Bunun et Piuma

Samedi 23 janvier 17h
Théâtre des Abbesses
BUNUN ET PIUMA
République de Chine, Taïwan

La fierté des tribus
« Le Pacifique, colonie taïwanaise, titrait le journal « Le Monde », le 31 janvier 2009. Cette affirmation lapidaire résume le résultat de deux études scientifiques, l’une linguistique l’autre génétique. Elles attestent , poursuit le quotidien, que « les ancêtres de toutes les populations du vaste domaine austronésien (de Madagascar à la Polynésie et jusqu’à l’île de Pâques) étaient établis sur l’île de Taïwan il y a quelque cinquante siècles et ont essaimé d’île en île, en plusieurs vagues migratoires… »
Les descendants de ces lointains « ancêtres » composent de nos jours à Taïwan, les populations « aborigènes ». Celles-ci ont, au fil des siècles, connu un processus de différenciation culturelle – variété des langues et diversité des us et coutumes – fruit du relief accidenté de l’île et, donc, de leur relatif isolement. Quatorze de ces ethnies aborigènes sont aujourd’hui reconnues, parmi lesquelles les Païwan – dont font partie les Piuma – et les Bunun. Les premiers résident au sud, les seconds, au centre de l’île.
Autrefois, peuples guerriers des montagnes, ces deux ethnies vivaient de la chasse et de l’agriculture. Elles vouaient à leurs ancêtres un culte et les shamanes apaisaient les tourments de l’âme, soignaient les maux du corps et conversaient avec les dieux. Aujourd’hui, certains cultivent encore la terre mais nombre de jeunes préfèrent les lumières de la ville. Le ciel est accommodant et les dieux ne sont guère jaloux : le shamane partage ses pouvoirs avec le pasteur ou le prêtre mais le culte des ancêtres se perpétue.
Ethnomusicologue, le professeur Wu remarque que la transmission orale favorise, dans le champ musical, l’émergence de l’improvisation. Il ajoute que les improvisations vocales des aborigènes sont « marquées par des procédés techniques spécifiques ». Les Païwan, écrit-il, maîtrisent l’usage de la basse continue avec le « bourdon »* et l’ « ostinato »** et, les Bunun pratiquent l’harmonie et, dans les chants pour la récolte du millet, le « tuilage »***.
Chez les Piuma, chants d’amour et de mariage constituent un pan du répertoire traditionnel. A cappella, une femme et deux hommes de la tribu en offrent un florilège. Les hommes jouent également du « biti », une double flûte nasale en bambou. Ses sonorités expriment la joie à l’occasion des demandes en mariage ou bien, au contraire, la tristesse lors des funérailles.
Les Bunun, quant à eux, ne connaissent ni chants de mariage ni chants funèbres. Leur art vocal est polyphonique. De leurs voix puissantes, les hommes perpétuent la tradition de ces chants rituels de chasse , de guerre ou bien liés à la terre tel cet impressionnant « Passi but but», polyphonie pour la récolte du millet. Sans doute le plus beau.
Culture chinoise, christianisme, occupation japonaise, modernité occidentale… autant d’influences nouvelles ; le contexte culturel a changé : millénaire, la transmission orale a succombé. Désormais, ces chants ne sont plus que les vestiges d’une culture révolue, issue des profondeurs de l’Histoire taïwanaise, dont quelques anciens ont perpétué la mémoire. Eclats précieux du patrimoine de ces ancêtres d’une partie de l’humanité, parvenus jusqu’à nous comme la lueur de lointaines étoiles.

JACQUES ERWAN

* Emission constante et insistante d’une note comme accompagnement d’une mélodie généralement en rapport consonant avec la note fondamentale de cette dernière.

** Brève formule mélodique, habituellement confiée à la voix la plus grave, qui est répétée plusieurs fois et s’oppose, par son caractère répétitif, au mouvement varié des autres voix.

*** Une section d’un chœur entonne sa partie avant qu’une autre section soit arrivée au terme de son chant.

Encyclopédie de la Musique (La Pochothèque)