L’homme peine

L’homme peine à se réveiller. Il rechigne à se lever. Il ne trouve pas ses pantoufles, ni ses lunettes, ni sa prothèse auditive…

Il ne sait pas où aller.

Une femme le conduit à la table du petit-déjeuner. Elle est son épouse. Peut-être s’en souvient-il ? Il sucre son café et avale une madeleine. Il réclame du sucre et une autre madeleine. Il boit son café encore brûlant.

L’homme se lève, trébuche et marche à petits pas mal assurés vers la salle de bains. Lentement, il procède à sa toilette. Il se rase et se rase encore avec minutie. Puis, il s’assoit pour s’habiller, mais, oublie de se défaire de son pyjama.

Plus tard, l’homme tourne quelques pages du quotidien local, lit à haute voix quelques titres de une, les répète à plusieurs reprises mécaniquement et, le regard absent, replie le journal. L’actualité immédiate ne l’intéresse guère. La vie des autres pas davantage.

L’homme pénètre dans le salon et regarde la mer. « Il y a du vent », dit-il, comme presque tous les jours. Il s’assoit dans son fauteuil, gratte encore et encore son crâne dépourvu de cheveux. Prié de coiffer son couvre-chef protecteur, il s’exécute et sombre dans un sommeil interrompu par quelques gestes compulsifs et parfois peu ragoûtants. Il dort. Il dort jusqu’à l’heure du déjeuner.

À table, au terme du rituel de l’absorption des médicaments, il engloutit goulûment les mets, réclame du vin de manière répétitive. Il ne parle guère. Glouton, il est victime du hoquet. Maniaque, il éponge minutieusement son assiette à l’aide de pain et plie sa serviette avec application. Il dit : « Il fait beau », puis contemple le jardin et observe les oiseaux qui s’ébattent. Peut-être boira-t-il un café.

L’homme regagne son fauteuil et s’assoupit. Le bruit ne trouble guère son sommeil : il ne l’entend pas. De temps à autre, il s’éveille. Hagard, il bredouille quelques mots ; ils sont souvent incompréhensibles. Il semble reclus encore aux confins d’un autre monde.

En quête de toilettes, l’homme se perd dans sa propre demeure. Il se réfugie à nouveau dans son fauteuil, emprisonné dans son silence, agité par quelques gestes obsessionnels, une collection de petites manies : se gratter la tête, toucher son nez, tripoter ses dents…

L’homme se fige devant l’image télévisée, le regard fixe, sans aucune réaction.

- « C’est long.», dit-il seulement.

Viendra l’heure du dîner. L’homme cédera à la même avidité, aux mêmes tics, dans un silence obstiné. De nouveau la télévision le laissera froid. Il s’inquiétera :

- « Où va-t-on dormir ; il faut rentrer. 

- Mais ici tu es chez toi, c’est ta maison. »

Ou bien, s’adressant à son épouse, il lui demandera qui elle est. Il ne reconnaît plus que quelques personnes de son entourage. Parfois.

Comme chaque soir, le coucher obéira à un processus complexe. L’homme fera part de ses craintes : ne risque-ton pas de lui dérober ses affaires ? La nuit suivra, calme ou troublée. L’homme peut-être réclamera à manger ou bien se perdra encore, peinant à retrouver sa propre chambre…

Ainsi va la vie de l’homme sans mémoire, du lit au fauteuil, du fauteuil au lit, dans la tristesse d’une vie qui s’épuise.

Jacques ERWAN
COPYRIGHT JACQUES ERWAN