Bar, vendredi 14 janvier 2005,18h

VOIX ET BAMBOUS DE THAÏLANDE

En collaboration avec le Théâtre de la Ville de Paris.

 
Répertoire de chants populaires religieux et profanes
- Orgues à bouche khène et chants mholam de l’Isan (Khon Kaen, Nord-Est), 2 musiciens.
- Ensemble Pi-joom et chants saw du Lanna (Chiang Mai), 6 musiciens

 
ENVOÛTANT !

Dans certains villages du nord (Lanna, région de Chiang-Mai) et de l’est (Isan), aux frontières de la Birmanie, de la Chine et du Laos, demeurent des formes ancestrales, riches de voix et d’instruments en bambou qui s’harmonisent et se défient au cours de joutes. Un véritable jeu musical qu’évoque en experte Isabelle Gruet : « la douceur et la suavité des célèbres orgues à bouche khènes ou des tuyaux à anche libre pi dialoguant avec les chanteuses endiablées de mholam ou de saw laissent aussi place aux rythmes effrénés et délirants ».

Une musique qui tourne en boucle comme tournerait une roue en un mouvement perpétuel. Hypnotique, elle captive l’oreille, stimule l’imaginaire et accapare la conscience.

Du rituel au divertissement, la tradition vocale du mholam s’empare et se nourrit de toutes les histoires, sacrées ou profanes, fondatrices de la communauté. Les chanteurs rivalisent de talent au cours de joutes verbales qui se déroulent au sein de la famille, lors des cérémonies de guérison ou des fêtes de villages. Entre parole et chant, la voix grosse de son tourbillon de mots s’acoquine aux lignes mélodiques et rythmiques du khène et ainsi contribue à perpétuer la mémoire collective. Instrument central de la tradition du mholam, le khène, assemblage de seize à vingt-huit tuyaux en bambou, peut atteindre une hauteur de quatre mètres et produire plusieurs sons simultanément : « Il déploie, écrit Alain Weber, sa polyphonie éthérée grâce à une savante respiration continue ».

La complexité des mélodies de l’Isan comme du Lanna témoigne de la sophistication et du raffinement du vieux fond culturel rural de ces musiques.

Annexé définitivement au Siam à la fin du xixe siècle, le Lanna conserve aujourd’hui encore son particularisme. Le pi, ancêtre du khène, est un tuyau à anche libre en bambou ; on l’embouche obliquement ; son jeu requiert un souffle continu. L’Ensemble Pi-joom se compose d’au moins quatre pi-s de tailles différentes, d’un grand luth süng et d’un duo mixte de chanteurs. « Le sawpijoom, écrit Isabelle Gruet, est la parole des paysans bouddhistes du Lanna. » Musique en partie improvisée, le pi-joom fait une large place à la voix, au chant, à la narration. Elle mêle à « la subtilité de l’héritage chinois la vigueur des rythmes puisés dans le substrat des minorités ethniques et des sociétés traditionnelles ».

Entre parlé et chanté, le style du chant surprend, de prime abord, avant de séduire : « la voix monte délicatement d’un ton en fin de strophe dans un raffinement extrême, divin et presque imperceptible ». La répétition régulière du refrain provoque un effet hypnotique et la noria des musiques suscite une sensation d’envoûtement. Le chant emporte l’auditeur dans le tourbillon de ses sonorités, le rebondissement du souffle et les envolées lyriques…

 

Jacques Erwan