Instantané II

« Le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant ».

Marcel Proust

Tu regardes droit devant toi. Le regard est franc. Le visage impassible, serein mais dépourvu de la lumière d’un sourire.

Sans doute es-tu las ou perdu dans tes rêves ? Ou bien fatigué et rêveur ? Silencieux en tout cas : tes lèvres, délicatement sensuelles, sont hermétiquement closes. Il est évident que tu ne parles pas. Comme souvent.

Aucun vent ne décoiffe tes cheveux noirs. Courts encore, ils sont harmonieusement disposés. Pourtant tu ne les coiffes jamais : ils ne supportent pas l’ordre du peigne. Seul celui de la nature. Aucune contrainte donc. Comme toi.

Quelle pensée t’absorbe ? Songes-tu à tes enfants ? À ton épouse ? À l’un de tes frères ? À celui qui, assis à tes côtés, t’accompagne ? Silencieux lui aussi sans doute : s’il te parlait, ne le regarderais-tu pas ?  Quel songe abrite ton silence ? Quel projet nourrit-il ?

Il fait nuit : ton visage se détache sur fond noir comme sur une laque.

Quels fantasmes troublent tes nocturnes pensées ?

Quelle tristesse ?

Quelle nostalgie ?

Quelle absence ?

Es-tu simplement étourdi par le bruit ? Emporté par le flot des sons qu’imposent harpes, xylophones et cuivres ? Assommé par toutes ces musiques dont les sonorités et les rythmes se mêlent, s’enchevêtrent et se fondent dans un inouï tohu-bohu, qui envahit la place et la submerge ? Es-tu accablé, en cette nuit caniculaire, par la chaleur moite qui lubrifie les corps ? Enivrés par les vapeurs de l’alcool local ?

Assis à mes côtés, tu es là et sans doute las, et je ne sais toujours pas quelles pensées t’animent, quels sentiments t’agitent, quand je contemple, aujourd’hui, ton portrait, photographie, insérée dans l’écrin d’un porte-clef, prise cette nuit-là, à Veracruz. Au Mexique.

Jacques ERWAN
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