CHAPITRE 2

« ON THE ROAD AGAIN ! »
VAGABONDAGES AMERICAINS

SEPTEMBRE-OCTOBRE 1970

1970, nouveau voyage aux Etats-Unis, itinérant celui-ci, grâce aux bus Greyhound : un long périple de Floride à New-York City, via une brève incursion au Mexique, et en passant par la Californie, Chicago, Washington… D’est en ouest, donc, à travers le sud, et d’ouest en est, via le nord, « a beber con los vientos », comme dit un ami argentin. Vagabondages donc. Une aventure émaillée de découvertes et de rencontres, rythmée par de courtes nuits, souvent passées dans un bus par souci d’économie.

 

Vendredi 11 septembre 1970,

MIAMI (FLORIDE)

PAYER !

Je viens d’arriver. D’emblée, il est clair que « dollar » est un viatique nécessaire. Il faut toujours mettre la main à la poche et payer. Tout s’achète. Tout. On peut tout avoir, mais, il faut payer. Même les distributeurs automatiques sont rémunérés : un dollar glissé dans la machine pour qu’elle vomisse de la monnaie et ladite machine retient sa commission, cinq cents ! L’astuce réside dans le fait que l’on a toujours besoin de pièces dans ce pays ! Même tour de passe-passe pour obtenir des timbres : un « quarter » (vingt-cinq cents) englouti par la machine et, elle délivre quatre timbres à cinq cents. Le distributeur automatique retient donc cinq cents pour le service ! En ce pays de cocagne, même les objets font des bénéfices ! Je suis excédé. D’autant que trouver monnaie ou timbres sans recours aux machines est pratiquement impossible. Difficile aussi de se procurer des allumettes : « They give the matches free », affirme Edna St. Vincent Millay, le poète, mais, les poètes débordent d’imagination.

(…)

 

Samedi 12 septembre,

LOUISIANE

L’HERITAGE FRANÇAIS

La Louisiane est un Etat rural. C’est la campagne : étendues cultivées et calmes rivières, bordées d’arbres verts dont les frondaisons caressent l’eau. Et dans ce tableau, le soleil manigance de doux jeux de lumière. Le long des routes, s’alignent villages et bourgs : maisons de bois peintes de couleurs vives, à l’ombre de ces arbres pleureurs découverts dans « Autant en emporte le vent » et des bougainvillées. Elles se rassemblent autour d’une église de bois blanc environnée de gazon. De vastes plantations de canne à sucre et de coton s’étendent, pour la plupart nanties encore de la maison du maître, résidence ornée de colonnes et d’un fronton. Ce décor, à nos yeux, aujourd’hui pittoresque rappelle la sévère domination d’hier. On aperçoit aussi quelques rares usines de sucre. Sous les porches des maisons s’abritent des noirs, probables descendants d’esclaves…Certaines routes, coupées par des voies ferrées, sont fort mauvaises. En cette saison, le climat demeure chaud et humide.

La Fayette, c’est un souvenir de France. À vingt miles de là, Saint Martinville, sous la protection de son église ancienne, également. De nombreux Acadiens y sont établis. Leurs patronymes attestent leurs origines : Broussard, Dupuis, Larroque, Lambert, Beaullieu, Champagne, Guidry et autres Lançon… Les rues de ce village rural ne sont guère animées ; elles ne recèlent que quelques magasins. Dans Colombus street, une maison un peu vétuste, pauvre d’aspect mais propre. Je sonne ; une femme m’ouvre :

- « Je suis un ami de H.. Vous parlez français ?

- Je parle le frrrançais, ben sûr ! Entre, ta visite me plaît. C’est nice. Ton ami H., le tit Frrrançais, était vaillant aussi. »

Cette langue-là est taillée dans l’étoffe du vieux français, cousue avec le fil du parler normand et mâtinée de mots et d’expression anglais.

« Les Acadiens, explique la dame, sont originaires d’Acadie, au Canada. Catholiques, ils ont fui le Canada protestant auXVIII° siècle pour la Louisiane, une terre alors française. Ce sont de bons vivants qui aiment boire, se retrouver ensemble et danser au son de l’accordéon. Leur langue s’est enrichie de mots anglais. »

En fait l’Acadie, au nord-est du Canada, possession anglaise depuis 1713 demeure peuplée par de nombreux descendants de Français, venus de l’ouest de la France une centaine d’années auparavant. Lorsque se déclare la guerre de Sept Ans (1756-1763), commence ce que les Acadiens appellent le Grand Dérangement : la déportation par les Anglais. Les Acadiens sont dépossédés de leurs biens, poursuivis, traqués, voire massacrés. Les survivants sont déportés vers les colonies anglaises d’Amérique. Certains parviennent à gagner la Louisiane où ils demeurent même après la vente de cet Etat, en 1803, par Napoléon aux Etats-Unis dont il représente un tiers du territoire.

En Louisiane, la langue s’est transmise par voie orale de génération en génération. Ici, la voiture est un « char », l’ennui un « tracas », l’usine une « factorie », maintenant se dit « à c’t’ heure », chercher, « ramasser », une mère, une « mare » et, l’ « on s’en revient back »…Mon hôtesse n’a appris le français que récemment pour, dit-elle, « mieux comprendre ses petits-enfants. »

Ceux-ci débarquent avec leurs parents du Texas où ils demeurent : Rick et Glenn, respectivement quatorze et quinze ans, passionnés d’équitation. Ils comprennent le français, mais ne le parlent pas: les parents sont convaincus que, pour leur avenir professionnel, l’anglais s’impose. La grand-mère, qui nous accueille, cinquante-neuf ans, ne travaille-t-elle pas douze heures par jour à l’usine pour un salaire de misère ? En Louisiane, les salaires sont bas mais le coût de la vie moins élevé qu’ailleurs.

Rick et Glenn ? « They ride and talk about their girl friend who dates them. They are going to dance to-nite » (Ils montent à cheval et parlent au sujet de leur petite amie qui leur fixe des rendez-vous. Ce soir, ils vont danser.) Un programme alléchant pour des adolescents ! D’autant que l’aîné conduit : c’est permis à partir de quinze ans.

La conversation se poursuit. On évoque le poète Longfellow et son poème romantique « Evangéline », écrit au milieu du XIX° siècle : une statue de l’héroïne s’élève ici. On me vante la beauté de ces paysages aquatiques des « bayous »…

Miami, bar cubain
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Miami, bar cubain
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Nouvelles Orleans / Rue Royale, LaBranche House
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Nouvelles Orleans
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Nouvelles Orleans
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Dallas
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Dallas / Texas School Book Depository
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Coffe shop
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Dimanche 13 septembre,

AUSTIN LA POUILLEUSE (TEXAS)

À Austin, capitale du Texas, un gosse des rues, une sorte de poulbot local, sale et dépenaillé, affublé d’un curieux accent, mendie : « spare a dime, a quarter or a nickel »…Misère au cœur de ce riche Etat pétrolier, par ailleurs terre d’élevage.

Plus loin, une escouade de jeunes Noirs, sapés comme des riches, m’approchent en roulant des épaules : « cigarette »

- « no, sir ! »

Ils m’assènent leurs regards furieux, mais ils s’éloignent.

Station Greyhound : les locaux sont sales ; des mendiants en tout genre y traînent quémandant cigarettes, argent, nourriture…Quelques homosexuels désirants rôdent… L’atmosphère est interlope.

(…)

 

Lundi 14 septembre,

DALLAS LA NANTIE

Dallas est une vile cossue : immeubles élégants, magasins luxueux, piétons distingués, galeries d’art en plein air (sculptures)… La circulation est dense. Une seule rue compte une vingtaine de magasins de vente d’armes ! Jeans, bottes de cuir et feutre Stetson en grand nombre déambulent d’une démarche lourde. Les Noirs paraissent arrogants (les jeunes) ou tristes (les vieux). Au Brésil, ils sont plutôt enjoués, mais l’Histoire n’est pas la même.

Kennedy

Ici, J.F.K. a été assassiné le 22 novembre 1963. Sept ans déjà ! Comment comprendre ? Faire et refaire (deux fois dans la journée) le trajet de la voiture du Président pour tenter de comprendre… Impossible de détacher le regard de cette fenêtre située au sixième étage du Texas School Book Depository d’où, prétend la version officielle, Lee Harvey Oswald aurait tiré…

Devant la Dallas County Court House, le tribunal du comté, le mémorial J.F.K., sobre comme il convient. Un Noir pleure.

De la fenêtre, où se serait trouvé Lee Harvey Oswald, au véhicule, la distance était courte mais, du pont, l’angle de tir était peut-être meilleur. Combien étaient-ils ? Deux, trois ? Saura-t-on jamais ?

Visite du musée J.F.K. : silence et recueillement…

(…)

 

Mardi 15 septembre,

SAN ANTONIO L’ANCIENNE

Au centre de la ville, The Alamo (Fort Alamo), le berceau du Texas, dit-on. Le fort date du XVIII° siècle et offre une belle architecture. Il comporte deux bâtiments dont une célèbre église, des patios et des jardins.
La visite des monastères espagnols, édifiés à la même époque par les religieux franciscains dépêchés pour « évangéliser » les Indiens, est instructive : Concepcion, San José, San Francisco de la Espada et San Juan sont des joyaux de l’architecture espagnole de ce siècle, une architecture sobre encore, mais qu’illustrent des recherches ornementales. Admirables statues de bois polychromes, fresques et portes de bois sculptées ravissent le regard.

Au monastère de San José, on peut observer l’organisation matérielle d’une mission de cette époque. C’était une petite ville : champs, puits, fours, « quartiers » indiens à l’abri des remparts. Sous la blancheur de la chaux, un tel « quartier », construit en dur, se compose de deux pièces pourvues d’une cheminée, d’une paillasse et de deux ou trois meubles. C’est simple et propre. À l’extérieur, court un aqueduc. À proximité d’un dépotoir, quelques masures.

(…)

Rue

La rue américaine se caractérise par sa vaste largeur, le flux continu de la circulation, la taille imposante des véhicules qui l’occupent et les nombreux compteurs de stationnement qui en balisent le cours. Elle est peuplée d’un flot de piétons et d’un certain nombre de policiers. De larges enseignes lumineuses scintillent jour et nuit. Ouvertes sur la rue, des échoppes offrent hamburgers et sodas ainsi que du pop-corn. Des « drinking-fountains » permettent à chacun de se désaltérer… gratuitement ! Des distributeurs automatiques proposent des produits divers dont les journaux. Souvent, la rue est sale et bruyante. Nouvelles pour la plupart, les villes américaines sont généralement construites sur le même plan : « streets » (rues) et « avenues » se coupent à angle droit.

Au Texas, dans la rue, on croise quelques beaux visages burinés d’hommes portant chemise à carreaux, chaussés de bottes de cuir et coiffés du traditionnel Stetson. Certains d’entre eux semblent issus de la famille Dalton !

(…)

San Antonio, The Alamo
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San Antonio, The Alamo
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San Antonio, The Alamo
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San Antonio, The Alamo
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San Antonio, Mission Conception
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San Antonio, Mission Conception
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San Antonio, Monastère
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San Antonio, San José
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San Antonio, San José
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San Antonio, The Alamo
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Policeman
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Mercredi 16 septembre,

INCURSION AU MEXIQUE

Au-delà de Monterrey

C’est, au-delà de Monterrey, une terre plate, ceinturée de hautes montagnes sur les pentes desquelles le soleil dessine ses arrangements. Ce nord du Mexique semble bien pauvre : un sol aride et sec qui nourrit une végétation rabougrie : maigres arbustes, palmiers nains, cactus et quelques pins. On distingue des maisons rectangulaires en ciment d’un blanc sale, coiffées d’un toit plat ainsi que des sortes de huttes en briques, petites et sales, couronnées d’un toit de bois comme un point sur un i. En ce lieu, paissent quelques chèvres sur lesquelles veille un berger, à l’abri d’un épais poncho et d’un large sombrero, tandis que broutent deux ou trois vaches et que s’ébattent dindes et dindons, ces volatiles autochtones. On cultive maïs, ananas et tabac. Le long des routes, mulets et chèvres déambulent en nombre. Les villages traversés ne masquent guère leur pauvreté : une unique rue, quelques masures au toit plat et une église peinturlurée. La misère est visible. Il semble que la plupart des gens vivent à l’extérieur sous le ciel hospitalier. C’est dans une mare dont la propreté est douteuse qu’une femme lave son linge: l’hygiène est un luxe de nantis.

À San Luis Potosi, cité dont les rues pavées sont étroites et sales, les passants sont pauvrement vêtus. Un jeune mendiant, visage écorché et yeux hagards, va pieds nus, affublé de vêtements déchirés. C’est un personnage d’un film de Bunuel de la période dite mexicaine. Le regard de ce mendiant me poursuit: un regard mort qui me hante et trouble mes nuits, celui d’un mort en sursis, condamné à périr de misère. Ici le Moyen Age se perpétue. Que faire ?

Une gargote propose « sopa de pollo » (soupe de poulet), steak épicé et haricots noirs (un légume local), festin de mendiant pour voyageur économe.

À l’approche de Mexico, la végétation devient plus verdoyante sous les feux du soleil, mais il sombre bientôt derrière les montagnes qui ceinturent la plaine.

(…)
 

Jeudi 17 septembre,

MEXICO* (MEXIQUE)

Dans le centre de la ville, éclatant de propreté, on se promène le long d’Insurgentes puis on s’engage dans le Paseo de la Reforma, l’avenue que les Mexicains comparent volontiers aux Champs-Élysées. On s’arrête au monument édifié en hommage à Cuauhtémoc, l’ultime « tlatoani » (chef) aztèque, qui trône au carrefour de ces deux avenues. Le Paseo est une large artère de huit voies ; elle est bordée de vastes trottoirs garnis de bancs et ornésde parterres soignés. Elle s’étend à l’ombre de hauts palmiers ainsi que d’autres essences. Sur ces trottoirs, s’alignent des statues d’hommes célèbres et s’ouvrent des squares que rafraîchissent des fontaines… En cette fin d’été, le soleil brille dans un ciel bleu qu’assombrissent quelques averses. L’altitude -elle s’élève à 2240 mètres- distille une bénéfique fraîcheur. La circulation est très dense : taxis de toutes les couleurs, Volkswagen, quelques R4… roulent à vive allure. C’est un véritable gymkhana dont le piéton semble la cible privilégiée. Avertisseurs tonitruants et pots d’échappements malades composent une bruyante bande sonore. La conduite est nerveuse ; latine ?

Sur le Paseo, d’adorables petits cireurs Indiens –indiens, ça va de soi- sont installés à demeure avec leurs chaises rouges. Comme tout le monde, ces jeunes professionnels du lustrage parlent anglais ; on peut donc échanger avec eux quelques propos convenus… Des marchands à la sauvette offrent tout et rien. Ainsi, des Indiennes proposent noix, chicklets, billets de loterie. Des enfants à la peau cuivrée crient aux chalands les titres des journaux qu’ils vendent. Quelques mendiants quémandent une pièce. Ici, pour vivre (survivre), il faut lutter.

Ailleurs, le long de cette longue avenue, un quartier chic au cœur duquel s’élèvent des ambassades (Etats-Unis, Brésil, Australie, Grande-Bretagne…) et des grands hôtels (Continental, Hilton…) et se succèdent magasins de souvenirs, banques, agences de voyage, théâtres, cinémas et restaurants. À l’affiche, Michel Polnareff et « La vie, l’amour, la vie » de Claude Lelouch.

Plus loin encore, la Zona Rosa

*(Capitale de l’Etat fédéral, Mexico comptait, en 1968, six millions d’habitants.)

(…)

 

Mardi 22 septembre,

ARIZONA

VESTIGES DU PRECAMBRIEN

L’Arizona vit essentiellement du tourisme, de l’élevage et de l’exploitation des mines de cuivre.

Grand Canyon- La route qui y conduit est belle : elle monte en pente douce à travers des bois de pins. À l’horizon s’élèvent les montagnes. Parvenu au sommet, on découvre, de la terrasse qui s’étend au pied des hôtels, en un seul regard jeté en contrebas, le canyon inondé de soleil.

Cette gigantesque fosse, large et profonde, sous cette lumière, se pare d’or le matin et de vermillon en fin d’après-midi. Malgré le feu du ciel, le temps est froid et sec. L’altitude confère à l’atmosphère une pureté et une transparence rares. Tandis que l’on jouit de la beauté de ce paysage encore épargné par l’homme, écureuils et oiseaux s’enhardissent et viennent picorer dans la main du visiteur intrus.

La marche à destination du fond du canyon et retour se prolonge environ trois heures et, plusieurs jours si l’on emprunte le sentier de montagne pour en faire le tour. Visiter ce canyon, c’est découvrir le paradis des arbres et des animaux et lire l’histoire de la terre consignée ici depuis… « le précambrien archaïque » !

Au creux de la faille, contemplation. Silence : pas un bruit si ce n’est, parfois, le chant d’un oiseau qui accuse le silence. Eau: le fleuve Colorado traverse le canyon. Pierre: là-bas, en face, le regard s’accroche à ces rocs massifs sur lesquels le soleil organise ses jeux. Certains portent un nom tel ce « Temple de Bouddha ». Le site est grandiose et magnifique. Sa beauté primitive, heureusement préservée, chante l’ode à la nature. Homme: un ranch s’est établi au creux du canyon et nombre de jeunes, semble-t-il en rupture, visitent les lieux.

Remonter est épuisant: roches anciennes et pourries, rochers jeunes et durs, chicots rocheux se succèdent et, l’on s’épuise en effet.

Là-haut, derrière des barrières, un bâtiment de ferme à l’architecture typique: c’est un centre d’élevage de chevaux et de mulets. Le maître des lieux affiche une quarantaine joviale. Il est coiffé d’un Stetson et porte jeans et bottes de cuir. On parle. « L’Arizona, dit-il, compte deux « réserves » d’Indiens, l’une abrite les Navajos, l’autre les Hopis. » Il « aime bien » les Indiens et travaille volontiers avec eux. «Bons travailleurs, ils sont aussi pauvres que leur terre ».

À Hopi House, vieille et jolie maison indienne, on admire quelques meubles en bois peint…On y vend de beaux tissages à l’effigie de l’aigle, des poteries ornées de dessins géométriques, d’éclatantes turquoises et divers objets de pacotille…

À l’extérieur, des membres de la tribu des Hopis exécutent trois danses sur des rythmes vifs. La « danse de l’aigle » est un hommage rendu à cet oiseau en reconnaissance des plumes qu’il offre aux hommes… Ici, comme au Mexique, les Indiens excellent dans le travail de ce matériau. Voilà donc les Hopis réduits à singer leurs danses pour un public de visiteurs. Leur riche culture, disait l’éleveur, est « en voie de disparition ».

Le soleil décline et la variation des couleurs sur le relief du canyon accompagne sa lente chute. Le spectacle est magnifique.

(…)

Grand Canyon
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Grand Canyon
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Mercredi 23 septembre,

ALBUQUERQUE (NEW MEXICO)

PREDATEURS

Soleil ! Ciel d’azur d’une limpide pureté. Froid sec et piquant. Découverte pédestre de la ville.

Le centre ville est banalement américain. Seul quelques maisons de style mexicain rompent cette banalité. Dans la rue, c’est en castillan que l’on répond aux questions. De nombreux restaurants mexicains et « curios-shop » s’offrent aux chalands…

Rencontre d’une Néo-zélandaise: elle critique les développements du tourisme et déplore que les aménagements effectués dans cette perspective contribuent à gâcher la beauté des sites. La Nouvelle-Zélande est, dit-elle, « plus sauvage ». Par ailleurs, elle estime qu’une comparaison s’impose entre le problème des Indiens et celui des Maoris, les uns et les autres premiers occupants de la terre…

Visite de la « Vieille Place » d’Albuquerque, construite, en 1706, par les Espagnols, devenue territoire mexicain, comme le reste de la ville, en 1821, après l’indépendance puis, américaine.

La place offre un sobre décor, composé d’édifices d’un seul étage, crépis de rose et de blanc et tous bordés d’arcades, que dominent une église ancienne et ses deux clochers.

Ces arcades abritent un marché indien. Assis en tailleur à même le sol, les marchands disposent sur des étoffes de couleurs les objets qu’ils proposent aux chalands : turquoises et bijoux divers, tissus et tissages, petits pains sucrés…Une vieille indienne vend bijoux et petits pains sucrés. Elle achète, dit-elle, la turquoise brute aux Blancs. « Ils sont malins, poursuit-elle : ils nous ont pris nos mines, celles qui, auparavant, nous appartenaient. Ils nous ont tout pris. Nous n’aimons pas les malins. » Le ton est triste et résigné. On n’entend guère poindre la révolte.

Plus tard, je rencontre un jeune ouvrier américain. Il a vingt ans et, dit-il, un niveau d’instruction élémentaire. Il vient de se faire virer de son travail. C’est un dur. Originaire de Detroit (nord), il adore, si on l’en croit, son pays et ses paysages. Il aime voyager car, le voyage permet des rencontres.

Sujet de conversation ordinaire (« topic », dit-on ici), le Vietnam. Engagé volontaire dans le corps des Marines, à dix-sept ans, puis réformé,il a vu, affirme-t-il, les blessés du Vietnam arriver aux Bahamas où il était cantonné. « C’était horrible ! Poor guys ! » Selon lui, « un soldat américain au Vietnam survit en moyenne vingt-et-un jours… » Pour en finir, il suggère la guerre bactériologique (« germ war »). Il évoque les bases de missiles dans les Rockies (Montagnes Rocheuses), Fort-Knox dans le Kentucky et son système d’inondation déclenché en cas d’alerte… Mais comment donc sait-il tout cela et pourquoi ? Est-il crédible ?

Par ailleurs, il déteste les Noirs : « try to live with » (essaie de vivre avec eux). Racisme plébéien.

« La nourriture est trop chère », pense-t-il et il est révolté (comme moi d’ailleurs) par le gâchis qui sévit dans ce domaine, comme dans celui des vêtements. « Au lieu de jeter,dit-il, il faut donner à ceux qui en ont besoin. Si l’on réfléchit à l’origine des crimes, on comprendra que c’est ainsi qu’il faut faire ».

(…)

Désert

Destination Las Vegas. La route est mauvaise, mais le paysage, un décor de western, magique ! De longues étendues arides, de couleur marron, se déroulent à l’infini. L’herbe y est rase et maigre la végétation: quelques pins se risquent ici ou là. Le lit des rivières est asséché ou arrosé par un mince filet d’eau. C’est un relief tourmenté de chicots rocheux et de chaînes ou d’îlots montagneux, rongés par l’érosion, qui s’élèvent sur un sol volcanique. Ces paysages sont caractéristiques du Nouveau Mexique et de l’Arizona.

Disséminées au fil de ces vastes espaces, résistent quelques pauvres maisons, voire des masures sales et délabrées. Sur ce territoire indien, situé en plein cœur des « réserves » (« reservations »), on aperçoit, à l’occasion, modeste et misérable, un village indien accroché à ce sol pauvre. Il en est affublés de « tipis », villages reconstitués pour le plaisir des touristes et dont l’ « intérêt » est vanté par de larges panneaux publicitaires… L’Indien se vend comme un quelconque dentifrice… Ainsi dans cette région, les Navajos vivent-ils du tourisme, de l’artisanat (bijoux, tissages, poteries, mocassins) proposé aux visiteurs et de maigres ressources agricoles.

Indiens Hopis
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Indiens Hopis
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Albuquerque, marché indien
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Albuquerque, marché indien
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Habitât indien
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Las vegas
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Las vegas
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San Francisco, Golden Gate
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San Francisco, Alcatraz
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San Francisco
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San Francisco, China Town
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San Francisco, descente de police à la plage
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Jeudi 24 septembre,

LAS VEGAS (NEVADA)

LES JEUX SONT FAITS

Six heures ! Il fait encore nuit. La station Greyhound, installée dans le hall d’un hôtel, est truffée de machines à sous ! Dans la rue, la féerie des enseignes lumineuses, dont les motifs s’animent continûment, subjugue. La moindre boutique exhibe la sienne. La vue d’ensemble est assez jolie: jaune, vert, rouge et bleu sont les couleurs dominantes. Le regard est ébloui par cette palette d’éclairages multicolores. Puis, le jour qui se lève invente une autre lumière…

De nombreux hôtels et restaurants, quelques banques aussi, bordent les rues ainsi que de vastes casinos et de lumineuses boîtes de nuit…Golden Nugget, Casino de Paris, 4 Queens…Certains oeuvrent nuit et jour. À cette heure matinale, bercés par les mélodies languissantes de l’orchestre tandis qu’ondule une danseuse, des joueurs s’acharnent encore autour des tables de jeu et au chevet des machines à sous. La résistance du joueur est infinie.

Peu de jeunes plastronnent en ce royaume de l’argent, paradis du clinquant et enfer du joueur compulsif. Les salles de jeu exhibent le luxe de leur décoration: épaisses moquettes et lourds rideaux de velours… Conçues à l’échelle américaine, leur immensité est peuplée de centaines de machines à sous identiques sexuées par le levier magique qui vomit la manne ou la refuse. Impressionnant ! Le client, pour boire ou se restaurer, choisit parmi les nombreux bars et restaurants du lieu qui pratiquent des prix un tantinet plus élevés qu’à l’extérieur.

Le jour dévoile une ville neuve relativement esthétique et, à sept heures, Vegas se couche.

En ville, les vitrines des boutiques de souvenirs offrent, à l’enseigne du mauvais goût, machines à sous miniatures et pièces de monnaie serties dans des cubes de plastique ! Chez les prêteurs sur gages, qui abondent, on abandonne un objet et l’on reçoit la contrepartie de sa valeur estimée en espèces. L’observation des vitrines de deux d’entre eux est édifiante : kyrielles de montres et d’appareils de photo, dont un certain nombre de polaroids, caisses à outils prélevées dans la voiture, transistors, chevalières-l’une est ornée du compas, emblème des francs-maçons- et une bonne cinquantaine d’alliances (« Bonjour chérie, j’ai vendu mon alliance »). Comment peut-on s’avilir ainsi ?

Vegas, paradis du joueur, enfer de l’homme ! Fuyons !

 

Sur la route de San Diego (Californie)

La route de San Diego, via Los Angeles, traverse de magnifiques paysages. Le désert du Nevada est une terre grisâtre et sablonneuse, parsemée de maigres touffes d’herbe. Quelques collines pelées récusent toute végétation. Aucun village. Rien.La terre et le soleil ardent.

Les sommets gagnent en altitude… Deux petites villes… C’est la Californie : végétation et habitat changent. La route foisonne de ces abréviations dont les Américains sont friands, L.A. (Los Angeles), PKWY (parkway), HWY (highway)… et de ces simplifications (mutilations) orthographiques : « rite’ » (right), « nite » (night), etc.

Le bus poursuit sa route à travers un paysage boisé, bordé, à droite, par l’océan qui vomit des rouleaux appréciés des surfeurs…Ici, des yachts s’alignent à l’abri des ports qui jalonnent la côte. Là, se niche la résidence de Richard Nixon. Partout, les églises se souviennent de l’Espagne comme nombre de noms de lieux…Dans les champs prospèrent orangers, tulipes, muguet…Couleurs ! Des stations balnéaires paressent à l’ombre des palmiers. Au bord du Pacifique s’étendent de vastes étendues sauvages, vierges de toute habitation.

Importante agglomération, San Diego est aussi une station balnéaire.Les militaires abondent en cette région frontière qu’encombre une base de Marines.

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Route de nuit

Route de nuit en Greyhound pour arriver le matin à San Francisco et filer à Oakland (vingt minutes de trajet) et de là, à Berkeley (vingt-cinq minutes encore) où, en principe, vient d’arriver mon meilleur ami français, J.P, pour poursuivre ses études universitaires. On emprunte le Baybridge, « le plus long pont du monde », haut de deux étages, un pour chaque sens de la circulation. Le bus débarque ses passagers devant la « public library » de Berkeley, située sur Shattuck avenue, la grande artère de la ville. Surprise ! Ici est un autre monde !

J’éprouve le sentiment d’être non seulement étranger mais anormal au cœur de cette jungle d’êtres qui me paraissent étranges. Ce « Nanterre américain » est peuplé d’une faune multicolore et bon enfant. Extravagance et laisser-aller caractérisent les tenues vestimentaires. Décontraction et addiction à la musique semblent constituer ici les deux piliers du comportement et de la vie estudiantine. Un peu partout, sous le ciel bleu, des groupes se réunissent à l’écoute d’un « folk-singer », d’un mystique révélant la teneur de ses conversations avec Dieu ou bien d’un adepte de la liberté sexuelle absolue…Certains, vêtus de saris, crâne rasé, psalmodient une mélopée dédiée au dieu Khrisna, d’autres s’en vont méditer sur les cimes des collines…Un vieux philosophe, pieds nus, les cheveux retenus en un chignon et la barbe fournie, lit à haute voix des versets du Coran…Et, pendant ce temps, le professeur Marcuse dispense à ses disciples un cours relatif à « Eros et civilisation ». Babel de la pensée !

Point de violence. La tolérance règne. Chacun vit à sa guise,chacun s’exprime librement. « The pursuit of happiness » (la recherche du bonheur) n’est-il pas un idéal inscrit dans la constitution américaine ? Le non-conformisme ambiant rompt la monotonie de ces grandes villes américaines qui toutes se ressemblent et baignent dans l’apparent consensus de la norme.

 

Vendredi 25 septembre,

BERKELEY

UN AUTRE MONDE

Au nord d’ Oakland, Berkeley regroupe 120 000 habitants dont 28000 étudiants. Situé en plein centre ville, le campus (bâtiments universitaires et vastes pelouses), contrairement à celui de l’université de Syracuse, est « ouvert ». La ville s’immisce entre les collines qui la dominent et les rives de la baie de San Francisco. Cité agréable dont les rues animées et cosmopolites sont bordées d’élégantes boutiques. On y croise nombre d’étudiants parmi lesquels quantité d’Asiatiques (Japonais et Indiens) et de Mexicains.. Restaurants et « coffee shops » pullulent ainsi que les magasins de produits exotiques: vêtements indiens, encens, narguilés, ponchos… et aussi collection de mode hippy et posters divers.

Assis sur le trottoir, des jeunes tendent la main : « could you spare a dime ? » (Auriez-vous une petite pièce ?)… Plus loin, sur un autre trottoir assez large, sur le coup de midi, quelques jeunes gens chevelus et barbus, vêtus de bermudas déchirés, proposent aux passants nonchalants bijoux, ponchos, cuirs…Assis à même le sol, un garçon tisse. Des marchands de journaux battent le pavé. Devant Students Union, des étudiants vendent du jus d’orange préssée (25 cents). D’autres un poster de Jimmy Hendrix ou des insignes du Mouvement de la Paix. Ici est un autre monde !

Un peu plus loin, un fin campanile, commode point de repère, domine un succession de bâtiments d’époques et de styles différents, Juxtaposition qui blesse le regard soucieux d’esthétique. L’architecture de Students Union est plus avenante que celle de la Law School (Faculté de Droit) ou de l’International House ( Maison internationale), dépourvue d’un quelconque cachet.

Pour l’heure, aucune trace de mon ami si ce n’est son inscription à la Business School de Berkeley. La probabilité de le retrouver dans cette foule est extrêmement faible ! Il importe de réfléchir. Je m‘assois sur l’ un des bancs du square sis face à Students Union. Incrédule,j’observe la faune environnante. Quelle université française accepterait la tenue vestimentaire et le comportement de la plupart de ces étudiants ? Aucune probablement. Soudain,J.P. croise au large. Je bondis. Les retrouvailles sont chaleureuses

(…)

 

Samedi 26 septembre,

SAN FRANCISCO

I LEFT MY HEART

La visite de San Francisco, métropole voisine, s’impose. A partir de Market street commence l’ascension, à pied, de cette ville qui, tournée vers la mer, gravit les flancs collines et en tapisse les pentes de la base au sommet en respectant le plan géométrique de la plupart des villes américaines.

San Francisco est la plus importante ville chinoise de la diaspora. A Chinatown, la rue parle chinois. Ecoles et journaux aussi, ainsi que les banques, restaurants, agences de voyage, boutiques de bibelots…Les rues étroites de ce quartier grouillent de tout un monde laborieux ; elles sont bordées d’édifices de style chinois qu’éclairent, la nuit, la lueur de réverbères conformes à la même esthétique. Ici, c’est la Chine !

Dérive vers le proche quartier des noctambules : boîtes de strip-tease, où s ‘effeuillent des femmes ou bien des hommes, et cinémas y pullulent. A leur porte, officient des racoleurs. Deux d’entre eux ont une sacrée gueule ! Et ils portent costume rayé et guêtres blanches, feutre et chemise noirs et, œillet à la boutonnière ! Spectacle !

Le quartier voisin affirme un tropisme hippy : tenues vestimentaires et échoppes exotiques en témoignent.

Descente à pied – Frisco se prête à la déambulation pédestre – vers Fishermen’s wharf (quai des pêcheurs), le quartier touristique du port. Amarrés à ce quai dodeline une soixantaine de cotres pourvoyeurs de poissons.

Juste en face, sur un îlot, se dresse l’ancienne prison d’Alcatraz, désormais «Free Indian Land » (terre indienne libre).

Retour au point de départ : ascension de la pente et descente jusqu’à Market street pour regagner ensuite Oakland et Berkeley

 

Dimanche 27 septembre,

SAN FRANCISCO

VU DE LA MER

Le bus qui relie Oakland à San Francisco franchit le Baybridge et s’arrête à Market street. Là, on emprunte l’un de ces fameux « cable cars » pour gravir et dévaler les collines jusqu’à Fishermen’s wharf. Ils circulent sur des rails, s’immobilisent aux carrefours sur une plaque tournante pour changer de sens, comme pour reprendre haleine pendant l’ascension de ces pentes à quarante-cinq pour cent. Ces arrêts sont signalés par une clochette. A l’intérieur, une sorte de caisse enregistreuse est commandée par des manettes disposées tout autour du véhicule.

Comme les jours précédents, il fait beau et chaud. A Fishermen’s wharf, un bateau embarque pour un « bay tour » (une excursion dans la baie) cinq cents personnes. Cette baie est cernée de montagnes dont les sommets, en cette mi-journée, sont encore escamotés par un voile de brume. La ville, qui a colonisé les hauteurs des collines, étincelle sous le soleil, comme le rutilant Golden Gate bridge qui enjambe la mer au fond la baie. Au milieu, là-bas, se dresse l’îlot d’Alcatraz. Ce paysage compose une délicate aquarelle. Le bateau navigue sur les eaux calmes dans lesquelles la ville et le ciel se reflètent. Il passe sous le majestueux Golden Gate, devant Alcatraz et sous le Baybridge avant de regagner le port.

La balade à pied jusqu’à une plage voisine, assez sale, est décevante.La fatigue incite à emprunter un « cable car » jusqu’au bus qui se dirige vers une autre plage, Ocean beach, à une heure de route, à l’ouest de Frisco.Quelques femmes noires montent dans le véhicule ; leur corpulence étonne.On se persuade qu’elles aiment être plantureuses.

Ocean beach est une longue plage de sable gris qui festonne le Pacifique. Des rouleaux animent ses eaux et portent l’élan de surfeurs accomplis. Restaurants et bars s’alignent tout le long du rivage ; ils drainent une foule de chalands interlopes. Quelques individus louches promènent leurs sales gueules et quelques dandys noirs, chapeau baissé sur le coin de l’œil, se dandinent comme des dindons.

Drame! Une bagarre à coups de bouteilles éclate. Le soir, la télévision et la Presse écrite évoqueront l’incident. Soudain le déploiement de forces est considérable: police montée (dix hommes à cheval), patrouilles casquées, fourgons divers, vingt-cinq voitures de « pigs » (flics) et un hélicoptère !On pourrait s’attendre à voir le président arriver! Seule la mer, ici, est pacifique.

Le temps de « goûter » l’eau –froide- du Pacifique et la police montée fait évacuer la plage…

Déçu, on vagabonde d’un parc, jonché de détritus, à un quartier élégant truffé de magasins luxueux. Dans un pub irlandais, des jeunes chantent des folk-songs .Un quart de la population américaine revendique des origines irlandaises.
Il fait nuit maintenant et le quartier des noctambules s’anime ; des hommes s’approchent des boîtes de strip-tease. La nuit sera l’envers du jour.

 

Lundi 28 septembre,

BERKELEY UNIVERSITY

Le campus regroupe bâtiments universitaires, parcs et squares ouverts sur la ville. Students Union (l’Union des étudiants) comporte accueil, hall et bureaux ainsi que salle de billard, bowling de quinze pistes, deux cafétérias, deux librairies, une boutique de disques, un coiffeur et un square qui accueille des concerts.

Devant cet édifice, chaque jour et à longueur de journée, se tiennent des meetings. Si l’on en croit le Journal de Berkeley, la partie du campus comprise entre l’Union des étudiants et l’immeuble de l’ administration est, au terme du règlement,réservée à de telles activités, interdites ailleurs sur le campus. C’est un véritable forum, au sens antique du terme : discours, discussions et palabres, rassemblements, mouvements et désordres l’animent… Chacun peut y prendre la parole pour exprimer ses idées… Souvent un petit groupe s‘agglutine autour de l’orateur et ainsi se forme un meeting. La diversité des sujets abordés témoigne de la vitalité de cette vivante école de la démocratie: politiques (conflit israélo-arabe), administratifs (problème des enfants d’étudiants/rapports avec la police), religieux…

Les problèmes religieux ont, à Berkeley, une importance cardinale. Ils accaparent la plupart de ces débats en plein air. Le Journal de Berkeley atteste que la ville est un centre important d’études religieuses. Depuis quelque temps, on note un déclin de l’intérêt des étudiants pour les religions chrétiennes et un intérêt manifeste pour les religions orientales. Les Hare Khrisna publiaient voici quelques années une feuille de chou ; ils diffusent aujourd’hui une revue riche d’illustrations en couleurs.

Quelles sont les raisons de cette inquiétude métaphysique qui cherche le repos de l’âme en ces religions issues du lointain orient ? Cette inclination procède sans doute de l’incapacité des religions chrétiennes à s’adapter aux bouleversements du monde et à répondre aux tourments de l’âme occidentale. Par ailleurs, on sait que le Protestantisme, si l’on en croit le sociologue Max Weber, a favorisé l’apparition du capitalisme. Au-delà, deux facteurs contribuent à justifier cette quête orientale. D’une part, la guerre menée par les Etats-Unis au Vietnam provoque le dégoût d’une grande partie de la jeunesse, voire de la population américaine. Une réflexion relative à la violence, à la justice et à la vanité des hommes s’approfondit. D’autre part, les excès, les méfaits et les lacunes de cette société dite d’abondance conduit à la recherche d’un autre idéal, aux antipodes du matérialisme ambiant, propice à corriger les échecs de cette société. Enfin, la sagesse traditionnelle de cet orient mythique connaît une sorte de mode.

Il arrive cependant que l’on croise sur le campus, un jeune homme ou une jeune fille au regard ardent qui s’arrête et interpelle en ces termes le quidam : « I am happy, I met Jesus Christ. What about you ? » (Je suis heureux, j’ai rencontré Jésus Christ. Et vous ?) Mais Jésus aussi, il est vrai, était oriental.

En ce qui concerne les discours religieux qui émaillent chaque journée sur le campus, il faut noter que l’orateur qui harangue la foule avec fougue souvent, violence parfois, voire insultes, plus rarement, ne se réfère pas toujours à une religion déterminée. C’est le fait religieux et l’inclination de l’âme qui le plus souvent l’inspire.

 

Mardi 29 septembre,

SAN FRANCISCO

A la recherche du Consulat, je marche dans Jackson street. Cette rue naît au cœur de Chinatown et se prolonge en une longue avenue dont les immeubles perdent leur caractère asiatique contrairement à ses résidents majoritairement chinois. Une femme balaie le trottoir, les cheveux méticuleusement roulés autour de bigoudis. Cette Chinoise-là s’est déjà quelque peu américanisée ! Le « melting pot » (creuset) est à l’oeuvre !

Université de Berkeley
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Hollywood, Studios Universal
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Hare Krishna
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Salt Lake City, temple mormon
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Salt Lake City
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Mine de cuivre, Bingham Canyon
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Sur la route
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Mercredi 30 septembre,

LOS ANGELES – HOLLYWOOD

STUDIOS

La station Greyhound est vaste et agréable. Elle offre nombre de commodités: coffee-shops (boissons non alcoolisées), cocktail lounge (débit d’alcool), cafetaria, sandwicherie, bureau de voyages, coiffeur, tailleur, cireur de chaussures, boutique de souvenirs, pharmacie, fauteuils de télévision, écrans affichant les horaires, toilettes…et l’inévitable cohorte des mendiants.

A la mi-journée, départ pour Hollywood. C’est une belle ville dont le centre, d’une architecture moderne, se distingue par sa propreté. Hôtels, banques, studios d’enregistrement et de télévision occupent les principaux édifices. Les abords de la cité, collines et parcs verdoyants, coquettes maisons de bois, composent un charmant paysage. Depuis 1923, les studios de cinéma ourlent le territoire de la ville :Walt Disney Studio, Warner Bros, CBS et Universal Studios, entre autres. Ce dernier se visite en petit train monté sur des pneus.Bon nombre de films et de séries télévisées y sont tournées : « Rose Mary’s baby », « Airport », « The Virginian », « Wagon-train »… C’est le plus vaste studio d’Hollywood ; il s’étend sur quatre cents acres (soit 16 188 ares). C’est aussi une « city », administrée par un maire.Elle compte médecins et chirurgien, écoles pour les comédiens enfants (ils fréquentent les cours trois heures par jour) et, à proximité, un hôtel, le Universal Sheraton, riche de cinq cents chambres.

Une hôtesse commente la visite :

- 1) La visite commence au sommet de la colline pour jouir d’une VUE D’ENSEMBLE, fort belle d’ailleurs.

- 2) On descend ensuite pour visiter les LOGES DES COMEDIENS. Celles-ci viennent d’être achevées. C’est somptueux! Chacune offre salon, salle à manger généreusement recouverts de moquette, cuisine et salle de bains. Le comédien y réside exclusivement pendant le tournage, peut exiger d’y dormir la nuit et commander tout ce qu’il souhaite. Il existe aussi des loges mobiles, véritables demeures miniatures, plus pratiques car mobilisables sur le lieu même du tournage.A proximité, on voit la loge de Robert Stack puis les salles de maquillage et les ateliers de couture.

- 3) On arrive aux SCENES (« STAGES ») : ces immenses hangars extrêmement hauts et larges abritent les tournages des scènes en intérieur. Visite de la « stage number 32 ». Elle comporte un parquet spécial imperméable aux nuisances sonores, une isolation qui protège de la chaleur et des portes en métal contre les bruits de la circulation extérieure, ceux émanant des camionnettes qui vont et viennent chargées de décors.

On voit ici :

- Un décor de « cartoon » (dessin animé) en polystyrène et de faux animaux articulés. Soixante-quinze pour cent des lumières tombent d’en haut.

- Un décor d’appartement édifié pour « Topaze » : trois murs et, à l’emplacement du quatrième, la caméra. Pour changer d’angle, celle-ci se substitue à un autre mur. Le décor est dépourvu de plafond ; si nécessaire un morceau de voile blanc en fait office. Le lustre tombe fort bas ; quand l’acteur s’en approche, un machiniste le remonte au fur et à mesure.

Les jeux de lumière créent la luminosité du plein jour, de la tombée de la nuit ou bien l’obscure clarté de la nuit.

Les arbres sont naturels, revivifiés, dit-on, par un produit chimique, les feuilles,en revanche, artificielles et… détachables ! En effet, toutes les séquences ayant pour cadre le même lieu sont tournées les unes à la suite des autres: si le début se passe à l’automne et la fin en hiver, il faut pouvoir très vite changer les feuilles. Les fonds du décor sont presque toujours des peintures ou des photographies agrandies. On se transporte rarement dans un décor naturel. Il arrive que l’on intercale des scènes de rue prises sur le vif mais sans comédiens. Appuyer sur un bouton suffit pour faire tomber la pluie et gronder le tonnerre: l’effet est très naturel. Pour figurer la neige, le sol est tapissé d’une matière synthétique blanche et un rouleau grillagé en tournant libère les flocons de plastique. Effet saisissant! Les murs, les dalles, les rochers sont faits de matériaux légers. La majorité des films est post-synchronisés. Artifices ! Artifices ! Artifices !

On traverse ensuite, en train, de gigantesques hangars, cavernes d’Ali Baba, où sont rangés quantité d ‘accessoires. A l’extérieur, sont entreposées en bon ordre les parois de maisons de styles divers, de grandes cheminées – ainsi une ville est édifiée en un rien de temps – de faux rochers, des fusées en toc, des voitures

- La coupe d’un avion et celle d’une voiture: c’est une fausse voiture démontable. Selon la position de la caméra (à l’avant ou à l’arrière), on supprime l’avant ou l’arrière du véhicule et comme fond, on projette sur un écran un film représentant une route. La caméra enregistre le tout et crée ainsi l’illusion d’une voiture qui roule L’avion compte trois rangées de sièges en coupe (mais il est possible d’en rajouter). Il a servi pour le tournage d’ « Airport ».

- Un décor de toit (« West Side Story »): fausse cheminée et fausses briques, la photo agrandie de buildings, le tout à une échelle réduite mais la caméra corrige en jouant avec les angles de prise de vue et crée l’illusion du réel.

- Des modèles réduits d’avion posés devant un écran sur lequel défile le ciel, une piste ou un paysage : l’illusion est créée par la caméra qui filme en gros plan (voir « Airport »). Le même procédé de l’échelle réduite est utilisé pour un hélicoptère, une maison en flammes ou un bateau à aube voguant sur le Mississipi.

Quand un acteur saigne, le sang, bien entendu est faux. Pour les chutes et les suicides inscrits dans le scénario, on recourt à des mannequins et à des masques (voir « Rose Mary’s Baby »). Illusion ! Illusion ! Illusion !

Cet épisode de la visite, relative aux trucages, dépouille de son mystère et de sa magie le cinéma et le dépoétise.

- 4) Les lieux de tournage des EXTERIEURS :

On découvre, grandeur nature, une rue entière de style colonial, une autre Nouvelle Angleterre: en fait, seul les façades et la végétation suffisent à créer l’illusion. Plus loin, s’élèvent un quartier de New-York, un village de l‘ouest américain, d’autres mexicain, européen, asiatique, un ranch, des cases africaines, des temples romains, une rivière, une forêt et de petits lacs sur lesquels flottent des modèles réduits de bateaux filmés en gros plan.

A l’extérieur d’une maison hantée, une équipe est en train de « mettre en boîte » un plan. Un peu partout, comme des sentinelles se dressent des projecteurs protégés par une housse.

Le studio abrite aussi un zoo et un dresseur d’animaux pour les besoins des réalisateurs.

- 5) Le quartier touristique : divers magasins, spectacles, démonstration de maquillage, temple romain… Et un étang sur lequel navigue un navire de guerre miniature (voir plus haut).

 

Balade dans la ville chinoise de Los Angeles.

Rencontre d’un musicien noir d’une trentaine d’années. Il est légèrement ivre. Sympathique, il parle de choses et d’autres : des Black Panthers ou bien de ces gens qui oeuvrent pour les Noirs et qu’il aime bien, dit-il. Y compris J.F.K., tué par les siens par ce que « il voulait faire quelque chose pour les pauvres Noirs ». Il vient de composer une musique de film pour Hollywood. Il ne se plaint pas mais assure que « ce pays n’est pas un pays pour les Noirs. Ici, si on a de l’argent, tout va bien ; sinon, on peut crever. C’est chacun pour soi, sinon, c’est foutu ».

A minuit, en route pour Salt Lake City (S.L.C.). Je dormirai dans le bus.

 

Jeudi 1 octobre,

LOS ANGELES (CALIFORNIE) – SALT LAKE CITY (UTAH)

PAYSAGE

Quand j’ouvre les yeux, une dizaine d’heures plus tard, le bus quitte Las Vegas. Les hautes collines assez sablonneuses du Nevada parsemées d’une végétation rabougrie se dessinent.

Ensuite, l’Utah offre d’abord un paysage assez semblable à celui de l’Etat précédent. Puis, progressivement, les collines s’élèvent jusqu’à atteindre la hauteur de montagnes et la végétation est plus dense et plus verte. Mais la vallée, ou plutôt la plaine,légèrement vallonnée, demeure nue et teintée d’or. Droit devant, le regard porte loin dans le prolongement de ces omniprésentes lignes électriques. Un paysage de carte postale! Ici ou là, au pied des montagnes, un gros bourg à l’image de Cedar City: des maisons,quelques magasins, un restaurant, un cinéma…Comme au Texas, au Nouveau Mexique, dans l’Arizona ou le Colorado, le Stetson, traditionnel couvre-chef des cow-boys, est de mise.

Mésaventure ?

Au terme de l’arrêt lunch à Filmore, le chauffeur du bus part sans moi! Il emporte bagages, passeport, argent…restés sur mon siège. Résultat de mon inconscience, j’ai quatre dollars en poche et mon appareil de photo. Autant dire que je suis voué à la rue et au séjour forcé dans ce pays.

L’agent local de Greyhound, une femme, est aimable. Elle téléphone et se démène tout en vitupérant contre ce chauffeur qui n’a pas compter ses passagers avant le départ, conformément à la règle.

A côté de moi, une dame, semble-t-il fort excentrique, déguste un gâteau en buvant du thé. Elle dirige soudain son regard vers moi et, froidement, déclare : « I am going to drive you to Salt Lake City »( «je vais vous conduire à S. L. C.»). Stupeur! Le trajet représente quatre heures de route et la dame n’est pas toute jeune. J’hésite mais l’agent de la compagnie me rassure: elle la connaît bien et je peux lui faire confiance. « Je devais m’y rendre demain », dit la femme providentielle. Certes mais tout de même ! Sans doute sa décision procède-t-elle aussi du désir de donner la meilleure opinion du pays au jeune étranger. En route donc !

Conversation

La dame a soixante-dix ans et mène sa Pontiac à très vive allure ! Native de Filmore, elle a travaillé autrefois à S.L.C. Elle est mormone comme la plupart des habitants de l’Utah. Elle ne fume pas ( c’est un interdit religieux et l’Utah prélève 25% de taxes sur le tabac) mais, elle cause ! et avale des « candies » pour ne pas s’endormir,dit-elle, et rester en vie quand elle conduit.

Son grand père était un de ces pionniers arrivés en 1847. « Les étudiants de Berkeley ne savent pas le mal qu’ont eu leurs pères et leurs ancêtres à construire ce pays, affirme-t-elle. C’est pour cela qu’ils veulent le détruire. Que veulent-ils ? L’éducation est gratuite ou presque et ils ont de bons professeurs. » Réflexion courante : la majorité des Américains a conscience des difficultés et des souffrances subies pour édifier le pays. Un pays qu’ils aiment et dont ils sont fiers. Ceux qui ont souffert avant d’immigrer comme ceux qui ont immigré et trimé pour réussir supportent mal la remise en question d’une vie à laquelle ils ont tant aspiré.Cela n’ empêche pas l’autocritique : « nous sommes aussi corrompus que les autres pays, dit la dame, alors, je la ferme. »Et le Vietnam ? « Oh ! tout cela n’est pas très beau. Il faut que ça se termine. » Sentiment partagé par nombre d’Américains, las de cette guerre qui tue tant de ses enfants.

Au fil de la route, le paysage se modifie : la terre est plus riche, l’habitat plus dense. L’Utah est une terre d’élevage et de culture du maïs. On y extrait aussi du cuivre et du sel et des industries chimiques y prospèrent. Vêtues de leur parure automnale, les montagnes resplendissent. Leurs flancs s’éclairent de toutes les couleurs d’une riche palette: bordeaux, rouge vif, jaune clair, marron… Sublime !

A l’approche de S.L.C., se dessine une agglomération.

Le climat est celui des montagnes: lourd et orageux l’été, froid et neigeux l’hiver.

Nous arrivons à la station Greyhound avant le car! Un peu plus tard, le chauffeur de celui-ci se montre aimable, désolé de ma mésaventure, et s’amuse de ma « débrouillardise ». Je retrouve mes affaires. Tout s’arrange ! Merci Madame (Qui n’accepte pas un seul dollar) et adieu.

Le Square Temple Hotel affiche complet: un rassemblement de Mormons en est la cause. Sur Main street, un hôtel vétuste, mais presque propre et chauffé, peuplé de vieux, propose des chambres avec bains dans le couloir… La nuit sera solitaire, mais longue et reposante.

 

Vendredi 2 octobre,

SALT LAKE CITY

MORMON CITY

Main Street à midi, la parade du feu bloque la circulation: voitures de pompiers, majorettes et deux orchestres (« bands ») dont l’un émane de la high school de Kearns ( uniformes chamarrés et képis à plumes)…C’est un cliché mais les Américains adorent !

La ville a été édifiée en plein désert, entre les montagnes et le Grand Lac. Bâtie à partir du Temple et de son esplanade, elle obéit à un plan géométrique. Toutes les rues sont dénommées en fonction de leur orientation par rapport à cet édifice: nord, sud, ouest… 1°, 2°… C’est une ville propre et agréable. Les rues sont bordées de beaux magasins, de bars et de cinémas dont les programmes sont plus ou moins osés. La population est de race blanche et en grande majorité de religion mormon ; on n’y croise guère de noirs. Le temps est ensoleillé, les soirées sont fraîches.

Visite (gratuite) de l’esplanade du TEMPLE :

A l’entrée, « défense de fumer ».Arbres, fleurs et gazon ornementent le site.

- Le grand temple : ce lieu saint des mormons ne se visite pas.

- Le tabernacle accueille les offices.

- Le petit temple est pourvu d’orgues.

- A gauche de l’entrée, s’élève le monument à la mouette messagère.

- Diverses statues parsèment le site.

Salt Lake City accueille dans le Tabernacle un congrès des « Sunday school teachers » (les catéchistes) mormons du monde entier. Il fait les gros titres des unes de la presse.

Les offices religieux sont retransmis par la télévision de l’Utah.

Visite solitaire du « Parc international de la paix », inscrit dans l’écrin des montagnes et déserté par le public en cette morte saison.

Dans cette région d’agriculture et d’élevage, assez riche comparée au reste de l’Utah, se sont développées des villes satellites autour de S.L.C..

A Bingham Canyon, la mine de cuivre (et de quelques autres métaux) à ciel ouvert épouse la forme d’un amphithéâtre. Elle assure entre 25 et 30% de la production nationale. Impressionnant ! (Voir document).

Great Salt Lake, vaste étendue d’eau nourrie par la rivière Jordan, offre en paysage désolé. Le taux de salinité de l’eau est très élevé. Quelques espèces microscopiques se sont cependant acclimatées. Quant aux nageurs,ils sont littéralement portés par l’eau, comme sur les eaux de la Mer Morte. Industrie du sel et industrie chimique s’y sont développées.

De retour à S.L.C., j’assiste à l’office au Tabernacle. Non seulement on ne me refoule pas (pourtant, ma tenue vestimentaire de voyageur laisse à désirer) mais on me prie d’entrer. Cette attitude est typique du prosélytisme mormon. La salle est comble: environ 8000 fidèles ainsi que la télévision et la presse. Les hommes se découvrent en entrant. Les ouailles se lèvent lorsque le « président » et les « apôtres » pénètrent dans le chœur. Chants et sermons se succèdent puis intervient le vote pour élire le bureau des « Sunday schools ». La chorale est de bonne qualité.

Je quitte S.L.C. à 21 heures. Dans le car, nous sommes deux blancs parmi quarante-cinq jeunes noirs venus de je ne sais où! Chahut, mouvements continus et insultes…Je ne ferme pas l’œil. Le chauffeur se tait, il a peur. Arrêt à Cheyenne (Wyoming) pour le breakfast. Cheyenne de vie !

 

Samedi 3 octobre,

DENVER (COLORADO)

VILLAGES DE L’OUEST

Denver est une ville commune. Nombreux hôtels, banques et… boîtes de strip ; également de beaux édifices mais, comme souvent aux Etats-Unis, la cité semble en chantier.

A la découverte des villages de l’ouest: à Golden, on se retrouve à l’époque de la ruée vers l’or et des pionniers. Visite de son école des mines.

On admire de profonds défilés, les « canyons », encastrés entre les parois des montagnes. On croise nombre de cavaliers qui chevauchent leur monture. A perte de vue s’étendent de vastes plaines.

On gravit une pente à travers une route fort sinueuse en direction de Mountain Parks et l’on savoure les couleurs de l’automne. On profite d’une vue magnifique sur le canyon, Denver et Golden.

Au sommet de la montagne (764O feet), reposent dans une tombe Buffalo Bill, décédé en 1917, et son épouse. Un musée porte son nom.

On découvre les hauts sommets dont les crêtes sont couvertes de neige et, plus bas,des montagnes plantées de pins qui abritent des chalets en bois. Ce paysage rappelle celui des Alpes. Le Colorado est l’Etat des montagnes.

Evergreen est une petite ville de montagne dont les flancs, qu’arrose un ruisseau, accueillent pins et chalets de bois, une sorte de saloon et des échoppes de souvenirs. L’endroit est joli.

Red Rocks Park : comme son nom l’indique, c’est un ensemble de gigantesques roches rouges, assez plates, et de pitons rocheux déchiquetés posés sur un sol vallonné et désertique. La couleur rouge domine! Un peu plus haut, un amphithéâtre de dix mille places, construit avec quelques unes de ces roches, domine la vallée. Grandiose !

Descente par une route fort sinueuse mais merveilleuse: je n’ai jusqu’à présent rien vu d’aussi beau! Le paysage est majestueux et empreint de calme. Masses de pierre déchiquetées et flancs de montagne tapissés de pins. Végétation dense. Les arbres ont revêtus leur parure automnale et toute la palette des couleurs éclate sous le soleil: rouge, jaune pâle, or, bordeaux, marron clair, vert…Un ruisseau serpente à travers les arbres et des pêcheurs traquent la truite. Des chalets de bois dominent le lit du ruisseau ou bien le bordent.

Retour à Denver. Comme la plupart de villes américaines, ses abords sont truffés de motels,de « drive-in » (restaurants et cinémas) et de stations service.Pratique !

 

Dimanche 4 octobre,

FLAGSTAFF (ARIZONA)

ALCOOL

La fermeture des banques le week-end me laisse démuni. Deux dollars en poche pour deux jours, voilà qui restreint le champ des possibles. Les nourritures terrestres se réduiront à une soupe et un gâteau, viatique de la journée. La faune de la station Greyhound sera la cible de mes observations. En fait, bien peu de spécimens dignes d’intérêt. Quelques étrangers en vadrouille se plaignent que « tout est cher »… Et deux Indiens sortis de leur réserve pour brûler quelques heures à l’intérieur de la station.Complètement ivres, ils semblent avoir trouvé dans les vapeurs de l’alcool consolation à leurs malheurs. Tristesse.

 

Lundi 5 octobre,

LOS ANGELES (CALIFORNIE)

LE VILLAGE DE NOTRE DAME LA REINE DES ANGES

« El pueblo de Nuestra Senora la reina de los angeles » aurait été fondé en 1781 par le gouverneur Felipe de Neve et appartiendrait aux Etats-Unis depuis 1847.

Aujourd’hui, les banques sont ouvertes! Je peux enfin changer ! Ce sera à la gigantesque Bank of America.

Sorti de la station Greyhound, je décide de visiter L.A. à pied. Je prends la 7th street et arrive en plein centre sur Broadway (qui s’étend à droite de la 7th). Il est midi: il y a foule et une circulation très dense le long de cette large artère. Elle est bordée de magasins, restaurants, bars, banques et d’une quinzaine de cinémas qui affichent des films de sexe et de vampires (la censure aux Etats-Unis n’existe plus que dans le seul Etat du Maryland).

On se croirait au Mexique: on entend fréquemment parler espagnol dans la rue et l’on remarque nombre de boutiques de disques, coffee-shops, cinémas mexicains. Un certain nombre de journaux sont également publiés en espagnol….

Mais plus on monte et plus les lieux s’américanisent et l’on accède à un quartier récent et moderne où s’élèvent Law Courts (tribunaux), Bibliothèque de Droit, State Buildings (locaux administratifs)…

Enveloppée dans la brume, la ville relativement laide est, comme beaucoup de métropoles américaines, un chantier permanent.

J’achète un journal de la communauté juive. Ce titre a été créé au XIX° siècle ; la présence juive en Californie est donc ancienne et la vie communautaire organisée. Je le parcours en dégustant un sundae et découvre un appel en faveur d’une « yeshiva » (école religieuse) qui va devoir fermer ses portes faute de moyens financiers. La patronne de l’établissement aperçoit le journal. C’est une juive allemande. La conversation s’engage au sujet d’Israël, pays qu’elle a visité à deux reprises. Elle a aimé mais vit aux Etats-Unis depuis vingt ans et ne songe pas à émigrer. Surprises de mes connaissances relatives à Israël et aux juifs, elle me prend pour un juif… On me prend souvent pour ce que je ne suis pas ; mon identité est sans doute floue et ma personnalité indéterminée ou cachée.

La Californie est un Etat cosmopolite: noirs, asiatiques, mexicains (chicanos) et juifs s’y côtoient. Le climat clément incite à une vie fort décontractée et, si l’on en croit le sociologue Vance Packard, les différences de classes moins marquées qu’ailleurs.

Achat de deux livres brochés au prix de 1.50 dollar et 95 cents.

Un jeune noir auquel je n’ai adressé ni un mot ni même un regard m’insulte (« fuck »). Il n’aime pas, dit-il, les « white skinned ».

Nouveau départ pour San Francisco. Nuit dans le bus.

 

Mardi 6 octobre,

BERKELEY

VIE ETUDIANTE

Je retrouve mon ami. La rentrée universitaire a eu lieu hier, 5 octobre, soit une quinzaine de jours plus tôt qu’en France. Chaque semaine, il doit suivre onze heures trente de cours, leçon d’anglais comprise. L’assistance aux cours est obligatoire. Il n’existe pas de polycopiés mais des livres assez épais, clairs et bien présentés. L’étudiant travaille au jour le jour ; pendant les cours, le professeur approfondit et répond aux éventuelles questions. Les salles de cours de la business school, à Barrows Hall, sont impeccables. La majorité des professeurs est jeune. Tous les sports peuvent être pratiqués, du karaté au foot-ball américain en passant par la danse et le base-ball…

B.A. : bachelor of arts (licence)

M.A. : master of arts (D.E.S.)

PH.D. : philosophy doctor (tous les professeurs en sont titulaires).

Avant l’obtention du titre de bachelor of art (B.A.), l’étudiant est « undergraduate » ensuite, il est « graduate ».

L’Université de Californie comprend plusieurs sites: Berkeley (U.C.B.), Standford (U.C.S.), San Diego (U.C.S.D.), Los Angeles (U.C.L.A.).

Colombus, Princeton, Harvard figurent aussi parmi les universités les plus illustres.

 

Mercredi 7 octobre,

BERKELEY

Avant de prendre la route du retour vers l’est, cette journée est consacrée à l’amitié.

Le soir départ pour L.A.

 

Jeudi 8 octobre,

LOS ANGELES – SALT LAKE CITY (UTAH)

Via Las Vegas et cette route magnifique qui traverse l’Utah en passant par Filmore et Nephi… mais c’est moins beau que la fois dernière car, le soleil ne daigne pas accompagner ce périple.

Ma voisine est une grand-mère. Elle est veuve. Protestante fervente, elle abhorre la violence, condamne la guerre menée au Vietnam et déteste Nixon. Elle comprend la jeunesse, dit-elle, mais n’admet pas sa violence destructrice.

 

Vendredi 9 octobre,

SALT LAKE CITY – CHEYENNE (WYOMING)

VOL

Plus de dix heures de route ! Froid et neige règnent sur l’Utah et le Wyoming.

A Cheyenne, ciel gris, neige et froid sec.

Le désert du Wyoming offre ses paysages désolés et gris : dunes et maigres collines, couvertes d’une herbe rase, et canyons. Des paysages lunaires. C’est un pays de cow-boys: chapeaux et gueules des hommes l’attestent. Peu ou pas de noirs en ces parages.

A Little America (Wy.), se trouve la station service « la plus grande du monde »: cinquante-cinq pompes à essence et des motels…

Lors d’un arrêt, je suis victime d’un vol (40 dollars). La police ne peut fouiller les passagers qu’en présence d’un juge et d’un « attorney » (avocat)… Mieux vaut laisser tomber. Ma voisine me donne vingt dollars pour poursuivre le voyage. Merci madame.

 

Samedi 10 octobre,

CHEYENNE – CHICAGO (ILLINOIS)

CONTRASTES

Convoquée par la compagnie de bus à l’arrivée à Chicago, la police se déclare incompétente: le vol a été commis dans le Wyoming ; les Etats-Unis étant un pays fédéral, la police de l’Illinois se déclare incompétente.

Nevada, Wyoming, Nebraska… ces Etats, traversés depuis le départ de Californie, offrent la beauté de leurs paysages, une nature souvent sauvage ; mais, vivre au cœur de ces petites villes sans cachet et, pour la plupart, isolées ne suscite guère la tentation…
Le Nebraska est un désert encore, aride et glacial, parsemé de montagnes et de dunes de terre grise: paysages désolés ensevelis dans un linceul de neige. Omaha semble promise à la tristesse.

L’Iowa, par contraste, est une terre vallonnée qui déroule une plaine fertile, propre à la culture des céréales et à la pratique de l’élevage. Un paysage verdoyant, jalonné de ces bâtiments de ferme traditionnels flanqués de leur silo de couleur. C’est l’est déjà !

A Iowa City, le campus de l’université, ouvert sur la ville, aligne d’austères édifices de style colonial. On n’y aperçoit guère « la faune » qui déambule à Berkeley.

Le sud-ouest de l’Illinois semble fertile également et riche en activités industrielles.

Chicago, ville industrielle, est enlaidie par les taudis (« slums »).

 

Dimanche 11 octobre,

NO COMMENT

Le car poursuit sa route à travers Cleveland et l’Ohio.

 

Lundi 12 octobre,

WASHINGTON (DISTRICT OF COLUMBIA)

Washington vue du ciel
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Washington
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Washington
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Washington, le congrès
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Washington, maison blanche
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Washington, maison blanche
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Washington
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Washington
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Washington
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New York
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New York
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LA CAPITALE

A cette heure matinale, la circulation est dense le long de New-York avenue et alentour. Les rues sont sales et les bâtiments délabrés. Je rebrousse chemin et me dirige vers la N.W. 14 street. Là, un policier m’indique que White House (la Maison Blanche) se trouve à deux « blocks » (deux pâtés d‘immeubles).

Je passe devant le Treasury department (ministère des finances) et arrive précisément à Pennsylvania avenue, artère que borde la Maison Blanche. Quel changement ! Le quartier est splendide, propre et aéré. Le temps est beau et chaud mais relativement doux. Cinq adorateurs de Khrishna et un fonctionnaire mécontent déguisé en homme-sandwich déambulent sur le trottoir qui longe la grille de la Maison Blanche. A chaque entrée (fermée), se dresse un pavillon de garde truffé de policiers, munis de téléphone, mais aucun ne tente de les chasser.

La Maison Blanche est vaste et belle, dans le style des demeures du sud. Le parc est fleuri et planté de nombreux arbres.

De l’autre côté de Pennsylvania, face à la Maison Blanche, s’étend un autre parc, tapissé de gazon et orné de fleurs, garni de fontaines et jalonné de statues : statue de Rochambeau (maréchal français, il contribua, comme La Fayette, à l’indépendance des Etats-Unis), statue équestre de Jackson (président du XIX° siècle)…

Je fais le tour de la Maison Blanche, en contournant l’imposant bâtiment qui la jouxte où travaillent les fonctionnaires, nantis d’une carte et d’un macaron. Parc arboré et faîte du Washington Memorial. Un modeste square fleuri abrite une statue de Sherman, l’un des généraux « nordistes » de la Guerre de Sécession. J’admire, ensuite, le parc et la façade ornée d’une rotonde de la Maison Blanche puis, je traverse une vaste étendue de gazon pour atteindre le Washington Memorial.

 

Le Washington Memorial

C’est une haute colonne, entourée des cinquante drapeaux américains représentant les Etats de la fédération. Edifiée au milieu du XIX° siècle, grâce à une souscription publique, elle est un hommage au « père » des Etats-Unis et à son premier président, le général Washington, valeureux soldat et habile politique. Cette colonne accueille des visiteurs qui, après avoir acquitté dix cents au service des parcs nationaux et fait la queue (« file »), accèdent au sommet grâce à un ascenseur.

La vue est magnifique et dévoile le plan de la ville ainsi que le fleuve Potomac qui arrose Washington.

En face, le mémorial dédié à Lincoln, élu président en 1860, début de la Guerre de Sécession, et réélu en 1864: douze colonnes doriques et une pièce d’eau. La majestueuse statue de Lincoln assis y trône dans un large hall.

A gauche, le Jefferson Memorial épouse une forme circulaire. Il est dédié au troisième président du pays (successeur de Adams) et signataire de la constitution.

A droite, dans le lointain, l’aéroport, très fréquenté, et le Pentagone (ministère de la défense).

Derrière, dans mon dos, le Capitole (le parlement), les ministères et les musées.

La ville compte nombre de pièces d’eau et de ponts qui lui donnent des allures de cité lacustre et, sous le soleil de ce début d’automne, elle resplendit. L’Enfant, l’architecte français qui en a dessiné les plans, a imaginé une vaste cité dont l’axe est le Washington Memorial : larges artères, parcs arborés et fleuris, étendues de gazon, pièces d’eau… Il fait bon s’y promener en cet automne qui fait flamboyer les arbres. C’est la première fois que j’éprouve la sensation de respirer au cœur d’une ville américaine, d‘échapper à l’emprisonnement des murs de béton, à l’oppression de la foule, à l’étouffement…Cependant, dans les rues, la circulation est dense.

Ces beaux quartiers composent la capitale. Tout y est concentré: Sénat, Chambre des Représentants, Cour Suprême (proche du Capitole), ministères (justice, travail commerce inter -étatique), ambassades, musées (art, technologie), Cour Fédérale de Justice, Maison Blanche, Pentagone et divers témoignages du passé de ce jeune pays. L’Histoire est ici omniprésente comme en témoigne le nom même de la ville.

Comparés à cet agréable centre administratif, les autres quartiers apparaissent désolants et dépourvus d’intérêt : édifices sans cachet dignes de n’importe quelle petite ville américaine dédaignant la propreté. Ils sont le fief d’une population noire aux revenus sans doute modestes. On y croise des êtres évadés d’une véritable cour des miracles: des mendiants de race blanche ou noire, trois clochards ivres morts, un blanc infirme qui se meut à l’aide de deux cannes et suscite une horreur pire que le personnage du « Bossu », un autre blanc fort sale et handicapé des mains, un aveugle noir… Et cette femme noire, elle aussi, âgée d’une cinquantaine d’années, qui s’accompagnant à la guitare chante le blues et ses tourments, au coin de la rue, d’une voix grave, âpre et primitive sur un rythme répétitif. Extraordinaire, sa voix distille la tristesse. Peu de gens font l’aumône: ici, règne le chacun pour soi, la loi de la jungle. Pour « arriver », il faut lutter (struggle for life) à l’image des pionniers.

Le pays est jeune encore (on s’en aperçoit, entre autres, au Nouveau Mexique, au Texas, en Arizona) : absence de passé ancien, de traditions, de finesse… Les Américains sont rustres, ignorants de la politesse, sûrs d’eux et sans dette à l’égard de qui que ce soit. Sans doute ne faudrait-il pas généraliser.


 

Visite du Capitole

Les lignes droites sont trompeuses : le monument paraît proche, en fait, à pied on en mesure l’éloignement! L’édifice date du XVIII° siècle. A côté du Sénat, une sorte de dôme est soutenu par treize colonnes. Elles symbolisent les treize premiers Etats. Du côté de la Chambre des Représentants, se trouve la salle des statues: chaque Etat y a déposé deux statues de ses hommes les plus célèbres (d’autres s’élèvent en d’autres endroits du Capitole). Cette salle abrita un temps la Chambre des Représentants avant de s’avérer trop exiguë.

Au centre du bâtiment, le hall. Il est coiffé d’un dôme imposant sur lequel est fixée une statue d’indien. Au milieu du sol, une marque indique l’endroit où sont déposés les dépouilles mortelles des dignitaires de la république (Eisenhower, Mac Arthur…), dont celles des présidents décédés au cours de leur mandat: de Lincoln à Kennedy, vingt et un présidents. Une fresque décore le dôme: elle évoque l’histoire du pays depuis les Indiens jusqu’à nos jours, en passant par les pionniers. Le plafond est orné d’une toile en hommage au général Washington. On remarque aussi des statues de Lincoln, Jefferson, Washington… Des toiles représentent les Pilgrim Fathers (les Pères Pélerins), le baptême de la princesse indienne Pocahontas

On se dirige vers la droite, la CHAMBRE DES REPRESENTANTS: escaliers de marbre, murs aux riches couleurs, lustres, tableaux… La Chambre n’est pas en session: à l’extérieur, point de drapeau ni de lumière allumée à la porte d’entrée. Le style du lieu est vieillot.

A gauche du « Speaker » (président), siègent les Républicains ; à sa droite, les Démocrates, le parti le plus ancien. Quatre cents trente-cinq Représentants composent la Chambre, stipule la Loi. Ce chiffre est immuable. En revanche on ajuste la distribution des sièges par district en fonction des variations de la population. En effet, le nombre de Représentants par Etat est fixé par rapport à la population qui y demeure.

Exemples : Etat de New-York, 45 / Etat du Delaware, 1.

Au-dessus du siège du « Speaker » figure la devise « In God we trust ».

Les Représentants n’ont pas de siège attribué ; seul importe le côté où ils prennent place. Les éventuels indépendants peuvent choisir.

La Presse et le public disposent d’une tribune. A gauche du « Speaker », celle du Président des Etats-Unis qui, chaque mois de janvier adresse son « message sur l’état de l’Union ». En fait, il parle de la tribune des orateurs située sous le siège du « Speaker ». A cette occasion, les deux chambres se réunissent en une « joint session ». Pour toute autre personnalité, cette séance commune est qualifiée de « joint meeting ».

Chaque matin, les « page boys » (garçons de courses) distribuent le journal qui relate l’intégralité des débats de la veille. C’est un remède à l’absentéisme dû au travail en commissions (« comitees » : « comitee of foreign relations », « comitee of appropriations », etc.) Ces jeunes gens disposent de leur propre « high school ». Ils assistent aux cours, chaque matin, de 6 heures 30 à 10 heures et, ensuite travaillent au Capitole. Le président Johnson a commencé ainsi, dit-on.

A gauche, le SENAT. Le drapeau flotte et la lumière blanche est allumée, il est donc en session. C’est une plus petite salle que celle de la Chambre: chacun des cinquante Etats élit deux sénateurs. Le Sénat compte donc cent sénateurs. Républicains et Démocrates se partagent l’enceinte selon les mêmes modalités qu’à la Chambre des Représentants mais, chacun dispose d’un bureau attribué en fonction de l’ancienneté. En théorie, le vice-président du pays est le président du Sénat dont la devise est : « E pluribus unum » (de la diversité l’unité). Aujourd’hui, peu de sénateurs s’intéressent au débat relatif à « l’égalité des droits de la femme ».

Le Capitole compte par ailleurs une bibliothèque, une poste, un restaurant, divers bureaux et… une pléthore d’huissiers !

Retour au Washington Memorial :

Il ferme à 17 heures, mais il est illuminé le soir. C’est l’heure d’amener les couleurs, cérémonie minutieusement réglée. Douze hommes, commandés au sifflet, par un treizième, affalent cinquante drapeaux. Ils se déplacent en une espèce de pas glissé qui a des allures de pas de danse. Deux hommes, des policiers, affalent les deux premiers drapeaux simultanément, avec lenteur, tandis que les dix autres au garde à vous saluent et que retentit la musique de « America, America… » Ils amènent ensuite les quarante-huit autres ; le rythme est lent. Une fois un drapeau affalé, les deux hommes glissent face à face, chacun tenant une extrémité, dans le sens de la longueur. Ils font claquer l’étoffe et la plient pratiquement sans bouger. C’est assez beau, comme un ballet minutieusement réglé.

J’admire une fois encore les lieux tandis que le soleil décline.

Je prends ensuite la direction de la Maison Blanche. Le périmètre est truffé de policiers. Vêtus de leur combinaison d’amiante, les pompiers semblent sur le qui-vive. J’attends. Soudain un hélicoptère surgit, volant à basse altitude, de Pennsylvania. On nous écarte alors qu’il survole l’Ellipse, Constitution avenue et le parc de la Maison Blanche. C’est l’hélicoptère présidentiel ; il se pose dans le parc de la Maison Blanche. Je vois Nixon et ses collaborateurs en descendre…

A minuit, départ pour New York City.

 

Mardi 13 octobre,

NEW YORK CITY

ULTIME VISITE

Seulement quatre heures de bus « non-stop » pour atteindre New York! La station Greyhound est à l’échelle de cette métropole gigantesque !

Vers huit heures, je pars à la découverte de la ville. A sa « redécouverte », cinq ans après, plus exactement.

Je m’engage dans la 42 street : c’est un quartier sale, vétuste et délabré. On y croise de nombreux noirs. La rue est bordée de douzaines de cinémas (85 cents la place), boîtes de strip-tease, coffee-shops et de plusieurs sex-shops qui, contrairement à celles de La Nouvelle Orléans, s’éclairent de vitrines. A l’intérieur, les publications ne sont pas cachetées et chacun peut les feuilleter ; les clients présents sont tous plus âgés que moi, ils paraissent quarante-cinq – cinquante ans.

Le temps est frais et le faîte des gratte-ciel est dissimulé par la brume, une sorte de « smog » qui réduit la visibilité. Je poursuis mon chemin au fil de ces « géantes termitières percées d’yeux miroitants », comme l’écrivait Colette. tourne à gauche et arrive sur la 5° avenue, les Champs Elysées de New York: banques, agences de voyage, compagnies aériennes, boutique de luxe (Jourdan, Arpel et Van Cleef…) s’y disputent un espace précieux et onéreux. L’avenue est propre et animée, les trottoirs peuplés d’une foule dense et la chaussée encombrée de nombreuses voitures et surtout de centaines de « yellow cabs », les taxis new yorkais. Je marche jusqu’à Central Park et je m’y balade.

Ensuite, je rebrousse chemin et m’arrête au Rockfeller Center. La Rockfeller plazza au pied des buildings est pavoisée. A la place de l’orchestre habituel, une patinoire en plein air s’offre aux chalands qui patinent en musique. Je m’assois et je contemple.

Un descendant de l’illustre famille Rockefeller et un dénommé Goldberg se disputent le poste de gouverneur de l’Etat.

Sur le coup de midi, le soleil apparaît mais une certaine nébulosité demeure. De retour sur la 5° avenue, à droite cette fois, je me dirige vers l’Empire State Building. Je monte au 102° étage: la vue est grandiose mais un tantinet limitée par le « smog ». Vue de cette hauteur (altitude ?), la ville suscite l’effroi. Les gratte-ciel semblent se dresser sur la pointe des pieds comme les personnages d’une photo de groupe pour dépasser d’une tête ses voisins. On songe aussi à une vague qui déferle… C’est beau! Edifices Panam, Chrysler, O.N.U. General Motors, Macy’s… Les gratte-ciel ne sont pas des…gâte- ciel ! Agencement des quartiers de la ville : Broadway, Queens, Bronx… Mais Dieu, que l’Homme est petit vu de si haut !

De retour à la station Greyhound, douche bienvenue pour cinquante cents. Incident avec un jeune noir malhonnête…

Vers 17 heures, départ pour l’aéroport J.F.K. en bus (2.50 dollars). Après le souterrain, tandis que l’on dépasse le triste paysage urbain de Brooklyn, vue magnifique de New York : voir la « skyline » (la ligne des gratte-ciel) de loin est admirable. En fait deux « skylines » se dressent sur la ligne d’horizon : celle de l’Empire State Building et autres et celle de Wall street avec la Manhattan Chase Bank. Ces masses monumentales de couleur grise se détachent sur l’horizon. La partie supérieure du ciel se teinte de gris bleu et plus bas de rose et d’orangé. L’ensemble compose un paysage irréel et grandiose qui fait songer à certains tableaux impressionnistes comme ceux de la cathédrale de Rouen saisie par Monet. Un paysage diaphane qui vibre de tons pastel.

A l’aéroport, je constate qu’il existe au moins deux classes aux Etats-Unis: les citoyens qui voyagent en bus et ceux qui peuvent s’offrir l’avion. L’argent, dans ce pays plus qu’ailleurs, est un facteur de sélection sociale. L’argent ! Ici, des machines automatiques changent le dollar en la monnaie d’une demi douzaine de pays ! L’argent ! Le dollar est un viatique nécessaire.

L’avion décolle pour Luxembourg à 22 heures. Ainsi s’achève un périple instructif, tissé de vagabondages riches en rencontres, découvertes et émotions.

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