Erol Parlak, Hasan Yarimdunya, Ensemble Köcek

Jeudi 12 juin 2003 20h30
Concert en 3 parties
Turquie

EROL PARLAK
saz et chant
HASAN YARIMDUNYA
trio de clarinettes de Gelibolu
Hasan Yarimdünya, Tamer Girnataci, Taner Girnataci clarinette,
Kemal Altintas darbuka,Volkan Ates darbuka, davul
ENSEMBLE KÖCEK
Murat Tun kemane, Cemal Özdemir davul, Naim Bakal zurna,
Hamdi Sözen danse, Cemal Aktas danse

Erol Parlak joue du saz et chante. C’est un maître. À Istanbul, où il réside, il enseigne les subtilités de ce luth à long manche à une centaine de disciples. Originaire de l’est de la Turquie, il a grandi à Ankara. Son répertoire est riche des traditions de l’Anatolie centrale et orientale. Avec deux de ses pairs, il a retrouvé et remis à l’honneur une technique de jeu avec les doigts – Selpe – qui avait disparu au profit de celle usant d’un plectre. Il dispense une musique raffinée dans un style gracieux et élégant. Sa voix est suave. À l’exception d’un concert au sein de la communauté turque, en 1991, on ne l’a guère entendu en France que comme accompagnateur de la chanteuse Sabahat Akkiraz, au Théâtre de la Ville.
Tzigane, Hasan Yarimdunya, est lui aussi un maître. Sa clarinette est de toutes les fêtes. En France, on l’a entendu aux côtés d’Okay Temiz et d’Erik Marchand. À Gelibolu, petit port des Dardanelles, où il demeure, il joue aussi avec son fils Tamer et son petit-fils Taner, âgé de dix-huit ans. Ce trio familial anime les mariages. Deux percussions (derbouka, def ou tambour) les accompagnent. Ce sont des virtuoses. Mais tout s’explique : « Dans le ventre de la mère, dit Hasan, l’enfant entend déjà un père qui joue de la clarinette ou du violon. Ensuite, il est bercé par la musique… ».
Murat Tun est l’un des maîtres du kemane, un instrument à cordes. Flanqué d’un zurna (hautbois) et d’un davul (tambour), il escorte la danse subtile et troublante des Köçek, ces danseurs travestis très prisés au temps de l’empire ottoman. À l’époque, d’origine grecque ou tzigane, ils étaient choisis parmi des jeunes garçons dotés d’un joli corps et parés d’une grâce naturelle. Leur formation commençait à l’âge de sept ans et se poursuivait six ou sept années. Richement vêtus, ils portaient les cheveux longs ou bien une coiffure telle que turban ou chapeau.
Danseurs professionnels, ils formaient des ensembles, et évoluaient dans les palais du sultan et les hôtels particuliers des dignitaires. Interdits en 1861, ils se sont dispersés en Anatolie et certains, parmi les plus illustres, se sont installés en Égypte.
Aujourd’hui la tradition se perpétue. Des hommes, tête nue et portant vêtements féminins, rythment les pas de leur danse avec des cymbalettes en métal. Ils ne suscitent aucune équivoque ; ils subjuguent. À découvrir !

De multiples influences
Initialement nomade et adepte du chamanisme, le peuple turc est originaire d’Asie centrale. Au cours de ses pérégrinations, il rencontre l’islam et au fil de ses migrations à travers steppes, plaines et montagnes, de ses conquêtes et de la vie de cour de ses gouvernants, il se forge une riche et complexe identité culturelle. De multiples influences, héritées de peuples divers, ont nourri ses musiques. Enracinées, celles-ci brillent encore des mille feux de leur richesse et de leur raffinement. Comme les mosquées d’Istanbul se dépouillent au petit matin de ce léger voile de brume qui enveloppe leur beauté, les maîtres de musique dévoilent le riche patrimoine hérité du passé dont ils assurent la pérennité. Au Théâtre de la Ville, ils seront trois.
Erol Parlak tout d’abord. Il joue du saz et chante. À Istanbul, ce maître dispense son savoir à une centaine de disciples : il les initie aux subtilités de ce luth à long manche effilé. Originaire de l’est de la Turquie, une région proche de la frontière russe, il a grandi à Ankara, la capitale. Son répertoire emprunte donc aux traditions de l’Anatolie centrale et orientale. Il interprète également les chants des Asik, ces bardes mystiques de la tradition, ainsi que des chansons d’amour.

Erol Parlak, une musique raffinée
Le saz se joue avec un plectre ou bien avec les doigts. Erol Parlak a consacré sa thèse de doctorat à une technique de jeu avec les doigts appelée selpe. Détrônée par le plectre, elle avait quasiment disparu. Elle subsistait toutefois chez les dede, chefs spirituels alévites que certains considèrent comme des chamans. Avec deux de ses pairs, Arif Sag et Erdal Erzincan, il a contribué à remettre à l’honneur cette technique. Ainsi, dans un style élégant et gracieux, et d’une voix suave, Erol Parlak dispense une musique raffinée. À l’exception d’un concert au sein de la communauté turque, en 1991, on ne l’a guère entendu en France si ce n’est accompagnant Sabahat Akkiraz. C’était déjà au Théâtre de la Ville.

Hasan Yarimdünya, un des maîtres de la clarinette
La culture tzigane est très vivante en Turquie, carrefour entre l’orient et l’occident. Itinérants, les musiciens tziganes établis dans ce pays ont acquis, au gré de leurs vagabondages, un vaste répertoire qui conjugue styles populaires et styles savants. Ils sont de brillants improvisateurs, et en Thrace, dit-on, les maîtres de la musique. Même si elle n’est pas spécifiquement tzigane. Ils maîtrisent toutes les musiques.
Sur la côte de cette région occidentale de la Turquie, Gelibolu est l’un des deux ports du détroit des Dardanelles. Tzigane, Hasan Yarimdünya y demeure avec sa famille. Sa clarinette est de toutes les fêtes. Il est l’un des maîtres de cet instrument qui s’est répandu, à partir de 1828, en Turquie et dans les Balkans et a supplanté le zurna (hautbois) chez les Tziganes. En France, Hasan a accompagné son compatriote Okay Temiz et le breton Erik Marchand. Son répertoire est des plus étendus : « je peux jouer des heures », dit-il et, l’ayant entendu, on le croit ! Il anime, entre autres, les mariages avec son fils Tamer et son petit-fils Taner. Ce dernier n’a pas vingt ans et la musique est déjà sa profession. Trois générations composent ce trio familial de clarinettes ; malgré une intense complicité, aucun de ses membres n’abdique son identité et son originalité. Deux percussions, darbuka et davul – c’est un tambour – les accompagnent. Ensemble, ils offrent une musique allègre et envoûtante. Ce sont des virtuoses ! Mais tout s’explique : « Dans le ventre de sa mère, assure Hasan Yarimdünya, l’enfant entend déjà un père qui joue de la clarinette ou du violon. Ensuite, il est bercé par la musique… »

Murat Tun, un maître escorte la danse subtile et troublante des köçek
Murat Tun est lui aussi un maître. Il joue du kemane, un instrument en forme de poire, tendu de trois cordes en boyau. Flanqué d’un zurna et d’un davul, il escorte la danse subtile et troublante des köçek, danseurs travestis fort prisés sous l’empire ottoman. Des chroniqueurs les décrivent dès le xve siècle. Selon leur témoignage, certains rivalisaient de beauté avec les anges… Ces jolis garçons, dotés d’un corps harmonieux et d’une grâce naturelle, étaient soigneusement choisis au sein des communautés gitane, juive, arménienne et grecque de l’empire. On les recrutait aussi à Chio, l’île de la mer Egée. Très jeunes, et pendant six à sept ans, ils étaient initiés à la musique et à la danse ainsi qu’aux secrets de la profession par des mentors expérimentés. Ils portaient de riches vêtements féminins, une longue chevelure bouclée, des parfums exotiques et des maquillages semblables à ceux des femmes. L’illusion était parfaite et la différenciation des sexes abolie. Le jeu des castagnettes accompagnait les pas de leur danse, orientale et provocante. Danseurs professionnels, ils évoluaient au sein d’ensembles dans les palais du sultan et les demeures des dignitaires. Ils dansaient aussi dans les jardins publics et lors des mariages et des fêtes. Certains se produisaient régulièrement dans les cafés d’Istanbul et les bars du quartier de Galata pour aguicher le client. Sensuels et attirants, ces jeunes gens efféminés étaient, dit-on, « un fruit pour l’œil ». Ils suscitaient la folie des hommes. On leur dédiait poèmes et chansons… Pourtant, au début du xixe siècle, la profession se démoda. Au milieu de ce même siècle, elle fut interdite : la plupart des köçek émigrèrent en Égypte.
Aujourd’hui, la tradition subsiste comme un folklore en certaines localités du nord-ouest de l’Anatolie. L’apprentissage se déroule toujours sous la férule d’un aîné, dès le plus jeune âge. Il n’existe plus de troupes. Désormais, les köçek se produisent seulement lors des mariages et de certaines fêtes. Ils rythment les pas de leur danse avec des cymbalettes en métal. Les musiciens improvisent jusqu’à la fusion de la musique et de la danse. Celle-ci évolue lentement. Les deux danseurs d’Anatolie présents au Théâtre de la Ville sont des hommes. Ils portent les cheveux courts et sont vêtus de longues jupes de couleur, ornées de franges, d’une chemise blanche et d’un gilet brodé. Ils ne suscitent aucune équivoque. Ils subjuguent !

Jacques Erwan