À LUANDA, ANGOLA

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Luanda, du 22 Avril au 1er Mai 2009

Chers Amis,

« L’attente n’excède jamais la patience », dit-on en Afrique. Luanda, souvent, fait mentir cet adage. L’attente est l’écume des jours. Elle ronge la patience. Dès le matin, la ville est paralysée ; elle souffre d’une thrombose de la circulation automobile qui se prolonge jusqu’à l’heure à laquelle, au cœur des forêts d’Afrique, les singes vont boire. Accablé par la chaleur, le chaland s’abandonne à  une sorte de torpeur qui dissout son impatience. Mais, la vie quotidienne est rude pour le citadin soumis à de multiples vicissitudes. Ainsi doit-il jongler avec les rares transports en commun ignorant les horaires ou bien s’engluer dans ces interminables queues qui s’allongent auprès des pompes à essence en ce pays producteur de pétrole. Réalité paradoxale. Et cruelle : on vit en moyenne jusqu’à quarante-deux ans et un enfant sur quatre meurt. La vie est  donc courte.

 

PREMIERE JOURNEE : UNE VIE COMME UN ROMAN

On rencontre d’abord les dames de l’Alliance Française : elles seront le nécessaire relais local. On y retrouve ensuite José KAFALA, que nous invitâmes jadis à Limoges. Sa vie, émaillée de mille péripéties dramatiques, comme celle de nombre de ses compatriotes, est un roman. Il se prête à l’audition : on l’écoute chanter en solo s’accompagnant à la guitare dans la froideur d’une salle de classe. Chaude et joliment timbrée, sa voix magnifie les sonorités de la langue portugaise comme celles du kimbundu, idiome parlé sur le territoire d’une bande centrale qui traverse le pays d’ouest en est. Les paroles évoquent la nature et les caresses du vent ou bien la faim (« Nzala ») : « le ventre est ingrat qui jamais n’est  reconnaissant quand bien même on vole pour le satisfaire ».

Le soir, l’ancien Théâtre National distille le charme désuet d’un délabrement tropical. Il accueille la célébration des « 30 ans de chansons » de Filipe MUKENGA et de son compère Filipe ZAU : absence d’originalité et présence de l’ennui.

 

DEUXIEME JOURNEE : BIDONVILLE

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Près de la « citadela desportiva », c’est à dire du stade, s’étend le « mussegue Marçal », le bidonville Marçal, un quartier populaire et pauvre (on excusera le pléonasme). C’est un lacis de venelles jonchées de détritus et constellées de flaques d‘eau. Quelques masures cernent une petite cour. Suspendu à un fil comme un pavois, le linge sèche. Des hommes et des femmes sont assis, des enfants à demi nus jouent, une petite fille dessine…La misère est éloquente. Debout, se tiennent cinq garçons. Ils composent l’ensemble N’GWAMI MAKA. Ce nom, en kimbundu, signifie « nous ne voulons pas de problème ». Audacieuse ambition dans un pays qui en est prodigue.

Fondé en 2002, le groupe perpétue la tradition kimbundu poursuivant ainsi l’œuvre de l’ensemble aîné KITUXI. Âgés de vingt-quatre à trente et un ans, ils sont tous natifs de Luanda. Ils chantent et jouent de ces instruments dont les noms déjà sonnent comme une promesse de poésie : « hungu », c’est un arc musical, « mukindu » ou « bate bate », percussion frappée par une baguette, tenue dans la main droite, et trois dés à coudre, enfilés à autant de doigts de la main gauche, « puita », baptisée « cuica » au Brésil, « dikanza », c’est le reco-reco et « n’gona », le tambour. La demi-douzaine de thèmes empruntés à la tradition séduit l’auditeur et le dernier réjouit les enfants et les entraîne dans la danse.

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Le soir, à Ilha, la lagune qui protège la baie de Luanda, on croisera Rui MINGAS, musicien illustre et ancien ministre.

 

TROISIEME JOURNEE : PRESIDENTIELLE

La nuit est douce  dans les jardins de cette ancienne résidence présidentielle éloignée du centre de la ville. Elle accueille la clôture du congrès « Marcas de Angola », en présence du Président. Pour l’occasion, une brochette de chanteurs de la jeune génération a été sollicitée pour adapter vingt-neuf thèmes des années soixante-dix ! Une gageure ! Le résultat est mitigé. Forcément mitigé.

 

QUATRIEME JOURNEE : UN DIMANCHE À LUANDA

Bref séjour au sein de l’une des deux cliniques de Luanda : accueil méthodique et soins efficaces. Repos dominical imposé par la Faculté. Demain, il sera temps de lui désobéir…

 

CINQUIEME JOURNEE : COMBATENTES

Ecoute de disques récents issus de la production angolaise.

En fin d’après-midi, on s’achemine vers la rue des Combatentes, là où demeure le père de Paulo FLORES. C’est dans le décor de cet appartement style années soixante, où il a vécu, qu’il a imaginé et construit son dernier disque : un triple CD intitulé « Ex Combatentes ».Chacun des trois thèmes retenus –« Viagem », « Sembas » et « Ilhas »- réunit neuf chansons. L’ensemble en compte donc vingt-neuf, enregistrées à Luanda, Lisbonne et Rio de Janeiro. Paulo Flores est l’une des célébrités de la musique angolaise. En une séance de dédicace, à Luanda, un dimanche, de quinze à vingt heures, il a vendu deux mille exemplaires de ce disque à quarante dollars pièce !

Paulo Flores chante d’une voix légèrement voilée des paroles inspirées qui voguent sur des musiques inventives, pétries de sonorités inouïes.

On l’a entendu à Paris, en compagnie d’autres artistes, en 2001, ainsi qu’en 2006, en première partie de Frédéric Galliano.

Plus tard, au cours de la soirée, sous le toit de chaume de Cha da Caxinde, comme chaque lundi en ce lieu, on écoute la BANDA MARAVILHA, un orchestre mythique, fondé en 1995 et composé de six musiciens (claviers, batterie, percussions, deux guitares et une guitare basse). Il accompagne par ailleurs nombre de chanteurs prestigieux. Ce soir, il interprète le répertoire local mais, la sonorisation interdit toute écoute : « E o som da casa », dit le technicien… Ah bon ! Alors tant pis.

 

SIXIEME JOURNEE : BABEL ANGOLAIS

Après une escale dans une boutique de disques, on roule sous la chaleur accablante à travers ces rues sales et percées de fondrières, bordées d’édifices de la modernité portugaise des années soixante et soixante-dix. De nombreux immeubles sont en construction ; certains inachevés sont déjà habités et du linge sèche au cadre des fenêtres. Luanda est un vaste chantier.

Le studio MAIANGA, émanation du Parti Communiste brésilien, était à l’origine chargé de promouvoir la candidature du Président lors de la campagne électorale de 1992. Aujourd’hui, il demeure et œuvre dans le domaine de la publicité. On y rencontre deux chanteurs :WIZA, technicien du son du studio et Gabriel TCHIEMA, technicien des télécommunications. La vie des artistes est précaire et peu vivent de leur art : tout au plus, une vingtaine dans l’ensemble du pays. Le droit d’auteur, longtemps une chimère, commence à être reconnu par la radio et la télévision.

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Wiza, trente-trois ans, est bakongo (nord). Il chante essentiellement en kikongo d’une voix suave lestée d‘accents rauques du meilleur effet. Inventif, il s’inspire du patrimoine. Il a, à ce jour, enregistré trois disques.

Gabriel Tchiema, quarante ans, chante en tchokwe (sud-est). Il puise dans ses compositions à la source de la tradition et de ses rythmes de danses.

Après écoute, on évoque l’un des amis de Gabriel, Mito GASPAR, cinquante ans, entendu jadis, « pionnier » qui a ouvert la voie en chantant en kimbundu. Depuis l’indépendance, la langue officielle est le portugais ; cependant, divers idiomes ont survécu. Une loi de 2007 en organise l’apprentissage et la préservation. Certaines écoles les enseignent désormais. Toutes sont des langues bantou et partagent certains éléments de vocabulaire, sauf le parler des Bushmen au sud du pays. Contrairement au Cap Vert, l’Angola n’a pas développé un langage créole.

En fin d’après-midi, au Cha da Caxinde, rencontre avec l’un des membres du duo CANHOTO (les duettistes sont tous deux gauchers) puis, audition de trois artistes de la nouvelle génération : ISAU, guitare et voix, vingt-quatre ans, encore un peu « vert » artistiquement, Sandra CORDEIRO, la vingtaine également, dotée d’une voix puissante et expressive, affirme sur scène une belle présence et, enfin, TOTO, moins de trente ans, guitare et voix ductile (escorté de cinq musiciens) offre, en portugais et, à l’occasion, en anglais l’évocation de sujets variés.

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Le soir, au « Bahia », restaurant « chic », comme chaque mardi, soirée poétique : guitare, percussions et voix. La salle est comble, le public jeune et enthousiaste. La parole poétique nourrit les consciences. Agostinho NETO, le premier chef de l’Etat angolais, était aussi un poète.

 

SEPTIEME JOURNEE :  «  TOUT CONTROLER, SINON INTERDIRE »

Rencontre instructive avec une fonctionnaire de l’Union Européenne et un représentant de l’Agence Française de Développement : conversation relative au contexte politique du pays.

L’élection présidentielle de 1992 n’est pas allée au-delà du premier tour : la guerre civile a repris entre les deux tours et s’est prolongée jusqu’en 2002. Des élections législatives se sont déroulées depuis en respectant une certaine régularité : elles ont donné la victoire au MPLA. Une réforme de la Constitution est évoquée ; elle précèderait une éventuelle élection présidentielle.

L’élite est cultivée ; c’est avec elle qu’il faut parler, dit-on. La liberté d’expression est-elle absolue ? Elle existe : « ici, on ne tombe pas dans l’escalier ». Les éléments les plus critiques se trouvent au sein du parti mais sa structure « stalinienne » , assure-t-on, ne favorise point l’évolution… La censure n’est guère nécessaire car, l’autocensure règne. Une autre personnalité française énoncera un principe radical de philosophie politique, à son avis, en vigueur au sommet de l’Etat : « tout contrôler, sinon interdire ». C’est selon.

L’après-midi, répétition de la BANDA MARAVILHA dans son studio situé près du port. Elle réunit, depuis plusieurs années, les six musiciens de l’orchestre, chaque jour, de 15 à18 heures. Demain, ils joueront à l’occasion d’un mariage. Malgré les difficultés du quotidien, des êtres s’imposent rigueur et assiduité dans leur travail.

Le soir, longue, fort longue, conversation avec le manager de Paulo FLORES.

 

HUITIEME JOURNEE : DIPLOMATIE

L’ambassadeur de France reçoit son compatriote en présence du Conseiller Culturel. Bref compte-rendu de mission et échange relatif à la nécessité de trouver divers partenaires pour inviter des artistes angolais en France.

Informations et conseils précieux prodigués par les deux diplomates : entre autres, évocation de la Fondation France-Angola annoncée lors de la visite du Président français : sa création est conditionnée à une visite en France du Président  angolais. Autant dire qu’elle verra le jour aux calendes grecques…

L’entrevue qui suit avec le consul est encourageante : « l’Angola n’est pas une zone de risque migratoire ». Si les conditions requises sont satisfaites, il n’y a aucune raison que les visas soient refusés.

Au cours de cette folle semaine, j’ai rencontré et écouté une douzaine d’artistes ainsi qu’une bonne douzaine de disques.

On imagine un concert de Paulo FLORES, l’un des chanteurs les plus talentueux d’Angola. Une première partie pourrait présenter les cinq musiciens de l’ensemble N’GWAMI MAKA.

Ou bien encore un concert réunissant WIZA, Gabriel TCHIEMA et Mito GASPAR, trois artistes appartenant à trois générations différentes, originaires de trois régions et s’exprimant respectivement en kikongo, tchokwe et kimbundu, à condition qu’ils partagent les mêmes musiciens. Une belle image de la diversité culturelle de l’Angola.

Un projet ambitieux qui réclame une longue… patience !