TROISIEME CAHIER

Hangzhou, samedi 25 août 1979

Le MATIN, VISITE DE LA FABRIQUE PHARMACEUTIQUE TRADITIONNELLE N°2

« Que le passé serve le présent », enjoint une directive du Président Mao et « Que ce qui est étranger serve ce qui est chinois », recommande, par ailleurs, une autre directive du dit Président, en l’occurrence inspiré par la sagesse.
Pour la visite, nous sommes reçus par une technicienne diplômée de pharmacie.
Depuis l’Antiquité, la Chine développe une médication traditionnelle à base de plantes. Sous la dynastie des Ming (XIV°- XVII° siècle), un médecin a recensé une pharmacopée riche de 1800 « recettes » (remèdes) à base de plantes. A l’époque, déjà, les Chinois aimaient les chiffres…
Cette pharmacopée jouit de quatre caractères positifs : une source d’approvisionnement abondante, un coût bon marché, une efficacité reconnue et des effets secondaires moins nombreux. La médication traditionnelle, souffrait cependant quelques défauts : dosage volumineux, goût amer et vilain emballage.
L’une des nombreuses directives du Président Mao constate et recommande : « la médecine traditionnelle chinoise et la pharmacopée constituent un riche patrimoine, il faut l’exploiter et le porter à un niveau supérieur ». Nous avons donc essayé de remédier à ces défauts, affirme notre technicienne. Les médicaments fabriqués actuellement sont contenus dans des ampoules ou des gélules, certains sont injectables, ils sont sucrés et leur emballage a été amélioré (il en est même qui sont en soie).
L’origine de cette fabrique que nous visitons est une pharmacie telle qu’elle existe depuis 105 ans, et depuis 1972, sous cette forme moderne. Les effectifs s’élèvent à 600 personnes, réparties en cinq ateliers, des ateliers mécaniques et un Institut de recherche scientifique. Elle fabrique plus de soixante-dix sortes de médicaments. Les plantes utilisées, dont le lotus, viennent de la province et sont cueillies par les paysans. Malheureusement, à l’école, on n’apprend guère aux enfants à reconnaître les plantes.

Echantillons :
- La potion de Sunié (j’ignore ce que signifie ce mot) :
Confectionné à base de bois, c’est un remède inventé voici plus de mille ans et prescrit pour la maladie des coronaires. On l’utilise comme traitement de crise (infarctus) ainsi qu’à long terme : c’est un « remède pour sauver l’homme au bord de la mort ».
- Médicament à base de poire pour juguler la toux.
- Injection à base de plantes contre la paralysie faciale et la poliomyélite.
- « Petite orange »: à base d’une variété de petites oranges, c’est un médicament préventif contre l’hémorragie cérébrale.
- L’extrait de « double trésor » est un fortifiant prescrit lors de la convalescence, au terme d’une grave maladie.
- Gelée royale : (coffret de soie), issue de plantes grâce au travail des insectes…
- Gélatine (géline) de peau de l’âne : prescrite contre l’anémie et lors de la ménopause, à dissoudre à la vapeur dans l’eau avec du sucre et du vin jaune. Absorption par voie buccale.
- Remède pour renforcer l’appétit et contre les maux digestifs et la diarrhée chronique.
Le conditionnement en soie (emballage) n’augmente pas beaucoup le prix du médicament, car la soie est une production locale. De plus, il s’agit d’un médicament typique chinois : soie à l’extérieur et médicament traditionnel à l’intérieur. Les médicaments fabriqués ici se conservent pendant dix ans. En Chine, la médecine traditionnelle est celle que préfèrent les paysans : à la campagne, 80% de la consommation de médicaments sont une consommation de médicaments traditionnels. Les antibiotiques à base de plantes ne suscitent pas d’allergies.
Les maladies appartiennent à deux catégories : ying et yang (chaud et froid); pour soigner, on prescrit le contraire. La première des maladies, en Chine, est le cancer, la seconde, l’infarctus (l’une des raisons en est que les Chinois mangent très gras). « Le cancer, la maladie des coronaires et les bronchites séniles doivent être combattues », rappelait une directive du Premier ministre Chou En-lai (1898-1976). La malaria a presque disparu en Chine du fait de la lutte contre les moustiques, de l’amélioration des conditions d’hygiène et de la santé des Chinois.

Dégustation d’une ampoule de fortifiant avec une petite paille… !!! (« ginseng extract and royal jelly »). Une boîte d’ampoules coûte 8 yuan 27.

Exportations :
Elles s’effectuent à destination d’une dizaine de pays du sud-est asiatique et du Japon, de l’Italie, de la Suède, de l’Allemagne de l’Ouest, des Etats-Unis et de la France.

Fabrication :
1- les plantes cuisent dans une étuve.
2- concentration : évaporation de 80% de l’eau
3- mise en ampoule.
4- Conditionnement.
5- Vérification.
Selon la technicienne qui nous accueille, les quantités produites sont un « secret ». Sans doute ne connaît-elle pas les chiffres.

L’APRÈS-MIDI, PROMENADE EN BATEAU SUR LE LAC DE L’OUEST ET ESCALE SUR LA PETITE ÎLE AUX QUATRE LACS ET AUX LOTUS

On admire la pagode des Six Harmonies. On visite, ensuite, une autre pagode haute de 7-13 étages d’où l’on jouit d’une très belle vue sur le fleuve. A proximité, une vingtaine d’ouvriers et d’ouvrières, coiffés du chapeau conique, creusent une tranchée, et entassent la terre dans des petits paniers de vannerie de ce type :
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En Chine, la main d’œuvre est abondante…

LE SOIR, THÉÂTRE, « LES 72 LOCATAIRES » (bis !) AU THÉÂTRE DONG-PWO JIU-YUAN

C’est une comédie de Ciao Shi Shi, auteur contemporain. L’action se situe en 1947. Dans un bidonville de Shanghai, s’entassent soixante-douze locataires. Ils exercent diverses professions : tailleur, médecin, danseuse, marchand de sucre candy (pâte sucrée, spécialité de Shanghai), boulanger, blanchisseuse, cordonnier… La pièce est écrite en dialecte de Shanghai.
1° acte : dès le début, elle évoque l’inflation, le prix du paquet de cigarettes a augmenté en une nuit. Le marchand de sucre candy a été giflé deux fois dans la rue et n’a donc pu vendre ni acheter ce qu’il voulait. La danseuse est mariée à un diplômé de l’Université en chômage et tuberculeux, ce qui la contraint à danser. Malgré la pauvreté dans laquelle ils vivent, ils savent pourtant rire … Un pied plongé par mégarde dans une bassine d’eau déclenche l’hilarité. En assistant a à ce spectacle, on songe à la comédie italienne, mais aussi au néo-réalisme du cinéma italien, voire au naturalisme des romanciers français du XIX° siècle.
Pause et paroles rythmées. « Chœur », (comme le choeur antique). Chants et orchestre.
Nouvelle scène : les femmes du quartier viennent chercher de l’eau au robinet public. Aucun des locataires ne veut plus parler au propriétaire. Sur scène, 72 familles, un couple de propriétaires et un gendarme. Le propriétaire est ridicule et autocrate. On assiste à un épisode de bagarres…
La femme du propriétaire vole un foulard dans la poche de son mari, qui l’ignore et exige qu’on fouille tout le monde… (quiproquo). Le cordonnier s’oppose courageusement au propriétaire.
2° acte : Chez le marchand de candy. Intervention d’un policier.
Une série de gags joue des différences qui distinguent les dialectes dont usent les protagonistes… Des punaises piquent le flic…
- Policier : « Quel âge avez-vous ?
- Un an de plus que l’an dernier et un an de moins que l’an prochain.
- Au médecin : vous avez besoin d’eau pour la piqûre ? Non, j’en ai plein mes bottes. »
3° acte : il se déroule dans la boutique du cordonnier et au-dessus, où se trouve l’appartement occupé par le propriétaire.
Une mère et sa fille s’engueulent. Le propriétaire tente de séduire la fille achetée par sa femme. Le cordonnier crie « au feu » : tout le monde se précipite avec des récipients d’eau et les pompiers arrivent.
Dans cette salle vétuste, mais vaste, le public, au sein duquel on remarque de nombreux enfants, est très populaire.
4° acte : il évolue dans un décor de rue, à gauche, le médecin, à droite, le cordonnier.
La fille vient demander l’aide de ce cordonnier qui s’occupe de tous : on veut la vendre au bordel. Le cordonnier, le flic et le propriétaire chantent et dévoilent que la fille a été achetée par la femme du propriétaire, à l’âge de trois ans. Le policier fouille le cordonnier pour lui piquer de l’argent, mais celui-ci est chatouilleux… Le policier lui prend des semelles, le cordonnier proteste que c’est son gagne-pain. Le policier veut se faire arracher une dent ; il va chez le médecin : une suite de gags l’escorte : le médecin se trompe de dent… Il fait réparer ses semelles, mais un clou dépasse…
5° acte : lorsque l’un des locataires a besoin d’argent ou ne peut payer son loyer, les autres se cotisent. Le policier accuse la femme d’être une femme de mauvaise vie, parce qu’elle est danseuse. Il la fait chanter et lui prend sa seule et unique pièce, destinée à payer les médicaments de son mari malade. Les autres se cotisent une fois de plus pour lui venir en aide.
La femme du propriétaire planque un oreiller chez le cordonnier pour l’accuser, mais la fille le reprend. Le policier arrive et se dirige vers l’endroit où était caché l’oreiller : rien.
Il demande à la propriétaire où elle l’a mis…
6° acte : dans l’appartement.
Les propriétaires cherchent à vendre leur fille. Ils s’entendent pour la vendre au chef du bureau de la police, qui a deux femmes mais ne peut avoir d’enfants. La fille appelle le cordonnier et le médecin à l’aide. On l’enveloppe dans un drap et on l’évacue comme un cadavre sous les yeux du propriétaire. Le chef de la police arrive. On n’a pas retrouvé la fille. Panique. Le propriétaire propose sa femme, si on ne la retrouve pas (rires)… Finalement, le chef de la police tranche et fait passer les menottes au policier, au propriétaire et à sa compagne.
Morale : les méchants sont punis (mais les bons ne sont guère récompensés). Une fin morale !
C’est une farce : on tire sur toutes les ficelles du comique, un comique de répétition. Les maquillages sont très accusés. De nombreux gags visuels émaillent le texte, qui, par ailleurs, est truffé de jeux de mots.
Les principaux comédiens sont Chui Yi-Dai, Ho Jiu-Hou et Wang Peng-Fei. Célèbres ?

CE SOIR du samedi 25, nous prenons le train pour Nanchang (636 kilomètres), à 22h42. Arrivée prévue, le 26, à 11h05.

Le compartiment, spacieux, dispose de quatre couchettes. Un ventilateur brasse l’air. Aux fenêtres sont accrochés des rideaux de dentelle. Plante verte et lampe de chevet complètent le décor. Et bien sûr, le thé n’est pas oublié. Je partage ce compartiment avec trois compagnons.
Des arrêts brutaux rythment la nuit.

 

Dimanche 26 août 1979

EN ROUTE POUR NANCHANG

A 6 heures, la radio impose un réveil fort matinal ; 8 heures 15, c’est l’heure du petit-déjeuner.

Vu du train :
Les paysages défilent, s’offrent à la vue et séduisent le regard, le damier des rizières succède à un sol ocre, piqué de pins verdoyants. Dans les champs, des paysans travaillent. Des maisons aux toits de tuiles sombres s’agglutinent et composent de modestes villages. Coiffés du traditionnel chapeau conique, des hommes et des femmes descendent, les uns derrière les autres, en une longue file vers l’une des rives du fleuve ; ils s’apprêtent à embarquer sur le bateau qui assure la traversée. Ils sont lourdement chargés et leur fardeau équilibre le balancier qui oscille sur leurs épaules.
Le paysage est parsemé d’arbres et de nouvelles plantations. Un peu partout, les buffles se vautrent dans des mares boueuses ou bien labourent les champs en traînant l’araire. Scène fréquente, ici et là, coiffé du chapeau conique et vêtu de pauvres habits rapiécés, tantôt gris tantôt bleus, un paysan pousse l’araire traîné par un buffle à travers les terres de ce « plat pays ». Les outils aratoires, en bois ou en métal, paraissent rudimentaires. Les champs sont animés de cohortes de paysans. En revanche, la mécanisation est rare : sans doute faut-il sauvegarder le travail pour occuper l’abondante main d’œuvre rurale.
Les rues des villages, aperçus tandis que le train ahane, sont peuplées de porteurs chargés d’une palanche, de triporteurs à pédales ou à moteur, de charrettes, lourdes d’énormes cargaisons, traînées par des hommes dégoulinant de sueur, le plus souvent vêtus d’un débardeur. Sur l’aire à battre, les céréales sont ratissées et battues au fléau, comme le faisaient jadis nos paysans. On use aussi de gigantesques tamis. Dans les champs, comme les semences, l’engrais est jeté à la main ; c’est le geste antique du semeur. On retrouve ici bien des gestes chez nous oubliés… Ces briques qui sèchent au soleil sont identiques à celles avec lesquelles on construisait les maisons anciennes. Des édifices en terre, couverts de toits de paille, abritent les bêtes. Ici ou là, on aperçoit des pavés et des boulets de charbon noir. La campagne est belle; elle resplendit de la riche palette des verts des rizières.
A 11h05, nous arrivons, comme prévu, à Nanchang.
Nous reprenons un train pour Jiu Jiang, une ville de 200 000 habitants, qui semble respirer la gaieté, où nous arrivons à 14h30. C’est, ensuite, un car qui nous conduit à Koulinkié, au fil de soixante kilomètres de routes de montagne en lacets et chaotiques. On jouit d’une belle vue sur les rizières fertiles, qui s’étendent dans la plaine située en contrebas. A 17 heures, nous arrivons, enfin, au terme de ce long périple, à Koulinkié, un centre de villégiature des Monts Lu Shan.

ACCUEIL DU GUIDE LOCAL DE KOULINKIE,

Koulinkié est un village renommé depuis l’Antiquité, situé au nord de la province de Jiangxi, limité au nord par le Yang-Tsé-Kiang. La Préfecture du Lu Shan (Lu = paille de riz; shan = montagne) compte cinq communes populaires et huit fermes d’Etat, soit 70 000 habitants, dont 10 000 « en haut de la montagne ».
Les Monts Lu Shan s’étendent sur 29 kilomètres de long et 16 kilomètres de large, leur superficie est de 250 kilomètres carrés. En hiver, Il neige et la température peut descendre à moins 16° ; en été, elle peut atteindre 32° ; la température moyenne est de 22°. Cette chaîne de montagnes recèle 90 sommets dont le plus haut, le Rayan culmine à 1473 mètres.
Koulinkié est un lieu de vacances pour les ouvriers et les paysans et ses sanatoriums accueillent des milliers de patients. Voilà 2000 ans que son nom figure dans les livres. C’est un lieu de villégiature prisé par les poètes, tel Li Po (Li Bo ou Li Bai, 701-762), et les savants.

« La chaleureuse bienvenue de Koulinkie », prononcée par le guide local :
« Avant la Libération, les exploiteurs venaient étaler leur luxe et se livrer à des orgies continuelles et les envahisseurs étrangers avaient établi des concessions. De plus, sous la domination réactionnaire du Kuomintang, c’était la capitale estivale de Tchang-Kaï-chek. Tout cela en faisait un paradis pour les vampires impérialistes et un enfer pour les travailleurs ».
(A n’en pas douter, des réminiscences du discours « révolutionnaire » subsistent…)
Avant la Libération, il n’y avait pas de route, mais un sentier et les riches venaient en chaise à porteurs. Après la Libération, des routes ont été construites : l’une en 1953, l’autre achevée en 1971, nous précise ce guide.
« Pendant la Grande Révolution culturelle (elle a duré dix ans), il n’y avait pas de touristes. L’écrasement de la Bande des Quatre a permis de donner à la montagne une nouvelle vie, de rajeunir ».
Elle est ouverte aux touristes depuis l’an passé (1978).
« Nous croyons que sous la direction du P.C.C, ayant à sa tête le camarade Hua Kuo Feng (Hua Guofeng, 1921), il y aura beaucoup d’étrangers venus dans cette montagne ». La foi révolutionnaire du « camarade-guide » est profonde !
L’hôtel a été construit avant la Libération, c’est le Lu Shan Guest House. Après un bain dans l’eau jaunâtre, qui coule dans cette improbable salle de bains, on dîne dans la salle à manger, à l’écart des convives chinois (pour éviter tout risque de contagion idéologique ?) : porc doux-amer, riz…
Après dîner, on se promène dans le village. On constate que le cinéma local est comble : les spectateurs ont acheté leur billet dès le matin. A l’affiche, comme dans d’autres villes chinoises, « Mort sur le Nil », (1978, d’après Agatha Christie), doublé en chinois… Les vendeurs de glaces sont des enfants. Il est 20 heures 30 : la Poste et les magasins sont encore ouverts. D’un belvédère, on contemple la vue sur les montagnes et les sanatoriums : ils accueillent 10 000 malades et convalescents chaque saison. Dans ce petit parc mal éclairé, des enfants jouent, des hommes tapent la carte et quelques couples d’amoureux regardent le paysage… Dans une échoppe, j’achète une boîte de « jus de… chrysanthème » et je bois : c’est immonde ! Une purge inventée par les Gardes rouges ?
Dans le centre du village de Koulinkié encore animé, le long du parc et de la rue principale, on peut voir une exposition de photographies. Elle propose, entre autres, une série consacrée à cette violoniste victime de la Bande des Quatre (voir plus haut) et de larges panneaux rectangulaires, bien en vue, des huiles, œuvres de peintres. Ils représentent des paysages locaux, exposés à l’initiative du département de propagande de la municipalité pour que « les masses » apprennent à aimer les paysages et que ce soit irréversible. Ainsi, ce ne sera plus jamais le privilège d’une élite, si l’on en croit le dit département. Les slogans sont recouverts par les paysages, mais les préoccupations politiques demeurent. Les slogans passent, mais les soucis politiques subsistent. Dépolitisée la Chine ?

 

Koulinkié, lundi 27 août 1979

LE MATIN, à 8h15, départ en car.

Un point de vue sur un roc escarpé nourrit une légende : une histoire de dragon…. En fait, une écharpe de brume. On marche parmi les arbres… Un « Sentier fleuri » au bord du lac, une « Grotte de l’Ermite » et un zoo dont les pandas suscitent la curiosité ; plus loin, des enfants offrent des cigales vivantes aux singes… Les rues du village sont animées. On rentre à l’hôtel.
Le soleil est bien présent. Il brille. Mais, peu à peu la brume escalade les sommets et ses écharpes enveloppent progressivement la base des cimes ; elle estompe ainsi les contours du paysage. On retrouve là, face à cette scène, l’image que les Chinois offrent de leurs paysages dans la peinture traditionnelle. Le ciel en lambeaux ceinture les montagnes et la terre est dans le ciel.
Aperçu, entre « le sentier fleuri » et une serre, un vieux soldat de l’A.P.L. tenant par la main un petit garçon, son petit-fils. C’est un officier : sa veste compte quatre poches (celle d’un simple soldat, deux). En fait, les grades n’ont jamais été supprimés. Les galons, oui. Ce soldat n’en porte guère : ont-ils ou non été rétablis ? Tcheng, notre guide- interprète ne sait pas. J’insiste et lui précise que cette question est pour nous, aussi importante que la beauté des fleurs qu’il nous prie de contempler. Il dit : « il est encore en Chine des questions auxquelles il est difficile de répondre ». ??? Le Chinois est parfois énigmatique !
On remarque des marchands ambulants : c’est « pour rendre service aux touristes ». Ces femmes et ces enfants vendent des glaces fabriquées par l’Etat, mais ce petit commerce est privé. Comme celui de ce paysan qui vend au poids des petits melons chinois, produits de son lopin de terre personnel.

TOURISME INTERIEUR

Les visiteurs chinois sont nombreux : malades mais aussi, entre autres, touristes de Shanghai. Les ouvriers disposent de sept jours de vacances par an en plus du jour de repos hebdomadaire. Les enseignants et étudiants, eux, jouissent de trente à quarante jours de vacances d’été et de quinze jours de vacances d’hiver. Les paysans, quant à eux, peuvent se libérer en fonction du travail qu’ils ont accompli. Des points leur sont attribués par rapport à leur travail. La somme est calculée chaque année. Les avantages en nature reçus sont soustraits de leur salaire annuel (le salaire ouvrier lui est mensuel) : celui-ci est calculé par foyer sur la base des points.

EQUIPE DE PRODUCTION

Elle rassemble plusieurs villages (au sud) ou bien, elle se compose d’un gros village (au nord). Parfois, un gros village rassemble plusieurs équipes de production. Les responsables d’une équipe de production sont le chef d’équipe, le pointeur, le comptable… Ils sont élus chaque année ou tous les deux ans. Au niveau de la Commune populaire ou de la brigade de production, il peut y avoir confusion des tâches entre le responsable du Parti et celui de la Commune populaire ou de la brigade de production. C’est le chef d’équipe qui organise le travail quotidien.

APRES-MIDI, libre. Rédaction de ces notes. Une brume épaisse envahit l’espace et ensevelit les sommets.

LE SOIR, SPECTACLE DE VARIETES

Au premier rang, sont assis des enfants soudanais.

Déroulement de la soirée :
(Les étoiles indiquent les pièces préférées par l’auteur).

Première partie :
1-”Nuage rouge” (thème de la minorité coréenne) : orchestre et chorégraphie (influence occidentale), chœurs. Portrait de Chou En-lai porté par les danseuses.
2- Chanson (voix féminine), musique de la province de Kiang Sou (Jiangsu) et du Kiang Si (Jiangxi), deux provinces de Chine orientale (union des populations) : => cithare sur table, pipa, violoncelle, trois violons chinois, orgue à bouche sheng, guitare « en forme de lune » yueqin, flûte traversière dizi.
3- Chant d’éloge du nouveau marié, qui reflète une certaine audace. Même orchestre.
4- Danse japonaise, « la vie des pêcheurs » (hommes). Le chœur chante en japonais. Instruments chinois et occidentaux.
*5- Solo « fleur de jasmin », (Kiang Sou/Jiangsu) voix soprano. Orchestre traditionnel, sans l’orgue à bouche sheng. La voix est quelque peu nasillarde.
*6- Solo « Cueillir une fleur de roseau », voix soprano (Kiang Sou/Jiangsu, nord de la province). Même orchestre.
7- « Rivière de Lu Yan » (chant folklorique de la province de Hunan ou Yunnan ?). Solo. Même orchestre. Voix soprano. Poses figées de l’interprétation.
8- Chant « La garde du troupeau de chevaux sur la pente de la montagne ». Voix soprano solo et même orchestre.
9- Solo d’orgue à bouche sheng, nationalité Yi (sud de la Chine). Instrumental. Orchestre : deux violons chinois, cithare sur table, pipa, violoncelle, « luth en forme de lune » yueqin. Rythme d’une danse tantôt rapide, tantôt lente.
**10- « Sur la colline d’or de Pékin », instrumental Yi. Même orchestre avec le même orgue à bouche sheng : il danse en jouant, à la fin de la pièce.
11- Monologue chanté de Shanghai en dialecte shanghaien : deux violons, violoncelle, cithare sur table, pipa et castagnettes. Interprète : un chanteur -comédien, qui use de castagnettes nanties de deux énormes glands rouges, et alterne séquences parlées, chantées et quasi psalmodiées. Il recourt également au vocabulaire des grimaces. C’est un numéro comique : le public rit. Quelques musiciens portent les cheveux longs. C’est l’histoire de l’enfant « deux cheveux », prétentieux et qui sait tout. Monsieur Tcheng, notre guide-interprète, dit que l’histoire est trop longue et mal jouée.
12- « Le dragon s’envole en dansant » : un homme lourd. Une vingtaine de musiciens compose un orchestre traditionnel : divers violons chinois, orgues à bouche sheng, pipa, luth « en forme de lune » yueqin, hautbois suona, cithare sur table, violoncelle et gongs. Le public apprécie les contorsions du dragon. La musique fait songer à celle qu’offre une harmonie municipale.

Seconde partie :
1- Musique symphonique, chanson populaire roumaine. Instruments classiques.
2- Extrait du ballet « Le lac des cygnes » (fausses notes), le pas de quatre.
3- Danse de Guinée.
4- Solo d’un ténor intitulé « Le four sidérurgique est éclairé par la pensée du président Mao ». Le Parti n’a peur de rien !
5- Chanson composée d’après un poème du camarade Cheng Yi (poète et ministre des Affaires Extérieures, victime de la Bande des Quatre) : « poème en trois chants sur la montagne des fleurs de Mei ». Ténor et orchestre… Les maquillages sont outranciers, les cheveux gominés. Le ténor porte un costume coupé à la manière de celui que Mao a mis à la mode.
6. Danse espagnole, ballet, extrait du « Lac des cygnes »: deux couples « flamenco ». Orchestre classique.
7. Duo, la chanson d’un film intitulé « Les gens de la steppe » ; c’est un chant d’amour populaire de Mongolie, réorchestré : une contrebasse, quatre violons occidentaux, une clarinette et des percussions.
8. Duo, la chanson du film « Hasma » (c’est le nom de l’héroïne), minorité Pai (sud Kwangsi/Guangxi, région autonome). Même orchestre, augmenté de deux cloches. Les chanteurs semblent bien « empruntés ».
9. Duo, « Le chant des bambous ». Le même orchestre accompagne ce chant, lent, puis enlevé. L’interprétation est figée et ringarde : les chanteurs chantent comme nos chanteurs de charme d’autrefois. Ils portent un costume Mao bleu clair ou un tailleur de même couleur.
10. Danse arc-en-ciel (minorité mongole) : grand orchestre traditionnel « chinois ». Au début de l’œuvre sonnent orgue à bouche sheng et violons occidentaux, ainsi que les chœurs. Quid des instruments mongols ? (Les musiciens jouent des instruments chinois et occidentaux, mais leur pratique de ces derniers est médiocre).
11. Chanson vénézuélienne (en chinois), « Sur la plaine, mon cœur ». Orchestre occidental. Solo de femme (soprano).
12. Chanson pour le vin (chinoise). Orchestre occidental. Solo de femme (soprano).
13. « Femme espagnole », solo de femme (soprano).
14. Chanson roumaine, « Se regarder dans le miroir ». Solo de femme (soprano). Cette chanson roumaine sonne vraiment… napolitaine !
15. Extrait de la danse traditionnelle chinoise, « Danse des lanternes fleur de lotus ». Orchestre occidental. Lanterne (figurée par un stroboscope), c’est une arme magique qui fend la montagne… Ballet de femmes pour lequel on recourt aux fumigènes.
Final musical. Ouf ! Les artistes saluent.
-FIN-

A l’issue de la représentation, nous sommes accueillis sur scène par la troupe : applaudissements…
C’est une troupe de 90 personnes, orchestre compris. Le chef d’orchestre est également chorégraphe. C’est une troupe jeune dont les artistes travaillent ensemble depuis deux ans. Auparavant, nous précise-t-on, la musique occidentale, l’évocation de l’amour, ainsi que le répertoire des chansons d’Europe de l’Est… étaient interdits par la Bande des Quatre. Ce soir, les artistes se sont vengés ! Les danseurs sont formés à la danse traditionnelle et, très peu à la danse occidentale. On tente de conserver les instruments chinois en plus grand nombre et de les mélanger aux instruments occidentaux. C’est, à mon avis, regrettable ! La troupe professionnelle de « chants et danses » que nous avons vue est une petite troupe locale, mais il en existe de grandes, tel l’Ensemble culturel de Tchang Tchéou, ville peuplée de 200 000 habitants. Le Théâtre populaire du Mont Lu Shan compte 1000 places environ. Il existe aussi un cinéma.
La ville est un échelon administratif. Le district est un échelon supérieur à la Commune populaire. Les troupes professionnelles peuvent être constituées au sein du district ou bien à l’échelon supérieur. A l’échelon de la Commune populaire, ce sont des troupes amateurs. Les usines, les unités de production importantes, les grandes écoles… forment des troupes amateurs dont s’occupent les syndicats. Ces troupes développent trois fonctions : plaisir, rôle politique et formation artistique. Elles jouent dans leurs usines ou bien dans des usines sœurs. La formation artistique se poursuit depuis l’école maternelle.

SYNTHESE
Divertissements

- OPERA : les styles diffèrent par la musique et la voix. Il existe une trentaine de styles d’opéra (les divers styles d’opéra de Pékin forment un style).
- DIALOGUES RYTHMES, « CHIANG SEW » : ils varient selon les régions. Deux personnes dialoguent sur le mode comique et évoquent des thèmes de la vie courante, tels que la chute de la Bande des Quatre, terriblement d’actualité, on l’aura remarqué, etc…
- HISTOIRES CHANTEES ACCOMPAGNEES AU PIPA sur une mélodie spéciale (PING TAI). Populaire surtout à Souchow (près de Shanghai).
- CONTEURS POPULAIRES.
- THEATRE D’OMBRES.
- BALLETS CLASSIQUES, traditionnels et révolutionnaires tel « L’orient rouge ».
- SPORTS.
- RECITALS DE POESIE, offerts par des comédiens. Ils sont souvent inclus dans des programmes de « chants et danses ».
- THEATRE DE RUE, professionnel ou amateur : pièces comiques et ironiques imaginées pour la rue.
- CONCERT DE MUSIQUE TRADITIONNELLE.
- CONCERT DE MUSIQUE OCCIDENTALE.
- THEATRE, FILMS ET DESSINS ANIMES POUR ENFANTS.
D’anciennes chansons, mais surtout des musiques de l’époque impériale, sont parfois jouées encore dans les sites historiques sur des instruments d’époque : cloches d’or ou batterie de jade… La « Musique de cour » est interprétée par des instruments tels que le pipa, la cithare qin à sept cordes pincées, l’orgue à bouche sheng, « le luth en forme de lune » yueqin… Les musiques religieuses bouddhiques ont disparu…

Télévision
Elle diffuse beaucoup de films, d’actualités internationales, d’émissions pour enfants, de cours (français, anglais, chimie…). Elle suit le programme des « quatre modernisations ». A Pékin, existent deux chaînes en couleurs, mais ce n’est guère le cas partout.

Théâtre
On joue beaucoup les anciennes pièces, jouées autrefois et interdites ensuite, mais aussi de nouvelles créations et des pièces étrangères.
La politique « Que 100 fleurs s’épanouissent, que 100 écoles rivalisent » est-elle toujours /à nouveau d’actualité ? Dans les pièces, la satire est peu présente, mais on la retrouve dans les caricatures.

Films
Depuis la chute de la Bande des Quatre, de nouveaux films apparaissent. Point de film au sujet de « la » violoniste mais, des expositions un peu partout.

On observe que l’ « Hommage au Premier ministre Chou », dans divers domaines, est une chose fréquente et spontanée. On note par ailleurs, que des romanciers de Taïwan, ainsi que des articles issus de l’île sont publiés en Chine Populaire.

TOURISME, CHANGEMENT ?

En 1978, 100 000 touristes ont visité la Chine, ce qui constitue une augmentation de leur nombre. De ce fait, le déroulement des voyages en Chine est différent. L’agence Luxing She existe depuis 1954, c’est donc la date du début du tourisme en Chine.
Pékin – Canton coûte 155 yuan par avion. En train, c’est plus cher, car il y a la nuit et les repas. Les Chinois voyagent beaucoup. En mission, ils sont pris en charge par leur unité de production. Ils voyagent librement (sans autorisation) dans toute le Chine, Tibet compris, mais cela coûte cher. Et donc, il y a peu d’élus.

 

Koulinkié, mardi 28 août 1979
Nanchang

LE MATIN, ACUPONCTURE

Hôpital de cure. Maison de repos. Médecin acupuncteur.
G., l’une des membres de notre groupe souffre d’insomnie : l‘acuponcteur plante cinq aiguilles petites et très fines dans ses membres :
Une, jambe gauche, en dessous du genou,
Une, jambe droite, en dessous du genou (plus haut que l’autre à droite)
Une, jambe droite, en dessous du genou à gauche
Une, avant-bras droit, au poignet.
Une, sous l’oreille droite.
Une séance, nous dit-on, prolonge ses effets pendant dix à quinze jours.
En cas d’insomnie habituelle, en plus du traitement par acupuncture, on prescrit des médicaments comme auxiliaire, essentiellement occidentaux : des calmants tels que des barbituriques et des analgésiques. L’insomnie occasionnelle se traite seulement par acupuncture.
Il y a plusieurs milliers de points. Le médecin en connaît quelques centaines. On distingue les points principaux et les points secondaires. Trois doigts sous les os du genou, on pratique un massage à la main contre l’insomnie. On utilise rarement l’acupuncture pour remédier à la constipation. En ce domaine, on recourt à la pilule et aux ligatures. De même, elle ne peut pas non plus stimuler la mémoire ni traiter le tabagisme. Pour développer l’acuité visuelle, on procède à des massages à la main, dans la zone des arcades sourcilières.
On étudie parallèlement l’acupuncture et la médecine occidentale. Il existe des médecins traditionnels qui pratiquent uniquement cette médecine traditionnelle. Mais l’évolution conduit à la combinaison des deux médecines. L’université compte une section de médecine traditionnelle.
Pour les maladies urgentes, on use plutôt des médicaments occidentaux, aux effets plus rapides, que ceux des médicaments traditionnels.

PILULE

La pilule est « délivrée » aux femmes mariées et, en principe, aux jeunes filles, mais bien qu’une ordonnance ne soit pas nécessaire, elles ne la demandent pas : c’est une question de mentalité. Si une jeune -fille est enceinte avant mariage, on procède, en général avec son accord, dicté par la morale, à un avortement. Si, un troisième enfant advient dans une famille, on prélève 10% sur le salaire. Ce pourcentage est versé à l’entreprise (ouvriers) ou à la C.P (paysans), car c’est la collectivité qui prend en charge l’éducation de l’enfant. Dans certaines régions, les autorités régionales décident parfois de ne pas accepter qu’il soit déclaré à l’Etat civil pendant deux ans. Les parents l’ont à leur charge pendant cette période. C’est une brimade à l’encontre des parents.

HOMOSEXUALITE

- « L’homosexualité est-elle un délit ou une maladie ? (Silence de l’interprète).
- Je vous prie de traduire ma question.
- Si cela arrive (sic), on prodigue des soins, ou plutôt des conseils moraux au camarade et on pratique un examen général. » On plaint les homosexuels chinois !
Déjeuner à midi. Départ, en bus à 13 heures par une route en lacets…
Arrivée à Jiu Jiang à 15 heures.

VISITE DU KIOSQUE DES EAUX FUMANTES

Ce kiosque est situé au bord du lac. Il comporte quatre salles- musées : on peut y admirer de belles porcelaines de la province : le bleu des Ming est superbe.
A 15 heures 30, nous prenons le train pour Nanchang.
Vue du train, cette image : au fil des eaux du fleuve, voguent des sampans au coucher du soleil.
Nous arrivons à Nanchang vers 18 heures 30. Dîner rapide à l’hôtel et spectacle.

LE SOIR, acrobates de la province, une troupe formée jadis par celle de Shanghai, sur les conseils de Chou En-laï.
L’acrobatie existe en Chine sous cette forme depuis au moins 2000 ans : la découverte de statuettes dans la province du Shandong (est de la Chine) l’atteste. Le spectacle se déroule dans le théâtre d’une importante usine de tracteurs de Nanchang. Pour nous, on a retardé l’heure du début de la représentation, 20 heures au lieu de 19 heures, et « libéré » 22 places. Nous sommes accueillis, à l’entrée, par le directeur de l’usine et le responsable du syndicat. Lorsque nous pénétrons dans la salle, déjà comble, vers 19 heures 50, le public nous applaudit… Rituel coutumier, certes, mais émouvant !
Avant le dernier numéro, Philippe Avron monte sur scène avec un des interprètes pour remercier tout le monde de l’accueil et excuser notre retard. A chaque traduction, la salle applaudit… A l’issue du spectacle, tandis que le théâtre se vide, nous discutons quelques minutes, comme nous l’avons demandé, avec le directeur de l’usine. Il est directeur depuis cinq ans et ancien ouvrier lui-même. L’usine compte cinq mille ouvriers. Le théâtre de l’usine (beaucoup d’usines dans ce pays en sont pourvues) dispose d’environ mille places. La troupe d’acrobates que nous venons d’applaudir, ce soir, est en majorité composée de jeunes et même d’enfants… Elle a séjourné cinq jours, ici, avant d’entamer une tournée à Canton. Le public est familial, il rassemble trois générations. Les premières places coûtent une quarantaine de fen. Des films sont également projetés plusieurs fois par semaine dans cette même salle. Elle accueille par ailleurs des troupes d’opéra local en tournée, des représentations de « chants et danses », des acrobates… Les spectacles sont choisis et organisés par le syndicat.
Nous prenons congé et, à la sortie, de chaque côté de la porte, une cinquantaine de personnes, hommes, femmes et enfants, applaudissent jusqu’à ce que le car s’éloigne. Ceux-là, sont certainement restés spontanément.

 

Nanchang – Guangzhou (Canton), mercredi 29 août 1979

A 9h45, nous prenons l’avion pour Guangzhou (Canton) où nous arrivons à 11h40, après avoir parcouru 1053 kilomètres.

DÎNER AU BEI YUAN (Canton)

Le cadre est superbe : autour d’un jardin à ciel ouvert, agrémenté d’une pièce d’eau, orné de pierres et planté d’arbres divers parmi lesquels des bambous, se succèdent des petits salons nantis de paravents, une grande salle et un bar. Les petits salons sont meublés de deux tables de sept personnes et de fauteuils en bois de palissandre vernis ainsi que d’un tableau traditionnel chinois. L’air conditionné, ainsi que deux ventilateurs distillent une certaine fraîcheur. Sur la table, un paquet de cigarettes blondes à filtre est proposé pour être partagé par deux personnes. On satisfait au rituel de la serviette humide, puis une serveuse déplie la serviette de table de chacun des convives. Alors, commence la noria des plats…

Menu :
1. Un rouleau de printemps, un œuf (de caille ?) et une pâte (?) frite.
2. Crevettes chaudes
3. Champignons chauds.
« Trou normand »
4. Poulet frit, accompagné de chips de crevettes.
5. Soupe de poulet servie avec un petit oeuf (de caille ?).
Nouvelle serviette.
6. Omelette aux poireaux jaunes et coquille Saint-Jacques fumée.
7. Boulettes de langoustines aux légumes verts.
8. Pigeon en sauce, accompagné de chips de crevettes.
9. Bol de riz cantonnais, bol sauce soja.
10. Beignets de pommes au caramel, trempés dans l’eau avant d’être servis.
11. Petits pâtés de gélatine, fourrés aux haricots rouges et décorés d’une hirondelle en mie de pain.
12. Petits triangles de farine de maïs, décorés de deux pommes en mie de pain.
13. Fruits
Vin rouge sec de Chine (Chinese dry red wine) madérisé; bière, thé.

Nouveau service de serviettes.
Variété des saveurs et… des couleurs !
Mariage de saveurs : beignets, gélatine, farine de maïs.
Prix : 23 yuan par personne, soit un tiers du salaire mensuel moyen.
Malgré quelques appréhensions, suscitées par des blocages psychologiques, dus au fait que les mets ne sont guère identifiables au terme de la subtile intervention du hachoir, j’ai apprécié ce dîner raffiné.

 

Guangzhou (Canton), jeudi 30 août 1979.

VISITE D’UNE COMMUNE POPULAIRE

Située à 38 kilomètres au sud-ouest de Canton et fondée en 1958, sa superficie est de 30% supérieure à 4433 hectares. La Commune Populaire (C.P.) de Cha Jiao, district de Chen Te, compte 72 000 habitants, répartis en 16 700 foyers, 25 brigades de production et 328 équipes de production. La superficie des terres cultivables atteint 4433 hectares. Le Chinois aimerait-il les chiffres ?

Le MATIN, visite de l’élevage de vers à soie et de la pisciculture.
Ensuite, promenade dans le petit bourg de la C.P. : rues défoncées, constellées de flaques d’eau, bordées de maisons à arcades. Echoppes offrant balais, vannerie, bols, poteries…
Les occupations principales de cette C.P. sont les suivantes :
- La culture du mûrier et l’élevage du vers à soie : 250 000 portées de cocons; une portée équivaut à 100 livres.
- La culture de la canne à sucre (l’usine de sucre du district traite 600 tonnes de canne à sucre) et la pisciculture : un million de portées. Les feuilles de canne et les déchets de cocons et de vers à soie sont utilisés pour nourrir les poissons.
Avant la Libération, les conditions nécessaires à l’irrigation et au drainage n’étaient pas réunies : la sécheresse et les inondations sévissaient. Le rendement était fort bas. Après la Libération, des travaux d’infrastructure ont été entrepris tels que la construction de 34 kilomètres de digues, de huit stations de pompage électrique et d’un canal de 14 kilomètres utilisé pour l’irrigation et le drainage. On a acheté 3500 pompes. On a installé une ligne électrique, haute et basse tension, de 250 kilomètres.
« Ainsi avons-nous transformé les calamités des eaux en atouts et le rendement s’élève d’année en année ».
- Avant la Libération, l’élevage du vers à soie produisait 34 livres de cocon par mou (un mou = 1/15ème d’hectare). L’an passé (1978), le rendement s’est élevé à 300 livres de cocon par mou. Le rendement le plus élevé jusqu’à présent a atteint 400 livres de cocon par mou.
- La pisciculture, en 1945, produisait 130 livres de poisson par mou; en 1978, 380 livres par mou. Le rendement le plus élevé a atteint 800 livres par mou. La production actuelle, 30 000 livres (15 000 kilos) de poisson par jour est destinée essentiellement à Canton, Hong Kong…
Avec le développement de la production, le revenu des membres de la C.P. a augmenté :
1956 : 161 yuan/travailleur/an,
1978 : 341 yuan/travailleur/an.
La vie des membres s’améliore également. Les économies « privées » de chaque famille ont augmenté. Le dépôt familial à la banque représente la somme de 5,5 millions de yuan.
Avant la Libération, on ne disposait d’aucun hôpital. On en a édifié huit dont l’un est l’hôpital central. Dans chaque brigade, il y a un dispensaire, soit 25 au total. Au sein de l’hôpital central, on compte plusieurs secteurs et plus de 100 lits, ainsi que des médecins pratiquant la médecine traditionnelle et la médecine occidentale. Divers services sont offerts : chirurgie, obstétrique… Nous avons un système coopératif des soins médicaux : 30 centimes par mois et par individu, moyennant quoi, les soins sont gratuits.
Il existe 22 entreprises industrielles au sein de la C.P. : un atelier de réparation des machines, une usine chimique (insecticides), un chantier naval (bateaux en bois, en ciment, à moteur), une imprimerie, une usine d’étirage de câbles, une usine de confection, une usine de broderie (utilisée pour la soie), un atelier de vannerie (bambou pour confectionner des paniers utilisés pour l’élevage du vers à soie, rotin), une quincaillerie, une briqueterie (fabrique de briques)… Toutes ces entreprises, (combien d’ouvriers ?) sont au service indirect de l’agriculture.
Une partie de la production de ces usines demeure à l’intérieur de la C.P, une autre est destinée à l’extérieur et achetée par l’Etat (broderie, vannerie en partie). L’imprimerie imprime des livres pour la C.P. : manuels scolaires, informations agricoles…Toutes les C.P. ne bénéficient pas d’une imprimerie, certaines seulement.
Chaque enfant d’âge scolaire peut entrer à l’école. On dénombre 13 000 élèves. En matière d’enseignement, la C.P. dispose d’une école secondaire 2° cycle et de 25 écoles secondaires du 1° cycle et primaires. L’an passé, 20 jeunes de la C.P. fréquentaient l’Université.

Divertissements :
- Six équipes ambulantes de cinéma (trois dans toute la C.P. et trois dans les brigades). Le district compte quatre équipes ambulantes de cinéma.
- Basketball, tennis de table, water- polo.
- Au sein des brigades, des groupes culturels amateurs montent des petits spectacles pour louer les travailleurs modèles (idéologie toujours !). Musiciens.
- Dans le district, il existe deux troupes professionnelles, qui effectuent des tournées au sein de la C.P. comme celles de la Préfecture et de Canton. Par ailleurs, elles dispensent un enseignement aux amateurs sélectionnés (stages).

Equipements culturels :
- Chaque brigade dispose d’une salle de plus de 1000 places. On y prépare des spectacles amateurs, le soir, après le travail.
- La C.P. est dotée, en plus, de trois grandes salles de plus de 1500 places, surtout réservées au cinéma.
- La télévision, généralisée dans les brigades, mais seulement une partie des équipes en possède une. Il y a 400 postes de télévision dans la C.P. et certains membres ont un poste privé.

Le dépôt en banque est surtout utilisé par les paysans pour financer la construction d’une maison : l’an passé, les paysans ont édifié 570 maisons. Le dépôt est aussi effectué dans la perspective d’acquérir un vélo ou une machine à coudre. Presque chaque famille dispose d’un vélo. Il y a plus de 12 000 vélos dans la C.P. et plus de 9600 machines à coudre.
La population est nombreuse et, il faut utiliser la main d’œuvre que l’agriculture n’occupe pas.
72 000 habitants peuplent la C.P. :
- 60 000 vivent à la campagne, 30 000 sont paysans,
- 12 000 constituent une population urbaine, 70% sont ouvriers.

Journal mural :démocratisation, centralisme, quatre modernisations.

Plan général du district.

Comité de gestion de la C.P. (appelé « Comité révolutionnaire ») : il prend les décisions relatives à la C.P. Il décide la création des industries dans la C.P.
Les équipes et les brigades de production élisent des représentants à la C.P.; ceux-ci participent au congrès de la C.P. qui élit le Comité de gestion pour trois ans (une réélection est possible). Ici, le Comité de gestion compte 39 membres, le congrès, 300. Le Comité de gestion est dirigé par cinq personnes : un directeur et quatre sous-directeurs. Ceux-ci convoquent le comité directeur. Sous sa direction, œuvrent des sections (le bureau pour les affaires administratives, par exemple).
Pour les affaires importantes, une décision collective du comité de gestion, prise à la majorité, est requise. Pour les affaires courantes, les cinq membres dirigeant décident. Les responsables travaillent la terre 100 jours par an : c’est une tradition révolutionnaire; elle implique ce « contact avec les masses ». En revanche, les responsables ne sont pas obligatoirement membres du Parti. Les dirigeants d’une brigade de production travaillent la terre 200 jours par an. Ceux des équipes de production, 300 jours par an.

Fond de prévoyance de la C.P. :
Assurance vieillesse :
- Paysans sans soutien familial :
Système de cinq garanties : les frais de ces garanties sont pris en charge par l’équipe de production. Cela concerne la nourriture, l’habillement, le logement, les soins médicaux et l’enterrement. On prélève 3 à 5 % du revenu total de la production de la C.P.
Au niveau de l’équipe de production, le « fonds du bien-être » garantit ce qui est décrit plus haut, mais aussi le niveau de vie moyen des familles pauvres, ainsi que les frais de dépenses médicales. Si l’équipe de production est défaillante, la brigade ou la C.P s’y substituent. En ce qui concerne le paysan qui travaille et ne gagne pas de points travail, parce que malade, c’est aussi au fonds de bien-être qu’il aura recours
- Paysans bénéficiant d’un soutien familial :
Il n’y a pas d’âge de retraite. S’ils arrêtent leur travail, ils sont à la charge de la famille. Agés de 55 ans, ils peuvent encore accomplir des tâches légères. Le fonds de soutien n’est pas assez important.
- Ouvriers retraités :
La retraite est fixée à 55 ans pour les hommes et, à 50 ans pour les femmes. Leur unité leur verse une pension vieillesse.

Impôts fonciers :
Ils représentent 5% du revenu global et sont à la charge de l’équipe de production, qui est l’unité budgétaire. Les individus ne paient pas d’impôts.

Equipe de production :correspond, dans la plupart des cas à un village naturel. La population moyenne est de 200 à 300 personnes dont 100 à 120 actifs environ.
Dans ce district, la C.P. figure parmi les grandes, mais il en est de plus importantes. Les limites territoriales de la C.P. correspondent plus ou moins à celles d’une ancienne région administrative avant la Libération. Dans le district, on dénombre dix C.P. Celle-ci occupe la 3° place pour le nombre d’habitants; 15 à 20 groupes de touristes la visitent chaque mois.

Déjeuner (special) a la C.P. :
1 – Soupe aux quenelles de poisson
2 – Mélange lait -poisson et œuf.
3 – Carpe herbée (accompagnée d’une rondelle de ?)
4 – Quenelle de carpe bariolée aux courgettes.
5 – Beignets d’aubergine farcis à la brème.
6 – Carpe frite à l’aigre-doux.
Chaot  (poisson à grosse tête).
7 – Carpe herbée (poisson entier) ;
8 – Carpe au curry et au gingembre frais (doux)
9 – Poisson au soja (amer)
10 – Porc au curry
11 – Fruits (pommes)
Repas accompagné de riz et de thé.

Après-midi : visite d’une maison de paysan :
En fait, une neuve et une ancienne (100 ans).
Elle comporte huit pièces et abrite sept personnes.
Le paysan produit lui-même le gaz que la famille consomme (cuve – excréments – tuyau de bambou).
Dans la pièce où nous sommes reçus, un ventilateur brasse l’air : il coûte 210 yuan.
Revenu global : 2400 yuan (dont 300 privés).
Dépenses : 1700 yuan
Économies : 700 yuan, déposés à la banque.
Pendant notre visite (nous formons un groupe restreint), le cadre de la brigade est présent.
Une femme coud ; au puits, une vieille femme puise de l’eau.
Le paysan a commencé à travailler à l’âge de quatorze ans; il en a aujourd’hui quarante-six. Ses parents louaient des terres pour les cultiver. C’était des paysans à revenu moyen. Il voit, dit-il, « assez souvent des touristes ». Faut-il en déduire qu’il occupe une maison modèle, digne d’être visitée ?

Visite d’un atelier de menuiserie :
Il en existe deux. Celui-ci compte 81 ouvriers.
Ceux-ci ne cultivent pas la terre et ne possèdent pas de lopin de terre. Ils travaillent huit heures par jour. Ils construisent :
- des barques à fond plat, à la main et au rabot électrique, en cèdre et en sapin ; un bateau coûte 85 yuan.
- des pupitres d’écoliers. (destinés à l’Institut des langues étrangères de Canton).
Les bateaux sont achetés par les équipes de production. S’il y a un excédent, il est vendu à l’extérieur. L’atelier travaille également à la réparation des bateaux.

Visite d’un atelier de broderie d’une brigade, Win Tchong :
60% des brigades disposent d’un atelier de broderie.
Broderies réalisées à la machine à coudre. Dans la famille, ce travail se fait à la main.
1° salle: sur huit rangées, 115 jeunes ouvrières brodent des rideaux, ainsi que des taies d’oreiller. L’étoffe est retenue par un cercle à broder en bois. Les motifs, très fins, requièrent une grande minutie : oiseaux, bec rouge d’un oiseau, plumes de couleurs, fleurs… Les couleurs sont vives sur fond rose. Les jeunes- filles piquent sur le dessin avec une rapidité et une dextérité remarquables. Ce sont de véritables artistes. Elles parlent, circulent, changent de motif… L’abrutissement semble banni.
Un fils est assis à côté de sa mère. Le sol est en brique, une lumière naturelle éclaire la pièce, des ventilateurs brassent l’air.
Une 2° salle est plus petite.

Le SOIR, Opéra de Canton : « Herbe Printanière fait irruption au tribunal ».

 

Guangzhou – Hong Kong (via Chuntchun), vendredi 31 août 1979

Distance 146 kilomètres, en train. La frontière entre la Chine Populaire et le territoire britannique de Hong Kong est franchie à pied, valises à la main, à la descente du train de Canton. C’est donc à pied que l’on quitte la Chine…
Si mes calculs sont exacts, nous aurions parcouru 3549 kilomètres en territoire chinois.

LECTURE (en avion) AU COURS DU VOL RETOUR, HONG KONG-PARIS :

Alberto Moravia, de retour d’un voyage en Chine, a écrit :
« La rivoluzione culturale in cina », la Révolution culturelle en Chine, (Valentino Bompiani, Milan 1967)
Bompiani « E cosi sei stato in Cina ? / Et ainsi tu as été en Chine?
Moravia : Si, sono stato in Cina. / Oui, j’ai été en Chine.
B : Che cos’ è che ti ha fatto maggiore impressione in Cina ? / Qu’est-ce qui t’a fait l’impression la plus importante en Chine ?
M : La poverta. / La pauvreté.
B : La poverta ? / La pauvreté ?
M : Si, la poverta. / Oui, la pauvreté.
B : Sono poveri i Cinesi ? / Ils sont pauvres les Chinois ?
M : Secondo l’idea occidentale di benessere, poverissimi. / Selon l’idée occidentale du bien-être, très pauvres.
B : Che impressione ti ha fatto la loro poverta ? / Quelle impression t’a faîte leur pauvreté ?
M : Di sollievo. / De soulagement.
B : Diavolo, la poverta, che io sappia, vuol dire degradazione e frustrazione. E tu hai invece provato sollievo. Come mai ? / Diable, la pauvreté, autant que je le sache, signifie dégradation et frustration. Et tu as plutôt éprouvé du soulagement. Pourquoi ?
M : L’ho provato, di questo sono sicuro : sui sentimenti non ci si pero sbagliare. / Je l’ai éprouvé, de cela je suis sûr : en ce qui concerne les sentiments, on ne peut se tromper.
L’ho provato per tutto il tempo che sono stato in Cina… » / Je l’ai éprouvé pendant tout le temps que j’ai été en Chine…
On ne saurait mieux dire! La pauvreté des Chinois suscite le soulagement dans la conscience du voyageur occidental, tant ils semblent disposer du nécessaire mais point du superflu…