Le Lieu Unique

LES DITS DE NANTES

L’exposition présentée au Château des Ducs de Bretagne, à Nantes,  est consacrée aux « Icônes ». Ces représentations étaient dotées initialement d’une fonction sacrée. Pour les migrants grecs d’Asie mineure, elles sont devenues, au début du XX° siècle, un  témoignage du passé, un patrimoine, souvent   le seul qu’ils pouvaient emporter et qui donc demeurait… Un souvenir !
La tradition, à l’instar des icônes, souvent perd sa fonction première  profane ou sacrée et tend à se métamorphoser en divertissement. Mixée à la manière techno, elle mène la danse, parfois avec  le secours de l’alcool… Ce fût le cas, ce soir-là, au Lieu Unique, emblématique de la ville. Aujourd’hui, musiques traditionnelles ou issues de la tradition sont offertes en concert.

La tradition, qu’elle soit musicale ou autre, a toujours, avec le temps, évolué et digéré, au sens propre du terme, des influences diverses. Mais de nos jours, la brutalité des changements de notre monde ne laisse guère libre cours à une évolution ; elle la bouscule, la bouleverse, voire la détruit. Comme il importe d’instaurer une écologie de la terre, sans doute faudrait-il imaginer une écologie de la tradition, la mémoire de notre passé. Une écologie qui n’obéisse ni au soit –disant métissage, fort en vogue, ni à la prétendue fusion. On ne saurait mélanger l’huile et l’eau. Leurres destructeurs, faute de la précieuse alchimie du temps, tels des drones ravageurs, ils tuent la tradition. Sauf exception, soit des rencontres humaines qui enfantent des rencontres musicales. Cela arrive !

Tout interprète traditionnel est un créateur. Aucun ne daignerait, en effet, tel un perroquet, imiter ou répéter à l’identique le style de son voisin ou de son collègue. A Fès, au Maroc, pourriez-vous, maître, dit le disciple, me montrer à nouveau cette ornementation ? Le maître de ûd accepte et, d’emblée, joue une autre ornementation…

Créer, c’est-à-dire composer, sur un modèle traditionnel n’est guère à la portée de tous. Cet art requiert une longue et profonde imprégnation au  cœur de la tradition, il implique de  céder à une sorte d’ivresse de la tradition ! On songe à Alan Stivell, maître en ce domaine, à certains compositeurs irlandais, norvégiens ou autres… Ils ne sont pas légion ! Mais la chose n’est pas impossible…

Les musiques de la tradition sont l’une des fenêtres ouvertes sur le monde : elles sont une vision de l’Autre, une voie pour le connaître et donc, une école de tolérance. Dommage que les princes qui nous gouvernent ignorent ce ferment de connaissance, de reconnaissance et de convivialité, et, bien sûr, ils s’étonnent que le racisme progresse ! La baisse des subventions publiques, indispensables en France à la culture, y contribuent : « l’argent c’est le nerf de la guerre », disait à Nantes Chérif Khaznadar, le fondateur de la Maison des cultures du monde, à Paris.

Sans doute serait-il opportun de réformer le modèle d’attribution et  de distribution des subventions publiques : cesser d’accroître la manne des crédits au fur et à mesure que grandit un festival, par exemple, au détriment de manifestations plus modestes, mais qui irriguent le tissu social du pays. On pourrait imaginer sans dommage d’accompagner une naissance, celle d’un festival, d’un lieu, d’une compagnie, au terme d’un cahier des charges précis et diminuer les crédits, au fil des ans, quand l’institution grandit et trouve sa propre vitesse de croisière économique.

Jacques ERWAN
Nantes, samedi 8 octobre 2016

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