LETTRE DE BARCELONE

Barcelone le 3 mars 2012

J’arpente Barcelone. Je visite mon passé. Je marche à l’ombre de mes souvenirs et mes pas ravivent ma mémoire.

Il est midi en ce dimanche. Sous le soleil de mars, les Catalans dansent la sardane. Sur le parvis de la cathédrale, s’installe la cobla, l’orchestre qui escorte cette danse : une dizaine de cuivres et une contrebasse. En contrebas, sur l’esplanade, les rondes se forment. Elles rassemblent hommes et femmes chenus et quelques jeunes gens imberbes. Danse collective, la sardane affirme une unité et une identité. Elle se met en branle au gré de légers déplacements latéraux, parfois même imperceptibles. Et pourtant, elle tourne ! Danse solaire, a-t-on écrit. Mathématique de la danse ? En tous cas, sautillement répétitif sur un pied, sur l’autre, sur les deux. Main dans la main, on se tient par le bras, bras baissés, bras levés… Le tempo s’accélère… Exaltation des corps, la sardane hypnotise le spectateur ! Un peu plus loin, virevoltent des danseurs de hip hop… Rêvent-ils de détrôner la sardane ?

A l’angle de la Diagonal et de la rambla Catalunya, s’élève le bel édifice de la Diputatio, l’Hôtel de Ville. En descendant les ramblas, le regard contemple ces immeubles ; ils déroulent la fantaisie ornementale d’une architecture qui se souvient de Gaudi ou bien évoque l’Italie. Place de Catalogne, le Corte Ingles, grand magasin connu, exhibe ses façades borgnes. Plus bas, la foule grossit. Le marché aux oiseaux dont les chants charmaient le promeneur a disparu ; seul demeure un étal offrant des cages neuves, mais de trilles, point. Anarchique, la vélocipédie envahit le territoire des piétons et les méprise, ici comme ailleurs. Désormais, le paseo déplace peu d’autochtones, mais rassemble une foule de visiteurs étrangers qui déambulent en tous sens. Le tourisme voilé des femmes sans visage et celui des yeux bridés a fait son apparition. Ici, une procession de Hare Krishna ressuscite un passé que l’on croyait depuis longtemps disparu. Là, aujourd’hui encore, l’illustre Théâtre Liceu dévoile ses programmes.

A droite, le vieil hôtel Oriente, abri autrefois de mes émois, a perdu de son lustre d’antan ; ses trois étages, poudrés d’un jaune décrépit planté d’écussons verts, ont triste mine.

A la croisée de la rambla des Capuxits et de la plaça Real, le cireur de chaussures a quitté son ouvrage. Il ne s’en trouve guère ailleurs. Cette utile corporation aurait-elle disparue ? Plantée de palmiers et agrémentée d’une fontaine, cette place, la plaça Real, soit la place Royale, est une épure : un quadrilatère composé d’arcades – elles abritent cafés et restaurants – sur lesquelles reposent, crépi jaune et volets verts, trois étages. Elle exhibe une harmonieuse architecture. L’un de ces appartements fut un temps occupé par le chanteur catalan Lluis Llach qui m’y accueillit. Le voilà aujourd’hui vigneron…

En bas des ramblas, les dessinateurs exposent et vendent, mais dessinent peu…

Au fil de la marche, je passe devant le Théâtre Principal… En cette fin d’après-midi de mars, la température, clémente, s’élève à 18 degrés. Face au port, déballent les brocanteurs. Au-dessus du port, glisse le funiculaire. Juché sur sa colonne, Christophe Colomb, bras droit tendu, pointe l’index vers le large et ses Amériques. La promesse d’un futur…