Lundi 23 Octobre, 20h30

ENSEMBLE CHULAWATIT

de l’Université Chulalongkorn

Wong Pi Phat, Wong Khryang Sai, Wong Mahori

 

Flux

C’est un long fleuve. Au fil de l’eau, un courant puissant, d’autres moins violents dessinent des méandres au cœur du flux et alentour. Ici ou là, petits tourbillons et remous affleurent soudain à la surface de l’onde. Ainsi s’écoule, hypnotique, la musique classique traditionnelle thaïe, selon David Morton, un expert. Comme une bande sonore continue. Un système linéaire dépourvu d’harmonie. Tels instruments jouent la mélodie principale, d’autres brodent l’ornementation, d’autres enfin s’attardent sur certains motifs. Tous ne voguent pas au même vent. Les divers fils des mélodies apparemment indépendantes de chacun des instruments composent une longue et interminable guirlande.

Influencée par des traditions héritées de la Chine, de l’Inde et du sud-est de l’Asie fondues en un mélange unique et singulier, c’est une musique savante. Elle s’épanouit à l’ombre des palais royaux jusqu’à l’abandon de la monarchie absolue, en 1932. Elle rythmait jusqu’alors les jours de la famille royale et célébrait les évènements marquants : naissance, baptême, mariage, funérailles et crémation voire, pour les garçons, la prise de robe monastique. Aujourd’hui, occidentalisation et modernité, sa pratique s’essouffle ; on la préserve. Sa fonction sociale s’est élargie ; elle ponctue désormais, à l’extérieur de l’enceinte des palais, les diverses étapes de la vie des Thaïlandais, à l’exception de la naissance. Elle accompagne aussi cérémonies et fêtes religieuses : bénédiction d’une maison neuve par exemple. Enfin, elle est associée à certains genres théâtraux.

Trois types d’ensemble, de nature et fonction différentes, en perpétuent le cours. Le Wong Pi Phat, tout d’abord, réunit percussions mélodiques (gongs circulaires métallophones et xylophones …) et rythmiques (cymbales, castagnettes et tambours) ainsi que la voix, et produit des sonorités dynamiques. C’est, entre autres, l’orchestre de khon et du lakhon, deux formes de théâtre traditionnel.

Le Wong Khryang Sai, ensuite, suave ensemble de cordes (vièles, cithare en forme de crocodile stylisé), vents (flûte et hautbois), percussions rythmiques et voix. Le Wong Mahori, enfin, grande formation, confinée jadis à la cour, est aujourd’hui plus populaire : on l’entend dans les mariages. Le volume des sonorités de cet orchestre est plus faible que celui du Pi phat. Il rassemble, grosso modo, les deux premières formations auxquelles s’ajoutent une vièle à pique à trois cordes, une paire de tambours en céramique et une sorte de tambourin. Les voix, nues ou accompagnées par cymbales et tambours, et parfois par un instrument à cordes, alternent avec les parties instrumentales.

L’Ensemble Chulawatit, fort d’une vingtaine de musiciens, présente successivement ces trois formations pour tisser ce « simple fil de soie diapré qui se déroule et ondule imperceptiblement mais dont chaque millimètre s’imprègne d’un monde de sentiments et de sensations » (Emile Vuillermoz). Suivre ce fil d’Ariane, c’est une occasion rare de découvrir cette tradition riche et raffinée.

Saison thaïe, avec la collaboration de CULTURESFRANCE et des services culturels de l’Ambassade de France en Thaïlande.

Jacques ERWAN

 

OCCIDENT – ORIENT

« Tandis que l’occident découvrait la saisissante formule de la superposition de plusieurs sons entendus simultanément, l’orient, fidèle à la technique de la monodie, demandait à ses chanteurs et à ses instrumentistes de chercher le raffinement de l’expression dans l’infinie subdivision de l’intervalle. (…)

A l’Est, on ne songea pas à équarrir le son : on le tréfila. On s’appliqua minutieusement à l’étirer, à l’amenuiser avec une délicatesse extrême pour que le passage d’une des sept notes à sa voisine soit aussi insensible que les dégradés reliant entre elles les sept couleurs de l’arc-en-ciel. Au lieu de se solidifier, la musique devint une irisation et un chatoiement aux frontières de l’impalpable et de l’impondérable (…). Un simple fil de soie diapré qui se déroule et ondule imperceptiblement mais dont chaque millimètre s’imprègne d’un monde de sentiments et de sensations ».

Emile VUILLERMOZ
Histoire de la musique, Fayard 1973