Chimère

Il n’est pas venu et d’emblée, j’ai détesté cette ville, l’arrogance de son architecture moderne et de ses avanies. Elle colonise le regard du chaland et témoigne des artifices d’une époque qui en est prodigue. J’ai détesté la vieille cité, figée dans le formol du temps, dont les quartiers engendrent la monotonie : alignements d’édifices couleur de saindoux et de demeures patriciennes. Elles exhibent la richesse de ces façades lourdement ornementées. La trame des ruelles dessine un labyrinthe dont le dédale agace. Elles sont le fief des gargotes attrape-touristes, détestables mangeoires qui happent les hordes de fauchés. Faune cosmopolite qui traîne sa misère, se délecte de sa crasse et, de sa fange, souille la cité. Elle grouille au fil des rues, escortée de ce train d’immondices dont elle jonche la chaussée. Elle s’invite aux terrasses. Parasite, elle en accapare tables et sièges pendant des heures. Elle stagne sous le soleil, comme la gale dans un amas de chiffons. Elle répand sa sueur. Sale, elle pue de toute sa saleté. Habillée de hardes, elle est laide et se complait dans sa laideur. Dépourvue de respect, elle s’autorise tous les caprices, se livre à tous les excès. Masse léthargique, elle recouvre comme une croûte le territoire de la ville dont elle masque le visage authentique.

Il n’est pas venu et son manquement est une métaphore : prétention de ces citadins et faconde. Le verbe, substitut à l’action. Le paraître au détriment de l’être. Bruit des mots et vacarme des véhicules. Arrogance qui éloigne l’autre et lui assigne un statut d’étranger. Mépris des lois et des codes, des règles et règlements. L’individualisme comme unique credo. La foi en soi. La méfiance à l’égard de l’étranger, cet intrus.

Il n’est pas venu et je hais l’impudence de sa jeunesse. Fureur face au miroir, que sa beauté m’inflige, des grimaces de la vie et des ravages du temps ! Rage au souvenir de la douceur de sa voix, que colore le chant d’un accent ! Hâbleur incontinent, éjaculateur de mots, incapable d’assumer ses paroles afin qu’elles survivent en des actes. Impuissant dont la musique est le seul plaisir. Elle n’emportera pas les âmes, car ton cœur est fourbe. Les artifices qu’il distille mineront le jeu de ton interprétation comme un virus l’organisme. Sur le sable du mensonge, rien ne se construit. Tu n’existeras pas. Tel est mon vœu car tu n’es pas venu.

Jacques ERWAN
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