Mars 2001 : Derviches

CD Derviches

Après l’Estonie et les Etats-Unis, quelques villes françaises accueillent la « Liturgie soufie de la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas » (Syrie). Elle réunit les derviches tourneurs de Damas, Sheikh Hamza Shakkûr et l’Ensemble Al-Kindî. Les derviches appartiennent à la confrérie mystique sunnite des soufis Mawlawiyya (Mevlevi en turc), fondée en Turquie par Jalâl al-Din al-Rumi au XIIIè siècle. Issu de la tradition de la Grande Mosquée des Omeyyades, Sheikh Hamza Shakkûr est à la fois muqri (récitant du Coran), muezzin et munshid (chantre). Sa voix, riche d’un beau timbre de basse, dégage puissance et tranquillité. Elle suscite la sérénité et incite à la méditation. Sobre et intériorisé, cet art vocal s’inscrit dans la continuité de la tradition. À l’extérieur de la mosquée, il s’associe à celui de l’Ensemble Al-Kindî, composé d’un ney (flûte en roseau), d’un ud (luth), d’un riqq (tambourin à cymbalettes) et d’un qânun (cithare). Fondateur et chef de cette formation, Julien Jâlal Eddine Weiss est le disciple de maîtres égyptiens, tunisiens, turcs, libanais, syriens et irakiens ! Leur enseignement et son obstination lui ont permis de pénétrer l’intimité d’un art savant étranger, celui du qânun, réputé inaccessible, et d’étayer ainsi l’affirmation que la culture est bien un acquis.

Parce que, dit-il, il « s’ennuyait d’être athée« , il se convertit à l’Islam, poursuivant ainsi sa quête d’altérité et d’appropriation d’une autre culture. Outre les musiciens, un chœur de deux chanteurs répond au soliste, et quatre « danseurs » font tournoyer la corolle de leur longue robe blanche. Plaisir de l’ouïe, plaisir des yeux…

Le répertoire est religieux. Mystiques, les poèmes (qasida) d’Ibn Arabi et d’Ibn Al-Farid célèbrent la gloire d’Allah et de son prophète. Ils exaltent l’ivresse de l’amour divin. D’autres chants appartiennent au répertoire syrien ou damascène : louanges divines et implorations ainsi que les louanges adressées au Prophète, « référence centrale » depuis le XIIIè siècle.

Cette liturgie réconcilie le corps et l’âme. Elle peut conduire à l’extase. Pour les profanes, elle dispense sérénité et harmonie.

On retrouvera cette paix intérieure à l’écoute du double CD. Un objet précieux, format livre, qu’un livret illustré d’une iconographie splendide contribue à embellir. Au fil des pages, il réunit les signatures prestigieuses du Grand Mufti d’Alep (Syrie), de Jean During, Éric Geoffroy… Vingt-sept pages en français – autant en anglais – qui offrent une présentation dense et claire du samâ’ (audition et entendement), de la voie soufie (tariqa), des derviches tourneurs et des artistes… Des textes essentiels qui rappellent aussi que « l’Islam bien vécu délivre avant tout un message de miséricorde, de beauté et d’harmonie« .

Jacques Erwan

  • Concerts : Valenciennes (Le Phénix), le 24 mars ; Le Mans (Palais de Congrès et de la Culture), le 27 ; Château-Gontier (Le Carré), le 29 et Nogent (Pavillon Baltard), le 31 mars…
  • Disque « Les Derviches Tourneurs de Damas » (2 CD), Le Chant du Monde.