LIBYE

Libye ! Ce nom serait hérité de celui de la tribu des Libou ; elle peuplait la façade méditerranéenne au premier millénaire avant l’ère chrétienne. En 1911, les Italiens occupent la Tripolitaine, à l’ouest, et la Cyrénaïque, à l’est, provinces que sépare le golfe de Syrte, et baptisent du nom de Libye ce territoire. Celui-ci fait frontière commune avec six voisins : Tunisie, Algérie, Niger, Tchad, Soudan et Egypte. Cet environnement éclaire, peut-être, certaines déclarations du colonel Kadhafi :

« Je me suis endormi à côté de quatre millions de Libyens, je me suis réveillé à côté de quatre cents millions d’Africains. »

Ou encore :

« L’Afrique, ce n’est pas cinquante Etats. C’est une nation, un peuple, une culture, une économie, une défense et aucune frontière. »

La superficie du pays équivaut à trois fois celle de la France, soit 1 759 540 kilomètres carrés ; 93 % de sa surface est désertique. Il est, par son étendue, le troisième pays le plus vaste d’Afrique.

La Libye compte 5 700 000 habitants (2003) : 60% ont moins de 25 ans (2004) et 70% de la population est urbanisée. La façade méditerranéenne, longue de 177O kilomètres, accueille 90% de la population. L’espérance de vie ne dépasse pas, en moyenne, 65,7 ans. Le taux d’alphabétisation s’élève à 80%. En 2001, deux millions d’étrangers vivaient en Libye (Monde diplomatique). En 2003, le PNB par habitant atteignait 3685 dollars. Les principaux partenaires commerciaux du pays sont, par ordre d’importance décroissante, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Turquie et la France. En 2001, le 9/10° du pétrole libyen était exporté vers l’Europe. En 2003, 1 dinar libyen vaut 1,6 euro.

 

POUR L’HISTOIRE, QUELQUES REPERES

HIER…

• Au paléolithique inférieur, la présence humaine est attestée sur le territoire de l’actuelle Libye.

• VII° siècle avant J.C. : les Grecs s’établissent en Cyrénaïque.

• VI° siècle avant J.C. : les Phéniciens en Tripolitaine fondent les villes de Sabratha, Leptis Magna et Oea, future Tripoli.

• 67 avant J.C.: les Romains en Cyrénaïque.

• V° siècle : les Vandales occupent la Tripolitaine.

• VI° siècle : Byzance.

• 643 : entrée des Arabes en Libye.

• XI°-XVI° siècles : Libye médiévale : Normands, Tunisiens, Génois.

• XVI° siècle : début de la domination ottomane.

• 1840 : arrivée en Cyrénaïque de Mohamed Ali Es Senoussi, fondateur de la confrérie du même nom.

… AUJOURD’HUI

• 1911 : l’Italie occupe la Tripolitaine et la Cyrénaïque.

• 24 décembre 1950 (ou 1951, selon les sources) : le roi Idriss, chef de la confrérie des Senoussi, proclame l’indépendance d’un territoire qui se compose de trois provinces, Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan.

• 1956 : début de l’exploitation du pétrole. Jusqu’alors, l’agriculture assurait 70% des emplois.

• 1965 : la Libye premier producteur de pétrole d’Afrique.

• 31 août 1969 : prise du pouvoir par le Conseil de Commandement de la Révolution ; il prône une nouvelle idéologie: le développement technique et scientifique conjugué à certaines valeurs de l’islam ; celles-ci ne sont plus soumises au seul pouvoir d’interprétation des ulemas, les théologiens musulmans. Kadhafi a 27 ans.

• 2 mars 1977 : le Congrès Général du Peuple proclame la Jamahiriya (Etat des masses).

• 15 avril 1986 : raid américain sur Tripoli et Benghazi

• Décembre 1988 : attentat de Lockerbie (Ecosse).

• Septembre 1989 : attentat du Ténéré (Niger).

• 1992 : la Libye s’appelle désormais, officiellement, la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste.

• 1992 et 1993 : sanctions économiques votées par l’ONU.

• 10 mars 1997 : le nonce apostolique (ambassadeur de l’Etat du Vatican) se félicite de la « liberté religieuse dont jouit l’Eglise catholique en Libye ainsi que des facilités accordées au clergé. »

• 12 septembre 2003 : levée des sanctions par l’ONU.

• 2003 : libéralisation économique et plan de privatisation « ambitieux ».

• 2004 : « nette reprise de la coopération culturelle et économique » avec la France : un accord de coopération culturelle et scientifique est signé, à Paris, le 19 avril 2004.

• En novembre 2004, le salaire de base n’excède pas 150 dinars (94 euros) et le salaire moyen, 188 euros.

• 2004-2008, prévision : privatisation de 360 entreprises publiques.

ORGANISATION POLITIQUE :

• Congrès général du peuple : instance suprême ; elle réunit pouvoir législatif et exécutif.

• Comité populaire général : gouvernement.

• Secrétaire du Comité populaire général : ministre ; le secrétaire du Comité populaire général de la culture est le ministre de la culture.

• Secrétariat du Congrès général du peuple : parlement.

(D’après la documentation fournie par l’Ambassade de France en Libye, 2004)

 

Jeudi 10 février 2005, TRIPOLI

Tripoli, tri-polis, trois villes : Sabratha, Leptis Magna et Oea, devenue Tripoli.

Haut de cinq étages, l’hôtel Yosser, confortable et propre, est proche du centre et, c’est commode. Dans la soirée, le dîner libanais, au Al Nakhla (le palmier), est savoureux : mezze (houmous, caviar d’aubergine, etc.) et boulettes farcies, le tout copieusement arrosé… d’eau minérale ! Ici, on ne boit pas d’alcool, monsieur.

Il pleut, il vente et il fait frisquet mais, on regagne l’hôtel à pied. Malgré l’heure tardive, bientôt minuit, quelques boutiques sont encore ouvertes.

Tripoli, Place Verte, février 2005.
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Tripoli, Place Verte, février 2005.
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Tripoli, venelle près de la Place Verte.
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Tripoli, venelle près de la Place Verte.
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Tripoli, arc de Marc-Aurèle (163) adossé à la medina.
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Tripoli, mosquée.
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Tripoli, mosquée.
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Tripoli, un vendredi, jour férié de l’Islam.
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Tripoli, architectures.
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Tripoli, portraits du « guide » ; sur celui au centre de l’image : « fidèle guide, vous avez réalisé les espoirs de l’Afrique ».
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Tripoli, à travers la voûte de l’arc de Marc-Aurèle…
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Tripoli, mosquée.
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Tripoli, l’ombre de la nuit…
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Tripoli, port de pêche.
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Vendredi 11 février, TRIPOLI

Soleil et ciel bleu envahissent la matinée. Au faîte de l’hôtel, la salle du petit-déjeuner regarde le port. La collation est singulière : café soluble ou sachet de thé, croissants industriels, Vache qui rit et, yaourts pervertis par des colorants chimiques. Rien n’est local, rien n’est naturel.

En fin de matinée, un taxi file vers la Place Verte pour la modique somme de trois dinars. Le lieu conserve les traces de la récente visite du président Chirac : la tribune et les affiches (« une épopée du désert », etc.) demeurent. Cette place jouxte le bord de mer et livre l’accès à la medina. En ce vendredi, jour férié musulman, presque toutes les échoppes sont fermées, à l’exception toutefois de quelques modestes épiceries et autres marchands de primeurs. Devant un café, ouvert lui aussi, des hommes fument le narguilé. Ici ou là, chapiteaux et colonnes antiques ornent l’angle des ruelles. Celles-ci sont identifiables grâce à des plaques bilingues, libellées en lettres arabes et en caractères latins, d’ordinaire proscrits. La plupart des édifices est dégradée et le sol jonché de détritus. Les lieux sont sales. Il est patent que les revenus du pétrole ne financent pas la propreté urbaine. A quoi servent-ils et à qui ?

Adossé à la medina, l’arc de Marc-Aurèle (empereur romain, 121-180), érigé au II° siècle, s’élève aujourd’hui entre le minaret d’une mosquée et un autre de ces édifices religieux, plus modeste, qui fait face au port de pêche. Le monument suscite l’admiration. Mais voilà que le ciel s’obscurcit et vient la pluie. Je m’abrite et contemple la mer. Le port est vaste. Il s’étend du havre des pêcheurs au port de commerce hérissé de grues. Les incertitudes du temps m’incitent à rebrousser chemin : je marche le long de ce front de mer, planté de quelques tours, qui se perd dans le lointain de la ligne d’horizon.

Le déjeuner autorise une récidive au libanais : poulet braisé à la broche. Une demi-heure de patience et l’on mange froid puis, à force d’insister, tiède… Le temps ici n’est pas de l’argent et sa valeur est relative.

En ce début d’après-midi, espérant la clémence du ciel, on  se dirige à nouveau vers la Place Verte. En chemin, on s’attarde pour contempler ces ronds minarets coiffés d’un toit pointu, la grande mosquée toute blanche et ces panneaux consacrés au « guide »*. On admire encore l’arc de Marc-Aurèle, tout comme ces quatre messieurs en costume-cravate, descendus d’une voiture qui escortait  les pas lents du promeneur… On flâne ensuite au port de pêche : à bord de certaines embarcations s’affairent des marins comme dans tous les ports du monde. Ici, les bateaux exhibent le bleu de leur coque et une inscription en caractères arabes – sans doute leur nom- sur fond de couleurs vives. Un peu plus loin, flottent des barques ; de dimension plus modeste, elles sont nanties de lamparos. Ainsi appelle- t-on du côté de Collioure ces lampadaires marins. Là, émerge la carcasse d’un bateau coulé. Sur la promenade qui ourle la mer sèchent de longs filets. Le ciel sourit et le soleil réapparaît ; on rebrousse chemin : trottoirs défoncés et chaussée abimée ; on n’entretient guère et on ne nettoie pas. La notion de propreté urbaine est inconnue. Le crépi des immeubles, hauts de quatre étages, souvent, n’est plus qu’un souvenir. Quantité de balcons accueillent des paraboles et cette forêt – la accentue la laideur des édifices.

Dîner aussi léger qu’une auberge libanaise le permet : chorba, c’est une soupe, lentilles, houmous et caviar de courgettes. Thé pour étancher la soif : on le sait, tout alcool est proscrit.

*Ainsi nomme-t-on, le plus souvent, le colonel Kadhafi ; titre que lui-même revendique, dit-on.

 

Samedi 12 février, LEPTIS MAGNA

Ciel bleu, vent frais, conditions idéales pour une excursion à Leptis Magna, une incursion dans le passé. À la sortie de la capitale, arrêt essence : quarante litres au prix de cinq dinars, soit environ trois euros ! La vie est injuste… En ce milieu de matinée, la circulation demeure fluide, mais un peu plus tard cela se gâte. Située à environ cent vingt kilomètres à l’est de l’actuelle Tripoli, Leptis Magna fut la plus grande ville d’Afrique : dans l’antiquité, elle comptait cent mille habitants. Une métropole ! La route file tout droit au cœur d’un paysage vallonné, tapissé de champs d’oliviers, emblèmes de la végétation méditerranéenne, au sein de laquelle prospèrent également palmiers et figuiers de barbarie. À l’occasion, on aperçoit un troupeau de moutons qui pâture. Ici et là, sous les frondaisons des oliviers s’abritent des ruches. Au pied des eucalyptus, qui s’alignent le long des routes comme une théorie de sentinelles, on vend miel et oranges. L’élixir remplit pots et bidons transparents  de … cinq litres : un beau miel jaune orangé, tentation des gourmands à laquelle on ne peut résister. Bas- côtés et champs avoisinants sont jonchés de détritus. La campagne, comme la voierie urbaine, est un vaste dépotoir à ciel ouvert. Incivisme et impéritie font loi. De temps à autre, on aperçoit la mer… La route est sillonnée par de nombreux véhicules : camions, camionnettes et voitures particulières, «  le plus souvent de marque japonaise ou coréenne »,  commente le chauffeur. Les marques européennes (plus chères ?) ont moins de succès. Quelques policiers contrôlent les véhicules : la plaque minéralogique « corps diplomatique » dissuade les pandores de nous chercher noise… Voilà une camionnette chargée de chamelons… Au fil des cet itinéraire bucolique, on croise nombre de poids (très) lourds qui roulent dangereusement, sans doute, sous la protection d’Allah ou du « guide »…

Leptis Magna.
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Leptis Magna, le théâtre.
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Leptis Magna, chapiteau, ordre corinthien.
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Leptis Magna, colonnes, chapiteaux, ordre corinthien.
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Leptis Magna, gorgone sculptée en médaillon entre les arches du nouveau forum construit sous Septime Sévère (146-211).
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Leptis Magna, mosaïque.
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Leptis Magna, mosaïque.
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Avant midi, le site archéologique s’offre au visiteur : immense sous l’éclatante lumière du soleil ! Littoral propice à la navigation et terre fertile incitèrent les Phéniciens, soucieux d’assurer la sécurité des frontières face à l’expansion grecque, à s’établir en ces lieux. Et, au V° siècle avant jésus Christ, ils contribuèrent à leur prospérité. Après la défaite de Carthage (« Delenda Carthago » menaçaient les Romains), au II° siècle avant Jésus Christ, nous disent les historiens, la ville tombe sous la domination romaine. Ici, naît l’empereur Septime Sévère (146-211) qui règne sur Rome pendant dix-huit ans et assure à la ville une nouvelle prospérité.

Du haut de l’escalier qui prolonge l’entrée, la vue impressionne : une voie romaine, pavée d’épaisses et larges dalles, s’élance vers la mer et se glisse au passage sous un majestueux arc de triomphe sis à un carrefour. On flâne sous ce ciel d’azur en direction de la mer  bleue. Et au milieu de ces vestiges, on laisse vagabonder l’imagination pour ressusciter ces Romains, architectes infatigables, qui ont bâti, ici comme ailleurs, autour des quatre voies qui structurent la cité, forum, théâtres, temples, thermes et demeures… Tous ces édifices ont défié les siècles et résisté aux intempéries, froid sec de l’hiver, chaleurs humides de l’été.

Les Romains, dit-on, appréciait le confort. Au centre de la voie romaine, sous le dallage, court une canalisation d’eau. Ce chemin tout tracé guide la découverte du site. On admire d’abord le théâtre, objet d’une belle restauration puis, les colonnes d’un petit temple, plantées dans le sable, au bord de la mer : ses chapiteaux appartiennent à l’ordre corinthien mais quelques- uns, doriens, y dérogent. On parcourt, ensuite, le vaste forum d’Auguste, s’arrête devant une modeste « basilique » qui le jouxte, s’attarde au sein d’un large temple : les gorgones qui l’affublent ont pour vocation de protéger la cité des forces maléfiques, les portes sont ornées de motifs ciselés dans la pierre, sur les hautes colonnades sont sculptées des figures, probablement bachiques. On découvre ensuite des latrines publiques dont la disposition des sièges laisse le visiteur contemporain songeur. Mais la pudeur est une invention chrétienne… Une piscine à ciel ouvert voisine avec des thermes (caldarium). Bien d’autres vestiges suscitent l’intérêt…

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À Leptis la Grande, on  admire également fresques et mosaïques anciennes :

* C’est une fresque antique. Tons délicats et finesse d’exécution, elle captive le regard. Déesse ou hétaïre ? Front ceint de lauriers, yeux fermés, palme à la main, une femme offre son long corps dénudé dans le mouvement de quelque voile diaphane.

* Une mosaïque : dans ce clair-obscur de tons clairs et sombres, un visage et un buste juvéniles. Chevelure désordonnée ou tête couronnée ? On hésite ! Le regard est mutin. De l’épaule droite, tombe une toge.

À l’occasion, on croise l’inévitable groupe de Japonais, étendard au vent, quelques vieux Allemands, rescapés de l’Afrika Korps ? Une poignée d’Italiens, nostalgiques de l’empire colonial ? Le front du tourisme est calme et, pour l’heure, exempt d’hostilités.

Certaines stèles portent des inscriptions latines ; quelques-unes sont bilingues et s’expriment en latin et dialecte berbère ou bien, en latin et langue phénicienne. La ville fut, on l’a dit, initialement fondée par les Phéniciens afin, entre autres objectifs, de contrer l’expansion grecque.

Reste à explorer la dernière des quatre voies, celle qui enjambe l’arc de Marc-Aurèle, moins bien conservé que celui qui trône au premier carrefour. Une fois admiré ce vestige, on peut alors rebrousser chemin et vagabonder. Le site est jonché de mille pierres, colonnes brisées, chapiteaux divers, certains entreposés en un certain ordre, d’autres dans un désordre certain, la plupart sans doute demeure à recenser. Combien de siècles encore seront-ils nécessaires pour réaliser cet inventaire ? C’est à regret que l’on renonce à poursuivre, sous le soleil, cette longue promenade au cœur du passé qui stimule l’imagination et le rêve.

 
VILLA SELENE, MOSAÏQUES DU II° SIECLE :

* Au milieu des fleurs, une sorte de centaure nain, coiffé d’un casque et armé de flèches, affronte un crocodile tandis que s’éloigne un palmipède.

* Un puissant centaure s’agite, retenu par la main, posée sur son épaule gauche, d’une déesse dénudée qui semble se débarrasser de ses voiles. Diane ?

 
SABRATHA

À l’ouest de Tripoli, une terre fertile, une abondante pluviométrie et un port naturel ont incité les hommes, au début du premier millénaire, à s’établir en ces parages. Les Phéniciens en feront l’un des ports et des centres de leur commerce. Au V° siècle avant Jésus Christ, la ville tombe sous l’emprise de Carthage jusqu’à la défaite face aux Romains au II° siècle. La cité prospère dans le giron de Rome et connaît son apogée sous le règne d’Antonin (86-161, père adoptif de Marc-Aurèle). Au IV° siècle, troubles et guerres civiles mettent un terme à la stabilité romaine et, au V° siècle, Sabratha succombe à la suite des invasions, à l’hégémonie vandale qui se prolonge un siècle durant. La cité subit ensuite l’emprise des Byzantins jusqu’en 643, date de l’invasion des Arabes musulmans.

Des vestiges de l’antiquité romaine demeurent : places, temples, mausolées, thermes, habitations, fontaines… érigés au fil de vastes avenues qui divisent la cité en quatre parties. Un somptueux théâtre du II° siècle défie le temps…

Au gré des déambulations, on découvre vieilles pierres et mosaïques. Au centre de l’une d’entre elles, on admire un médaillon orné d’une tête de lion ; la mâchoire ouverte montre les dents et laisse imaginer qu’il rugit…

Le dîner se compose de lentilles et d’agneau, la viande commune des repas arabes.

 

Dimanche 13 février, TRIPOLI

Et toujours le soleil !

C’est en quittant l’hôtel que l’on découvre que je dois libérer la chambre jeudi, soit… la veille de mon départ. « Ici, c’est comme ça », remarque le directeur de l’Institut français. J’éclate ! Hier soir, me dit-on, la chambre réservée à l’intention d’un émissaire français dans un grand hôtel de la ville n’était pas disponible… Voici quelque temps, celle d’un illustre romancier français, pas davantage ! Si les autorités ou bien un groupe réservent, on vire le client individuel. C’est le royaume du Père Ubu !

Le Conseiller culturel de l’Ambassade de France accueillera prochainement, à la demande du gouvernement libyen, un représentant du Commissariat à l’énergie atomique mais, pour l’heure, il n’a guère d’interlocuteur.

-« Mais, pourquoi ? », ose naïvement le visiteur.

La réponse cingle :

-« Désorganisation et je m’en foutisme. »

Mais que fait donc le Père Ubu ?

L’ambassadeur en personne attend, paraît-il, depuis des semaines, un rendez-vous avec le nouveau ministre de la culture. Selon un diplomate, Tripoli a, dans les milieux diplomatiques, la réputation d’être le poste le plus difficile de la région, pire encore que Ryad en Arabie Saoudite. C’est dire !

Ce matin, rendez-vous au Conservatoire. Arrivé sur place, on apprendra que l’un des musiciens s’est rendu à… l’Institut français ! Décidemment, rien n’est simple dans ce pays.

En guise d’introduction, entretien officiel avec le directeur dans son bureau :

-« Quel est le but de votre visite ? » interroge-t-il. J’ai envie de lui répondre :

-« Le but de ma visite en Libye, c’est de vous rencontrer », mais je me retiens.

Il poursuit :

-« Vous êtes intéressé par la musique classique (malouf*) ou bien par la musique populaire (chaabi) ? »

Si j’osais, je lui répondrai que je préfère Mozart. Je me maîtrise et, il s’entête :

-« Et les groupes modernes ? »

Et « le Guide », pensai-je en mon for intérieur, il turlute ou bien il rappe ?

Et intarissable, ce directeur :

-« Quels musiciens arabes avez-vous invités ? »

Je déteste ce genre d’interrogatoire, mais sans doute mes réponses l’ont-elles satisfait car, il me promet sa collaboration. J’ai fort envie de le questionner à mon tour, j’hésite mais la raison l’emporte et je renonce. Mieux vaut se taire. Une pause- café turc précède un intermède musical : Ahmed A., ud et Kamel T., qanun interprètent quelques « échantillons » de chaabi et un extrait de malouf. Tous deux sont de bons musiciens.

Suit la visite du Conservatoire. On observe, en particulier, la salle d’analyse musicale (cent places), équipée d’un écran tactile dernier cri, en lieu et place du tableau noir, relié à un ordinateur. Coût, environ six mille euros. Il permet au professeur d’arrêter sur une lettre, un mot, une note, d’écrire et de dessiner sur l’écran… Un outil ultra-moderne. L’embargo n’est donc plus de saison ! On visite, ensuite, la salle de concert (200 fauteuils), réalisée-équipée par les élèves en fin d’études. En effet, le Conservatoire prépare aussi aux métiers techniques. L’équipement sera changé prochainement. On visite, enfin, un futur studio d’enregistrement et une salle dédiée à l’étude du piano où trônent deux pianos … désaccordés.

Le Conservatoire dispense à quarante élèves un enseignement musical qui associe tradition orale et tradition écrite. Le programme est structuré en semestres.

*Al ala au Maroc, gharnati à Tlemcen (Algérie), san’a à Alger et malouf à Tripoli, Tunis et Constantine, c’est la musique arabo-andalouse, la musique « classique » arabe, structurée en nûba, longues suites instrumentales et poétiques qui, au terme d’un prélude et d’une ouverture, se développent généralement en cinq mouvements.

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« Le guide ».
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Tripoli, centre-ville.
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Déjeuner rapide dans un petit restaurant moderne : salades et pizza, avant de déguster le café en  plein air, sous le soleil, face à la grande mosquée toute blanche, qui fut autrefois une cathédrale. Carte postale, des hommes sirotent leur café en fumant le narguilé tandis qu’un éphèbe fait le service.

En début d’après-midi, flânerie au fil des rues commerçantes, perpendiculaires au front de mer. Ces avenues arborées, dont la propreté des trottoirs  rappelle la Suisse, sont bordées d’immeubles crépis blanc et vert qui n’excèdent guère trois étages. Ici ou là, des arcades protègent du soleil et une placette s’ouvre à l’intérieur, un square planté d’arbres divers, dont des palmiers, prodigue une ombre bienvenue. Elégantes, les boutiques proposent au chaland vêtements et chaussures, bijoux et lunettes, fleurs et même, portraits du « guide »… Si l’on excepte ce dernier article, on dirait l’Italie.

Sur la place Verte, où toujours portent les pas du visiteur, balancelles et carrioles attelées, parées de couleurs vives, offrent leurs services aux promeneurs désireux de se faire tirer le portrait. L’arc de Marc-Aurèle et le port de pêche resplendissent sous le soleil.

On s’aventure au Musée National, toujours fermé, et à la Bibliothèque et Académie de la pensée jamahiriyenne (pensée que recèle le petit Livre Vert), ancien palais royal coiffé de trois coupoles en métal : une grande, centrale, flanquée d’une plus petite de chaque côté.

Régime potage lentilles et houmous au libanais pour le modeste prix de six dinars. Au retour, les rues sont encore animées mais point de mendiants ou de SDF. Des enfants jouent. Les commerces demeurent ouverts : dans ce secteur, ce sont essentiellement des petits magasins, bien entretenus, tels que papèteries, boutiques d’équipements électronique (en grand nombre) et de matériel de bureau, et, bien entendu, quelques petites épiceries… arabes !

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Tickets
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Carte du restaurant libanais Feyrouz
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Carte du restaurant ALNAKHLA
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Carte de l'hôtel Yosser
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Lundi 14 février, TRIPOLI- ZLITEN,

C’est une rencontre de qualité ! Elle se déroule, en fin de matinée, dans les locaux du Secrétariat du Comité populaire général de la culture, là où se trouve le bureau de Hassan Araibi, maître du malouf, et personnalité officielle. Il se tient à la porte de son bureau. C’est un homme de petite taille, à l’évidence d’un âge vénérable. Il est vêtu d’une djellaba noire, brodée, et coiffé d’un tarbouch de même couleur. À son invite, on prend place autour d’une table ; lui, s’assoit derrière son bureau. Il parle longuement ; au fur et à mesure, l’interprète de l’ambassade de France traduit. Le discours est officiel, protocole oblige, et donc, convenu et ciselé dans une pure langue de bois. Il est, dit-il, honoré de nous recevoir, la Grande Jamahiriya* s’emploie à renforcer sa collaboration avec les autres nations – et là, il cite « le guide ». Il évoque l’évolution des relations internationales, la visite du président Chirac, la colonisation française du Maghreb, qui a contribué à éduquer les peuples autochtones, tandis que la colonisation italienne n’a rien apporté. Enfin, il en vient à la musique libyenne (objet de notre présence), représentante de la culture de ce pays. Il célèbre les spécialistes de la musique et vilipende ceux qui, ignorants, s’en mêlent et lui portent préjudice, etc. Et pour conclure : «  tout visiteur est pour nous un  président. » En arabe, il dit raïs. Me voilà donc promu ! J’éprouve toujours quelque indulgence, voire une certaine pitié, à l’égard de ces artistes émérites qui, pour survivre,  sont contraints d’accepter le compromis avec le pouvoir, voire la compromission, quand ce n’est pas la soumission.

* Depuis 1992, la Libye se nomme officiellement « Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste ».

Hassan Araïbi, maître du malouf.
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Zliten, la mosquée.
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Zliten, la confrérie soufi Alasmarya.
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Le directeur de l’Institut français répond d’abord en termes diplomatiques, au nom de l’ambassade de France et des services culturels puis, il me cède la parole et je blablate à mon tour. Ou plutôt, en ce pays où les chameaux du désert blatèrent, je déblatère. Je m’applique donc. Une fois célébré les mérites de la coopération entre les nations, j’emprunte les voies de la musique…

L’homme écoute, attentif. À l’occasion, il prend des notes, plongé dans le désordre de son bureau. Il esquisse un sourire, allume une cigarette et, parfois, derrière ses lunettes aux montures d’écaille, son regard s’éclaire. Et puis, il parle à nouveau. Il a, dit-il, hérité le malouf de son grand-père, un sheikh tripolitain. Un apprentissage traditionnel donc. Il a ensuite étudié la musique au conservatoire de Tunis. À l’époque, l’enseignement y était probablement prodigué en français. Il entend donc notre langue, au moins quelque peu ; mais, pudeur ou habileté, il ne le dira pas. S’engage alors un dialogue relatif au malouf, cette musique « classique » arabe, et aux onze nûba conservées aujourd’hui sur les vingt-quatre du corpus initial. C’est, dit-il, le rythme et l’ornementation qui les distinguent de leurs sœurs tunisienne, algérienne et marocaine. Les maqamat (modes musicaux) sont identiques mais on ne saurait les confondre.

Hassan Araibi défend ensuite une conception nationaliste de la musique, respectant en cela les préceptes idéologiques du régime, vilipende l’illustre baron Erlanger et celui qu’il nomme son « complice tunisien », critique le congrès du Caire, tenu en 1932, et commente à l’envi l’incapacité du système musical occidental à servir la musique arabe… On disputera ensuite d’intervalles (effectivement essentiels dans la musique arabe), de quart de ton, de clé de sol et de sa sœur, la clé de fa… L’interprète ne s’amuse guère !

Un claquement de doigts, un mot à l’intention de l’un de ses collaborateurs et celui-ci s’éclipse. Il revient avec une pile de coffrets de cassettes : le maître offre à chacun ses enregistrements des onze nûba du malouf libyen. Précieux présent.

La conversation se poursuit. La formation que dirige Hassan Araibi compte au minimum trente musiciens et chanteurs. C’est beaucoup ! Lui-même joue du ûd. Muni d’une lettre d’invitation circonstanciée ( lieu, date, heure du concert, etc.), il peut solliciter une aide financière, pour contribuer aux frais de voyage, auprès du Secrétariat du Comité populaire général de la culture. Acceptons-en l’augure.

À son invite, on contemple les photographies, encadrées, de ses concerts autour du monde, dont une, en noir et blanc, prise à Tunis « en 1956-1957 ». Le maître n’est plus tout jeune, il a, sans doute, plus de soixante-dix ans.

À ma question :

-« Donnerez-vous un concert pendant mon séjour ? »

Il répond :

-« Il y a une répétition mercredi prochain, ici, à 18h30. Si vous voulez y assister, c’est possible.

Rendez-vous est donc pris. Nous prenons congé.

-« Je vous remercie, monsieur, de votre accueil et vous prie de transmettre mes respects à monsieur le Secrétaire du Comité populaire général de la culture.

-« Il est actuellement à Tunis mais, si il est rentré, il assistera à la répétition. »

En fait, il s’agit du notable que les représentants français n’arrivent guère à rencontrer. Vais-je leur ouvrir une porte ?

Ce long et fructueux entretien avec le maître de malouf s’est déroulé en trois temps et sur trois tons différents : officiel, technique et jovial. Ainsi, lorsque je lui ai précisé qu’il pourrait compter sur ma discrétion lors de la répétition car je savais que les chefs d’orchestre, comme les cuisiniers, n’aimaient pas que l’on se mêle de leur cuisine,  a-t-il franchement ri.

Le Feyrouz  est un autre restaurant libanais. Le garçon qui prend la commande parle haut. Excessivement. Il ne parle pas, il crie, ce qui semble être un usage local. Cela déplaît à l’interprète qui finit par se fâcher… L’assortiment de salades et de viandes apaise ce courroux…

Nous rencontrons ensuite un Libyen originaire de Zliten, ville située au-delà de Leptis Magna, à cent cinquante-cinq kilomètres à l’est de Tripoli*. Il connaît là-bas des soufis (membres de confréries mystiques) et voilà qui nous intéresse. En voiture donc !

*Tripoli compte un million trois cents mille habitants, Zliten, cent quatre vingt mille.
Le vent s’est levé, chargé du sable du désert ; il couvre de sa poussière grise les champs et les étales d’oranges et de miel dressés sur les bas-côtés de la route. Et même, au-delà de Leptis Magna, palmeraies et troupeaux de moutons.

En fin d’après-midi, dans la lumière encore éclatante du soleil, nous découvrons la superbe mosquée de Zliten. Edifiée sur le tombeau du saint, fondateur, au XV° siècle (1435), de la confrérie Al Asmarya, elle fut ensuite agrandie à plusieurs reprises. Elle jouxte écoles coraniques, salle de prière et université. Au sein de l’une des écoles, des jeunes garçons récitent à haute voix les versets du Coran inscrits sur un petit tableau individuel. Dans une salle voisine, la confrérie nous attend avec une provision de dattes, de pâtisseries et de jus de fruits. Ses membres, aujourd’hui, exercent diverses professions : employé, étudiant, fonctionnaire, médecin… Les onze adeptes que nous allons écouter portent une djellaba blanche et un gilet brodé de même couleur ; ils vont nus pieds : six chantent, les cinq autres jouent respectivement du ney (flute de roseau), du ûd (luth) et trois percussions, tar (tambour sur cadre), derbouka (tambour-gobelet) et bendir (tambour sur cadre).

Ils sont disposés en fer à cheval, face à des fleurs et à un  brûle parfum : cinq voix au fond, le ney et le ûd à gauche et les trois percussions, ainsi que la voix soliste, à droite. Le « répertoire » se compose de litanies d’invocations d’Allah. Ce sont des chants qui emportent l’âme aux confins de l’extase.

En fin d’après-midi, nous reprenons la route. Pause- café dans un établissement flambant neuf qui domine la montagne… La télévision diffuse des images de l’assassinat du Premier ministre libanais : un carnage !

 

Mardi 15 février, TRIPOLI

Ciel bleu, temps frais. Salle de l’Institut culturel français, rencontre et écoute de Assatidat Al Mahat, un ensemble fondé en 2002. Il réunit maîtres et disciples et participe ainsi à la transmission du patrimoine. Excellent violoniste, Mahmut enseigne la science des maqamat, Kamel, l’art du qanun (cithare) et le solfège arabe, le flutiste, celui du ney. Tahar, le percussionniste, est chanteur et la titulaire du ûd est diplômée du Conservatoire. Une jeune recrue chantera a cappella un chant empreint de tristesse, accompagné par le violon.

La formation compte quatre voix de femmes (dont l’une que l’on entend guère), un violon, un qanun, un ûd et une derbouka. Le ney est absent. Les musiciens jouent en lisant des partitions mais cette pratique n’est pas systématique. L’invocation du nom de Dieu précède, même tempo lent, washahat de style dit « andalou ». Ensuite, un instrumental développe, rythme rapide, le maqam rast. Tempo soutenu, une voix puis, le chœur interprètent un chant « ancien » de Tripoli, « vieux de plus de cinquante ans », précise-t-on :

« Qui pourrait se détourner de toi ?

Qui pourrait supporter ton absence ? »

Suit une belle chanson populaire tripolitaine, « Les yeux ouverts», sur le maqam bayati, spirituel et élégant, et le tempo s’accélère :

« Je n’arrive pas à dormir à cause de l’amour. »

Une chanson, empruntée au répertoire d’Oum Kalsoum, en précède une autre, l’un des fleurons du répertoire tripolitain ancien, « Fleur de jasmin », rythme rapide, interprété par une des voix sur le même maqam bayati. Un homme chante ensuite « la nuit est longue pour ceux qui souffrent », longue pièce, également ancienne, du répertoire chaabi (populaire) de Tripoli. Maqam jiharqa, la formation offre un extrait de malouf. Pour conclure, l’ensemble propose, avec le ney finalement arrivé, deux des quatre parties de l’œuvre, tel un concerto classique, d’un compositeur égyptien du début du XX° siècle. Un répertoire par trop éclectique.

En début d’après-midi, audition de Bachir El Malehi, joueur de ûd de l’orchestre national et titulaire d’un D.E.A. de musicologie obtenu à Lyon. Sur son ûd turc, il improvise un taqsim (ouverture) dans le maqam mawal, un autre court taqsim dans le maqam rast, puis une pièce fort belle dans le maqam ajam et, enfin, un dernier taqsim dans le maqam bayati.

En milieu d’après-midi, écoute de Gorji, Bustan Al Madehin( jardin des louanges) : un soliste, escorté de neuf voix masculines, dont l’une tient le tar et deux autres un bendir, interprètent des mwashahat, poèmes anciens. Ils invoquent les quatre-vingt-dix-neuf vocables de Dieu, entonnent qadria bismilah (« au nom de Dieu très clément »), soit quatre vers scandés par les rythmes des deux bendir et du tar, un extrait d’une nûba, brodé par dix voix, trois tar et une derbouka, sur le maqam hijaz, trois qasida (poèmes) interprétées respectivement dans les maqam hijaz, kurdi et bayati  et, enfin, Solamiya de Zliten, spécifiquement libyen.

Le soir, le dîner est organisé, en l’honneur du visiteur, à la résidence du Conseiller culturel de l’Ambassade de France. Les convives sont de qualité : le Consul général de France et madame, le Premier Conseiller et le Premier Secrétaire de la dite ambassade… Le menu est savoureux : champagne d’une grande maison, aumônière d’escargots, côtes d’agneau aux pruneaux, accompagnées de légumes, gâteau au chocolat, le tout arrosé d’un excellent Bordeaux. La conversation se développe autour de thèmes dignes d’intérêt. Tous ces diplomates arrivent au terme de leur mission et s’accordent pour dire que ce poste est le plus difficile de tous ceux où ils ont exercé leurs fonctions.

Le Conseiller culturel raconte qu’il a visité, ce matin, à la requête des autorités libyennes, la centrale nucléaire militaire avec les experts français du Commissariat à l’Energie Atomique (C.E.A.) : elle est bien entretenue, ont-ils constaté.

Le Premier Conseiller m’avise que la Libye n’a pas acquitté sa contribution à l’Institut du Monde Arabe (I.M.A.) depuis dix ans, soit, si on l’en croit, onze milliards d’euros. Le contentieux est pendant.

Le Premier Secrétaire évoque une situation à la chinoise en Libye : enrichissez-vous mais ne touchez pas au régime politique.

Chacun regrette l’absence de vie culturelle à Tripoli. On annonce un festival touareg fin décembre…

 

Mercredi 16 février, TRIPOLI

Au cours de l’après-midi, on écoute, en présence des autorités du quartier, Abou Meliana (ex Gneiss), ensemble qui interprète des compositions d’aujourd’hui, fort de seize à vingt-cinq membres : violons, ûd, qanun, ney, violoncelle, derbouka, tar, voix dont une soliste et un chef. Ils offrent d’abord une pièce instrumentale. Elle précède des mwashahat, composés à leur intention sur le maqam rast, puis une belle chanson ancienne, empruntée au malouf libyen et « modernisée » sur un tempo alerte. Epousant un rythme semblable, suivent une chanson libyenne ancienne et, enfin, un chant moderne, sans intérêt, qui sonne faux.

En fin d’après-midi, répétition, à Ain Zara, de l’orchestre de malouf de monsieur Hassan Araibi. Le nom officiel de la formation est : «  Orchestre du malouf et mwashahat et de la musique arabe », appellation certifiée conforme à l’idéologie officielle ! Il fut fondé en 1964. Composé uniquement de musiciens amateurs, c’est un orchestre volumineux : dix violons, plus un premier violon, deux violoncelles, une contrebasse, un qanun, un ney, cinq tar, une derbouka, quinze voix et un chef tenant le ûd, Hassan Araibi. Au cours de la répétition, il dirige au micro, derrière un bureau. Une image insolite. La première pièce oscille entre musique turque et musique arabe, la deuxième, avec voix, maqam bayir, tempo lent, est un malouf, la troisième, maqam husayn, également, dont le final accélère le tempo. Suit une qasida… On observe le réel plaisir que manifestent les voix de chanter ensemble. On écoutera encore trois malouf, trois mwashahat, une qasida, vers d’un poète tunisien, qui vivait voici mille ans, et musique de Hassan Araibi, puis, à nouveau, une pièce instrumentale. On joue aussi le malouf, nous dit-on, au sein des zaouia et des mosquées, mais alors vocalement, sans les instruments.

Certains musiciens libyens se préoccupent de ce qu’ils nomment « modernité ». Dans cette perspective, ils souhaitent lier la musique ancienne et celle d’aujourd’hui : ainsi s’exercent-ils à des tentatives polyphoniques et tentent une mise en commun des traditions arabes et occidentales afin, disent-ils, d’ajouter quelque chose, un nouvel apport susceptible d’enrichir leur musique, et non pas de l’occidentaliser. Ainsi ajoute-t-on une guitare, une basse, une batterie… L’objectif serait la musique sans frontières. Sans frontières ? Et donc, sans identité. Je réprouve ces mélanges improbables entre des langages musicaux qui reposent sur des codes différents et généralement incompatibles.

 

Jeudi 17 février, TRIPOLI-GHARYAN

Soleil et fraîcheur. Cap au nord-est, sur le djebel, la montagne… Gharyan se trouve à quatre-vingt-cinq kilomètres de Tripoli, via Azizia. On y découvre une habitation troglodyte qui s’ouvre sur un patio : ce type d’habitat protège du froid l’hiver et de la chaleur l’été. Elle accueillait jadis toute une famille : mari, femme et enfants dans une pièce et, frère, belle-sœur et leurs enfants dans une autre, l’âne dans une autre encore, etc. Les vieux, qui ne pouvaient plus ni descendre ni monter, habitaient une petite maison dans le jardin, à côté de l’entrée et des grosses jarres à eau et à huile. Mais aujourd’hui, on a abandonné ces cavités pour vivre dans des maisons.

Au cœur du patio, ils sont quatre, vêtus d’une longue robe plissée blanche, d’une large ceinture rouge et d’un gilet de couleur brodé ; ils sont coiffés d’une toque noire ou tête nue. Ils composent l’ensemble Abna Gharyan (les fils de Gharyan). Ils jouent de la zukra, une cornemuse faîte de deux cornes percées de trous et d’une poche en peau d’animal, et du denga, petit tambour frappé à l’aide d’une baguette. Les quatre hommes offrent quatre pièces. Ils jouent et chantent en dansant de gauche à droite, et à l’occasion, le joueur de zukra, entre autres, tourne sur lui-même. C’est un chant assez âpre, une musique répétitive qui ne connaît pas la pause. On la joue dans les mariages pour faire danser les invités. Ses interprètes l’ont apprise d’oreille, « dès l’enfance », disent-ils. L’un est économiste, l’autre électricien et les deux autres compères, musiciens, cornemuseux. C’est, affirment-ils, la musique du coin, le djebel, arabe.

Gharyan, entrée de l’habitat troglodyte.
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Gharyan, habitat troglodyte.
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Gharyan, l’Ensemble Abna Gharyan.
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Gharyan, l’Ensemble Abna Gharyan.
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Gharyan, l’Ensemble Abna Gharyan, de denga, une zukra et un denga.
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Gharyan, l’Ensemble Abna Gharyan, zukra.
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 Berbère ? » avance le visiteur.

-« Non, arabe. »

En fait, cette musique est assurément une musique berbère, mais dans la Grande Jamahyriya, seule existe la musique arabe ; les Berbères n’ont pas droit de cité.

Vers quinze heures, nous prenons le chemin du retour en suivant le tracé de l’ancienne route. Plus sinueuse que la nouvelle, elle permet de dominer le paysage de basses montagnes que la végétation tend à délaisser. On admire ce panorama sauvage et beau.

Halte au pied de la montagne et café dans la lumière du soleil. L’accompagnateur s’empare de son ûd et chante… Ensuite, on retrouve la route à quatre voies qui, à travers la plaine côtière, conduit à Tripoli. Une bande de sable divise l’asphalte ; elle est plantée de palmiers et offre le dessin de ces plis modelés par le vent. Des champs d’oliviers et d’orangers bordent la chaussée. Des troupeaux de moutons paissent à l’ombre des frondaisons. Le paysage est bucolique.

À l’heure du bilan, tout milite en faveur d’une invitation à Paris de l’ensemble de malouf de Hassan Araibi. Dernière conversation avec les officiels français pour leur faire part de mon choix et recueillir encore quelques informations au sujet de ce pays qu’ils connaissent bien. Ainsi apprend-t-on que 70 à 80% des enfants vont à l’école ; c’est la population âgée qui est victime de l’analphabétisme. On souligne par ailleurs que, comparées à celles d’Arabie saoudite, les infrastructures laissent à désirer. On s’interroge sur l’utilisation de la rente du pétrole ! Désorganisation et je m’en foutisme sont, dit-on, deux des maux du pays.

Le taxi file à travers la ville moderne : les hauts immeubles blancs du front de mer, les larges voies, l’échangeur, le fort musée, l’hôtel Kebir, défilent… Je rejoins un ami qui, malgré mes protestations, m’invite au restaurant qui jouxte l’arc de Marc-Aurèle. Il a réservé à l’étage « la » table qui livre la vue la plus belle sur le monument inondé de lumière. Dans ce décor de théâtre, nous dégustons avec gourmandise un large assortiment de salades, un mechoui de côtelettes d’agneau, poulet et merguez, arrosés de bière sans alcool et de thé à la menthe.

En ce pays, soumis à un régime autoritaire et aux valeurs de l’islam, une église, à Tripoli, pratique le culte catholique, les portraits du « guide » ne sont pas aussi nombreux que ceux du roi au Maroc et les citoyens rencontrés ne semblent guère souffrir de la pauvreté. On n’entend point ici souffler le vent du peuple.

Tripoli, carriole, sur la Place Verte.
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Tripoli, joueur de ûd, le luth arabe.
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Tripoli, port de pêche.
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Tripoli, port de pêche.
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LIEN :
• Sur la musique malouf, voir l’article de Christian Poché pour le Théâtre de la Ville.

BIBLIOGRAPHIE :
« La Libye », François Burgat / André Laronde, Que sais-je ? puf, avril 2003.
« Le Livre Vert », Moammar El Kadhafi, Le Centre Mondial d’Etudes et de Recherches sur le Livre Vert, Tripoli, Jamahiriya, 3ème Ed. 1999.

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Timbres : La foire internationale de Tripoli
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