Salon de Musique,
Dimanche 17 décembre 2006, 17h (Festival)

JACKY MICAELLI

Corse

DES POLYPHONIES POUR REJOUIR L’ÂME

Sous le charme de la voix.

« Une oeuvre d’art qui ne nous rend pas muets est de peu de valeur : elle est commensurable en paroles. Il en résulte que celui qui écrit sur les arts ne peut se flatter que de restituer ou de préparer ce silence de stupeur charmée, – l’amour sans phrases…»

Paul Valéry
Daumier, Albert Skira, 1947

 
« Ce silence de stupeur charmée » s’impose à l’écoute des polyphonies corses : il saisit l’auditeur. Magnifiés par la beauté des voix qui les profèrent, ces chants étonnent, émerveillent, enchantent, stupéfient.
Porteurs de tradition, ceux qui perpétuent ce chant ont su s’ouvrir au monde, se nourrir de rencontres et d’échanges et enrichir ainsi l’héritage pour exalter leur terre.
La Corse est une île. Malgré les invasions, l’insularité et le relief montagneux ont sans doute contribué à la préservation du patrimoine musical. Même si les aléas de l’histoire, conjugués au péril de la modernité, ont bien failli en ruiner l’existence même.
Les années soixante-dix ont sonné l’heure du « Reacquistu », la réappropriation et la renaissance du chant corse. Ce fut l’oeuvre d’artistes, pour la plupart, amateurs et militants, renouant, entre autres, avec l’art de la polyphonie, « ce bâton de maréchal de la conscience politique corse », selon les mots de Véronique Mortaigne (Le Monde, 11 février 1988).
Le patrimoine musical est riche. Issu de la tradition orale, on le sait ; il est aussi, contrairement aux idées reçues, écrit comme en témoignent d’anciens manuscrits franciscains. Il est, enfin, contemporain, riche d’oeuvres nouvelles imaginées et créées par des artistes de ce temps. Une autre voie pour le faire fructifier.
Le chant corse est une mémoire. Comme le blues. Lui aussi, a-t-on écrit, émane « de l’âme d’un peuple qui clame sa révolte, sa souffrance avec toute l’énergie de son désespoir ». Ceux de la singularité bafouée d’une communauté. On sait les maux, on ignore les remèdes. Restent les mots, la parole, le dialogue… A la voie de la force, Jacky Micaelli oppose la force de sa voix. Mezzo soprano ou seconda et terza, selon la terminologie choisie, les mots se dérobent pour en décrire les vertus. « Forte, incisive, poignante », selon Diapason, et bien d’autres choses encore. Depuis vingt ans, elle chante la déchirure de l’âme corse. D’une fulgurante beauté, son chant n’est pas « commensurable en paroles ». Peut-être parce que chanter, pour elle, est un besoin vital : « J’ai chanté avant de parler », dit-elle. Et puis, un jour, mère de famille, cette agricultrice, lasse des méfaits de la violence qui compromettent la vente de ses produits, décide de se consacrer pleinement au chant. Ce que la terre a perdu, la musique l’a gagné.
Au cours de ces vingt dernières années, Jacky Micaelli a beaucoup chanté, en Corse et ailleurs, chants sacrés et profanes ainsi que créations. Sa voix est sollicitée et appréciée.
Traditionnels corses, chants franciscains et pièces contemporaines, portés par la voix de Jacky Micaelli et celles qui l’escortent, enchanteront de leur austère beauté l’auditoire du Salon de Musique. Chantant son île, elle chante l’univers. Enraciné, son chant a vocation universelle. Comme une sculpture de Praxitèle, un tableau de Chagall ou un roman de Garcia Marquez, il dit la beauté du monde et l’aventure de l’Homme. Un chant âpre et sobre issu de l’alliage précieux de trois tessitures, seconda, terza et bassu, celles de Jacky Micaelli et de ses acolytes. Comme les voix qui le portent, il « appartient autant à la terre, qu’aux nuages qui roulent ».
Pour réjouir l’âme et célébrer Noël, un « silence de stupeur charmée, – l’amour sans phrases… »

Jacques Erwan