AJACCIO

MAI 1993

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J’ai quitté Paris l’amour dans l’âme pour cette île, sertie dans le bleu de la mer, qui gît sous l’azur du ciel méditerranéen.

J’ai toujours aimé les îles : elles ont su conserver leur identité sans pour autant récuser systématiquement les influences extérieures.

Pour ces mêmes raisons, j’aime aussi les insulaires : chacun d’entre eux est une île. L’abord est difficile. Il faut du temps pour y accoster. Et c’est bien ainsi.

Vue de la mer, la Corse ressemble à un géant étendu sur l’onde dont les formes généreuses susciteraient la convoitise… En effet, cette île est belle, sensuelle et tourmentée comme un amour naissant.

Du haut de ses villages de pierre, juchés sur les sommets, on contemple la mer à l’infini. Ici où là, le damier d’une plaine verdoyante sépare la montagne et les flots. Un seul regard embrasse toute la nature !

Ajaccio.
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Ajaccio.
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Les rues d’Ajaccio sont bordées de palmiers, de pins et de chênes qui, comme des sentinelles, montent la garde. Les oiseaux qui s’y ébattent chantent à plein gosier. Dans les jardins qui entourent les villas du cours Grandval, édifiées jadis par des anglais nantis, des glycines mauves exhalent un parfum capiteux…

Hier, assis au bord de l’eau, j’ai savouré des pâtisseries en regardant la mer et les montagnes qu’enveloppait un léger voile de brume. Immobile et désoeuvré, j’ai laissé fuir le temps avec volupté.

Le regard perdu vers l’au-delà, de vieux corses, dans l’attente d’un improbable destin, conversaient – en corse – comme jadis les anciens Romains sur le forum. Autour d’une fontaine, des femmes vêtues de deuil échangeaient les derniers potins domestiques tandis que, dans la rue étroite, leur bruyante progéniture jouait à la guerre. Et le verbe se faisait rumeur…

Des adolescents aux yeux de braise s’ennuyaient comme souvent s’ennuient ceux de cet âge.

Sur le quai, un marin nostalgique regardait sécher des filets. Des barques multicolores regagnaient le port…

Scènes quotidiennes qui se perpétuent, depuis l’Antiquité, sur les rives de la Méditerranée et témoignent de la pérennité des comportements humains.

Pourtant, les temps changent : sur la plage, le troisième âge s’initie aux plaisirs balnéaires.

Sur la route qui ourle la baie, des motos pétaradent frénétiquement… Anachronismes dans ce paysage de commencement du monde.

Voyageur sans bagages, j’ai erré dans les rues de la ville pour en découvrir les arcanes. C’est ainsi que j’aime apprivoiser les villes que je ne connais pas.

J’ai déambulé sous le soleil, bercé par le chant des oiseaux, enivré par les senteurs des fleurs. Les immeubles cossus, de style italien, avaient, pour se protéger du soleil, baissé leurs paupières. Des chalands allaient et venaient…

Le hasard de mes pas m’a conduit vers le musée Fesch. Le cardinal, oncle maternel de Napoléon, avait, à mon avis, assez mauvais goût. Cependant, la collection de primitifs italiens qu’il a rassemblée incite à lui pardonner ses errements esthétiques : les œuvres de Niccolo di Tomaso, Giovanni Boccati, Giovanni Bellini et Sandro Botticelli ont réjoui mes sens et comblé mon âme. Sans doute aurais-tu apprécié ces visages purs et gracieux de vierges florentines et vénitiennes, leurs regards lumineux et le subtil enchevêtrement de leurs mains et de celles de leur enfant. Et les ors ! Et les vermillons ! Et les outremers ! Quelle splendeur !

En ce même lieu, j’ai ensuite cédé aux sirènes… napoléoniennes ! Sans transition hélas ! Cette ville baigne dans la légende de celui qui fut « par la grâce de Dieu et par la constitution impériale, Empereur des Français. »

Les plaques de rues elles aussi rappellent au visiteur les patronymes des « héros » de l’épopée napoléonienne : Premier Consul, Napoléon, Roi Jérôme, Lucien Bonaparte, Roi de Rome, Prince Impérial… Tous ces noms donc contribuent à entretenir le culte de ce grand fauve de l’Histoire.

Au terme d’un médiocre dîner, j’ai gagné la citadelle dont les fortifications dominent la mer. A deux pas de là, sous les voûtes de Saint Erasme, l’église des marins, les quatre chanteurs du groupe Cinqui So répétaient. Leurs voix m’ont offert ces polyphonies, corses, sacrées et profanes, dont la beauté me bouleverse. Privilège, j’étais seul : un concert égoïste en quelque sorte !

Peu avant minuit, j’ai pris congé. La lune rousse éclairait la mer et colorait les murailles de la citadelle. J’ai couru sous la lune pour rejoindre ta voix…

Aujourd’hui, soleil éclatant. Le bateau vogue, sur cette mer inerte, vers les îles Sanguinaires. J’aime ce nom.

Sanguinaires parce que, autrefois, il y avait sur l’île, dit-on, un lazaret et qu’en langue corse « lépreux » se dit « sanguinari ». Plus romantique, les feux du soleil couchant baigneraient les îles d’une couleur rouge sang.

La plus vaste de ces petites îles est dotée d’un phare situé à son sommet. Comme un point sur un i. Sauvage comme un paysage d’Irlande, cette île déserte est un promontoire escarpé. J’en ai gravi la pente par un chemin rocailleux et pulvérulent. Jusqu’au phare. A travers la garrigue, les narcisses, les cytises… Les lézards y pullulent. Les goélands et les cormorans y ont installé leurs pénates. Leurs cris assourdissants rythment la marche du promeneur. J’ai respiré à plein poumons l’air vif venu du large et admiré la beauté du monde.

Corse, balade en mer : vues maritimes.
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Corse, balade en mer : les îles Sanguinaires.
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Corse, balade en mer : les îles Sanguinaires.
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Corse, balade en mer : vues maritimes.
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Au retour, j’ai constaté les atteintes à cette beauté dont l’homme est coutumier : sur la côte en effet, à flanc de montagne, les tours se dressent comme des plantes grimpantes. Paysage défiguré. Hideux.

Plus loin, à l’ombre des arbres, la résidence de feu Tino Rossi. Les corses prononcent « Rosse », se contentant d’esquisser le i.

Et ce cimetière marin, aux tombes coiffées de toits rouges, qui vient mourir dans l’eau…

Enfin, Ajaccio, fondée en 1492, l’année où Colomb découvrait l’Amérique…