Le sourire de l’ange

Etats-Unis, milieu des années soixante. Le général commandant la base de radars est débonnaire. Il m’interroge sur mes origines géographiques et sourit : jeune officier dans l’armée de Patton, il a organisé le premier meeting aérien dans la ville de Bretagne où je demeure ! J’ai dix-huit ans et, grâce au général, soudain, je jouis de tous les droits au sein de ce mess des officiers !

Ce soir-là, le capitaine G. portant beau, la trentaine, est sombre. Il vient, me dit-il, d’apprendre sa mutation en Thaïlande, c’est à dire au cœur de l’une des bases arrière de l’armée américaine en guerre au Vietnam…

- « Une chance sur deux de revenir vivant, murmure-t-il.

- Le destin peut en décider autrement, non ?

- Ce qui m’attriste, c’est qu’avant de mourir, je m’étais promis de voir le Mont Saint -Michel et le sourire de l’ange de la cathédrale de Reims. »

Stupéfaction de l’interlocuteur !

Je ne revis jamais le capitaine G.

Quelques décennies plus tard, le hasard ou bien la fatalité, car je ne crois point au hasard, me conduisit à travailler à Reims pendant plusieurs années. A chacun de mes séjours dans cette ville, je m’astreignis à me rendre à la cathédrale et à contempler le sourire de l’ange. Dans ma mémoire, il se confondait avec celui du jeune capitaine, peut-être abattu au-dessus du Vietnam.

Jacques ERWAN
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