LETTRE DE BRETAGNE

Belle-Île en Mer

Belle-Île en Mer


De Bretagne, ce 1er janvier 1999

Mon cher B.

Les absents ont toujours tort. Ils ont tort d’être absents, car ils nous manquent. Privés de leur présence et de leur parole, nous voilà bien dépourvus, voire appauvris. On pense à eux souvent. On aimerait échanger avec eux quelques idées ou quelques propos, partager un plaisir, une joie ou une peine, recueillir leur avis, repeindre le monde aux couleurs du rêve, se souvenir et évoquer encore ces riches journées vécues à La Rochelle et à Paris… Manger, boire, rire et pleurer peut-être, dans cette unique et féconde convivialité aujourd’hui disparue. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », n’est-ce pas ? Regrets, donc tristesse.

On pense à eux et lâchement on les imagine heureux, portés par les vents de leurs rêves et giflés par les embruns de l’aventure, lavés ainsi de toute nostalgie. Et on les aime d’avoir osé, quand tout aurait pu être si facile, confortable et conforme, cabosser la réalité et ouvrir les fenêtres de l’imaginaire. On les aime et on les admire.

On pense à eux, et on aimerait savoir. Sur quelle mer voguent-ils ? Sur quelle terre ont-ils mis le cap ? Quelle quête féconde leurs pérégrinations ? Quelles rencontres balisent leur itinéraire ? Que ne partagent-ils leurs élans, leurs trésors, leur intimité, comme jadis, ces trop discrets égoïstes ? Depuis ce bienvenu message d’Erythrée, concis, précis et tendre, plus rien. C’est le silence. L’attente ! On guette le facteur… On le maudit !

On pense à eux à l’occasion d’une éclatante exposition Gauguin, l’été passé, à Martigny (Suisse), d’un périple au Chili ou bien d’une lecture, ce roman de Monique Agenor, « Comme un vol de papangue » (Le Serpent à plumes), qui mêle français et créole et évoque les thèmes du colonialisme et de l’identité à Madagascar et à La Réunion… On pense à eux, mais pensent-ils encore à nous ?

On pense à eux et on se souvient de leur dernière « escapade », qui se prolongea… cinq ans ! On se réjouit pour eux, mais on aimerait tant les retrouver ! Dis B., cher B., quand reviendras-tu ? Le sais-tu ?

Les absents ont toujours tort. Tort d’être absents ; ils nous manquent et on prend conscience qu’on les aime encore plus qu’on ne le pensait. Sans eux, la vie est un peu fade. C’est à cette vie d’ailleurs qu’eux-mêmes ont renoncé pour partir, sans doute, en quête d’un autre bonheur. Tant mieux pour eux, tant pis pour nous !

Bien à toi, avec toute mon affection.