Salon de musique, Décembre 2007.

Ghada Shbeir

LE SOURIRE DE L’ANGE

« Dans la brute assoupie, un ange se réveille ».
Charles Baudelaire

Il faut se souvenir de ce silence qui accueillit le chant de Ghada Shbeir au Théâtre des Abbesses, ce 19 novembre 2005. Un silence profond – un merveilleux silence – « un silence de stupeur charmée ».
A l’écoute de cette voix séraphique, celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas glissent l’un comme l’autre dans une sorte d’extase hiératique, emportés par les sortilèges de cette enchanteresse venue du Liban.
L’austérité sied au sacré. Son chant, proféré en une langue antique, est des plus sobres qui soient. Nu et dépouillé, il brille d’une absolue pureté. C’est un chant tissé de formes brèves : parfois moins d’une minute. Ancien, il a précédé l’avènement du christianisme. Il s’est ensuite étendu à un éventail de traditions religieuses chrétiennes : les rites maronite, orthodoxe, catholique, chaldéen et byzantin. Il est interprété en langue syriaque. Elle appartient à la même famille que l’araméen, l’idiome dans lequel s’exprimait le Christ. Elle deviendra, du IIIème au XIIIème siècle, la langue littéraire chrétienne. Ce chant singulier ne s’inscrit dans aucune des grandes traditions musicales, arabe, byzantine ou grégoriennes..
Profondément enraciné dans les civilisations du Proche-Orient, il s’est transmis oralement de génération en génération car, il n’existait aucune notation. Ainsi les mêmes mots s’accommodent de diverses mélodies et une même mélodie s’acoquine à différents textes. Le chant syriaque est minimaliste, il se joue avec trois, quatre ou cinq notes. C’est une forme brève, un chant simple et austère. On l’interprète généralement a cappella. Son rythme est libre, varié, et repose sur une structure simple. Sa densité est telle qu’il envoûte l’auditeur.
La dame qui en porte la tradition est musicologue et, elle enseigne. Elle parcourt le monde pour offrir ce chant. Sa voix nue éclate dans toute sa beauté et séduit d’emblée. Elle incite au recueillement, invite au silence et suscite la paix intérieure car, elle réveille l’ange qui, en chaque être, sommeille.

Jacques ERWAN