.

L’aspect physique des Amis, leurs costumes, leurs chants et leurs danses font  songer à ceux de la Polynésie en général et de Tahiti en particulier. (cf. Le Monde).
Une jeune – fille interprète en solo un chant qui évoque le pays natal puis, en duo, avec un jeune –homme, une chanson à boire. Mais, ils se trompent et leur interprétation est médiocre. Deux hommes offrent trois chants dont l’un, lié à la fête des moissons, exprime la joie. L’une de ces voix masculines est particulièrement belle. Neuf hommes et autant de femmes s’unissent en une polyphonie, avant d’entonner, pour clore la session, un… « chant de bienvenue » qui aurait dû l’ouvrir…

Ouvert vingt- quatre heures sur vingt- quatre, un restaurant cantonais pourvoie au dîner : raviolis, tofu, porc aigre – doux, riz gluant frit… Le tout savoureux !

 

MARDI 2 OCTOBRE

TAIPEI-YILAN-HUALIEN

Départ matinal en minibus pour Yilan. À 11 heures, il s’arrête devant le local de l’ensemble Fulang qui, depuis un siècle et demi, perpétue le cours de la musique beiguan. À l’entrée, siège, de chaque côté, un dieu protecteur tandis qu’au fond de la salle, trône un autel. Là, rencontre avec une Française, épouse d’un autochtone qui tient en ville une maison de thé. Elle a étudié l’écriture ancienne et se livre à des recherches relatives au confucianisme. Taiwan a conservé les caractères anciens : l’écriture n’a pas été simplifiée comme en Chine continentale.

ENSEMBLE FULANG

Le maître, un joueur de suona, nous accueille. Il est vêtu, comme les autres musiciens, de la traditionnelle veste blanche et d’un pantalon de couleur noire. La plupart d’entre eux n’est pas jeune. Pour exécuter le premier thème instrumental et vocal, l’ensemble est composé de quatre grands suona (dont celui du maître), d’une percussion dont la peau est frappée par des baguettes en bois, de deux tambours, d’un gong, de trois paires de cymbales, d’une percussion en métal, d’une voix d’homme puis, de plusieurs. Le suona est animé par la technique du souffle circulaire. Suivent un chant d’adieu et un autre « pour solliciter de l’aide ». Tous deux sont portés par deux voix de femmes, dont l’une plaintive, escortées par six erhu (dont celui du maître). Le thème instrumental final mêle cordes diverses (trois erhu à deux cordes, quatre violons à trois cordes « sud », un violon à trois cordes « nord », et un chin chin deux fois deux cordes), une percussion et, à la fin, un hautbois pi li, animé par le souffle continu. Cette musique est tonitruante. « Qu’importe, rétorque le maître, c’est une musique de cérémonie : elle s’adresse aux dieux et ne cherche pas à flatter l’oreille des hommes ». Ce répertoire est ancien, antérieur à la dynastie des Ming ; il se perpétue depuis plus de trois siècles. Avant de prendre congé, le maître montre fièrement un erhu dont la caisse en noix de coco (« yai –hu ») épouse une forme archaïque : « c’est le symbole de notre style », dit-il.

Le salon privé d’un restaurant abrite un déjeuner somptueux à l’invitation du Centre National des Arts Traditionnels : porc, langouste, requin, soupe porc -légumes, pâtes de riz, « poulet noir de le montagne », sashimi (poisson cru), noix de cajou noire et une multitude d’autres petits plats garnissent la table… Au terme de ces agapes,conformément à la coutume, plusieurs « doggy –bags » sont composés, avec « les restes » qui ne nourriront pas les chiens.

Dans la vaste salle voisine, se tient un banquet de mariage. Il réunit une foule de convives mais, ici, les réjouissances sont de courtes durée : on mange vite ! Un écran plasma affiche une photographie des jeunes mariés. Des bruits de pétards enregistrés (c’est moins dangereux il est vrai) éclatent : cela, dit-on, porte bonheur et le Chinois est ami du bruit ! À l’entrée du restaurant, une photographie grand format et en couleurs du couple est exposée sur un chevalet. Etalées sur une table, trois poses différentes en couleurs, format carte de visite, sont à la disposition des invités. Chacun d’entre eux est gratifié de menus cadeaux, enfouis dans un sac en papier. Sans doute ont-ils, auparavant, remis aux mariés la traditionnelle enveloppe lestée de quelques billets.

NOUVELLE SHAMANE CHEZ LES KAVALAN

Au début de l’après-midi, le minibus fait route vers Hualien. C’est une longue route, escarpée et sinueuse, percée d’interminables tunnels et infestée de centaines de virages, qui le plus souvent longe la mer. Nombreux, les camions ralentissent la circulation. Un tronçon traverse un parc national mais de gigantesques cimenteries en gâchent le cadre. Les plages, quand il advient qu’on les aperçoive, sont désertes. Au terme d’un périple éprouvant sur cette côte est de l’île, dotée d’un relief montagneux et sauvage, nous arrivons enfin à Hualien, cité portuaire. Mais il faut poursuivre encore en direction du sud jusqu’au village de Shinse. Au lieu dit Fongbin, à l’abri d’une sorte de grand kiosque, des membres de la tribu Kavalan nous attendent. Le chef de village, pasteur protestant, nous reçoit. Au centre de l’édifice, devant un bouquet de palmes vertes, est posée une maisonnette. Coiffée de fibres végétales, elle accueillera les esprits. Au pied de cette modeste construction, se tiennent un homme et une femme âgée. Elle est l’une de deux shamanes de cette tribu qui demeure dans la montagne.

Nous assistons à une reconstitution condensée d’un rituel : c’est une cérémonie d’ « intronisation » ( ?) d’une nouvelle shamane. Normalement, elle se prolonge durant six jours (trois jours, dit le professeur Wu) et, elle n’a guère été célébrée depuis cinquante ans. Dès le début, une pluie torrentielle, renforcée par un vent violent, fouette le paysage. « C’est toujours ainsi », dira le professeur Wu.

La cérémonie se déroule ainsi :

Une jeune -fille est victime d’une longue maladie. Consultée par la mère, la shamane sait que celle-ci est choisie pour devenir shamane. Elle doit alors, pendant un mois, respecter un régime végétarien et s’abstenir de toute relation sexuelle.

Au cours de la cérémonie, les participants crient pour que les esprits la guérissent. Son corps est ensuite enveloppé dans du fil…

À un moment de la cérémonie, la shamane et la nouvelle élue montent sur le toit pour appeler les esprits. Toute les deux sont vêtues de noir…

Les Kavalan sont pour la moitié d’entre eux protestants, pour l’autre moitié catholiques. Dans le cimetière voisin, juché un peu plus haut, on aperçoit des croix. À la fin du rituel, conformément à la coutume, un verre d’alcool est offert. Ensuite, une femme interprète un chant, qui accompagne la récolte des légumes cultivés en montagne. Il fait alors nuit et, l’une des shamanes, quatre-vingt trois ans, conclut avec une berceuse. Il pleut. Il pleut encore !

Au terme d’une heure de route, nous sommes de retour à Hualien. La ville est calme et l’hôtel Ola charmant. Il recèle sculptures et meubles originaux. Comme le Chi- Yeh Cypress museum, peuplé d’objets et de sculptures en bois, où l’on déguste un succulent dîner : soupe de porc et de papaye, poulet cuit à la vapeur, légumes divers, petit pâté de porc et fruits.

Courte promenade au bord de la mer : comme de lourds cétacés, de gros bateaux reposent le long des quais endormis.

Ces jours-ci, se tient ici le festival de la pierre : « rock your dream », dit le slogan. Dans cette région de carrière, des tentes –ateliers sont mises à la disposition des artistes, près du port, pour sculpter.

Yiang Shiao Hen (Zo Pa Hakka)
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Temple de la terre
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Fillette amis
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Danseurs amis
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Danseurs amis
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Hommes amis
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Costume masculin amis, détail
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Ensemble fulang de musique beiguan
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Partitions de l'ensemble fulang
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Collection d'instruments de l'ensemble fulang
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Collection d'instruments de l'ensemble fulang
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Collection d'instruments de l'ensemble fulang
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Collection d'instruments de l'ensemble fulang
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Mariage à Ylan
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Rituel d'intronisation d'une nouvelle shamane chez les kavalan
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Hualien, sculpture
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Hualien
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Aéroport de Hualien
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Au nord de Taipei
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MERCREDI 3 OCTOBRE

HUALIEN-TAIPEI

Un taxi jaune, cousin de ceux qui pullulent à New-York, se hâte vers l’aéroport situé au pied des montagnes. Son architecture célèbre une élégante modernité : des poutrelles d’acier s’entrecroisent à l’envi dans les hauteurs tandis que le sol marie pierre grise et blanche et que le verre abonde, prodiguant une lumière naturelle… En trente-cinq minutes, l’avion de la Far Eastern Air Transport gagne Taipei.

Nouveau check-in au Howard Plaza et déjeuner dans un « teppan » nippon. Dans chaque salon particulier, derrière une plaque qui épouse la forme d’un demi-cercle, un chef exécute les commandes devant les clients assis en face de lui. On admire la dextérité du cuisinier qui respecte une propreté méticuleuse pour préparer poisson, bœuf revenu à l’ail, crêpe fourrée de pâte de haricot rouge ou fruits.

THEATRE SANS PAROLES

En début d’après-midi, nous gagnons le nord de la capitale : au pied des monts Guan Yin, dans les locaux d’un ancien élevage de poulets, réside le Bamboo Curtain Studio (studio du rideau de bambou) ! Là, nous découvrons un extrait de la nouvelle création du Sun Son théâtre, intitulée « Le passage », dont la première aura lieu après-demain.

Dans la pénombre d’un clair-obscur manigancé par le jeu des lumières, se déroule une sorte de rituel fort esthétique et riche de poésie. Sous de petits lampions coquets qui tombent du plafond, déplacements et mouvements obéissent à une extrême lenteur. Aucune parole n’est prononcée mais des chants ponctuent « l’action » et une bande son illustrative l’accompagne et participe à  l’envoûtement du spectateur. Et voilà que des bulles de savon s’envolent et flottent dans l’espace… Collectionneur de masques, le metteur en scène les utilise : masque blanc à la manière du japonais et masques caricatures. La « pièce » développe deux thèmes universels : la solitude et la solidarité. Le talent des comédiens concourt à la réussite de ce théâtre minimaliste, éclatant de beauté. Cela ressemble, en effet, au théâtre, mais ce n’est pas du théâtre. On songe à la danse contemporaine mais ce n’est pas de la danse. C’est une expression artistique originale qui requiert un vocable nouveau pour la qualifier.

À l’issue de la représentation, rencontre avec les artistes à « l’atelier nourriture » autour d’un jus d’orange et de petits fours – maison…La propriétaire des lieux se présente : c’est une ancienne hippy de Frisco…

En fin d’après-midi, départ pour l’Université publique de Taipei. Elle compte un millier d’étudiants, les universités privées de vingt à trente mille ! Au restaurant de l’Université, à l’heure du dîner, l’ordinaire est excellent : poulet, riz , légumes

HAKKA

Sur le coup de 19 heures, un studio du département du professeur Wu accueille le Hakka Musical, objet musical hybride auquel ont collaboré près de 3OO personnes. La musique est une transcription de la tradition hakka pour orchestre symphonique et chœur. La majeure partie des paroles est chantée dans la langue originale. Outre l’orchestre, placé sous la direction d’une femme, chœur, solistes, comédiens et danseurs participent à l’exécution de l’œuvre. Cette entreprise réunit pour la première fois trois départements : musique, danse et théâtre. À quelques exceptions près, les artistes sont des étudiants de l’Université. Le niveau est élevé. Certains danseurs sont exceptionnels. L’histoire, à l’évidence chargée d’une dimension comique, est celle d’un mariage. La scène de « livraison » de la dote dévoile un acteur principal fort animé. Sa partenaire jouit d’une très belle voix.

Il n’est pas tard. Une incursion au marché de nuit de Shilin est envisageable. L’axe le long duquel s’alignent boutiques et étals de vêtements,chaussures et bijoux est fort achalandé : acheteurs et promeneurs de tous âges le parcourent, voire des bébés et des écoliers portant l’uniforme et qui sortent probablement des cours du soir… On peine à déambuler dans cette cohue. En revanche, la rue transversale, bordée d’échoppes de restauration légère et de modestes restaurants, est, à cette heure, moins fréquentée par les chalands.

 

JEUDI 4 OCTOBRE

TAIPEI

TRESORS

Situé au nord de la capitale, le Musée National du Palais est un édifice imposant. Construit au cours des années soixante, il abrite une partie des fabuleuses collections de la Cité interdite de Pékin. Le reste du trésor, fort précieux et abondant, dit-on, est entreposé à l‘abri d’un long tunnel dont l’implantation demeure secrète.

La foule des visiteurs suscite un considérable vacarme. Malgré le secours du casque d’écoute, je ne parviens guère à entendre la voix du guide, quelque peu hystérique pourtant, dont la diction anglaise s‘avère bien médiocre. Je visite donc seul les trois étages du musée.

D’abord fût le jade. Distingué de la pierre, il s’imposa pour confectionner les lames rituelles du shamane. Puis vint le bronze, issu de la technique de l’alliage, utilisé pour la fabrication de récipients divers, dont certains de grande dimension.

Pour dire et représenter le ciel et la terre, on distingue respectivement  deux formes : le rond pour exprimer le ciel et le carré pour figurer la terre. Le shamane converse avec les dieux ; il  assure la relation entre la terre et le ciel.

Dans l’une des galeries, sous la protection de vitrines, l’ineffable beauté de l’art des Tang (VII°-X° siècles) résiste à l’usure du temps ; trois statues de petite taille, dont la hauteur atteint à peine les cinquante centimètres, l’attestent : un cheval saisi dans l’élan de son mouvement, un officiel empesé et un femme apprêtée, offrant ses plus beaux atours.

Ailleurs, la longue théorie des porcelaines Ming (XIV°-XVII° siècles) témoigne de l’exquis raffinement de la culture chinoise : les bleus bien sûr, mais aussi les jaune et puis les vert et encore les rose, colorent de la délicatesse de leurs tons une foule d’objets divers, évadés d’un quotidien révolu, pour reposer ici leurs formes variées. Les porcelaines Qing (XVII°-XX° siècles) n’exercent pas la même séduction.

Au terme de la visite, surgit une déception : on ne verra pas les plus belles peintures de la Chine ancienne, les œuvres de la dynastie des Song (X°-XIII° siècles) : les salles qui les abritent sont fermées, victimes d’une humidité dommageable…

Aujourd’hui, le ciel est gris et chargé de pluie ; on évoque l’approche d’un typhon…

DRAGON D’OR

Le Grand Hôtel fût jadis édifié dans un style traditionnel pour accueillir les hôtes de Tchang Kai Tchek. Coiffant le bâtiment, le restaurant, dénommé Golden Dragon, offre une vue grandiose sur le fleuve, un pont élancé et une partie de la capitale. La grande salle, semée de piliers rouges, offre ses tables en cette heure propice au déjeuner : barbecue porc -canard, tofu, légumes variés, champignons et en guise de dessert, ce délectable tofu de lait d’amande.

HARMONIES

Le Chong Shan hall, construit par les occupants japonais, est un édifice classé. Au début de l’après-midi, « l’Orchestre chinois de Taipei » nous offre une audition. Sept femmes, vêtues de gris et de rose, interprètent une pièce « classique » jouée sur les instruments traditionnels : flûte, guitare en forme de lune ruan, luth pipa, orgue à bouche sheng, cithare guzheng et deux vièles erhu. Une femme offre, ensuite, un solo de cithare zheng, ancien instrument, ancêtre du guzheng, dont les beaux graves enchantent l’oreille. Suit un nouveau « classique », joué par l’orchestre ainsi composé : flûte, orgue à bouche sheng, clochettes, guitare en forme de lune ruan, « contrebasse », cithare qin, luth pipa, trois vièles erhu, deux violoncelles gehu et une vièle erhu soliste, soit treize musiciens. Enfin, une dernière pièce rassemble quatorze interprètes, dont six hautbois suona (l’un est un garçon issu de l’orchestre de jeunes, un autre un suona basse), trois flûtes traversières, un orgue à bouche sheng et un gros orgue à bouche sheng, cymbales et percussions de métal et de peau.

Cet ensemble « chinois de Taipei » est talentueux. Son répertoire recèle aussi des transcriptions de musique baroque de compositeurs tels que Vivaldi et Corelli, pour instruments chinois. Au cours de la saison prochaine, il collaborera avec divers invités, parmi lesquels le trio franco-iranien Chemirani.

PARLER – CHANTER

Au milieu de l’après-midi, une nouvelle rencontre se déroule dans une modeste maison, adossée au flanc d’une colline : on y découvre le shuo chan, style parler -chanter. Aveugle, madame Yang, âgée de soixante-quinze ans, s’est initiée à cet art avec sa sœur aînée, elle aussi aveugle. Son mari, quatre-vingts ans, est autodidacte et accompagne son épouse. La bouche de ce monsieur est dépourvue de dents et il semble accablé par les ans tandis qu’il déambule d’une démarche hésitante. Autrefois, tous deux jouaient et chantaient dans la rue et, monsieur se livrait également à la vente de médicaments.

Madame Yang parle -chante et, elle s’accompagne à la guitare en forme de lune,     instrument, le yue qin, tendu, en l’occurrence, de deux cordes. Monsieur joue du kong hen (er hsian en mandarin), un violon à deux cordes fait, dit-il, en bois de Taiwan et nanti d’une imposante caisse de résonance.

Aujourd’hui, madame est la seule interprète de ce répertoire parler – chanter.Elle a bien une disciple, reconnaît-elle, étudiante en musique et chanteuse d’opéra, mais celle-ci se cantonne à l’enseignement de cette expression musicale, un art en voie de disparition.

Madame Yang dit qu’elle est «  fatiguée » et affirme qu’elle n’a « pas une bonne voix ». Elle chantera une seule chanson, accompagnée par son mari : un chant de la dynastie des Song (X°-XIII° siècles). C’est l’histoire d’une mère, qui explique à son fils comment être un bon officier et se sacrifier pour la patrie. Un trésor !

Les Taiwanais dînent tôt. Peu après dix-huit heures, sushis arrosés de saké au Hi.
Dans le cadre d’une jolie maison de thé de style ancien, meublée de sièges qui ressemblent à ceux de l’époque Ming (XIV°-XVII° siècles), on déguste le thé en écoutant les sonorités du luth pipa.

Une femme, portant habits traditionnels, déroule le cérémonial du thé. Un rite ? C’est l’un des grands thés, au sens où l’on dit un grand vin, le thé Oolong, qui prospère dans la montagne. Il faut, d’abord, humer sa fragrance. Il infuse, ensuite, dans une eau de source, celle de Wu Lai. On respire, alors, son parfum, qui s’échappe d’une fine tasse de porcelaine blanche. On peut, maintenant, le déguster en sirotant à petites gorgées. La maîtresse de cérémonie procède à trois infusions successives et obtient un thé de plus en plus corsé.

Le cérémonial se répète à l’identique avec un autre thé, un Oolong fermenté, baptisé Oriental Beauty (Beauté Orientale). La nature de ce fameux thé évolue selon l’altitude à laquelle il croît. Il semble plus parfumé que le précédent, mais je ne suis pas un expert en matière de « beauté orientale »…

Madame Chung Yu Feng, jolie jeune femme brune, telle une fleur, éclaire de beau décor de maison de thé, tandis qu’elle  joue du pipa, ce luth tendu de quatre cordes. Elle interprète une « chanson douce » du répertoire traditionnel, l’une de ses compositions, inspirée de la tradition, ainsi que quatre pièces lardées de longs bavardages. La virtuosité qu’elle développe ne compense guère l’absence d’intériorité. Quant à la composition de son cru, elle ne convainc point. Pourquoi vouloir « moderniser » la tradition ? D’ailleurs qu’est-ce que la modernité, ce mot que l’on emploie à tort et à travers ?

Sun Son Theater / "Le Passage"
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Sun Son Theater
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Marché de nuit de Shilin
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Marché de nuit de Shilin
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Bus, marché de nuit de Shilin
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Orchestre chinois de Taipei, Er hu
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Orchestre de Taipei, Suona
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Shuo Chan, Madame Yang
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Shuo Chan, Madame et Monsieur Yang
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Petite fille de Madame et Monsieur Yang
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Monsieur Yang
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Petite fille de Madame et Monsieur Yang
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Un grand magasin de disque, Léo Ferré
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Un grand magasin de disque, Léo Ferré
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Taipei, la tour
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Taipei, maison de thé : dégustation de thé oolong
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Chung Yu Feng, Pipa
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Sang Poy, flûte nasale peinan
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Inka Mbing, tribu taya
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VENDREDI 5 OCTOBRE

TAIPEI

BANQUET

Ciel de cendres, le temps est maussade. On annonce, pour le lendemain, l’arrivée du cyclone qui s’est formé aux Philippines.

L’un des salons particuliers du Sheraton Taipei accueille le déjeuner avec le vice-ministre du Conseil national des Affaires culturelles, les hiérarques de cette institution, ainsi que diverses personnalités. C’est un de ces banquets dont les Chinois sont friands. Le menu de huit plats est somptueux et le vin de bon aloi. Surtout, le vice-ministre, d’origine hakka, chaleureux et sympathique, est un écrivain et un poète, auteur d’une trentaine d’ouvrages. Il écrit également pour la cinéma. C’est, par ailleurs, un bon connaisseur des cultures aborigènes.

LA VOIX DES AIGLES PEINAN

En début d’après-midi, on s’achemine vers le vaste et paisible parc Da An. Serait-ce celui qui sert de cadre aux « Garçons de cristal » ?* On ne sait. Ces jours-ci, il accueille le festival de Musique des migrations. La plupart des immigrés de l’île sont originaires d’Indonésie, des Philippines et du Vietnam. Dans une loge, Sang Poy, un aborigène peinan, répète. Il joue de la double flûte nasale, percée de six trous, et d’une autre, qui en compte trois, ainsi que d’une courte flûte de bambou et d’une guimbarde. Enfin, il souffle dans un flûtiau qui, dit-il, « imite la voix des aigles »…

*Roman de Bai Xianyong.

BERCEUSE TAYA

Dans la même loge, Inka Mbing se prépare. C’est une Taya (dans sa propre langue, on dit Atayani). Elle est originaire de Shin Chu, et partage sa vie entre cette localité, juchée dans les montagnes du centre nord du pays, et Taipei. Elle prodigue des cours de taya aux enfants aborigènes et pratique le collectage. Elle effectue également des traductions pour la télévision. C’est une belle jeune femme dont le visage est empreint d’une infinie douceur. Elle a appris son répertoire « auprès des personnes âgées », dit-elle. Elle précise que les mélodies taya diffèrent notablement de celles émanant des autres tribus. À ma demande, elle chante une berceuse, une douce et belle berceuse, et, à la fin dit : « mais vous allez vous endormir ! » À l’extérieur, le ciel est fâché : il pleut à torrent. Le cyclone approche… Que faire ? L’une d‘entre nous répond : « un tour au salon de massage ! »

PIEDS

C’est, en principe, un massage des pieds. Le client s’assoit au creux d’un confortable fauteuil, face à un large écran de télévision et les réjouissances commencent, en effet, par un bain de pieds bouillant dans l’eau d’un jacuzzi. Debout derrière « le patient », le masseur procède à un vigoureux massage de la nuque et du dos. Il n’est pas exclu de souffrir. Dans un second temps, on prend place dans les profondeurs d’un autre fauteuil, face à un autre écran de télévision. Le masseur s’assoit sur le prolongement du siège, appose une crème et masse longuement le pied gauche, ses orteils, sa voûte plantaire et gomme méticuleusement les peaux mortes. Il masse, ensuite, la face extérieure et intérieure du mollet et le genou. Puis, il se livre aux mêmes opérations à droite avec une fermeté inaltérée. Suivent quelques coups énergiques, portés au mollet gauche et droit, et un séchage efficace. La séance s’achève, ainsi, au terme de quarante-cinq minutes de soins. On en sort requinqué. Prêt à jouer au gourmand dans un sushi bar, plus populaire que celui, assez chic, de la veille : les « petits canapés vinaigrés » présentent des proportions dignes de Gargantua…

Les éléments se déchaînent. Il est l’heure de gagner l’aéroport : c’est vendredi et veille de cyclone, la circulation est bloquée dans les deux sens. Heureusement, le chauffeur est rusé et connaît les chemins de traverse. L’avion sera l’un des derniers à décoller dans la violence des éléments…