Dit à la radio,
Chroniques chinoises
France Musique

Au sein de l’émission « Kiosque », animée par Philippe Caloni

 
Le 10 septembre 1979

1- INTRODUCTION : À CHACUN SA CHINE !

a/ Francis Lemarque : « Mon copain de Pékin »

Je dois d’abord situer le cadre de ce périple et indiquer ainsi les limites de mes propos futurs.

J’ai participé à un voyage spécial et semi- professionnel de « l’Association des Amitiés Franco- Chinoises » réunissant une vingtaine de personnes appartenant toutes au milieu du spectacle : producteur, agent, directeur de café- théâtre, journalistes, artistes accompagnés de leurs épouses : les comédiens Bernard Haller et Philippe Avron, les mimes suisses Mummen Schanz (Théâtre de la Ville), la dessinatrice Claire Bretécher, auteur des fameux « Frustrés » et le chanteur Francis Lemarque, qui avait déjà effectué un premier voyage en Chine en 1954. Nous étions donc, comme le disait à juste titre l’un des Mummen Schanz, « une collection d’individualistes essayant de vivre en communauté pendant trois semaines »… Une gageure !

b/ « Le printemps », pièce de musique classique chinoise (3’10).

Je présume que chacun d’entre nous n’a sans doute pas vu exactement la même Chine à travers le prisme déformant de sa propre subjectivité : nous n’avions peut-être pas tout à fait les mêmes centres d’intérêt et nous n’avons pas toujours non plus observé les mêmes choses ni rencontré les mêmes personnes. Mais, après tout, les sinologues n’ont-ils pas chacun leur Chine ?

Pour ma part, je ne suis ni sinologue ni même « spécialiste » de la Chine. Simplement, je m’intéresse depuis quelques années au processus, qui se développe depuis trente ans dans ce pays de 970 millions d’habitants qui, bien avant la proclamation de la République Populaire, avait donné naissance à une riche civilisation. Et, c’est, entre autres, par rapport à son passé que l’on peut tenter de comprendre la Chine contemporaine.

Je viens d’y passer trois courtes semaines qui pour chargées qu’elles furent ne semblent pas m’autoriser à des conclusions définitives et péremptoires.

A part quelques constantes que je révélerai ultérieurement, je me bornerai à constater des faits, à décrire des situations et à faire part d’observations, d’impressions, de sensations et d’émotions personnelles. J’ai choisi d’éviter de parler des Chinois en général et abstraitement – et si j’y déroge ce sera par mégarde – pour me cantonner dans les domaines de la vie quotidienne et du spectacle. En effet, au cours de cet itinéraire, qui nous a conduit de Pékin à Canton en passant par Nankin, Chenchiang, Shanghai, Hangzhou et les Monts Lu Shan, (soit la partie est et Sud-est de la chine), nous avons assisté à six opéras chinois, trois pièces de théâtre, une soirée de chants et danses, deux spectacles d’acrobatie et quelques dîners chinois qui, à mon humble avis, constituent une forme d’art…
Tous les spectacles que nous avons vus se déroulaient dans des salles combles d’un public réjoui et connaisseur, qui fut privé pendant dix ans de Révolution culturelle et de règne de ceux que l’on appelle désormais « la Bande des Quatre ». Mais nous en reparlerons demain…

Une pièce de musique classique chinoise intitulée « Tranquillité de la nuit » et extraite de l’œuvre pékinoise « L’Empereur dit adieu à son épouse ». Cette pièce est interprétée par des instruments traditionnels chinois avec lesquels nous ferons connaissance.

 c/ « Tranquillité de la nuit » (2’35)

 

Le 11 septembre 1979

2- PAUVRES LES CHINOIS ?

a) La première moisson (2’)

-Bompiani : « Tu as été en Chine ?
-Moravia : J’ai été en Chine.
-B : Qu’est-ce qui t’a le plus impressionné en Chine ?
-A : La pauvreté.
-B : La pauvreté ?
-A : Oui, la pauvreté.
-B : Ils sont pauvres les Chinois ?
-A : Selon l’idée occidentale du bien- être, très pauvres.
-B : Quelle impression t’a faîte leur pauvreté ?
-A : de soulagement. »

C’est avec ce dialogue entre l’éditeur milanais Valentino Bompiani et le romancier italien Alberto Moravia que commence le livre « La rivoluzione culturale in Cina » que ce dernier a consacré, en 1967, à la Chine. Et, ces propos correspondent assez à ce que j’ai ressenti là-bas. Ni misère ni superflu, mais, par rapport à nos critères occidentaux de consommation, une certaine pauvreté qui soulage l’observateur occidental. Une pauvreté relative. L’épanouissement de l’individu se situe peut-être ailleurs que dans le domaine matériel. Peut-être… La pauvreté en Chine se mesure sans doute avec d’autres critères que les nôtres.

C’est, vous disais-je hier, entre autres, par référence à son passé que l’on peut, à mon avis, tenter de comprendre la Chine d’aujourd’hui. Il me semble en effet capital, lorsqu’on visite ce pays, de se souvenir, par exemple, des récits et des témoignages relatifs à la Chine d’avant 1949 et de ces descriptions d’un monde de misère et de cruauté où règnent la famine, et les épidémies et où sévissent les catastrophes naturelles. Comme l’écrivait Alain Peyrefitte dans « Quand la Chine s’éveillera » : « La Chine d’avant 1949, c’est donc un pays du Moyen Age.»

Plutôt que de comparer la Chine contemporaine à nos sociétés occidentales, il me paraît plus légitime de la comparer à la Chine du passé, à certains pays de l’Asie du Sud –Est ou aux pays en voie de développement.

Au cours de mes pérégrinations en Chine, je n’ai pas observé cette misère inhumaine qui gangrène les favellas de Rio ou les rues de Bénarès. Les Chinois que j’ai vus semblent en bonne santé, bien nourris, normalement vêtus. Ils semblent disposer du nécessaire sinon du superflu. Pas de clochards et très peu de mendiants, hormis quelques enfants aperçus à Canton, cette ville qui donne l’impression de se décomposer dans la moiteur du Sud. Il ne s’agit pas de présenter une vision idyllique de la Chine mais simplement de reconnaître avec Alain Peyrefitte : « L’observateur de la Chine qui conteste l’immense amélioration du sort des paysans et des ouvriers, des jeunes et des vieux depuis un quart de siècle, n’est pas de bonne foi et son témoignage ne mérite pas d’être retenu. »

Mais il est vrai aussi que des séquelles du passé subsistent : des traditions séculaires demeurent ou disparaissent pour réapparaître ultérieurement, les Chinois le reconnaissent eux-mêmes : mariages arrangés par les familles, pratiques de sorcellerie et superstitions rapportées récemment par des journaux chinois… Par ailleurs, le Président Mao affirmait : « Le passé doit servir le présent ». On constate l’actualité de cette directive dans les domaines de la médecine traditionnelle chinoise et de l’acupuncture, de l’artisanat, des nouvelles divisions administratives plaquées sur les anciennes Communes Populaires, etc.…
Sans compter que des pratiques en principe proscrites semblent, à l’occasion, ressurgir ici ou là : les marchés libres par exemple.

b) Le nouveau colporteur (3’25)

(Chanson populaire du nord-est de la Chine interprétée par un homme.)

Les magasins chinois dans lesquels j’ai longuement flâné à Pékin, Nankin ou Shanghai– pas les magasins de l’Amitié réservés aux étrangers, mais ceux où les Chinois font leurs achats – ces magasins sont très bien approvisionnés et visités chaque jour par une foule considérable. On y trouve de tout : des denrées alimentaires (le riz est encore rationné, mais d’après ce que j’ai vu cela n’empêche pas les Chinois d’en ingurgiter des bols copieux), des objets de quincaillerie (cuvettes émaillées), des bonbons et des petits gâteaux secs dont les Chinois m’ont l’air très friands, de nombreuses marques de cigarettes (la Chine est le second producteur mondial de tabac) et des vêtements de diverse nature, couleurs et formes. Plus on descend vers le Sud, plus les couleurs éclairent les vêtements et plus leur coupe se diversifie. Les garçons et les hommes portent fréquemment des « débardeurs » disponibles dans toute une gamme de couleurs, les femmes souvent des jupes et des chemisiers… c’est la redécouverte de la couleur et de la diversité proscrites sous la Bande des Quatre.

A cet égard, parmi environ deux cents dessins humoristiques accrochés aux cimaises de la galerie d’Art chinois de Pékin, au mois d’Août, il en est un qui caricature précisément cette uniformité vestimentaire imposée, dit-on, par la Bande des Quatre :
Ce dessin représente, dans sa partie supérieure, un magasin de vêtements. Deux enfants, un couple (les parents) et deux personnes âgées (les grands parents) en sortent à la queue leu leu tous habillés de vêtements identiques : pantalon et vareuse kaki. En dessous, les mêmes personnages sortent du même magasin : ils ont des coiffures « à la mode » et portent des vêtements de type occidental bien coupés et de couleurs différentes. Le jour de notre visite, de nombreux Chinois souriaient en regardant ce dessin. Mais sans doute songeaient-ils ainsi aux jours sombres qu’un certain nombre d’entre eux ont vécu sous la Bande des Quatre dont je vous parlerai demain, c’est promis. Mais, en attendant, je vous propose d’écouter une pièce intitulée « La parade triomphante », un solo de gu-zheng, une cithare à seize cordes, interprété par Cheng Man.

 

Le 12 septembre 1979

3- LA BANDE DES QUATRE

a)-« Comblé de joie » [A2], pièce de musique populaire chinoise (3’35)
Depuis le début de la semaine, il m’est arrivé à plusieurs reprises d’évoquer « la Bande des Quatre». Sans doute parce que au cours du voyage, les Chinois que j’ai rencontrés y faisaient eux-mêmes souvent allusion. Alors, je crois qu’il est temps que je précise ce que désignent ces termes. D’autant plus que cela concerne directement la vie culturelle en Chine…

La Bande des Quatre était constituée de Chiang Ching, Madame Mao, dont un chinois généralement bien informé m’a dit que certains affirmaient qu’elle était aujourd’hui décédée ( ?). Très active pendant la Révolution culturelle lancée par Mao en 1966, elle fut aussi l’intransigeante régente des Arts et des Lettres.
Wang Hongwen, vice-président du Parti communiste chinois (P.C.C.), était originaire de Shanghai comme ses deux acolytes : Yao Wen Yuan et Zhang Chunqiao. Auteur d’un fameux article qui marquera le coup d’envoi de la Révolution culturelle, Yao Wen Yuan était, ainsi que Zhang Chunqiao, membre du Bureau Politique du P.C.C et, tous les deux contrôlaient les moyens d’information. Il semble que peu à peu, ce quarteron ait confisqué les rênes du pouvoir et se soit ingénié à lutter contre le Premier Ministre Chou En-laï. Par le biais, entre autres, de l’éviction de son collaborateur de toujours, Deng Xiaoping, et en exerçant une funeste et sévère tutelle sur la culture dont Chou En-laï, semble-t-il, aimait à s’occuper activement. Enfin ils lancèrent la campagne contre Confucius : elle visait indirectement Chou En-laï, petit-fils de mandarin.

A ce propos, je dois ouvrir ici une parenthèse. J’ai constaté que la popularité de Chou En-laï, décédé le 8 janvier 1976, était très grande actuellement en Chine. Les Chinois que j’ai rencontrés -et plus particulièrement les jeunes – évoquent souvent sa mémoire et en parlent en termes très affectueux : il est, je cite, « le cher » ou « le bien aimé » ancien Premier Ministre Chou. Ce diplomate habile, intellectuel brillant et raffiné, travailleur infatigable et danseur de talent, semble occuper une place privilégiée dans le cœur des Chinois aujourd’hui. On cite son nom au moins aussi souvent que celui du défunt président Mao et beaucoup plus fréquemment que celui de l’actuel président Hua Kuofeng au sujet duquel les Chinois que j’ai entendus semblent très discrets. Des expositions de photographies, des affiches, des peintures représentent le portrait de Chou, des spectacles lui rendent hommage, des chansons lui sont dédiées et des jeunes Chinois, qui souhaitent vous honorer d’un cadeau, vous offrent un badge ou une photographie de lui…

b)  « En brodant un sac à main » [A-1] (3’30) Pièce de musique populaire chinoise (violons chinois, hautbois, orgue à bouche)

Depuis la chute de la Bande des Quatre, les critiques de toute nature et les caricatures ne cessent de dénoncer les abominations de son règne. Mais, une telle unanimité incite à s’interroger. Ces critiques unanimes – contre la Bande des Quatre – ne sont-elles pas aussi l’excuse toujours brandie et qui se substitue à l’explication rationnelle de certaines erreurs et de certaines lacunes ? Ainsi, interrogé au sujet des vingt millions de chômeurs (400 000 à Shanghai) dont un dirigeant chinois a reconnu l’existence, tel Chinois risque de vous rétorquer que ce n’est pas nouveau et que l’envoi de nombreux jeunes à la campagne sous la Bande des Quatre avait jusqu’alors masqué le phénomène… certes, mais est-ce le seul argument ? On a un peu l’impression que les Quatre jouent le rôle de bouc émissaire.
De plus, comment l’avènement du règne des Quatre a-t-il été possible dans ce régime du vivant de Mao et Chou En-laï ? Au sujet des responsabilités de ce dernier, un interprète officiel me répondra que le « Bien aimé Chou a, comme beaucoup d’autres camarades, été trompé. »

Malgré ces questions et ces réserves, il n’en demeure pas moins que la Bande des Quatre semble avoir commis des exactions beaucoup plus graves, plus violentes et plus profondes qu’on ne le pense généralement chez nous. De Pékin à Canton, les témoignages de toute sorte n’ont pas manqué. Parmi leur grand nombre j’ai choisi d’en retenir quelques-uns appartenant à trois catégories :

1- Ceux que nous livrent les sources officielles chinoises relatifs aux intellectuels jouissant d’une grande notoriété.
2- Ceux que nous avons pu glaner au cours de notre séjour et qui émanent d’intellectuels connus ou inconnus.
3- Celui d’un ouvrier recueilli de sa bouche même.

1- Les sources officielles chinoises nous rapportent que le célèbre romancier Ba Jin, l’auteur du roman « La famille » fut affublé par les Quatre d’une étiquette politique étrange : « Le roi de pique des milieux littéraires et artistiques », que les quatorze volumes de ses écrits furent déclarés « pernicieux » et qu’il cessa d’écrire pendant dix ans…
Les mêmes sources indiquent que le peintre Huang Yongyu, connu depuis les années 50, vit, à l’époque des Quatre, sa maison saccagée, ses livres et ses peintures confisqués et ses disques brisés. Il dut ensuite essuyer de violentes critiques pour avoir peint un hibou avec un œil fermé. On l’accusait « d’être l’auteur d’un tableau « noir », antiparti et antisocialiste. » Il fut réduit à l’inactivité artistique…
A Pékin, la galerie d’Art chinois présentait, jusqu’au 2 septembre, une exposition de deux cent toiles, choisies parmi les mille proposées, que j’ai visitée et qui était consacrée à une femme devenue héroïne nationale : Chang Zhexing, née il y a une quarantaine d’années dans la province du Liaoning (nord), mère de deux enfants et tuée en prison, en 1975, alors qu’elle avait environ trente-six ans. Ce membre d’un département de propagande du Parti était également violoniste et elle a été exécutée, m’explique en anglais l’une des jeunes fonctionnaires du musée, parce qu’elle est restée fidèle aux idéaux de la Révolution et a refusé de céder aux Quatre en faisant son autocritique. Aujourd’hui, son portrait s’étale sur tous les murs de Chine. Il symbolise le traitement qui fut réservé à nombre d’autres Chinois.

2- Au cours d’une entrevue officielle avec des gens de théâtre de Pékin,  Tchang Un Si, comédien et acrobate connu de l’Opéra de Pékin, nous dira : « Pendant la Révolution culturelle, j’ai appris à faire la soupe et la nuit, je m’entraînais en cachette. »
Madame Du Zi Fang, très célèbre comédienne de l’Opéra de Pékin également, une femme d’allure fragile, nous confiera : « Pendant la nuit, je devais creuser des tunnels et des abris, à la montagne et à la campagne. Et, je poursuivais mes expériences artistiques en cachette. C’est pour cette raison qu’à cette époque on me trouvait nerveuse. »
A Chenchiang, l’un de nos jeunes interprètes, prenant congé de nous, s’excusa de ses fautes de français, langue qu’il parle pourtant avec aisance, en nous rappelant que pendant dix ans, il lui fut interdit de la parler.

3- A Shanghai, enfin, un soir sur le Bund, la grande avenue qui borde le fleuve, lieu où  se retrouvent désormais les amoureux et où les jeunes Chinois abordent volontiers les étrangers, en anglais ou en français, un charpentier de vingt-sept ans, qui a appris le français par la radio, me déclare avec émotion : « Je hais la Bande des Quatre qui a saboté ma jeunesse. »
La Bande des Quatre semble ne pas s’être bornée à réprimer, y compris par la violence, seulement les intellectuels, mais aussi les travailleurs plus modestes.
Le règne de la Bande des Quatre prend fin en octobre 76, date de son arrestation. Mao n’est mort que depuis un mois. « L’écrasement de la Bande des Quatre », comme l’on dit en Chine, marque l’avènement d’une ère nouvelle dans les domaines économique, politique et culturel. La Chine s’éveille et s’ouvre à l’extérieur. De cela, nous parlerons demain.

c) « célébration de la victoire », une pièce instrumentale populaire du Fou-kien (Fujian), une province située en face de l’île de Taïwan. Elle est interprétée par un orchestre traditionnel avec de gros tambours et des gongs.

 

Le 13 septembre 1979

4- LES TEMPS CHANGENT, LA CHINE S’OUVRE

1 « La fleur de Tachaï… »

Les temps changent : la Chine s’éveille d’une sorte de torpeur d’une dizaine d’années.

Les « quatre modernisations » sont désormais à l’ordre  du jour dans ce pays dont 80% de la population vit à la campagne. Au sein des communes populaires (C.P) qui, en 1958, ont succédé aux coopératives, qui avaient elles-mêmes remplacées les « équipes d’entre-aide ». La C.P peut regrouper plusieurs dizaines de milliers de paysans et leurs familles organisés en brigades de production, structure qui rassemble plusieurs équipes de production. Celles- ci se livrent à la culture du blé (surtout au Nord), du riz (Sud), du coton (premier producteur mondial), du thé et souvent aussi à une pisciculture intensive.

Une libéralisation, pour timide qu’elle puisse paraître vue à travers le petit bout de notre lorgnette, se manifeste. Des réhabilitations interviennent. Le « Renmin Ribao » (Quotidien du peuple) procède à une autocritique. Des œuvres et des spectacles interdits retrouvent le droit de cité. Les diplomates chinois voyagent et signent nombre de contrats. L’occident n’est plus synonyme d’enfer et les Etats-Unis eux-mêmes ne font plus figure de « tigre de papier ». La publicité de marques a fait son apparition dans les rues : à Shanghai d’énormes affiches vantent les mérites d’appareils audio-visuels d’une société japonaise bien connue, à un carrefour du centre d’Hangzhou, ceux d’une marque de cigarettes « made in America » ou d’un célèbre alcool français…

De jeunes Chinois étudient à l’étranger et l’on a, semble-t-il, cessé d’envoyer les intellectuels aux champs. Deng Xiaoping n’a-t-il pas lui- même déclaré ; « les chercheurs doivent travailler sept jours et sept nuits sur leurs travaux ? » L’objectif serait de former plusieurs centaines de milliers de chercheurs en moins de dix ans. Ceux- ci devront, avec le concours des investissements étrangers, mettre en valeur l’énorme potentiel des ressources naturelles : gaz naturel, pétrole, soufre etc.

2 « chant de travail des bateliers du Lishui » (4’50)

Chant populaire du Hunan (chœur).

La Chine s’ouvre aussi au tourisme international, importante source de devises. Seulement 100 000 visiteurs se sont rendus en Chine en 1978, mais les autorités chinoises paraissent bien décidées à développer ce secteur d’activités. Avec toutefois les limites qu’impose une infrastructure pour l’instant embryonnaire : peu d’hôtels pour étrangers – certains parmi ceux qui existent étant rudimentaires ou vétustes (sanitaires) – manque d’interprètes, etc.
On peut aussi se demander si une augmentation du nombre des touristes ne risque pas d’entraîner un changement qualitatif. Le règne des tour operators  risque de modifier la nature même du voyage en Chine dans le sens d’une certaine standardisation. Visitera-t-on encore longtemps les écoles, les usines et les communes populaires ou bien faudra-t-il se contenter d’admirer les sites – d’ailleurs splendides – et les monuments historiques comme dans le pire des voyages organisés ? « Admirez plutôt les fleurs de ce parc » me répondait déjà notre guide auquel je venais de poser une question au sujet de l’Armée Populaire de Libération.

Il y a peu encore, si j’en crois les déclarations d’amis qui m’ont précédé en Chine, un membre du comité révolutionnaire de la ville accueillait les visiteurs étrangers et leur brossait un portrait du lieu sans oublier les commentaires relatifs aux traditions révolutionnaires de cette ville. Au cours de notre voyage, des mots de « chaleureuse bienvenue » avaient remplacé ce type d’exposé. A une exception près : nous avons été accueillis à Koulinkié, au coeur des Monts Lu Shan, par les mots suivants :
« Avant la Libération, les exploiteurs venaient ici étaler leur luxe et se livrer à des orgies continuelles, et les envahisseurs étrangers y avaient établi des « concessions ». De plus, sous la domination réactionnaire du Kuomintang, cette ville était la capitale estivale de Tchang Kaï-chek. Tout cela en faisait un paradis pour les vampires impérialistes et un enfer pour les travailleurs. » Je cite ces mots dignes de figurer dans une anthologie – non par regret ou par ironie – mais parce qu’ils constituent pratiquement les seules traces du discours politico-révolutionnaire habituel qu’il m’ait été donné d’entendre en Chine Populaire.

Notre voyage mi- touristique, mi- professionnel ne s’est pas toujours déroulé sans négociations avec les guides de la Luxingshe, l’agence de tourisme officielle chinoise. Celle- ci, accueillant des groupes, organise les moindres détails du périple en fonction d’une idée parfois fausse des desiderata des touristes. Et il faut, à l’occasion, quelques palabres pour échapper au carcan de l’organisation et réussir certaines escapades non prévues au programme. C’est une sorte de jeu permanent qui peut, par exemple,  permettre d’assister à un spectacle des célèbres acrobates de Shanghai plutôt qu’à un opéra ouigour… écrit par un compositeur soviétique ou de faire quelques fructueuses rencontres. Il est également indispensable de tenter de prendre ses repas dans les restaurants que les Chinois fréquentent, dans la même salle qu’eux et non dans celle qui est réservée aux étrangers. Les guides, toujours soucieux de notre bien- être, semblent oublier que nous sommes venus en Chine, non pour rester entre nous, mais pour observer et rencontrer des Chinois. Et nous promener seuls dans les rues, quitte à être escortés par cent ou deux-cent chinois curieux, souriants et dépourvus d’agressivité qui, hormis à Pékin et Shanghai, n’ont pas manqué de nous emboîter le pas…

Voilà situé le contexte au risque d’un certain didactisme. Le décor est planté et, à partir de demain, je pourrais consacrer ces interventions à vous entretenir du cinéma, des musées, de l’opéra, du roman, du théâtre…

3 « Neige de Printemps » :

Solo de pipa, luth chinois en bois, nanti de quatre cordes.

 

Le 14 septembre 1979

5- DE L’ART

1 « Retour des oiseaux aux bois » (3’25)

Musique du Kwangtung (Guangdong). Kao-hu, une des variétés de violon chinois à deux cordes.

En Chine, il existe aussi un tourisme interne. Les Chinois voyagent dans leur pays. Même si cela coûte cher, on en croise sans cesse envoyés en mission ou en voyage touristique : paysans, ouvriers ou étudiants. Les paysans se libèrent pour se reposer en fonction du travail accompli, tandis que les ouvriers disposent de sept jours de vacances par an en plus de leur journée de repos hebdomadaire. Les enseignants et les étudiants ont trente à quarante jours de vacances d’été et quinze jours de vacances d’hiver. A Hangzhou, entre lacs et montagnes, comme dans les brumes des monts Lu Shan, on croise de nombreux Shanghaiens qui y viennent s’y promener et visiter les nombreux sites historiques dont le pays est riche. On restaure activement les monuments historiques, dont certains ne sont ré-ouverts au public que depuis 1978. Et c’est souvent en famille que les Chinois se pressent, appareil photo en bandoulière, pour visiter pagodes, monastères, anciens palais ou falaises aux Bouddhas sculptés de Fei Lai Feng, à Hangzhou… On les retrouve flânant dans les nombreux et gigantesques parcs, qui aèrent la plupart des villes, ou visiteurs attentifs des musées dont le prix d’entrée est très bas. Une visite toujours un peu déroutante pour le visiteur occidental, car beaucoup de musées chinois sont conçus selon le même schéma. Le découpage historique est identique : société primitive, société esclavagiste, société féodale, jusqu’à 1840, société semi- féodale et coloniale jusqu’à 1911, la révolution démocratique et bourgeoise de Sun-Yat-sen, de 1911 à 1949, et enfin, après la Libération de 1949 à nos jours.

L’objectif est didactique et les splendides porcelaines bleues de l’époque Ming jouxtent d’horribles fresques et statues réalistes des leaders des diverses révolutions paysannes, qui ont jalonné la longue histoire chinoise. La visite du musée est une leçon d’histoire administrée à travers le prisme du marxisme-léninisme et de la pensée Mao- Tsé-toung. A Nankin, le guide du musée concluait ses commentaires en ces termes :

« Depuis la Libération, en 1949, le peuple chinois avance de victoire en victoire. »

2 « Printemps sur les montagnes de Tienshan» (2’35)

Solo de pipa, luth chinois en bois, muni de quatre cordes.

Si l’on se réfère au grand nombre d’œuvres picturales de diverse nature, que l’on peut admirer dans les musées, dans les divers centres culturels ou même sur le bord des routes, les Chinois semblent nombreux à pratiquer cet art. En professionnel ou en amateur. Peintures naïves des paysans (que l’on a pu admirer à Paris), calligraphies, frottis, lavis, etc. et même peinture à l’huile. Le paysage (forêts, montagnes, brumes…) est un sujet privilégié de la peinture traditionnelle chinoise. Et aujourd’hui encore, il demeure, à côté des fresques et des affiches du style réaliste socialiste, et Fu Baoshi en est l’un des maîtres.

L’antique Tour du Tambour abrite, à Pékin, une sorte de centre culturel de quartier doté d’un théâtre en plein air, d’ateliers et d’une salle d’exposition. Lors de notre visite, à une heure matinale, quelques visiteurs admiraient une série d’oeuvres réalisées par les habitants du quartier : peu de thèmes politiques réalistes, beaucoup de peintures de paysages ou d’animaux, à l’encre, sur soie…, des calligraphies et quelques rares peintures à l’huile relativement maladroites. Selon les peintres chinois rencontrés, ils ont peu eu l’occasion de contempler des toiles de ce type. Mais, nous diront-ils, « il existe des reproductions, entre autres d’oeuvres de Picasso, Matisse et Cézanne et nous aimons beaucoup aussi Daumier, Delacroix et Monet ». Ils ajouteront que la peinture française a une très grande influence en Chine même si sous les Quatre, il était interdit de parler de l’Impressionnisme. Selon l’un de nos interlocuteurs, Madame Chiang Ching était incapable de faire la différence entre l’impressionnisme et l’abstrait… L’abstrait, une peinture que la majorité des Chinois ne comprend pas, assura l’un des artistes présents. Mais il n’y a pas eu d’exposition d’art abstrait, sauf en 1965 : quatre toiles abstraites dans le cadre d’une exposition japonaise.
A côté de la salle d’exposition, un peintre achève une toile dans un atelier : elle représente Hua Kuo Feng entouré de représentants des minorités nationales. Un thème à l’honneur en Chine. A côté, un portrait de Chou En-lai finit de sécher…

« Que cent fleurs s’épanouissent et que cent écoles rivalisent », 1956

3« En l’absence de mon amant, la nuit » (3’40), Pièce classique.

Disques de l’émission:
1 Disque M2273 : A-2 : “Birds return to the woods” (3’25)
2 Disque M2064: A-3: “Spring on the Tienshan mountains” (2’35)
3 Disque FHLP 9909: A-4: “Missing my lover at night” (3’40)

 

Le 18 septembre 1979

6- CARICATURES

La caricature, à laquelle on reprocha naguère de n’être « ni belle ni sérieuse » et « de noircir le socialisme et les révolutionnaires », semblait avoir disparu des journaux chinois depuis des années. Aujourd’hui, ceux-ci publient régulièrement des dessins humoristiques. Du moins, est-ce le cas par exemple, du « Quotidien du Peuple », de « Clarté », du « Journal de Pékin »… Officiellement, la caricature est maintenant définie comme « une arme contre l’ennemi et un instrument d’éducation ».

Hua Junwu, le plus célèbre caricaturiste de Chine, vice-président de l’Association des peintres chinois nous a précisé, à cet égard, qu’il existe en Chine une forme de caricature inspirée par la situation internationale (par exemple, sur le thème du conflit avec le Vietnam), mais également une caricature brocardant la Chine pour se moquer des vieilles idées.
Ce qui incita Claire Bretécher – venue avec une provision d’albums d’Astérix, de Charlie Hebdo et des Frustrés – à lui demander si les dessinateurs chinois se moquaient aussi, comme elle, des idées nouvelles. Et, Hua Junwu répondit que ceux-ci faisaient l’éloge des bonnes idées, des idées nouvelles, et qu’ils se moquaient des anciennes telles que, par exemple, les arrangements pour mariage qui existent encore, parfois, en Chine.

Nous apprendrons aussi que, les rapports entre les dessinateurs et les dirigeants de l’Etat en Chine, n’étant pas conflictuels, il n’existe pas de caricatures de ces derniers. En revanche, j’ai le sentiment qu’on ne se prive pas de caricaturer les dirigeants étrangers (tels que Monsieur Brejnev) à l’exception toutefois, m’assure-t-on, de ceux qui font preuve d’une attitude amicale envers la Chine.
Par ailleurs, quand il arrive que l’on fasse un dessin humoristique pour critiquer les propos de tel ou tel ministre, l’attaque n’est, paraît-il, jamais personnalisée.

Pendant notre séjour à Pékin, au mois d’août, j’ai eu l’occasion de visiter une exposition de dessins humoristiques que j’ai déjà évoquée en parlant de la Bande des Quatre. Cette exposition présentait, pendant deux mois, environ deux cent dessins d’artistes de Pékin, Shanghai, Tianjin, etc. On pouvait, à mon avis, y discerner quatre thèmes essentiels :

-1- La critique des cadres, auxquels on reproche d’user parfois de leur pouvoir pour eux-mêmes et non pour le peuple,
-2- La critique de la bureaucratie,
-3- La critique des Soviétiques et de leurs alliés,
-4- La critique de la Bande des Quatre.

J’ai constaté que de nombreux visiteurs se pressaient, ce jour-là, pour voir cette exposition.

Il faut également noter qu’on retrouve, maintenant, des dessins d’avant la Révolution Culturelle. Ainsi Hua Junwu a repris une œuvre célèbre de 1962 : le bébé octogénaire. Un dessin qui comporte des caractères chinois calligraphiés dont le sens est le suivant : « Si un bébé, par peur de tomber, n’apprend jamais à marcher et reste toujours emmailloté, à 80 ans ne sera-t-il pas un monstre ? » ce qui en clair signifie qu’il ne faut pas piétiner mais aller de l’avant.
On trouve aussi un classique de la bande dessinée chinoise : les aventures de Sanmao, un petit garçon facilement reconnaissable au fait que son crâne n’est garni que de trois uniques cheveux…

- « Histoires chantées » de Souchow, particulièrement populaires dans cette région. -

 

Le 19 septembre 1979 

7- L’OPERA CHINOIS

1) Musique (M2324 A-2) 1’30s

Plusieurs fois séculaire, l’opéra chinois fut aussi « réformé », pour ne pas dire mutilé, au début de la Révolution culturelle par Jiang Qing, l’épouse de Mao Tsé-toung. Elle raya purement et simplement du répertoire les oeuvres traditionnelles dont les Chinois sont, paraît-il, friands pour ne laisser subsister que les sept opéras modèles révolutionnaires, tels que « Le fanal » ou « La prise de la montagne du Tigre », joués dans toute la Chine pendant une dizaine d’années.
Je ne les ai pas vus ; le public les connaît trop : on ne les montre plus.

Madame Wheeler Snow, la femme du sinologue Edward Snow, peu suspecte d’antipathie à l’égard de la Révolution culturelle, écrivait en 1973 : « L’actuel opéra de Pékin mêle étroitement le théâtre à la musique, la danse, la poésie, la propagande et l’histoire révolutionnaire avec des héros infatigables (plus malins que James Bond et mus par un dessein dont l’idée ne l’effleura jamais) et, avec des méchants d’une noirceur fabuleuse ».

Mais les temps ont changé et l’on ignore aujourd’hui ces anciens opéras-là. J’en ai vu six appartenant à la tradition. Toujours dans des salles combles de plus d’un millier de places. (ce genre semble très populaire). Un public remuant et bavard, mais très chaleureux et qui apprécie en connaisseur. Je me souviens qu’à Pékin, le public du Théâtre du Peuple réagissait – comme l’on dit – à la moindre prouesse vocale, aux répliques drôles et aux exploits physiques.
En effet, l’opéra chinois, né du kun chi, (un genre spécial de drame musical de la dynastie des Ming (1368-1644)), et de la combinaison de certains opéras locaux, est une forme de spectacle qui mêle le théâtre, la musique, le chant, la danse, le mime, l’art du maquillage, l’acrobatie et les combats. Ces derniers sont perçus un peu comme des ballets chez nous.
L’opéra est donc une œuvre qui s’adresse à l’esprit mais aussi à l’ouïe et à la vue. A telle enseigne que, le Professeur Chao Mei-Pa, dans son livre en langue anglaise intitulé « A guide to Chinese music » et publié à Hong Kong, écrit à ce sujet : « les gens du Nord vont plutôt écouter un opéra tandis que ceux d’autres régions viennent plutôt le voir. »

En ce qui nous concerne, nous allons nous contenter d’écouter un extrait d’opéra de Pékin. Le chant repose sur une technique vocale très particulière parfois un peu déroutante pour une oreille occidentale.

2) M2324 B-2, 1’30s

L’opéra de Pékin – c’est un style – est probablement le plus accompli et le plus célèbre des opéras chinois. Il est présenté à Pékin mais aussi dans d’autres villes, telles que Shanghai, qui ont leur propre troupe locale d’opéra de Pékin. Ce qui d’ailleurs complique un peu les choses, car il existe aussi des opéras provinciaux que certains critères spécifiques différencient de l’opéra de Pékin. Ainsi par exemple, ils sont joués en dialecte local, tel que le cantonais, tandis que l’opéra de Pékin, lui est toujours interprété en mandarin. Des diapositives, comportant le texte écrit du spectacle, défilent pendant la représentation de chaque côté du plateau pour permettre à chacun de comprendre malgré les différences dialectales.

Pour me faire bien comprendre :

J’ai vu à Pékin un opéra de Pékin et à Shanghai un autre opéra de Pékin, mais interprété par la troupe de Shanghai. Tandis qu’à Nankin, j’ai assisté à un opéra provincial : un opéra de Yue.
Le texte des « livrets » de ces opéras est le plus souvent inspiré d’histoires populaires traditionnelles ou d’événements historiques. Actuellement l’amour, jadis proscrit, et l’Histoire semblent être les thèmes de prédilection. Au théâtre aussi et j’y reviendrai ultérieurement.
La musique de l’opéra chinois, pékinois ou provincial, est de deux types : musique des scènes littéraires, elle fait appel à des instruments à cordes et de bambou comme accompagnement et celles des scènes de combat, accompagnées par des peaux, des bois et des percussions.
Dans le passé, l’orchestre de l’opéra était plus étoffé qu’aujourd’hui mais l’importance des gongs, des tambours et des hu qin (violons à deux cordes) demeure identique.

L’opéra chinois est truffé de symboles très précisément codifiés et ceux-ci constituent des clés nécessaires à sa compréhension. A titre d’exemple :
- Le costume situe le personnage : son passé et son état. Ainsi le bleu indique la pauvreté.
- Chaque geste est symbolique : le moindre mouvement des doigts ou des manches a un sens précis et l’on prétend qu’il existe plus de 80 façons de remuer les manches…
- Les objets font également figure de symbole : la cravache à gland représente un cheval.
- Enfin, « l’art du visage fleuri », comprenez le maquillage, permet de situer le personnage dès son entrée en scène, puisqu’à chaque caractère humain correspond un maquillage précis, qui permet de savoir si l’on a affaire, par exemple, à un eunuque ou au roi des singes. On parle communément des « masques » de l’opéra de Pékin. En fait, il s’agit de masques peints sur le visage du comédien avant chaque représentation. Et c’est un art à part entière avec lequel le comédien se familiarise au cours de sa formation. Ici encore il s’agit d’un code et il faut savoir quelles qualités représentent les couleurs utilisées : le rouge indique la loyauté et la fidélité, le noir un caractère impulsif et fort mais sincère et honnête etc.
Un personnage de l’opéra chinois est donc défini par son costume, son maquillage et une voix, ainsi qu’une technique vocale spécifique.

3) M2324 B-3, 3’30s

Autrefois, seuls les hommes interprétaient l’opéra et tenaient donc également des rôles de femmes. Mei Lanfang, aujourd’hui décédé, qui a été sans doute l’un des plus célèbres comédiens de l’opéra de Pékin de ce siècle, s’est d’ailleurs illustré dans ce type de rôles. Il avait été vocalement formé pour jouer des rôles de femmes.
Actuellement et dans les opéras auxquels j’ai assisté, hommes et femmes jouent chacun leur rôle respectif. Sauf dans un opéra provincial de Yué, vu à Nankin, et au titre évocateur de « La fille sans souci », qui était interprété exclusivement par des femmes. Celles-ci tenant aussi les rôles masculins.
L’opéra comporte des scènes d’acrobatie et des combats très spectaculaires (combats de sabre où le jeu de l’esquive est capital, cascades, sauts périlleux…). Ceux-ci requièrent un entraînement intensif précoce et quotidien. Les artistes commencent leur formation à l’âge de douze ans. Ils apprennent à la fois le chant et l’acrobatie, et tout ce qu’ils font doit être empreint de grâce et de beauté. Je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui, mais autrefois, les élèves devaient faire preuve de ces qualités, y compris dans leur vie quotidienne. On leur apprenait à s’asseoir, à marcher, à rire et à sourire avec grâce. Il existe en effet de nombreuses façons de rire – et même de tousser – dans l’opéra qui doivent suivre très précisément le rythme de la musique. Un apprentissage certainement très difficile.

Disques de l’émission:
1-Disque M2324 : A-2- (1’30s),
2-Disque M2324 : B-2- (1’30s),
3-Disque M2324 : B-3- (3’30s),

Extraits d’un opéra de Pékin intitulé « Rebelles malgré eux », l’un des premiers opéras à thème révolutionnaire – mais de forme traditionnelle – créé en 1943, à Yenan, et présenté à Mao Tsé-toung l’année suivante. L’action, qui se réfère à un mouvement paysan, se situe à la fin de la dynastie des Song du nord (Xe au XIIe siècle).

 

Le 25 septembre 1979

8- COMPAGNONS DE VOYAGE

Interview, durée 20 minutes :

-Francis Lemarque, chanteur.

-Philippe Avron, comédien.

Tous deux ont participé à ces tribulations en Chine.

 

Le 26 septembre 1979

9- L’OPERA CULINAIRE

A) musique classique : « Lotus duck » (deux canards au milieu des lotus).

Aimez- vous la cuisine chinoise ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître dans une série de chroniques consacrées à la vie culturelle et artistique en Chine Populaire, je tiens à vous parler aujourd’hui de la cuisine chinoise, parce que je considère qu’elle est un art à part entière. Son raffinement m’autorise, je crois, à penser qu’elle est une sorte d’opéra fabuleux auquel sont conviés tous les sens. Cuisine exquise même si elle est parfois préparée à partir de morceaux qu’on dédaignerait chez nous. Car les chinois sont économes en tout et ne perdent rien. Cuisine de pauvres, peut-être, mais pour ainsi dire sublimée grâce à une imagination extraordinaire et comme patinée par plusieurs siècles de tradition.

Plaisir du goût que cette succession des cinq saveurs au cours de la plupart des repas : sucré, salé, amer, acide, épicé. Mais plaisir des yeux aussi tant la présentation et la garniture des plats confinent à l’œuvre d’art.
Cuisine variée : en effet, chaque région conserve ses propres traditions culinaires, les ingrédients sont multiples et les cuissons diverses : à l’huile, à l’eau, à la vapeur…
Malgré quelques appréhensions et blocages psychologiques éprouvés devant ces aliments qui marchent à la baguette et toujours découpés en fines lamelles et de ce fait, non identifiables, je me suis gavé de cette cuisine en évitant à priori le jeune chien ou le serpent cantonais.

Les Chinois que j’ai vus mangent à leur faim. Je l’ai déjà dit. Parfois, ils mangent même beaucoup et les marchands ambulants de melons ou de pastèques sont très entourés. De même, les restaurants populaires sont-ils toujours bondés. Lorsqu’il m’est arrivé de manger avec et comme les Chinois dans ce type de restaurants, je n’ai jamais eu à le regretter : les bols de riz sont plus que copieux et les volailles, poissons ou légumes, variés et délicieux. Je conserve un excellent souvenir des petits pains fourrés à la viande et cuits à la vapeur, spécialité de Shanghai, dégustée dans un restaurant de la vieille ville ou de ce petit restaurant de Pékin ou nous avons soupé, après une représentation d’opéra, d’un simple mais copieux potage aux raviolis chinois pour la somme de quelques dizaines de centimes de France par personne…
Pour avoir longuement flâné sur le coup de 18 heures, qui est l’heure du dîner, dans les petites rues de Nankin, j’ai vu sur le pas des portes, car le climat permet de vivre dehors, nombre de familles avaler de copieux bols de riz agrémentés de légumes et de viande…
Mais lorsque l’on visite la Chine, on a aussi l’occasion de goûter à une cuisine plus sophistiquée et de se régaler de quelques festins. Tel que celui qui fut offert, à sept d’entre nous, dans une commune populaire : un déjeuner composé à partir de quatre poissons, accommodés de dix façons différentes pour confectionner ces dix plats chauds de poisson, dont une savoureuse carpe au curry accompagnée de gingembre frais…

Il y eut aussi trois somptueux repas.

1- Le canard laqué est l’une des spécialités de la cuisine pékinoise, que proposent au moins trois restaurants de la capitale, dont l’un de plusieurs centaines de couverts. Celui que nous avions choisi, façade laide et cadre médiocre, est très ancien et se trouve rue Tsien Men, la vieille rue commerçante de Pékin. Comme il est d’usage, notre hôtel en réservant notre table avait indiqué pour quel montant nous voulions manger : 30 yuan par personne, vin non compris. Ce qui constitue déjà une somme considérable dans ce pays : à peu près la moitié du salaire mensuel d’un comédien débutant. C’était une petite salle, comme la plupart du temps en Chine dans ce type de restaurant, pourvue de quatre tables : des Chinois d’Outre-mer, des Japonais, trois personnes revêtues de l’uniforme de l’Armée Populaire de Libération…
Après les traditionnelles serviettes humides, qui permettent de se rafraîchir le visage et les mains, nous avons entamé une longue série de plats essentiellement à base de canard (exception faîte de l’abalone) : foie, gésier, quenelles etc.… avant que le cuisinier vienne nous présenter le canard laqué qui sera ensuite découpé et consommé en petits morceaux. L’un des meilleurs, les filets revêtus de leur peau caramélisée, se consomment roulés dans une fine crêpe avec des oignons frais et accompagnés d’une sauce ou enfouis dans un petit pain au sésame. On apporte ensuite la tête du canard coupé en deux, dont on mange la cervelle, et le croupion : les Chinois considèrent en effet que ce sont le deux meilleurs morceaux… Une soupe, servie à la fin du repas avant une salade de fruits, met un terme à ces agapes copieusement arrosées d’un vin rouge local cuit et sec.

B) Musique classique : « Drunken March » (1) 2’50 (marche ivre)

Recette :

Gavé pendant deux mois avec des céréales et de la farine, le canard est tué et saigné lorsqu’il pèse trois kilos. Il est ensuite plumé, trempé dans un bain de cire, pour faire disparaître le moindre duvet, « soufflé » pour décoller la peau de la chair, et enfin enduit d’eau sucrée à l’intérieur et à l’extérieur. Rôti pendant quarante minutes, il ne reste plus qu’à le découper.

2 – Autre festin :

Traduction du menu de Nankin : repas de six plats chauds, arrosé de vin de riz et d’alcool de sorgho titrant 45 degrés. Traduction :

- Hors d’œuvre en forme de lanterne rouge (le chef – d’œuvre du chef, qui représente une lanterne chinoise)
- Huit petits plats
- crevettes sautées
- poisson
- poulet enveloppé dans du papier
- canard avec des fleurs autour du soleil
- poisson en rouleaux
- (riz)
- raisin à deux couleurs
- la soupe de melon d’hiver au lotus, légume sculpté : bas-relief représentant un poète chinois classique et l’un de ses poèmes calligraphié !!!
- quatre desserts renommés
- crème

3 – Enfin, dîner au Bei Yuan, à Canton, une des meilleures cuisines de Chine : un cadre superbe ! Autour d’un jardin à ciel ouvert – pièce d’eau et bambous -  se succèdent divers petits salons, meublés de fauteuils en bois de palissandre et de tables dressées derrière des paravents. Tandis que deux gros ventilateurs grondent en brassant l’air, nous savourons rouleaux de printemps, crevettes chaudes, champignons chauds, poulet, potage, omelette aux poireaux jaunes fourrée à la coquille Saint Jacques fumée, boulettes de langoustine aux légumes verts, pigeon en sauce, riz cantonais, beignets aux pommes caramélisées, galettes à la farine de maïs et fruits. Le tout arrosé d’un vin rouge chinois, servi dans des petits verres que l’on remplit sans cesse…

Maintenant que je vous ai mis l’eau à la bouche, je crois qu’il ne me reste plus qu’à vous dire que vous aurez quelques difficultés à trouver de tels délices dans les restaurants chinois d’Europe.

Musique classique « Drunken March » (2), 2’50.

 

Le 27 septembre

10- FILMER, ECRIRE, JOUER

1-FHLP 9909 A-3. « Occupé à filer »

Le cinéma, la littérature et le théâtre sont, comme tous les autres arts, désormais régis par le principe de la variété et de l’émulation puisque la directive de 1956 du Président Mao est remise à l’honneur : « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent. ».

Les films étrangers à l’affiche, lors de notre séjour en Chine, témoignaient effectivement d’une certaine variété : films roumains, films d’amour mexicains, « Mort sur le Nil » d’après un roman d’Agatha Christie, pratiquement tous les films de Charlie Chaplin, de « La ruée vers l’or » à « Monsieur Verdoux »,  et même un film, dont je n’ai pas réussi à identifier le titre, avec le comédien français Lino Ventura…
Les salles sont toujours pleines et, il faut retenir sa place à l’avance, même dans les villes où les séances commencent à six heures du matin. Et non « à trois heures du matin », comme l’écrivait voici quelques jours un quotidien français.

En ce qui concerne les films chinois, une dépêche du 17 août dernier, de l’agence officielle Xinhua (Chine Nouvelle), nous livre quelques informations sur les films de fiction récents et les tournages en cours :
- « La raie de mort sur l’île de corail », en projet, sera le premier film de science-fiction chinois. Mais l’agence précise qu’ « il montre notamment l’affection des hommes de science envers la Chine socialiste »…
-En tournage à Canton, « La tourmente dans une région montagneuse » évoque le courage d’une communiste pendant la guerre civile.
- En cours de tournage dans le Sichuan, « Papillon de couleur jade » illustre, par une histoire d’amour entre Chinois et Japonais, l’amitié des deux peuples…
- A Pékin, un film d’un opéra de Pékin intitulé « L’arc de fer et le mariage » vient d’être réalisé. C’est un récit classique d’amour, émouvant et humoristique.
- Enfin, « Rire » est un film de dialogues comiques d’acteurs célèbres. C’est un genre très populaire dans le nord de la Chine.

Autrement dit : Histoire proche, amour et humour semblent, pour l’heure, inspirer les réalisateurs chinois.

L’agence Xinhua annonce également la parution ou la publication prochaine de six nouveaux romans- fleuves ou leur réédition (certains en trois volumes) ayant pour thème « la lutte et la guerre révolutionnaires ». Ces six romans abordent les sujets suivants :
- Les volontaires chinois pendant la guerre de Corée (« L’Orient » de Wei-Wei)
- La bourgeoisie nationale opprimée par l’impérialisme et le capitalisme et sa transformation socialiste (« le matin de Shanghai » de Zhou Erfu),
- Les mouvements paysans (« La ligne du drapeau rouge » de Liang Bin, réédition à paraître l’an prochain).
- L’action des intellectuels pendant la guerre contre le Japon (« Le jour va poindre à l’Orient » de Madame Yang Mo, écrit de 1972 à 1976 et publié dans une revue).
- Comment la minorité nationale des Yi s’est affranchie du joug du Kuomintang , des despotes locaux et des propriétaires d’esclaves (« Une première chaleur dans les escarpements » de Gao Yin).
- et l’action des scientifiques dans les années 50 (« L’ingénieur en chef et sa fille » de Jiao Zuyao).
Ces six romans sont donc tous inspirés par l’histoire récente et concernent chacun une catégorie bien déterminée de la population. Le souci didactique est manifeste.

Au cours de notre séjour en Chine nous avons vu trois pièces de théâtre :
- « La Maison de thé », tout d’abord, une œuvre très célèbre de Lao She, décédé en août 1966, victime de la Bande des Quatre. Une pièce interprétée par l’une des trois troupes permanentes du Théâtre de la Capitale,  où ce soir- là, se pressaient 1200 spectateurs. Interdite pendant la Révolution Culturelle, c’est une pièce en trois périodes : avant 1911, après 1911, soit la période de la République, et après l’occupation japonaise et sous le règne de Tchang Kaï-chek. C’est l’Histoire, là encore, racontée parfois avec humour, à l’aide de situations et de personnages concrets et quotidiens qui forment une sorte de microcosme.
Des décors, des costumes et des éclairages superbes, des comédiens qui jouent juste. Une pièce brillante que l’on souhaiterait un jour voir en France.
(Cette pièce fût présentée ultérieurement au Théâtre de l’Odéon à Paris, dans le cadre des célébrations du tricentenaire de la Comédie Française.)
Une pièce didactique qui met en scène la misère du passé, mais si peu dogmatique qu’elle se termine par un suicide. « La maison de thé » traite, au fond, de la permanence des êtres, des choses et des situations et il s’en dégage un certain pessimisme, voire une sorte de fatalisme. Mais, il est vrai que le dénouement intervient avant 1949…

2 « En pensant à Pékin », danse Yao.

Nous avons vu, ensuite, une pièce commandée par Chou En-lai, intitulée « Wang Zhaojun », et écrite par un fameux dramaturge chinois, Cao Yu, vice-président de l’association des dramaturges chinois et membre du Comité Permanent de l’Assemblée Nationale Populaire. Thème : en l’an 33 avant Jésus Christ, une histoire d’amour romantico-politique, et un peu mièvre, entre une femme Han (la nationalité majoritaire en Chine) et un ressortissant d’une minorité nationale. Histoire et amour, pour traiter un sujet à l’honneur en Chine, je l’ai déjà dit, celui des minorités nationales. Les cinquante-quatre minorités nationales de Chine (ou cinquante-cinq, selon les sources), organisées en « régions autonomes », ne représentent que 6% de la population, mais elles occupent environ 60% du territoire, situés le plus souvent en des régions frontières.
La pièce innove en mêlant le théâtre, la musique, la chanson populaire et la danse. Sans doute est-ce pour en souligner l’importance que le Ministre de la Culture de Chine assistait à la représentation.
Nous avons vu enfin « Les 72 locataires », une grosse farce, usant de toutes les ficelles propres à ce genre, et qui déclenchait l’hilarité du public. Le sujet : les difficultés de la vie quotidienne dans un bidonville de Shanghai, en 1947. Une œuvre néo-réaliste, elle aussi inspirée par l’histoire récente, et didactique.
Les spectacles en Chine, à l’heure actuelle, semblent bien placés sous le triple signe de l’Histoire, de l’humour et de l’amour dont, dit-on, les Chinois furent privés sur les scènes pendant dix ans.

 

Le 28 septembre 1979

11- POUR CONCLURE

M2374. B2 « Fête de la lanterne » (soprano solo Yun En-Feng)
Cette année, trois manifestations musicales importantes ont repris leurs activités : « Le printemps de Shanghai », « Le concert de Canton » et « L’été de Harbin » (nord-est de la Chine). Ce- dernier, suspendu depuis douze ans, a réuni, au mois de juillet dernier, 2400 musiciens professionnels et amateurs (artistes des minorités y compris), au cours de plus de soixante représentations qui ont rassemblé plus de 100 000 spectateurs. Créations, musique traditionnelle, folklore, chansons et musique étrangère figuraient au programme.

Lu Chunling, flutiste de Shanghai

Pièce de musique classique chinoise

Puisque nous sommes arrivés au terme de cette série de onze émissions relatives à la Chine, je voudrais, pour conclure, vous donner quelques renseignements pratiques :

L’adresse de l’Association des Amitiés Franco-Chinoises, tout d’abord : 32, rue Maurice Ripoche, Paris XIV°, pour tous renseignements, voyages ou recherche de documents concernant la Chine.

Parmi les nombreux livres consacrés à la Chine, j’en ai choisi un, classique : « Récits d’une vie fugitive » de Chen Fou (éditions Folio) : la vie d’un lettré pauvre de la Chine du 18e siècle. Des lignes pleines de poésie et des descriptions bien senties des paysages de la Chine.

Enfin, un guide, « La Chine aujourd’hui », publié voici quelques semaines.