Agnès Jaoui

Dimanche 7 juin
Théâtre de la ville
LES PASSIONARIAS

Agnès Jaoui : chant
Fernando Fiszbein : guitares, bandonéon, chant
Roberto Hurtado : guitares, chant
Antoine Garcia : guitares, chant
Minino Garay : percussions
Eric Chalan : contrebasse
Juan Carlos Aracil : flûtes

Coproduction Festival des cultures juives/ Théâtre de la Ville de Paris
UN CHANT COSMOPOLITE
Comédienne et réalisatrice, Agnès Jaoui est dotée d’un riche palmarès. Mais, elle connaît aussi la chanson : nombre de films où elle apparaît en témoignent. Dès l’âge de quinze ans, elle s’adonne au chant lyrique dont elle poursuit l’étude au fil des années… « Soprano dramatique », elle sera ensuite « dévorée » par le théâtre et le cinéma. Pour autant, elle ne renonce pas au chant, cultive sa voix et, bientôt, cède à l’attrait qu’exercent les rythmes et les mélodies latines : son, boléro, bossa nova, fado et flamenco, Agnès Jaoui connaît la musique !
Au milieu des années 2000, elle promène dans quelques villes un premier spectacle-concert, Historias de amor. Elle mûri, ensuite, l’idée d’un album qui prolonge cette aventure. En 2006, paraît ce premier opus, Canta, un répertoire de chansons « latines », chantées exclusivement en espagnol et portugais. Dans mon pays, son deuxième album, en 2009, pétri également de sonorités latines, recèle des chansons interprétées dans ces deux mêmes langues, à l’exception de deux d’entre elles.
Dans son nouveau récital, avec le Quintet Official, elle rend « hommage aux femmes qui ont marqué son enfance, à leur histoire, leurs langues et leurs engagements, qu’ils soient amoureux ou politiques. » Parmi ces « passionarias », Pauline Julien (Québec), Edith Piaf, Esther Ofarim (Israël) ou Mercédès Sosa (Argentine), auxquelles s’ajouteront, entre autres, Fairouz (Liban) et Chava Alberstein (Israël). Pauline Julien, Mercédès Sosa et Chava Alberstein, trois dames que le Théâtre de la Ville de Paris honora jadis…

Jacques ERWAN

 
ENTRETIEN

« Liberté, liberté chérie » est le thème de l’édition 2015 du Festival des cultures juives. C’est dans cette perspective que s’inscrit le nouveau récital d’Agnès Jaoui.

- Les autorités politiques et  religieuses du pays évoquent une certaine résurgence de l’antisémitisme. Partagez-vous cette préoccupation ?

- Jusqu’à une date récente, j’ai toujours nié l’antisémitisme. Etant donné le quartier où j’habite et le milieu que je fréquente, je n’avais aucune raison de l’éprouver. Malheureusement, force est de constater que, d’une part, l’être humain est fondamentalement raciste, se sent autorisé à s’exprimer et est rétif aux différences, d’autre part, il y a le poids des banlieues et celui de l’exportation du conflit israélo-palestinien. Alors, oui, on peut dire qu’il y a une résurgence de l’antisémitisme.

- La culture juive est-elle une culture que vous revendiquez ?

- Oui et non. Je la revendique surtout quand on l’attaque. Je ne suis ni croyante ni pratiquante, mais je suis attachée à ce qu’est ma culture : celle-ci est composée d’acquis divers, venus de Tunisie, d’Israël, de Cuba, de Paris… enfin, de tout ce que je vais chanter d’ailleurs et à quoi je tiens. Et je ne vois pas pourquoi on me demanderait de renier l’une ou l’autre de ces composantes.

- Vous avez donc vécu dans divers pays, abordé différentes cultures et parlé plusieurs langues. Culturellement, êtes-vous un être cosmopolite ?

- Je le pense, mais je suis aussi archi-parisienne, parisienne des V° et IV° arrondissements, ce que une foule de détails atteste. C‘est toujours compliqué d’évoquer l’identité culturelle : on s’enferme facilement dans une seule, ce dont j’ai horreur. Ainsi, je me méfie toujours lorsque l’on aborde le judaïsme ; quand on parle de « communauté juive », je ne suis guère à l’aise… Je suis profondément en désaccord avec ceux qui, à l’heure actuelle, s’expriment au nom de cette « communauté ». Je suis une addition de cultures et donc, cosmopolite. A Cuba, j’ai été touchée comme si j’y avais vécu dans une vie antérieure. En Ecosse aussi étrangement. Mais c’est toujours par ce que cela vous rappelle quelque chose qu’un pays vous émeut. Ce n’est que longtemps après que j’ai compris que ces rythmes de boléro de cha cha cha, de mambo… étaient ceux que j’écoutais dans la musique arabo -andalouse ou lorsque Enrico Macias était sur les ondes… Mais ce n’est qu’avec le temps que l’on découvre ces liens multiples.

- Agnès Jaoui, on vous connaît comme comédienne et réalisatrice, alors pourquoi le chant ?

- J’ai toujours chanté. Au conservatoire, j’ai étudié le chant classique et continue à collaborer avec un ensemble baroque, qui réunit amateurs et professionnels, lors de différents concerts. Moi, je me considère comme amateur en ce domaine : je fume, je bois et ne travaille pas beaucoup. Or, je sais la rigueur requise et je ne l’ai pas. Mais j’adore chanter : à une certaine époque, je fréquentais un  conservatoire de musique, je n’avais même plus d’activité théâtrale et j’espérais être chanteuse. J’aime la musique passionnément, mais, en France, actrice ou chanteuse, les choses sont séparées, et je ne m’autorisais à chanter que pour le plaisir. Jusqu’à ce que, mon agent actuel, Olivier Gluzman, se manifeste…

- Ainsi, vous vous exprimez d’une autre manière et abordez des sujets que théâtre et cinéma …

- Evidemment. Et, il y a la peur et le plaisir, les émotions, que procure le chant sur scène…

- C’est sensuel ?

- C’est sensuel et même, charnel. J’ai plutôt tendance à être très cérébrale, mais en ce domaine, c’est impossible. Ce n’est pas par la tête que la musique advient, mais par le cœur et par le ventre. Et seulement là. Quelque soit le succès que l’on remporte au cinéma ou au théâtre, la réaction du public d’un concert est sans commune mesure.

- Le ventre, c’est une technique que l’on enseigne dans les conservatoires…
-Bien sûr, mais je veux dire aussi par les tripes ! Je pleure au moins une fois par concert et je n’en peux mais. Il arrive que dans le public des personnes pleurent également…

- C’est dévastateur !

- Non, c’est libérateur, les larmes. Pleurer son chagrin, le pleurer avec d’autres, et le pleurer sur de belles musiques et de belles paroles, c’est consolateur !

- Vous avez choisi un titre flamboyant, « Les Passionarias »…

- En fait, le disque s’intitulera « Mon bassin méditerranéen ». C’est moins flamboyant ! L’essentiel de ce que je chante est plutôt passionné, tragique et sentimental. C’est de l’ordre du vérisme. Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles je chante en d’autres langues… Aussi ai-je besoin de désamorcer entre les chansons cette débauche de sentiments et d’instiller de l’humour. Par ailleurs, ce titre revendique mes hanches larges, qui ne sont guère à la mode, et également ma culture, riche de toutes ces cultures  et de tous ces mélanges : Israël, Liban, Tunisie, Turquie, Espagne…

- En quelles langues chanterez-vous ?

- En français, trois chansons, des textes que j’ai écrits, en espagnol, entre autres d’Argentine et de Cuba, en hébreu, que je parle un peu (j’ai passé mes étés en Israël), et en arabe, langue que je ne maîtrise pas. Je connais seulement quelques insultes, que j’ai entendues voler dans mon enfance, et les mots d’amour de mon grand-père.

Pour terminer, j’ai envie de parler d’un homme talentueux et ouvert à toutes les cultures du monde, Fernando Fiszbein, compositeur et arrangeur. Il est le directeur musical du groupe et l’auteur de la musique de mon dernier film, « Au bout du conte », en 2013. Le quintet qu’il dirige est une formation essentielle pour moi : au fil de toutes ces années, c’est ensemble que nous avons trouvé un son. Ce ne sont pas des gens qui m’accompagnent, mais des artistes à part entière.

Propos recueillis par Jacques ERWAN, le 13 avril 2015