Grenade, 1990
Regards

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REGARDS

Dale limosna, mujer / Une aumône, femme

que no hay en la vida nada / car il n’est rien dans la vie

como la pena de ser / comme la peine d’être

ciego en Granada. / aveugle à Grenade.

F. A. de ICAZA

 

 

Grenade, le 28 Juin 1990

À l’aéroport, la chaleur est accablante. Un nain goyesque, de sa voix grotesque, propose aux chalands les châteaux en Espagne d’un billet de loterie. Lui, le malchanceux à la loterie de la vie.
Un douanier débonnaire s’épuise à tuer le temps en attendant la fin du service.
Une femme âgée, visage austère et sombre, vêtue de noir, évoque cette Espagne du deuil dont la mémoire garde le souvenir. Et l’on pense à Federico Garcia Lorca…
Un homme se penche et lape l’eau que prodigue le jet d’une fontaine dans Grenade écrasée de chaleur.
Comme sur les visages des hommes, la brûlure du soleil sur la peau de la terre.
Champs d’oliviers au pied des collines boisées et stridulations des grillons tapis dans l’herbe grillée des talus.
Hirondelles qui s’énervent au coucher du soleil sur fond de Sierra Nevada.
Contempler ces mêmes cimes que Lorca. Avec la même lumière ?
Tuiles rouges méticuleusement alignées sur les toits de Grenade qui miroitent au soleil.
Le parfum des lauriers roses et l’ombre réparatrice du bois qui festonne l’Alhambra.
L’haleine fétide du vent chaud.
Le calme introuvable à cause de ces crétins qui insultent le silence.
Les épices du gaspacho.
Le sang du soleil déclinant qui enflamme le ciel et puis, l’obscurité.
Et cette japonaise qui me regarde…

 

 

Grenade, le 28 Juin 1990

Comme les hirondelles, qui s’agitent au coucher du soleil, virevoltent, légères et agiles, ainsi, des accords de guitare…
Une voix s’élève… Une voix blessée, cicatrices de l’Histoire et brûlures du temps.
Chants qui épuisent l’âme, comme une plainte.

 

 

Grenade, le 29 Juin 1990

Au sommet de l’Alhambra, la tour de la vigie, carrée et massive, veille sur Grenade assoupie. En bas, l’Eglise San Pedro (XVIème siècle) célèbre la fête de Saint Pierre et Paul. Il est vingt et une heures. Sortant de cette torpeur familière qu’impose la canicule, les fidèles peu à peu se rassemblent dans la nef. Un plafond de bois sombre, ouvragé, coiffe un délicat orgue baroque, au fond , un autel du même style et l’architecture délicate d’une chaire. Les murs crépis de blanc sont percés de nombreuses chapelles dont certaines abritent des madones, parées comme jadis les dames de la cour.
Dans l’aile droite, exigue, ont pris place quelques notables tandis que de l’autre côté s’est installé un chœur mixte, riche d’une vingtaine de chanteurs et de quelques instrumentistes (guitare, castagnettes, triangle, flûte, clochettes et tambour).
La cérémonie –une messe- peut commencer, rythmée par les grincements de l’une des portes principales et les hurlements des enfants que les parents se gardent de réprimer.
Les ouailles appartiennent au quartier : tous semblent se connaître. Quelques femmes agitent des éventails. Deux commères, outrageusement fardées, pour masquer des ans l’irréparable outrage, devisent à voix haute. Une brune opulente, les cheveux retenus par un peigne noir incrusté de nacre, dévisage les retardataires. Une gamine vêtue d’une longue robe blanche à volants trouve le temps long. Des hommes se saluent puis s’agenouillent… Le prêtre officie et, pour marquer les temps forts de la liturgie, le chœur s’époumone. Le contenu des chants est religieux mais le rythme et le style, délibérément « flamenco ». Les voix, rustres et joliment timbrées, expriment une authentique ferveur. Celle-ci s’exaltera davantage encore lors du chant final, dédié à la Vierge et interprété le visage tourné vers l’une de ses représentations. Repris en chœur avec une certaine passion par l’assistance et rythmé « con las palmas » (avec les paumes), il atteste d’une foi réelle, empreinte de solennité et de goût du sacré. Ce chant s’achève par des « vivas » lancés par quelques notables… Leur succèdent les bavardages des fidèles qui, à l’issue du rituel, retrouvent leur coutumière faconde.

 

Grenade, le 29 Juin 1990

« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
Charles Baudelaire

Sous un ciel bleu Klein, Grenade s’éclaire d’une lumière crue assénée par les rayons d’acier du soleil. Sur les cimes de la Sierra Nevada qui ceinturent la plaine, étincelle le marbre de la neige.
Sans doute, n’y a t’il rien de plus terrible que « d’être aveugle à Grenade ».
Du haut d’une tour massive de l’Alhambra, forteresse inexpugnable, siège de son pouvoir, le Maure contemple son œuvre. Ici, il a inventé un art de vivre proche de la nature et de ses délices : une colline ourlée de bois, enchâssée dans la plaine et cernée par les montagnes.
Pour vivre, le Maure a inventé une architecture opulente de courbes et de droites dont les ouvertures, fenêtres ajourées comme une mosaïque de carreaux d’azur, invitent à la contemplation de la nature et à l’évasion. À l’intérieur, la décoration, profuse, voire délirante, est riche de stucs, d’arabesques, de calligraphies et de mosaïques polychromes, et le marbre des sols évoque la neige des sommets.
La géométrie des fortifications, des tours et de divers édifices le dispute à la fantaisie de la courbe et des voûtes…
Les patios aérés, fleuris et richement arrosés, offrent ombre et fraîcheur, reposent le regard, invitent à la méditation, incitent à la paresse.
Au pied des fortifications, prospère le figuier de barbarie. Le bleu des agapanthes éclaire le jardin del Adarve. Les branches des orangers ploient sous le poids de leurs fruits. Ici cascade le flot parme des glycines, là jaillit la flèche verte d’un cyprès. À l’ombre des magnolias blancs, éclatent les roses rouges des parterres. À des tunnels de verdure, succèdent des voûtes de laurier roses. Au cœur des bassins, fleurissent des nénuphars. Et cette végétation exhale odeurs, parfums, arômes, senteurs et fragrances qui embaument l’air et dont les effets conjugués procure une légère ivresse.

À la Generalife, l’allée des cyprès, vertes sentinelles, prolonge celle des lauriers roses. Le désordre d’un jardin anglais jouxte une roseraie multicolore et géométrique.

Le réseau souterrain et extérieur constitue un enchevêtrement de voies d’eau, canalisations, puits qui irriguent les jardins et nourrissent fontaines, vasques, bassins… L’eau dégringole, cascade, bouillonne, écume, ruisselle, coule, se répand… Elle murmure, bruisse, gronde… Elle fait entendre sa rumeur.

En cette profusion de verdure, l’eau, partout, s’immisce. Elle court en ce dédale de jardins qu’elle relie. Elle en est le sang nourricier. Son doux murmure accompagne le chant des oiseaux et parfois, son bouillonnement couvre leurs trilles. La gueule des fontaines massives vomit l’eau qui, ensuite, se répand en multiples cascades, se fige en pièces d’eau, jaillit dans les patios, s’écoule en rias…
Dans l’enceinte de l’Alhambra, voir, sentir, écouter la nature est un enchantement. 

 
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Grenade, Alhambra - Été 86
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