PREMIER CAHIER

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PEKIN : dimanche 12 août 1979

Arrivée à l’aéroport de Pékin à 17h20 (heure locale), au terme d’un vol de seize heures, dont une heure d’escale à Karachi (Pakistan) où règne la moiteur et sévit la pauvreté. Seuls quelques trous d’air, dus à la mousson, au-dessus de l’Inde, ont perturbé ce long vol sans histoire.
Il pleut sur Pékin… Vue d’avion, la campagne est habillée de vert.
Formalités à l’aéroport, prise de contact avec nos interprètes/guides : l’un qui nous suivra pendant tout le voyage, plus deux guides “locaux”. Nous retrouverons nos bagages à l’étage que nous occupons à “l’Hôtel de Pékin”, l’un des hôtels de la capitale chinoise réservé aux étrangers. Ainsi pendant tout notre séjour, nous serons dispensés du fardeau des valises.
Dans le car spécial, qui nous conduit à l’hôtel, à travers la campagne, sur une route toute droite, bordée d’arbres et encombrée de vélos, de camions, de bus et de piétons, un des guides nous souhaite “la chaleureuse bienvenue”… C’est le protocole obligé !
 
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“Hôtel de Pékin” vers 18h45 : une chambre partagée avec l’un des autres célibataires du groupe. La pièce est spacieuse, haute de plafond, pourvue d’un bureau et de fauteuils recouverts des traditionnelles housses de tissu ; elle est équipée d’un poste de télévision en couleurs et nantie d’une salle de bains avec douche et prise de courant.
Dès 19 heures, rendez-vous dans l’immense et solennel hall du vieil Hôtel de Pékin qui nous abrite, car la partie neuve est complète. Un hall qui évoque le style traditionnel chinois, au sein duquel la couleur rouge domine.
Le car nous emmène… au théâtre !
Le voyage démarre sur les chapeaux de roue : théâtre dès notre arrivée, après la nuit blanche passée dans l’avion. Aucun de nous ne s’y attendait, mais ainsi nous ne perdons pas de temps ; voilà qui est de bon augure.

LA MAISON DE THÉ

Le car nous dépose à la porte du Théâtre de la Capitale, une salle de 1200 places, qui est comble lorsque nous y pénétrons. Le spectacle vient de commencer et nous essayons de rejoindre nos places, réservées dans les premiers rangs, sans faire trop de bruit… Des écouteurs pour la traduction simultanée ont été spécialement installés, à notre intention, à chacune de nos places. L’interprète commence par nous avouer qu’il n’a ni lu ni vu la pièce ; il s’en tirera pourtant remarquablement bien.
Il est 19h15. En Chine, les spectacles ont toujours lieu tôt et commencent à l’heure. Au programme, ce soir, « La maison de thé » de Lao She (1899-1966) ; la mise en scène est de Cia Qui Yin, metteur en scène connu, ex-étudiant de l’Université de Paris, aujourd’hui décédé. C’est donc une nouvelle mise en scène que nous découvrirons ce soir. La pièce, interdite depuis seize ans, figure au répertoire de la troupe, mais cette nouvelle mise en scène a été jouée seulement quatre-vingt fois jusqu’à ce jour.
Le décor est celui d’une maison de thé traditionnelle : petites tables de bois, sièges, consommateurs… Dix-huit comédiens, vêtus de costumes traditionnels, occupent la scène et évoluent dans ce décor. Les étoffes des costumes sont recherchées, les lumières esthétiques et l’harmonie des couleurs parfaite. Cette maison de thé semble une copie conforme de la réalité : elle vit. C’est une pièce en trois parties, qui correspondent à trois époques historiques.
- La première se déroule sous la dynastie des Qing (1644-1911). La maison de thé accueille des gens issus de différents milieux : là, ils se côtoient et se rencontrent, chacun ayant ses propres opinions. Une éventuelle réforme démocratique anime les discussions… Un paysan souhaite vendre sa fille ; il discute avec un entremetteur. Celui-ci propose de la céder à un eunuque du Palais Impérial : « la vie est tellement misérable à la campagne que l’on préfère être chien en ville que paysan à la campagne ». Pour des raisons économiques, le représentant de la dynastie mandchoue, la dynastie Qing, fait preuve de xénophobie… Dans la salle, le public ne cesse de parler… Les rires fusent à l’entrée, comique, du « conciliateur »…
Arrivée d’un marchand ambulant…
Une scène : on préfère s’occuper activement du sort d’un pigeon plutôt que du malheur des hommes. Une fillette et sa mère : la petite crie la faim. Sa mère veut la vendre. Un seigneur leur donne à manger, à condition qu’elles aillent manger à l’extérieur de la maison de thé…
Entrée du jeune et beau patron de la maison de thé. Opposition et querelle entre le seigneur mandchou et un seigneur « progressiste », favorable au développement industriel.
L’eunuque pénètre dans la maison de thé ; il annonce que, conformément au décret impérial, les partisans de la réforme démocratique seront passés par les armes. Le rôle de l’eunuque est tenu par un excellent comédien, âgé. Tous les acteurs sont fort maquillés. Certains portent une longue natte, traditionnelle à l’époque de la dynastie mandchoue… Dans le décor, un écriteau figure sur un des piliers de la maison de thé ; il indique : « ne parlez pas des affaires de l’Etat ». Ses propos causent au seigneur « progressiste » des ennuis avec la police … Il va en prison…
Le public rit volontiers.

Fin du 1er acte

Devant le rideau, un comédien prononce des « paroles rythmées » par des os ; ils font fonction de percussions.
- Ces paroles annoncent, sur le mode comique, le contexte du second acte : celui de la République, après 1911, donc. Le patron de la maison de thé essaie de s’adapter au changement… C’est encore la guerre. Le décor de la maison de thé est modifié : nombreux drapeaux, phonogramme à pavillon et nappes de coton sur les tables… Beaucoup de maisons de thé ont dû fermer leurs portes… On parle encore de réformes… Un vieux serviteur se plaint de son sort…
Nouvelles « paroles rythmées ».
Exode d’affamés condamnés à la mendicité. La police effectue des réquisitions alimentaires. Des soldats arrivent. Le patron leur propose de l’argent : c’est du papier monnaie, mais ils veulent des espèces sonnantes et trébuchantes, du métal. Diseur de bonne aventure, fumeur d’opium, vendeur de journaux… Autant de personnages du quotidien.
Le seigneur mandchou de l’acte précédent est maintenant marchand de poules et de légumes. Arrive l’autre seigneur, fort bon comédien, « le progressiste », qui lui est sans emploi…
Entrée des deux militaires du premier acte : ils le sont toujours, mais ils portent un nouvel uniforme. Les soldats demeurent toujours aussi corrompus. L’entremetteur poursuit sa besogne. La fille vendue, qui travaille maintenant à la maison de thé, reconnaît l’entremetteur… Entrée d’un intellectuel, ancien député ; il refuse de travailler… Evadé de l’armée, l’entremetteur est arrêté.

Fin du 2ème acte

« Paroles rythmées » : on a vieilli.
- Troisième acte : l’occupation japonaise s’est prolongée huit ans, ensuite, la victoire est advenue, puis, les soldats américains et la domination de Tchang Kaï-chek (1887-1975).
La maison de thé est délabrée. Désormais, seuls les mandarins ont de l’argent. La fille vendue est devenue une vieille dame. Pour faire la révolution, il n’y a qu’un parti à prendre : se rendre à la colline de l’Ouest, là où se trouvent les communistes.
Entre une prostituée… L’inflation sévit… Un voyou fait du gringue à la péripatéticienne. Le voyou en question est le fils de l’entremetteur. Voilà qui fait rire le public ! De nombreuses répliques suscitent les rires : le public chinois ne semble guère figé et discipliné comme on se l’imagine en occident.
Intervention d’un conteur : l’art populaire va disparaître du fait de l’invasion de la culture étrangère. Nombreuses allusions politiques directes : entre autres, au Kuomintang (parti nationaliste, fondé en 1894, influent en Chine continentale de 1912 à 1949, puis à Taïwan).
…Grève des enseignants… Manifestations des étudiants…
La maison de thé devient un lupanar ; il abrite des indicateurs…
Le seigneur du 1er acte réapparaît… Trois vieux bavardent : ils évoquent le passé ; c’est une belle scène, remarquablement jouée. Ils se lèvent et brûlent des billets de banque, ils les lancent en l’air, et ils retombent tandis qu’ils sortent…
Seul reste le vieux patron de la maison de thé : il se suicide.

FIN

 
Cette fin est inattendue. En lieu et place de cette chute pessimiste, on attendait l’évocation de l’espoir de la Révolution… Surprise ! Spectacle réussi !
Le public, mélangé, vieux, jeunes hommes et femmes, est habillé modestement, mais la nature et les couleurs des vêtements dénotent une diversité de bon aloi. Ce public rit facilement et réagit souvent, mais en général, n’applaudit pas. C’est un public bon enfant, qui rit de bon cœur.
Les couleurs des décors et des costumes sont superbes, l’aménagement et l’occupation de l’espace scénique remarquables. Les comédiens jouent bien et leurs gestes sont justes. Il se dégage de ce spectacle un certain désir de plaire, voire de séduire, et une volonté de convaincre qui forcent l’admiration.
« La maison de thé » est une pièce didactique : elle rappelle la misère passée… Elle évoque un passé précis, à l’aide de situations et de personnages concrets et typés, mais ce n’est pas une pièce dogmatique. Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle fut interdite pendant la Révolution culturelle ? C’est l’histoire illustrée par des situations concrètes et quotidiennes.
« La maison de thé » est un microcosme : la pièce éponyme en présente une description au fil de trois époques différentes. Pour montrer, malgré des changements superficiels, la permanence des êtres, des choses et des situations ? Pièce fataliste et pessimiste, elle suscite cependant l’espoir : elle s’achève, certes tristement et tragiquement, mais avant la Révolution de 1949. Peut-être vise-t’elle précisément à opposer deux périodes : avant et après la « Libération » : le bien être (ou plutôt, le mieux-être) et l’espoir…
L’entracte avait permis un premier et rapide contact, autour d’un jus d’orange, avec les gens du théâtre ; mais, à la fin de la représentation, nos interprètes nous entraînent sur le plateau…
Dès l’apparition du premier de notre « bande des 22 », des applaudissements frénétiques éclatent auxquels nous répondons aussitôt, et presque machinalement, de la même manière : derrière le rideau de scène fermé, tous les comédiens de « La maison de thé », les techniciens et le personnel du théâtre sont là, debout, alignés en demi-cercle sur le plateau. C’est fou ! Et émouvant. Il reste à chacun d’entre nous à serrer toutes ces mains et à répondre aux sourires par le sourire. Vaste entreprise ! Photo de famille ensuite : pendant que le photographe opère, l’un des acteurs, qui tenait un rôle important, à côté duquel je me trouve par hasard me dit, en anglais : « Nous vous remercions d’avoir assisté à ce spectacle le jour même de votre arrivée. Vous devez être terriblement fatigués ! » Et, il s’inquiète : « Avez vous dîné ? » Propos au-delà de la simple courtoisie. Il sort de scène, il doit lui aussi être épuisé.
Echanges de vues et présentations.
L’un des nôtres, le comédien Philippe Avron, (né en 1928), compagnon de Jean Vilar, rencontre un acteur chinois de la troupe qui, comme lui, a joué La Flèche, le valet de Cléante dans « L’Avare »…
En discutant avec les comédiens, nous glanons quelques informations :
- Le Théâtre de la Capitale a été construit en 1956. Il est actuellement dirigé par Cao Yu, né en 1910, dramaturge célèbre, vice-président de l’association des dramaturges de Chine et membre du Comité permanent de l’Assemblée Populaire.
- Ce théâtre abrite un ensemble permanent de 330 personnes (administration comprise), soit trois troupes ; elles jouent trois pièces différentes.
- Leur répertoire permanent est de douze pièces.
- « La maison de thé » a été montée en 1958, 1963 et 1979.
- Enfin, ils nous confirment en s’esclaffant que cette pièce, comme beaucoup d’autres, fut interdite pendant la Révolution culturelle et le règne de la Bande des Quatre.
Retour à l’hôtel et dîner chinois… avec des baguettes.

BALADE NOCTURNE

Après le dîner, vers minuit, deux membres du groupe et moi décidons d’aller nous dégourdir les jambes. A la porte de l’hôtel, un occidental est muni d’un petit magnétophone, qui diffuse une musique de style disco. Deux jeunes Chinois écoutent attentivement et l’un d’eux esquisse quelques pas de danse…
Nous nous baladons sur la grande et large avenue Chang An, quasiment déserte à cette heure. Comme tout Pékin d’ailleurs. Le temps est pluvieux, le pavé humide. Un jeune Chinois à vélo s’arrête à notre hauteur et nous dit les quelques mots de français et d’anglais qu’il connaît, après avoir repéré notre badge bilingue des « Amitiés Franco-Chinoises ». Difficile de communiquer autrement que par le regard, le sourire et une variété infinie de gestes et de signes… Echange de cigarettes… Il nous prête son vélo…
Courte virée nocturne sur la place Tian’anmen, où quelques rares couche-tard et amoureux transis, se tenant par la main, déambulent et s’arrêtent, étonnés, pour nous regarder… Incursion à l’entrée de la Cité interdite, ouverte malgré l’heure tardive… Un jeune garde de l’A.P.L. (Armée Populaire de Libération) nous regarde, un peu surpris et intimidé…
Coucher vers 1h30.

 

PEKIN : lundi 13 août 1979

Breakfast à l’anglaise dans l’immense salle à manger de l’hôtel.

BEAUX-ARTS

Départ en car pour une école des Beaux-Arts, où est organisée une rencontre avec des peintres chinois. Nous sommes un peu en retard et la délégation des peintres nous attend devant le bâtiment. Sous la pluie… Le hall d’entrée est décoré de photographies… Nous pénétrons dans une pièce rectangulaire. Elle est meublée de huit petites tables basses, disposées tout autour de la pièce, devant de larges et profonds fauteuils ; ils sont recouverts des traditionnelles housses de coton clair, ornées de dentelles : elles protègent les accoudoirs et l’emplacement de la tête. Posées sur ces tables, des soucoupes offrent cigarettes et allumettes chinoises, et de petites tasses de thé en métal, décorées de fleurs et surmontées d’un couvercle, attendent que l’eau chaude infuse les feuilles de thé vert qu’elles renferment.
 
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PAQUET DE CIGARETTES DE MARQUE HANGZHOU

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BOITE D’ALLUMETTES

 
Devant chaque table, d’énormes bouteilles thermos frappées d’une imposante rose conservent à température le précieux liquide… De temps en temps, une femme verse l’eau chaude dans nos tasses, et ce thé devient très clair, mais demeure désaltérant. Un éclairage au néon dispense une triste lumière… Un vieux ventilateur brasse l’air humide… Assis tout autour de la pièce, nous écoutons les mots de « chaleureuse bienvenue » de nos hôtes, peintres et dessinateurs, et leur propos : « certaines œuvres picturales, des pièces ont été interdites. Depuis l’écrasement de la Bande des Quatre, nous pouvons mettre en pratique les principes du Président Mao : « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent ». »

Les peintres qui nous accueillent lors de cette entrevue sont :

- Hua Jun Wu (assis à côté de Claire Bretécher, dessinatrice, née en 1940), le plus célèbre caricaturiste de Chine, vice-président de l’association des peintres chinois, (auteur du « Bébé octogénaire », reprise d’une œuvre célèbre de 1962).
- Lan Chien An.
- Wang Lo Tien.
- Pi Ke Quan.
- Fu Hu Jing Po, secrétaire général adjoint de la Fédération des gens de Lettres et artistes de Chine.
 
- « Quid de la caricature ?

- Il existe une forme de caricature relative au domaine de la politique internationale : on ironise, par exemple, au sujet du Vietnam ; mais aussi de notre propre pays, en nous moquant des vieilles idées.
- Claire Bretécher : vous moquez-vous des idées nouvelles ? Moi, c’est ce que je fais.
- Nous faisons l’éloge des bonnes idées, y compris des idées nouvelles… et, nous stigmatisons, par exemple, ces ventes pour mariage, qui existent encore chez nous. »
Claire montre et offre aux caricaturistes chinois ses albums des « Frustrés », ainsi que ceux « d’Astérix », de Reiser… des exemplaires de « Charlie Hebdo »… Enfin, une sélection de BD française.

- « Exécutez-vous des caricatures de vos dirigeants ?

En Chine, les rapports entre les peintres et les dirigeants de l’Etat ne sont pas conflictuels, il n’y a donc pas de caricatures des dirigeants. Mais on caricature certains étrangers : Brejnev par exemple. On s’abstient de caricaturer les dirigeants étrangers qui ont une attitude amicale envers la Chine. Il arrive que l’on caricature un ministre, pour critiquer tel ou tel de ses propos, dont il croit que ceux-ci ont force de loi ; mais dans cette hypothèse, la caricature n’est pas personnalisée, car, selon l’adage, « un tigre, on ne peut pas toucher son cul ». La presse de la capitale (« Journal de Pékin », « Quotidien du peuple » (Renmin Ribao), « La clarté », « Le journal des Ouvriers ») publie des dessins et des caricatures. Dans les journaux, ce sont les rédacteurs qui choisissent un dessin satirique, et c’est le rédacteur-en- chef qui décide s’il est publié ou non. »
En Chine, en général, une exposition célèbre un ou plusieurs peintres. Elle peut être régionale ou nationale. « A partir de demain, au Palais des Beaux-Arts de Pékin, se tient une exposition de Fu Baoshi (1904-1965) ; héritier de la tradition picturale chinoise, il exécute des dessins traditionnels et excelle dans l’art de dessiner des paysages à l’encre de Chine, tels que des montagnes. Nombre de peintures chinoises représentent fleurs, oiseaux et paysages… sans aucun contenu politique. Actuellement, on accorde une grande importance à la peinture traditionnelle et il existe de nombreux Instituts des Beaux-Arts traditionnels ; beaucoup de peintres célèbres, maintenant, y travaillent. (Lors de la visite au mausolée qui abrite la dépouille embaumée du Président Mao, on remarque six peintures : sont-elles traditionnelles ?)
Acheter et exporter des peintures originales anciennes est interdit.
Presque tous les peintres travaillent dans des Instituts des Beaux-Arts ou dans des institutions de Presse, sauf, par exemple, Lin Fengmian : né en 1900, il serait le maître de Zao Wou-Ki, qui naquit à Pékin, en 1920, et réside à Paris. Lin, en tout cas, eut pour élève l’illustre Chu Teh-Chun, peintre né la même année que Zao ; Lin a été invité et rémunéré par l’Institut des Beaux-Arts de Shanghai.
« Les peintres, précisent nos hôtes, touchent un salaire mensuel, plus un salaire par pièce pour leurs créations. Ils sont mieux payés que les autres fonctionnaires, mais il ne faut pas oublier que le niveau de vie moyen reste encore assez bas en ce pays. En cas de reproduction de leurs œuvres, les peintres sont en principe rémunérés en fonction du tirage. Du moins est-on en train de rétablir ce principe abandonné sous la Bande des Quatre. Le système est dégressif : la rémunération est élevée pour le premier tirage, puis elle baisse au fur et à mesure des éventuels nouveaux tirages. Si les toiles d’un peintre ne se vendent pas, celui-ci dispose de son salaire mensuel, du moins s’il travaille dans un Institut. Malgré la censure de la Bande des Quatre, les artistes continuaient à percevoir leur salaire et pouvaient donc vivre. Deux des peintres présents à cette rencontre ont été rééduqués : travail de la terre, élevage de porcs et travaux de menuiserie ; mais ils ont continué à toucher leur salaire.

Quid de la peinture chinoise en France ?

- Exposition de peintures paysannes d’une Commune populaire.
- Exposition de peintres professionnels de Mongolie.
Les peintres paysans chinois ont commencé par peindre des toiles de propagande dans leur Commune populaire. Remarqué, leur talent leur a permis de suivre, ensuite, des études dans ce domaine. »

L’une d’entre nous remarque :
- « Les dessins et les peintures d’enfants chinois révèlent une maturité extraordinaire…
- Ce sont bien les enfants qui les exécutent ; il arrive, parfois, que les parents les aident. Mais, on encourage les enfants à dessiner. « L’association des peintres » et ses succursales de province organisent des cours pour les enfants.

Quelle est la formation des peintres ?

Ils préparent le diplôme de l’Ecole des Beaux-Arts ; les examens sont très sérieux. Le pourcentage de recrutement est faible, car nombre d’enfants aspirent à être peintres. Ceux qui ne sont pas acceptés peuvent suivre des cours pendant leurs loisirs. La carrière dépend du talent de chacun. Dans les magasins de peinture, on trouve beaucoup d’œuvres d’amateurs, d’un niveau certain. A Pékin, les amateurs ont eux-mêmes organisé leur association et exposent dans un parc de la capitale. Un jeune serviteur de l’Hôtel de Shanghai peint. Son talent a été remarqué, on l’a encouragé à travailler et on a organisé pour lui une exposition à Pékin. De plus, on a décidé de publier un album de ses œuvres. Lors des expositions des peintres amateurs ouvriers, ceux-ci vendent leurs œuvres. Il existe des artistes qui travaillent dans les Instituts, qui ne sont pas diplômés des Beaux-Arts, mais dont le talent a été remarqué.
C’est l’association des peintres qui décide de l’organisation d’une exposition. Les Chinois visitent beaucoup les expositions. La veille du nouvel an ou de la fête du Printemps, les paysans collent des peintures sur les battants de leur porte ou bien, au-dessus de la porte de la maison dans certaines Communes populaires.
A Shanghai et à Pékin, il existe des revues spécialisées de peinture, mais leur rédaction n’est guère appropriée pour les masses.

La peinture non-figurative existe-t-elle ?

La peinture française a une très grande influence en Chine, mais sous les Quatre, il était même interdit de parler de l’Impressionnisme. Jiang Qing (née en1914), Madame Mao, est incapable de distinguer l’Impressionnisme de l’art abstrait… Nous aimons beaucoup Daumier, Delacroix, Monet. La majorité des Chinois ne comprend pas la peinture abstraite occidentale. D’ailleurs, il n’y a guère eu d’exposition de ce style. Sauf, en 1965, date à laquelle quatre peintures abstraites furent présentées lors d’une exposition japonaise.
Il existe des reproductions d’œuvres de Picasso, Matisse et Cézanne, et tous les peintres chinois connaissent « La colombe » de Picasso, (la colombe de la paix).
On pratique beaucoup la calligraphie ; les occidentaux prétendent qu’elle est l’un des ancêtres de la peinture abstraite. Les Chinois n’hésitent pas à admettre leurs carences : ainsi, en matière d’art, l’art de la porcelaine tel qu’il existe actuellement, mériterait de réaliser quelques progrès.
Dans des Instituts spécialisés, on étudie la peinture sur soie. Les quatre modernisations visent aussi à « élever le niveau de vie du peuple »… »

L’entrevue a duré deux heures, nous avons beaucoup écouté et interrogé ; les camarades peintres chinois ont beaucoup parlé et n’ont jamais refusé de répondre à une question. Ils ont ri et nous ont fait rire. Leur humour est certain. L’un des peintres fera allusion avec gentillesse et humour au roupillon de la dessinatrice Claire Bretécher, qui s’est lâchement endormie à côté du plus célèbre caricaturiste de Chine, Hua Jun Wu… Sourires, chaleureuses poignées de mains… Au fait, en deux heures, nous n’avons vu aucun dessin ni aucune peinture…

Au sujet de la caricature et de sa définition, voir « Beijing Information », n°29, du 23 juillet 1979.

Déjeuner chinois à l’hôtel.

AUTEURS

L’après-midi, le programme prévoit une rencontre avec des membres de « l’Association des travailleurs dramatiques chinois » et de « l’Association des écrivains chinois ». Quelques Chinois nous attendent devant la porte, nous traversons un hall vide, gravissons quelques marches et découvrons une trentaine de personnes debout qui nous applaudissent… Un protocole, semble-t-il, habituel.
La pièce, rectangulaire, est bien éclairée. Traditionnels fauteuils, petites tables, thé, etc… et biscuits salés, noisettes, cacahouètes, gâteaux, cigarettes et personnel idoine pour servir les nobles étrangers… « Nobles étrangers » ? Un quelconque Chargé d’affaires de l’Ambassade de France à Pékin s’est invité. Dépourvu de toute noblesse, Il se comporte comme un goujat : il tient quelques propos convenus, d’une criante banalité, (il quittera les lieux, au terme de la rencontre, sans saluer un seul d’entre nous)… J’ai honte !
Ensuite, chacun d’entre nous se lève et se présente brièvement. A l’évocation de mon origine: « la Bretagne, une minorité nationale de l’Etat français », quelques uns de nos interlocuteurs semblent intéressés, mais le Chargé d’affaires frémit. Lorsque le comédien Philippe Avron précise qu’il a travaillé avec Jean Vilar et Beno Besson, les Chinois apprécient. Ils respectent, ensuite, la même procédure, sans doute répétitive et quelque peu longue et fastidieuse.

Sont présents à cette rencontre :

- Cao Yu, 69 ans, dramaturge, vice-président de l’Association des dramaturges de Chine, membre du Comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire (A.N.P.), et directeur du Théâtre de la Capitale. C’est à ce titre qu’il nous y a accueillis, hier soir. Il est, par ailleurs, l’auteur de « Wang Zhaojun », pièce que nous verrons demain soir.
- Un membre de l’Association des écrivains chinois, critique dramatique et rédacteur en chef d’une gazette littéraire.
- Un comédien, metteur en scène et administrateur de pièces.
- Yenin, rédacteur-en-chef du « Théâtre du Peuple ».
- Deux fonctionnaires (très « discrets ») du Ministère de la culture (département des Affaires Etrangères).
- Un célèbre poète qui se présente modestement en ces termes : « Je ne suis qu’un simple spectateur et j’ai parfois du mal à trouver des billets. Il m’arrive d’écrire ».
- Du Zifang, illustre comédienne de l’Opéra de Pékin, élève du fameux Mei Lanfang (1894 à 1961) qui se consacra au rôle de guimen dan ou qingyi, rôle de femme vertueuse.
- Un des comédiens de « La maison de thé ».
- Un érudit, professeur au conservatoire central du Théâtre de Pékin.
- Un dramaturge, auteur de « Le dernier acte ».
- Tchang Un Si, auteur de l’Opéra de Pékin, fameux acrobate de cet opéra. S’est illustré, entre autres dans le rôle du roi des Singes.
- Madame Thaï Shen, ex-comédienne, professeur au conservatoire.
- Une comédienne du Théâtre du Peuple ; elle joue dans « La maison de thé ».
- Un dramaturge et critique.
- Une célèbre ex-comédienne des années 30, rédactrice en chef d’un journal de théâtre.
- Un metteur en scène du Théâtre des jeunes.
- Une ancienne comédienne qui se consacre au travail avec les étrangers.
- Un critique.
- Un décorateur.
- Un comédien du Théâtre du Peuple de Pékin ; il joue dans « La maison de thé ».
- Un professeur du conservatoire de Pékin, auteur de nombreuses recherches relatives à Brecht.

Soit vingt-deux professionnels, le gotha du théâtre pékinois !

Le responsable d’un théâtre qui jouait, entre autres, Tchekhov et Gorki, avant la Révolution culturelle, raconte que le théâtre fut fermé pendant cette période. Rouvert depuis un an, l’expérimentation y est en discussion.

- « Que faisaient les comédiens chinois sous les Quatre ?

- J’ai fait un travail manuel, pendant cinq ans, répond l’un des dramaturges, et pendant cinq autres années, j’ai essayé d’écrire mais, je n’ai pas réussi.
- J’ai appris à faire la soupe. Pendant la nuit, je m’entraînais en cachette », dit Tchang Un Si, acrobate de l’Opéra de Pékin.
- Femme grande et fragile, Du Zifang, de l’Opéra de Pékin, répond, quant à elle :
« Pendant la nuit, je creusais des tunnels et des abris, et j’ai travaillé dans les montagnes et à la campagne. Je continuais mes expériences dramatiques en cachette. C’est pour cela qu’on me trouvait nerveuse à cette époque ».

« Le conservatoire ?

Il comprend quatre facultés, nous dit-on :
-       mise en scene
-       littérature théâtrale
-       comédiens
-       décorateurs
Le recrutement s’effectue dans tout le pays. L’examen d’entrée est vocal, physique, politique… La formation dure de deux à trois ans, après le diplôme de l’école secondaire.
En Chine, il existe deux sortes de théâtre :
-       les théâtres d’Etat
-       les théâtres gérés par une collectivité (amateurs)
Presque tous les grands théâtres ont leur propre école de formation des jeunes.
A Pékin, il existe plus de cinquante salles de théâtre : certaines reçoivent seulement les spectacles et sont gérés par une compagnie de spectacle, et d’autres dépendent d’une troupe. Une compagnie de spectacle exerce sous l’égide soit du ministère de la Culture, soit de la municipalité. Comme chez nous, c’est la troupe qui décide du spectacle à monter ; le metteur en scène est libre de choisir ses comédiens. Un théâtre peut inviter une troupe à se produire dans sa salle. Comme en occident, beaucoup de comédiens de théâtre jouent aussi au cinéma.

L’opéra de Pékin ?

Un comédien de l’opéra de Pékin est formé, à partir de l’âge de douze ans, une fois sa scolarité primaire achevée. La plupart des candidats sont des enfants : ils ont envie d’intégrer l’institution (ce ne sont pas les parents qui décident). Parmi les élèves, il y a des enfants d’ouvriers et de paysans, parfois jusqu’à 70%. Maintenant, toutefois, la plupart vient de familles influencées par l’art. Les critères de sélection pour être admis, à douze ans, à préparer l’entrée à l’opéra de Pékin sont la beauté, l’état physique, la voix, la prononciation (la diction ?), les connaissances culturelles et politiques.

- La beauté ?

- D’après la forme du visage. Les rôles sont stylisés. Ainsi, il faut un visage large pour jouer un rôle de général et un joli minois pour les rôles féminins.
Pendant six ans, l’élève acquiert la base de son art : il étudie les jeux de combat et le chant. Ce n’est qu’au terme de cette formation que l’on peut distinguer à quel rôle correspond un comédien. Cependant, il ne jouera pas toujours le même rôle.
La différence de rémunération des acteurs est fonction de leur travail, de leur expérience, de leur moralité et de leurs qualités politiques.
A Pékin :
-       56 yuan /mois => débutants
-       170 yuan /mois => le plus élevé
-       60 yuan /mois : salaire le plus bas pour les comédiens de « La maison de thé ».
Cao Yu, directeur du théâtre, vice-président de l’Association des dramaturges et membre du Comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire gagne en tout 310 yuan par mois.
Les droits d’auteur ont été supprimés par les Quatre, mais seront peut-être rétablis.
Et Cao Yu n’hésite pas à affirmer : « Etre riche ce n’est pas un mal, si je travaille sans exploiter les autres ».
Quand il prend sa retraite, l’acteur est pris en charge par l’Etat.
Prix des places pour « La maison de thé » : 80 fen, prix le plus élevé pour les Chinois et 4 yuan pour les étrangers.

Le maquillage ?

Les comédiens apprennent à se maquiller eux-mêmes. Cet art constitue une partie importante de la création pour un acteur chinois, que des maquilleurs aident parfois dans cette tâche. Pour « La maison de thé », la durée du maquillage, avec le secours des maquilleurs, n’excède guère une heure.
Les auteurs chinois respectent les troupes et ne s’immiscent pas dans leurs affaires.
Il existe plus de trois mille troupes de théâtre, la plupart d’opéra, sans compter les nombreuses troupes amateurs d’ouvriers, de paysans et de jeunes, dont on ignore le nombre.

On recense trois sortes de salles :
-       les salles accueillant pièces modernes ou opéras
-       les salles de théâtre et de cinéma
-       les salles de théâtre.
En moyenne, les salles comptent de 700 à 800 places.
A Pékin, dix salles sont réservées exclusivement au théâtre ; les autres, l’après-midi, se consacrent au cinéma. Cinq cents salles offrent théâtre et cinéma.
Au théâtre, les Chinois n’aiment guère applaudir. Quand le spectacle leur plaît, ils en parlent en famille. C’est plus efficace pour le bouche à oreille. »

L’un des Chinois pose une question au sujet d’Ionesco…
On serre quelques mains, on remercie les interprètes et l’on s’en va.

OPERA DE PEKIN

Le soir, quelques-uns d’entre nous ont décidé de passer outre les dires des interprètes et d’assister à un opéra de Pékin. Nous empruntons quatre taxis. Prix de la course : 3 yuan 30. Le chauffeur de notre taxi est jeune, souriant, sympathique et fraternel. Il met la radio et nous dédie des gestes d’amitié. Nous pénétrons dans un quartier très populaire, dont les rues sont encombrées de tout un monde, qui s’écarte au passage des taxis. Il pleut. Faute d’avoir pu compter sur nos interprètes, nous débarquons à l’improviste et au dernier moment au Théâtre du Peuple, lieu, semble-t-il, habituel de l’Opéra de Pékin de la capitale … Sans billets. Et, nous sommes seize ! Quelques cinq minutes de palabres et les mots magiques, prononcés en chinois par M. : « nous ne parlons pas chinois, nous sommes Français » sont un sésame ouvre-toi. Un responsable du théâtre nous distribue à chacun un billet, qu’il refuse obstinément de nous laisser payer : une fois encore, un geste aimable… Nous sommes placés au fond d’une salle comble de Chinois, il n’y a pas d’autres touristes, mais nous voyons et entendons parfaitement. Le spectacle, « Enluminures », est superbe : décors et lumières sobres et délicats. Profusion de costumes somptueux aux couleurs chatoyantes. Les maquillages sont un langage, celui des « visages fleuris ». Ils obéissent à un code. Les coiffures sont remarquables. Les artistes sont à la fois comédien, chanteur, mime, danseur et acrobate.
Sur le plateau, à droite, un orchestre : percussions (métallophones), petits violons chinois, un instrument à vent.
Le spectacle se prolonge environ trois heures un quart (deux parties, plus deux parties), avec un court entracte : glaces et chocolat figurent au programme !

- 1ère partie : assez statique, changements de décors rapides
- 2ème partie : acrobatique
- 3ème partie : statique, mais la musique, essentiellement vocale, tient une place importante ; prouesses vocales appréciées par le public
- 4ème partie : (courte) très acrobatique. C’est un festival de cascades, sauts de mains, sauts périlleux, combats de sabres. Equilibré et plein d’humour, le spectacle s’achève en cette apothéose, un régal !
Le public est nombreux (1600 spectateurs ?) et très mélangé : vieillards, jeunes, couples, enfants… vêtus d’un costume ou en bleu et portant casquette. Spectacle populaire ; le public est bon enfant et décontracté : il parle pendant la représentation, se promène, tousse et crache, mais ne cesse de manifester ses réactions. Il ne laisse passer aucune réplique drôle, aucune prouesse vocale (telle une tenue de note) ou aucun exploit physique sans applaudir chaleureusement. Les voix sont très belles. Une musique d’appoint ponctue l’action. De chaque côté du plateau, une diapositive dessine les idéogrammes chinois. Les combats mimés illustrent l’art de l’esquive.

Gestes :
- Le comédien suisse Bernard Haller (Genève, 1933) achète du chocolat. Une demi-heure plus tard, on lui remet un yuan trop perçu.
- La voisine d’A.M. achète un jus d’orange pour elle et lui en offre un.
- Deux types de la télévision, qui enregistrent le spectacle, s’adressent à moi en anglais.
- Le responsable qui nous a offert les billets vient avertir Bernard Haller, pendant le spectacle, qu’il a prévu des taxis à notre intention. Il ne nous connaît pas, n’a pas reçu de consignes (?) et ne nous a rien demandé.

RESTAURANT POPULAIRE

A 23 heures, un chauffeur de taxi nous conduit vers un petit restaurant populaire pour souper. Le patron nous installe dans une salle à part ; l’autre salle est comble. L’homme parle français (hasard?). Il nous sert bières, galettes de pain et potage aux raviolis. Nous sommes onze; Bernard paye six yuan pour le tout.
Nous rentrons à l’hôtel à pied, sous la pluie.

 

Pékin : mardi 14 Août 1979

GRANDE MURAILLE

Aujourd’hui, une visite de la Grande Muraille figure au programme : départ de la gare principale de Pékin, qui arbore un style stalinien.

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Le train comporte des voitures pour les touristes (japonais, américains, italiens, français…), et d’autres, plus spartiates pour les Chinois.
Celle que nous occupons est confortable : de nombreux ventilateurs mobiles brassent l’air, une table basse permet un éventuel pique-nique, des tasses à thé y sont disposées, les fauteuils sont ornés de dentelle et revêtus d’une housse, la musique chinoise remplit l’espace …. Une vente ambulante propose friandises, cigarettes, et même foulards…
Deux heures sont nécessaires pour parcourir environ 80 kilomètres ; il est vrai qu’il faut gravir la montagne, qui soudain s’élève dans la plaine… Le train s’arrête dans une petite gare, où l’on écoute les stridulations des grillons. Enfin, il atteint la gare de la Grande Muraille; un flot impétueux de touristes de diverses nationalités se répand…Une véritable invasion! Laissons passer les sauvages ! Des paysans, accompagnés de quelques enfants, beaux mais pauvrement mis, vendent des pommes sur le bord de la route. Ils pèsent les fruits avec une balance rudimentaire. D’autres proposent des dessins -peintures traditionnels, œuvre d’amateurs. Il en est de très beaux. Je choisis de gravir le côté gauche de la Grande Muraille, plus escarpé, mais moins encombré de touristes. La pluie a cessé; la vue est belle sur les monts environnants : la nature s’est parée de ses verdoyants atours. La brume peu à peu enveloppe les cimes, puis les hauteurs de la Grande Muraille. Beaucoup de Chinois se promènent également, soit en famille, comme ces des pères accompagnés de leur fils – l’un d’eux, tenant son fils par les épaules, lui explique les choses – soit avec des amis. Ce sont des gens, semble-t-il, de condition modeste. Des soldats de l’A.P.L. profitent également du site.
Symboles chinois, glanés au passage : montagnes et eau sont la métaphore de l’altitude et de l’étendue du pays, le dragon, figure l’empereur, le phénix, l’impératrice.

MING

Epuisés, nous regagnons le train; au terme d’un court trajet, un car nous conduit jusqu’au Tombeau des Ming (1368-1644), envahi par les touristes, entre autres Japonais, armés d’un mégaphone.
L’allée sacrée est « peuplée » d’animaux (éléphants, chameaux…) et de mandarins (civils et militaires) et bordée de saules pleureurs : elle est fort belle. Les musées 1 et 2 sont infestés de touristes; passons. On voit une sorte de « pagode », dont la beauté attire le regard, mais il pleut à torrent… Dans la perspective, sous une colline, le tombeau souterrain : portails en marbre et voûtes en pierre superbes. Par ailleurs, rien de spécial; mises à part quelques « caisses rouges », les ex-cercueils et coffres du trésor. Il y avait aussi du jade brut…
Des affiches évaluent le coût du tombeau en journées de travail. Voilà qui est pédagogique. Lorsqu’ils évoquent les chefs-d’œuvre de l’art ancien, les guides précisent que ceux-ci sont le témoignage de l’intelligence et du travail des ancêtres.
Le retour à Pékin s’effectue en car, sous la pluie. La campagne s’immisce dans la ville; la moitié de la population de la capitale est constituée de paysans.

THEATRE

Le soir, avant la représentation, nous assistons au maquillage des artistes. Il se prolonge environ une heure. Comme constaté précédemment, c’est un aspect essentiel de leur art. Ils y procèdent eux-mêmes, ou bien avec l’aide d’un maquilleur. Le metteur en scène décide, avec les comédiens, quel type de maquillage correspond à tel ou tel personnage. Cette préparation est longue et complexe. Le temps consacré au maquillage n’est-il pas aussi une étape : le moyen psychologique d’entrer progressivement dans le personnage ? On observe les coiffures sophistiquées des femmes … La pièce, « Wang Zhaojun », de Cao Yu, évoque une période précise de l’Histoire.
Grand amateur de théâtre, Chou En-lai, feu le Premier ministre, s’est beaucoup intéressé à la culture. Il avait commandé au dramaturge une pièce dont le thème serait l’amitié des Han et des minorités. Celle-ci n’a pu être écrite et montée jusqu’à peu, il y a une dizaine de jours, à cause de la Bande des Quatre, nous affirme-t-on, une fois encore… Cette pièce mêle théâtre, chanson populaire, musique et danse : c’est une nouvelle manière, et le ministre de la culture assiste au spectacle. Le titre de la pièce est emprunté au nom d’une concubine ; Wang Chao Quin, est celui de l’héroïne, qui se marie avec l’homme de la minorité nationale. En l’an 33 avant notre ère, à l’époque de la dynastie des Han, la cour impériale dispose de trois mille concubines, qui attendent l’appel de l’empereur… Celui-ci mène une politique de bon voisinage avec les nomades du nord…
La représentation dure trois heures. L’intrigue romantique et politique, relativement mièvre, baigne dans l’eau de rose. Le jeu des comédiens semble artificiel, mais le message politique est essentiel : les bonnes relations entretenues avec les minorités nationales, fort nombreuses en ce pays. Les décors et les costumes sont variés et somptueux. Participent-ils à l’éducation esthétique du public ? Ils étaient, nous dit-on, réduits au strict minimum sous la Bande des Quatre.
Note : « Dans un endroit calme », est une pièce jouée l’an passé, relative à la bande des Quatre, dont le thème peut se résumer ainsi : la révolte du peuple après le grondement du tonnerre… Décidément, cette « Bande » est chargée de tous les maux, elle a le dos large !

 

Pékin, mercredi 15 août 1979

AVANIES

Il pleut. Départ, à 9 heures, de l’Hôtel de Pékin en taxi (40 yuan), avec trois amis du groupe, en direction de la lamaserie tibétaine de Pékin. Le chauffeur est jeune, la trentaine environ. Arrivés à destination, nous trouvons porte close. Nous insistons; un Tibétain nous déclame en anglais que c’est fermé pour cause de travaux. En effet, des travaux sont en cours et, à l’intérieur, une pancarte annonce « No admission ». Est-ce fermé véritablement ? Fermé aux étrangers ? L’hôtel a-t-il téléphoné ? Même avec le secours de la langue, il est extrêmement difficile, ici, d’obtenir une information fiable !
Nous demandons au chauffeur de nous conduire à ce temple, dédié à Confucius, dont nous lui indiquons l’implantation sur une carte. Il refuse. Nous insistons. Il est furieux; le mouvement de ses maxillaires l’atteste. Son visage se ferme et le demeurera toute la matinée. Pas un mot, pas un sourire, pas un geste de sympathie à notre intention. Il ne parle pas anglais. L’hôtel nous aurait-il confié à un « dur » ? A-t-il eu par le passé des déboires personnels à cause de Confucius ? Ce lieu est-il fermé aux étrangers ? Pourquoi une réaction d’une telle violence ? Pourtant, prétend-t-on, les Chinois excellent à dissimuler leurs sentiments… On ne connaîtra jamais le fin mot de l’histoire…

Le Temple des Nuages Azur s’élève à l’extérieur de Pékin, au-delà du Palais d’été (XVII°-XVIII° siècles) – celui du sac par les Anglais et les Français, le 18 octobre 1860 – Le site offre un paysage magnifique au cœur des Collines Parfumées…

CENTRE CULTUREL

Sur le chemin, à l’intérieur de la capitale, on s’arrête à la Tour du Tambour. C’est un centre culturel de quartier : petit théâtre en plein air, exposition de peintures, qui sont l’œuvre des gens du quartier. C’est beau ! Quelques jeunes gens sympathiques et des visiteurs, peu nombreux à cette heure matinale, fréquentent le lieu. On admire nombre de peintures traditionnelles, sur tissu et sur soie, dépourvues de thématique politique, montagnes, paysages, écrevisses, ainsi que des calligraphies. Les peintures à l’huile sont, dans l’ensemble, sans grand intérêt. Brève rencontre avec des peintres. On remarque quelques jolis paysages, qui représentent la Grande Muraille ou bien des quartiers de Pékin… L’un de ces tableaux pourrait faire songer à Utrillo. Les artistes, semble-t-il, maîtrisent encore mal la technique de la peinture à l’huile. Mais comme indiqué plus haut, une seule exposition de ce genre de peinture a été organisée à Pékin. L’une d’entre nous achète des œuvres, certaines à un bon prix, d’autres très chères.
A côté de la salle d’exposition, un atelier d’artiste : un peintre nous montre une toile qu’il est en train d’achever. Elle appartient au réalisme socialiste – il n’y en avait guère dans l’exposition – : Hua Guo Feng (né en1921), Président du P.C. chinois et Premier ministre, entouré de représentants de minorités nationales et les saluant, un thème décidément à l’honneur. L’atelier recèle également une toile, achevée celle-là, représentant Chou En-lai, la nuit dans sa voiture.
La Tour est entourée de petites boutiques.

COLLINES PARFUMEES

Nous reprenons le chemin des Collines Parfumées.
Seul des visiteurs chinois s’y promènent : soldats de l’A.P.L., familles et, comme toujours, nombreux enfants. Le taxi nous attend. A gauche, une pagode ; nous nous dirigeons droit devant nous : beaux arbres et édifices divers. Un Bouddha laqué trône dans une salle, dans une autre, 508 Bouddhas figés dans des attitudes différentes (trois semblent fort anciens). Ils n’ont pas été restaurés et sont très beaux.
Nous gravissons ensuite la colline jusqu’à son sommet pour accéder au stupa, ce dôme bouddhiste recelant des reliques. Malgré la pluie, la vue est belle sur le Palais d’été, quelques pagodes et la ville de Pékin. Les essences d’arbres abondent. A midi, nous quittons les lieux.

CANARD LAQUE

Nous arrivons au restaurant Le Canard laqué, dans la rue Tsien Men, une vieille rue commerçante. Il est 12h45 : nous avons un quart d’heure de retard. Ce matin, l’hôtel a réservé pour nous, à 12 heures 30, et pour 30 yuan par personne, vin non compris. La façade est laide et le cadre médiocre. C’est une petite salle où sont disposées quatre tables : la nôtre, une plus grande, occupée sans doute par des Chinois d’outre-mer, une troisième par des Japonais et, la dernière. Celle-ci demeurera une énigme : Chinois d’outre-mer ayant invité leur famille ou cadres du Parti ? En tous cas, trois personnes autour de cette table portent l’uniforme de l’A.P.L., dont un jeune et beau Chinois. Tous mangent beaucoup : poisson, canard laqué, etc…
En ce qui nous concerne, nous commençons par de multiples plats à base de canard, mais aussi de poisson (abalone). Le chef vient ensuite nous présenter le canard laqué, qui sera découpé et consommé en petits morceaux. Les filets se dégustent roulés dans une fine crêpe, trempée dans une sauce ou bien enfouie dans un petit pain au sésame. La tête du canard, coupée en deux, et sa cervelle sont servies, ainsi que le croupion. Les Chinois raffolent de ces parties de l’animal, considérées comme les meilleures. Le tout est arrosé d’un vin rouge cuit, mais sec. Succulent ! Suivent une soupe, puis un dessert, une salade de fruits.

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Aux alentours de 15 heures 30, un nouveau taxi nous prend en charge pour tout l’après-midi. Il nous en coûtera 10 yuan. Il nous conduit dans un quartier de hutong, lacis de ruelles, de venelles et de cours qui, depuis des siècles, caractérisent Pékin … On déambule au fil de la rue des Antiquaires, où s’alignent les boutiques de ces amateurs de choses anciennes. C’est une vieille rue aux maisons basses, ornées de frontons en bois, sculptés et colorés. Magnifique ! Achat de quelques « frottis » (lavis ?) dans une échoppe qui en propose de très beaux.
Promenade… Les vélos sont légion. Un boulanger fabrique ses petits pains cuits à la vapeur. Un magasin vend pinceaux et papier. Certains antiquaires proposent quelques beaux objets, à des prix dissuasifs ; rares, ils sont destinés essentiellement aux étrangers.
La vieille rue commerçante, derrière la place Tian’anmen, grouille de chalands. Les maisons sont basses, certaines façades en bois comportent deux étages. Des gens, simplement mis, sur le pas de leur porte, lavent leur linge dans des cuvettes émaillées…

EXPOSITION A LA « GALERIE D’ART CHINOIS »

C’est une exposition d’environ 200 dessins humoristiques, qui se prolonge deux mois. Ils sont l’œuvre d’artistes de Shanghai, Pékin, Tientsin (Tianjin)… De nombreux visiteurs de tous âges et de toutes conditions contemplent les cimaises de la galerie, auxquelles sont accrochés, entre autres, certains dessins de Hua Jun Wu, qui ne nous a guère informés de cette exposition lorsque nous l’avons rencontré.
Les thèmes principaux dont cette manifestation témoigne sont, pour l’essentiel :
- la critique des cadres, à savoir ceux qui usent de leur pouvoir dans leur propre intérêt et non dans celui du peuple,
- la critique de la bureaucratie,
- la critique des Soviétiques et de leurs alliés, tel le Vietnam (nombreuses caricatures de Brejnev),
- la critique de la Bande des Quatre.
Ainsi, un dessin dénonce l’uniformité sous la “Bande des Quatre” : deux enfants, deux adultes et deux vieillards sortent d’un magasin de vêtements, les uns derrière les autres ; ils portent tous des vêtements kaki identiques. En-dessous, les mêmes personnages portent coiffures à la mode et vêtements occidentaux, bien coupés et de couleurs différentes : voilà qui suscite le rire des visiteurs chinois ! Un autre dessin est relatif aux « quatre modernisations ». Une caricature dénonce un cadre, c’est un bureaucrate ; il s’occupe d’avantage de ses affaires privées que de celles relevant de sa fonction…
Cette exposition se tient dans la salle située à gauche de l’entrée.

UNE VIE DE SAINTE

A droite et en face, une autre exposition est consacrée à Chang Zhe Xing. C’est, entre autres, le ministère de la Culture qui a décidé de l’organiser. Les autorités ont demandé aux peintres de Pékin et du Liaoning (Chine du nord), la région natale de Chang Zhe Xing, de traiter ce thème : une femme victime de la Bande des Quatre. Mille toiles ont été proposées par plus de trois cents peintres. Deux cents toiles de cent peintres, la plupart professionnels, mais aussi quelques amateurs, ont été retenues après sélection. L’exposition, inaugurée hier, se poursuit jusqu’au 2 septembre.

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Chang Zhe Xing est née voici environ quarante ans. Elle est souvent représentée avec une rose parce qu’en prison elle s’était confectionnée cette fleur avec du papier hygiénique. En 1975, alors âgée d’environ 36 ans, elle est tuée, dans sa geôle, par un policier. Membre du Parti, elle travaillait dans un département de la propagande. Jeune, elle apprit à jouer du violon, ainsi que ses sœurs, avec son père. Sa renommée de violoniste ne dépassait guère les frontières de sa province. Elle a été tuée, m’explique en anglais la jeune guide du musée, parce qu’elle est restée fidèle aux idéaux de la Révolution et a posé des problèmes à la Bande des Quatre. Envoyée en prison, en 1970, pour une durée de quatre ans, elle n’a pas cessé ses critiques. Ainsi, au sujet des cadres, disait-elle : la plupart sont bons, pourquoi les critiquer ? Le policier meurtrier, voici quelques mois, écrivit pour faire savoir au peuple combien elle fût héroïque, continuant à lire Marx et Lénine dans sa geôle et à aider sa famille. Elle était en effet mariée et mère de deux enfants, une fille et un garçon. Une guide, en réponse à une question de ma part précise que Chou En-lai n’a rien fait pour elle, « parce qu’il n’était pas au courant ». On prétend souvent que la Bande des Quatre a trompé les camarades. Aurait-elle aussi trompé Chou ? En avril 1979, des milliers de personnes se sont rassemblées pour célébrer sa mémoire, lors d’un meeting, dans sa province. Ce sont-elles, donc le peuple, qui l’ont choisie comme modèle et en ont fait une héroïne. On l’a élue comme symbole parce qu’elle était une personne ordinaire et héroïque. « Sa haute conscience et son esprit noble sont des modèles ». Une vie exemplaire, donc, qui fait songer à celle de ces saints, que l’Eglise canonise. Le choix du peuple, une vie digne d’une hagiographie ? Le philosophe Jean-Paul Sartre, il est vrai, définissait le Parti communiste comme un Ordre, qui fait régner l’ordre en donnant des ordres…
La mère et les trois soeurs de Chang Zhe Xing sont venues ce matin, me dit-on… Elles ont, paraît-il, pleuré… Les gens les ont reconnues et prises en photo.

GRANDS MAGASINS

Escapade dans les Grands Magasins de l’artère commerçante de Pékin (à gauche deux fois en sortant de l’hôtel). Les chalands sont très nombreux et l’extraordinaire variété des objets permet de choisir : riz et coton (rationnés cependant), profusion de bonbons et de ces petits gâteaux secs dont les Chinois sont si friands, cigarettes… Les rayons vêtements, quincaillerie, alimentation, jouets… sont bien pourvus. Même à Pékin, on observe une variété de vêtements et de coloris. Non, tous les Chinois ne sont pas habillés à l’identique; ils disposent d’un choix pour leurs achats.

OPERA DE PEKIN BIS

Au cours de la soirée, on assiste à quatre extraits de l’Opéra de Pékin :
- du roman « Le serpent blanc » (traditionnel) => épisode « Rencontre au pont rompu »,
- « Le Carrefour de trois chemins » (traditionnel) => épisode « Le combat de la nuit ».
- « Yan Tang Chan » (traditionnel) => épisode « l’assaut de la forteresse Y.T.C. »
- « Yan Tang Chan » (traditionnel) => épisode « Le combat dans l’eau ».
Les divers rôles de ces opéras sont tenus par des hommes et par des femmes.

 

Pékin – Nankin, (1157km), jeudi 16 août 1979

TAI CHI MATINAL

Debout à 5 heures 50 : c’est l’heure requise pour contempler les Pékinois, ceux qui s’adonnent à leur gymnastique matinale près du mur de la Cité interdite. Le ciel rougeoie, le soleil se lève, enfin il apparaît : Pékin change de visage, Pékin s’illumine. Des centaines de personnes pratiquent le tai chi chuan, par groupes, à l’ombre de la Cité interdite. C’est une gymnastique dont les mouvements sont lents, et qui s’apparente à la danse. Hommes et femmes, jeunes et vieux, réunis en petits groupes s’exercent. Nous voilà bien loin des clichés : point d’enrégimentement, ni de hauts parleurs vociférant, tandis que tous font le même exercice, les mêmes mouvements à la même heure. Quelques-uns pratiquent en pleine rue, à l’ombre des arbres. D’autres, armés de fausses épées, s’entraînent aux arts martiaux, des soldats à un sport de combat, tel que la boxe. Ces scènes se déroulent tandis que le soleil s’élève dans le ciel et que les brumes matinales se dissipent. Tournées vers les douves de la Cité interdite, deux ou trois jeunes gens se livrent à des vocalises, tantôt elles se mêlent au chant des oiseaux, tantôt elles en couvrent les trilles. Entre le mur, à droite, et les bosquets, un homme chante un lied de Schubert… Petit matin étonnant ! Je rentre à regret faire ma valise à l’hôtel. Comme lors de notre marche vers la Cité interdite, à l’aube, des milliers de vélos ont envahi les rues dans un tintamarre de sonnettes. Au milieu de cette cohue vélocipédique, on remarque quelques voitures particulières et surtout, nombre de bus et de camions.
Retour au cœur de la rue commerçante ainsi que place Tian’anmen pour prendre quelques photos. Des milliers de personnes occupent les trottoirs. Je suis émerveillé par le sourire des enfants. Les photographes encombrent les abords de la Cité interdite et une portion de la place. Individus, familles et militaires font la queue pour se faire tirer le portrait, dont la toile de fond est la porte Tian’anmen. Les Chinois aiment se faire photographier; c’est une scène de rue courante. Il leur faut économiser pour acquérir un appareil.
Petit-déjeuner à l’hôtel.

MAO

Départ, ensuite, pour le mausolée de Mao Tsé-toung, érigé place Tian’anmen. La veille, notre guide avait fait ses recommandations : « Demain, visite au mausolée. C’est une visite sérieuse. Il faut être en tenue correcte : ni short ni maillots, pas de fers sous les souliers. Vous laisserez vos appareils photos et tous vos sacs dans le bus. Chacun est libre de décider de venir ou pas. Ce n’est pas obligatoire ». Tout le monde est venu ou presque.
Depuis le début de la matinée, c’est à dire dès potron-minet, nombre de bus déversent une foule de Chinois, ils sont plusieurs milliers, sur l’illustre place. Ceux-ci se mettent en rangs et progressent lentement vers le mausolée. Une longue file d’attente. Un bus nous dépose à la porte de l’édifice et, une fois encore, privilège, on interrompt la progression des Chinois pour laisser passer en priorité les hôtes étrangers. Nous nous mettons aussi en rangs et avançons lentement pour gravir les marches. Un silence impressionnant règne. Dans l’antichambre, à la hauteur d’une statue de Mao disposée devant une immense tapisserie, la file se sépare en deux. Le cortège de quatre se reforme ensuite en pénétrant dans la salle où se trouve la dépouille de Mao. L’air est conditionné. Silence. Derrière le cercueil de verre, cinq soldats, alignés en une rangée, présentent les armes. Le président Mao est drapé dans un drapeau rouge. « Il a mauvaise mine » : son visage est chiffonné, on dirait du papier mâché. A la hauteur du visage, nous sommes à moins de quatre mètres et, de chaque côté, un gardien surveille chaque visiteur qui passe, sans s’arrêter, car c’est interdit. Des Chinois pleurent; aucun d’entre nous n’a envie de sourire. L’atmosphère suscite le respect. Quoiqu’on pense. On ressort de l’autre côté du mausolée.
A l’issue de la visite, un Chinois s’adresse à moi en anglais, sur la place, pour me demander si la ville de Pékin me plaît. Il travaille, dit-il, dans un département du Ministère de la construction…

CIEL

Départ, en car, pour le Temple du Ciel : c’est là que l’empereur venait, chaque année, pour entrer en relation avec le ciel. Le bleu symbolise le ciel. Ici, il est d’une rare intensité: les tuiles et le temple circulaire du Ciel l’attestent. On remarque d’énormes piliers en bois d’une seule pièce; on admire des rouge, vert et or superbes.

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Les visiteurs Chinois et étrangers sont nombreux. On visite également le Temple de la Terre, qui s’élève en face. C’est un joli petit temple circulaire, pourvu d’un mur acoustique. Il semble plus intime que le précédent. Le bleu des tuiles vernissées est magnifique.
C’est, ensuite, le départ pour l’aéroport, en passant par la vieille rue commerçante de Pékin, la rue du Canard laqué, derrière Tian’anmen. Elle grouille de monde. Les habitants vaquent à leurs occupations, sur le pas de leur porte, au seuil des petites maisons basses qui la bordent. Une femme lave son linge sur le trottoir dans une cuvette émaillée…
Excellent déjeuner à l’aéroport : pousses de bambou, poisson…
L’avion Chinois est un Trident, bourré d’étrangers et de quelques Chinois. A 12h30, l’appareil décolle. Il survole la commune populaire de Pékin : une terre sans relief et verdoyante. Vol agréable, en compagnie de l’interprète, assis à mes côtés. Il m’explique la distinction suivante :
- Commune populaire : propriété collective de la terre. Les équipes de production sont l’unité comptable.
- Ferme d’Etat : existe dans les régions frontières et pour des tâches spécifiques, les pépinières, par exemple. La terre appartient à l’Etat et celui-ci rémunère les ouvriers agricoles. Ils bénéficient de certains avantages : ainsi les soins médicaux sont-ils gratuits pour leurs enfants.

INSTRUMENTS TRADITIONNELS

Dans l’avion, je me livre à la lecture du guide, chapitre « instruments traditionnels », et écoute les propos de notre guide/interprète.

*Vents :
- flûte traversière, dizi : elle exprime joie, gaieté et mouvement.
- longue flûte droite en bambou et à encoche, flageolet, xiao ; on en joue à la manière d’un hautbois : elle sert le répertoire des chansons douloureuses, celui de la méditation sentimentale.
- hautbois suona, nanti d’un pavillon de métal et d’une anche double :

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- orgue à bouche sheng : c’est un instrument très ancien, joué surtout dans le sud ; il développe une gamme assez riche :

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*Cordes :
- violon, en fait, une vièle à deux cordes, huqi ; une table hexagonale, en peau de serpent ou de boa, garnit la vièle erhu. L’archet, en crin de cheval, est emprisonné entre ses deux cordes.
- violon, vièle à deux cordes, aigue, spécifique à l’Opéra de Pékin king hu ( ?). Avant de jouer, on utilise de la résine pour frotter les cordes avec l’archet. Celui-ci est, également, coincé entre les deux cordes.
- violon, vièle ban-hu, dont la table en bois, hémisphérique, épouse la forme d’un bol.
- vièle mongole morin khuur à tête de cheval, située en haut du manche, tendu de deux cordes.
- « guitare en forme de lune », en fait luth yueqin.
- cithare, tendue de sept cordes qin, sans chevalets mobiles :

Sans titre13

- zheng : ancien instrument tendu de douze cordes et, aujourd’hui de treize cordes.
- tympanon, cithare à cordes frappées yangqin :

Sans titre14

- xylophone, joué dans le sud, où l’on trouve du bois dur, tel que l’ébène.
- il n’y avait pas de contrebasse, aussi utilise-t-on la contrebasse occidentale. Mais à Shanghai, après la « Libération », on a réalisé une contrebasse chinoise : un gros violon tendu de deux cordes, hu ching.
- luth piriforme pipa, tendu de quatre cordes, se joue généralement avec les doigts, munis d’ongles artificiels, ou un plectre :

Sans titre15

*Percussions :
- castagnettes : très populaires à la campagne.
- Gongs…

*Antiquité :
“Dans l’Antiquité, il existait aussi une musique « chinoise ». A cette époque, on joue de nombreuses cloches, y compris en or, et de batteries en jade, ou bien en pierre… Aujourd’hui, sauf exception, on n’en utilise plus.
La chanson « L’orient rouge » use d’une batterie en jade :

Sans titre16

*Minorités nationales :
il existe 54 (55, selon les sources) « minorités ethniques » en Chine. La minorité coréenne utilise un long tambour, attaché aux reins.

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*Orchestre de l’Opéra de Pékin :
Gong, castagnettes, cymbales, tambour, plusieurs violons, flûte traversière, pipa ou « guitare en forme de lune » (luth).
Les partitions sont simplifiées ; on a recours aux chiffres arabes.
La musique chinoise a été écrite très tôt. Il existait un livre fort ancien relatif à la musique, mais il est perdu.
« Les opéras de la Bande des quatre ne sont pas interdits, mais on les a tant entendus qu’on ne les joue plus. Mais ils sont bons, dit le guide/interprète. Il poursuit : on chante beaucoup de chansons émanant des minorités, qui ont un véritable génie pour le chant et la danse. On en entend et voit beaucoup et, c’est toujours bien. En revanche, les chansons des Hans ne sont pas terribles ». Le jeune guide chante un chant tibétain, une mélodie du Tibet, qui porte des paroles pékinoises. Ainsi, utilise-t-on une mélodie au service de divers textes. Comme chez nous, autrefois…
« En ce qui concerne les minorités ethniques, les danses des Coréens, Ouigours, Tibétains et Mongols, ainsi que les chants des minorités des montagnes du sud (Miao, Yi et Coréens) sont superbes ».
« Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent », c’est une maxime de Mao Tsé-toung, mais c’est aussi la politique des Royaumes Combattants (V° siècle A.C.- 221 A.C., époque où naissent confucianisme et taoïsme).
« La radio diffuse beaucoup de chansons des minorités ethniques, mais aussi des chansons révolutionnaires ; elles incitent au courage pour réaliser les « quatre modernisations » et au bonheur de la vie. Les chansons d’amour avaient disparu, elles ont réapparu, ainsi que des nouvelles, œuvres de compositeurs chinois, et des chansons étrangères en chinois (Le pigeon, de Cuba, Santa Lucia, d’Italie…). Mais la radio diffuse aussi des oeuvres en langue étrangère et même américaine. Les opéras locaux de Pékin, Shanghai, Canton… (ce sont des styles différents) soit plus d’une trentaine, ont été tous interdits, sauf les cinq modèles modernes, qui étaient joués partout. On enseigne le mandarin dans toutes les écoles de Chine ». La conversation s’interrompt, car nous atterrissons.

NANKIN

Arrivée à Nankin vers 14h15. Ciel plombé : le temps est lourd, chaud et humide; un vent souffle le chaud… La ville est un four ! L’interprète local paraît sympathique. Un bus, japonais, flambant neuf, rafraîchi par l’air conditionné, nous attend. L’hôtel est confortable, mais la salle de bains rudimentaire, et à peine propre. Les chambres sont équipées de l’air conditionné.

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Chantier en cours à côté de l’hôtel : un nouvel hôtel ?

 

PROGRAMME TYPE DE TROIS JOURNÉES A NANKIN (NANJING) :

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L’APRES-MIDI, COMMENTAIRES DU GUIDE LOCAL DANS LE CAR :

« Nous sommes dans la province du Jiang Su, 51 millions d’habitants. C’est la plus petite, mais la plus peuplée de Chine. Nankin compte 3.2 millions d’habitants, 1,6 pour la ville proprement dite.
Le fleuve Yang-Tse-Kiang, ou Yangzi Jiang, le fleuve Bleu, 6380 kilomètres de long, est le plus grand fleuve de Chine, le troisième du monde, après le Nil et l’Amazone. Les Chinois l’ont baptisé Changjiang, « long fleuve ». Il scinde la ville en deux parties : le nord industriel, le sud commerçant. Nankin est surnommée « le balcon enroulé » ou bien « le tigre accroupi ».
La ville de Nankin fût fondée voici plus de 2500 ans. Capitale au cours de plusieurs siècles, du III° siècle avant notre ère au XV° siècle, elle a accueilli huit dynasties féodales, dont les Ming, en leur première période de règne. Lors du mouvement paysan des Taiping (1851-1864), Nankin est capitale pendant treize ans. La ville fut aussi le centre du Kuomintang, fondé, en 1912, par Sun Yat-sen. Le peuple luttera contre les massacres et l’exploitation, le Kuomintang et les Japonais. »
On pénètre dans Nankin par le boulevard Sun Yat-sen, chemin suivi par son cercueil. Cette artère traverse la ville d’ouest en est. La ville fût « libérée », le 23 avril 1949 avec « l’aide de l’A.P.L., commandée par le président Mao Tsé-toung en personne ». Nankin connaît alors des changements radicaux. Avant la Libération, la ville comptait 700 000 habitants, dont 10 000 ouvriers, tels que coiffeurs, restaurateurs… Aujourd’hui, parmi quelques millions d’habitants, on dénombre 400 000 employés et ouvriers, dans 1500 entreprises de moyenne et grande dimension. Voilà une base très solide pour le développement de l’industrie. Avant la Libération, les marchés proposaient des produits étrangers, tels que tissus, savon, allumettes… Aujourd’hui, on dispose de secteurs industriels complets, à savoir mines, sidérurgie, télécommunications, pétrochimie, textile, engrais, automobile… Les institutions universitaires, au nombre de cinq avant la Libération, sont aujourd’hui quinze ; les hôpitaux gérés par les collectivités locales, les municipalités… quarante-deux au lieu de seize. Chaque quartier et chaque commune populaire, disposent de services sanitaires.
Le reboisement :
Depuis 1952 et jusqu’à l’an passé (1978) on a planté 32 millions d’arbres, dits « platanes français » ! 42 rangées par rue en général. Chaque année, on plante des arbres. La ville compte 18 parcs publics, 2,5m² d’espace vert par habitant. Nankin est l’un des trois fours au bord du Yang Tse, mais depuis le reboisement, on enregistre 1° ou 1,5° de moins en été. En revanche, les feuilles de l’automne donnent beaucoup de travail aux balayeurs… Les immeubles de la cité ne dépassent guère deux à trois étages.
On dénombre 320 000 vélos. 26 théâtres et cinémas animent la ville. Ces derniers sont ouverts de 8 à 22 heures ou 23 heures, à raison de six à huit séances par jour. Les Chinois adorent les chiffres !
La Grande place est la place du Pavillon du Tambour ; on l’appelle parfois Tour du tambour ou des cloches. Sous les Ming, surtout, elle avait pour fonction d’annoncer les heures.
A 15 heures, sous une pluie diluvienne, on s’achemine vers l’Observatoire, où l’on découvre les instruments dont disposait la Chine ancienne pour observer les astres.
De 16h30 à 17h30, on visite le centre de la cité et la rue commerçante An. A la descente du bus, une centaine de Chinois, vieux et jeunes, femmes et enfants, s’agglutine et nous regarde, silencieux et effarés. Dans les boutiques, obscurcies par les protections contre la pluie et le soleil, fixées au-dessus des trottoirs, les chalands nous regardent et nous entourent. Ils nous sourient, voire rient et s’esclaffent ! Nous sommes de toute évidence l’objet d’une curiosité permanente : la Chine « s’éveille » depuis un an et peu de touristes visitent le pays.
Dans une boutique, où nous achetons des affiches, la dame nous remercie et, pour prendre congé, dit en anglais « you are welcome ». A l’intérieur d’une maison de thé, mon regard s’attarde et admire des boîtes superbes.
On dénombre de nombreux magasins d’alimentation et de restaurants, un grand bazar, riche d’une multitude de marchandises, tels que textiles, quincaillerie… et beaucoup de chalands. La rue est jaune de monde et noire de bicyclettes. Les gens semblent plus décontractés et plus lents qu’à Pékin. Les vêtements qu’ils portent sont plus variés et plus colorés : jupes pour les femmes, tee-shirts et débardeurs pour les garçons. Les gens sont assis dans la rue, à la porte de petites maisons basses, ombragées par cinq rangées d’arbres. Nankin est une ville riante et avenante. Des échoppes de coiffeur et divers magasins ouvrent sur la rue, où j’aperçois un vélo pousse-pousse.
De retour à l’hôtel, on se régale d’un copieux et excellent dîner : poisson, nouilles chinoises…

OPERA DE YUE

A 19h, nous sommes au théâtre Da Hua, rue Sing Tchie Ke : au programme, un opéra de Yue, « La fille sans souci ».
Dans ce style d’opéra, tous les rôles sont tenus par des femmes. C’est une création collective à partir de textes anciens et d’une musique composée sur le modèle ancien. Depuis deux mois, le spectacle affiche complet. Le contrat prévoit trois mois d’exploitation. Une foule innombrable attend à l’entrée de la salle. Celle-ci, climatisée, compte 1500 places. Trois ou quatre rangées de sièges sont occupées par des étrangers, les autres par des spectateurs chinois.
Cet opéra évoque un épisode populaire se déroulant à Nankin. Dès le lever du rideau, le public rit : il reconnaît le parc de la ville que représente le décor. L’auditoire réagit à tout moment; il rit beaucoup pendant les trois heures et demie de la représentation. Ainsi rit-il au moment du mariage et lorsque la femme ne peut parler la première… Cet opéra est plein d’humour et recèle nombre de situations cocasses. Les décors rivalisent avec ceux, autrefois, des opérettes du Châtelet : ciel bleu nuit, lune, arbres… Un luxe de décors.
L’histoire est sentimentale, c’est une histoire d’amour. Elle commence à la manière de « Love story » et s’achève comme une tragédie grecque : l’héroïne s’arrache les yeux et se suicide dans un lac. Le héros plonge lui aussi dans le lac pour mettre fin à ses jours. Le public semble apprécier.

 

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