Belaurora et Cramol

Dimanche 25 février 1996 17h
BELAURORA
Açores

Six femmes et six garçons interprètent la tradition de leur île.

CRAMOL
Portugal

Vingt-deux femmes visitent le répertoire populaire – sacré et profane – des diverses régions du Portugal.

Chanter pour le plaisir !

Depuis dix ans, Belaurora fait fructifier le patrimoine musical des Açores. Originaire de São Miguel, le groupe explore également le répertoire des huit autres îles de l’archipel.
Six femmes et autant d’hommes, les uns et les autres jeunes et « amateurs » restituent la fraîcheur de ces entraînants pezinhos, chamarritas et autres sapateias…
Les voix, belles et limpides, s’envolent sur les rythmes enlevés de ces danses açoriennes. Elles se marient aux guitares et bandolim, violon et accordéon, bombo et flûte Et surtout aux sonorités inouïes de la Viola da terra, guitare açorienne tendue de douze cordes– voire quinze sur l’île de Terceira.
D’île en île la clémence d’un anticyclone pour oublier les rigueurs de l’hiver !

Elles chantent pour le plaisir ! Vingt-deux femmes. Réunies au sein de Cramol, groupe fondé en 1979, dans le cadre de la Bibliothèque ouvrière de Oeiras, elles ont de dix-huit à cinquante ans, exercent diverses professions et visitent le répertoire populaire – sacré et profane – de diverses régions du Portugal.
Leurs voix sont pures et maîtrisées.
Habités par le chant, leurs corps en épousent la modulation. Ils ondulent. De cette esquisse de danse émane une douce sensualité. Cramol, une incursion au cœur d’un patrimoine traditionnel et préservé.

Belaurora
La musique des Açores, « un degré d’individualisation plus profond que celui de la musique de toute autre région du continent »
Les Açores, neuf îles nées de la colère des volcans et surgies des entrailles de la terre au cœur de l’Atlantique. Iles-jardins posées sur l’océan, “reconnues” par des navigateurs portugais au XVe siècle. Des pionniers arriveront ensuite du Portugal ou bien de Flandres et d’Allemagne, et puis de Castille et de France et même d’Afrique du Nord…
De cette mosaïque de peuples, la culture et la musique portent l’empreinte.
Au XVIIIe siècle, la guitare insuffle à la musique portugaise des influences italiennes, françaises, voire espagnoles qui se répandent jusqu’aux Açores.
Souvent les îles sont un écrin qui préserve la tradition. Indissociable de la musique traditionnelle portugaise, celle des Açores atteint cependant un «degré d’individualisation plus profond que celui de la musique de toute autre région du continent.»*
Terre d’émigrants et d’aventuriers – guerriers et missionnaires, pêcheurs de baleines et chercheurs d’or – depuis des siècles, les Açores ont également donné le jour à des aventuriers de l’esprit : scientifiques et philosophes, peintres et poètes. Musiciens aussi, inspirés sans doute par les murmures de la mer, les soupirs du vent, les grondements de la terre, les chants d’une nature relativement préservée.

Six femmes et autant d’hommes jeunes, fraîcheur et nostalgie
Depuis 1985, Belaurora** collecte, étudie et diffuse la musique traditionnelle de l’archipel. Originaire de São Miguel, le groupe explore également le répertoire des huit autres îles. Six femmes et autant d’hommes, jeunes, restituent la fraîcheur et la nostalgie qui nimbent ces pezinhos, chamarritas et autres sapateias harmonisés par Carlos Sousa, l’âme du groupe.
Belles et limpides, les voix s’envolent sur les rythmes enlevés de ces danses. Elles se marient aux sonorités des guitares et bandolim, violon et accordéon, bombo et flûte. À celles inouïes de la viola da terra. Cette guitare açorienne, tendue de douze cordes, compagne indispensable des heures de loisir, a joué, au cours des siècles, un rôle social et culturel important. Un instrument qui, d’île en île, accompagne ces pérégrinations sous la clémence de l’anticyclone pour oublier les rigueurs de l’hiver.

Cramol
22 femmes qui chantent pour le plaisir

Elles chantent pour le plaisir ! Elles ont enregistré avec José Afonso, et partagé la scène avec Urban Sax. Elles ont chanté avec les uns et avec les autres, pour les uns et pour les autres…
Elles, qui sont-elles ? Vingt-deux femmes : elles sont citadines, ont entre dix-huit et cinquante ans, exercent des professions diverses et se retrouvent chaque semaine, pour chanter, au sein de Cramol, fondé en 1979. Elles visitent ainsi le répertoire traditionnel profane et sacré des différentes régions du Portugal, recueilli par divers ethnomusicologues.

Un Portugal de femmes passionnées, laborieuses, pieuses et gaies
On décèle dans certaines polyphonies inscrites au répertoire du groupe, explique l’un de ses membres, des affinités avec des formes médiévales, “organum”, ou “faux-bourdon”. Cramol, le nom de l’ensemble, en dérive : c’est une altération du mot clamor (clameur, plainte) associé à la narration de la Passion au cours des cérémonies de la semaine sainte. Déjà altéré, le mot désignera plus tard les chants qui accompagnent les processions, les fêtes qui succèdent aux pèlerinages et même, les chants de travail.
Les femmes de Cramol recréent, hors de leur contexte initial, des polyphonies traditionnelles dont les thèmes s’inspirent de l’existence humaine : amour, maternité, travail, religion… Leurs voix se réjouissent ou se lamentent et célèbrent un Portugal de femmes passionnées, laborieuses, pieuses et gaies.

Chanter est une autre manière de vivre
Dans son interprétation, Cramol cherche à retrouver le timbre vocal propre à chaque région. «Ce timbre, parfois étrange et strident, écrit l’une des femmes du groupe, prend différentes formes selon les régions du pays, la situation que la chanson évoque, ce qu’elle raconte ou qui lui prête la voix. C’est une recherche très intime pour chacune de ces femmes…» Chanter est une autre manière de vivre.
Au-delà de la rigueur technique, le pouvoir magique des voix se nourrit du plaisir physique de chanter. Habités par le chant, les corps en épousent la modulation. Ils ondulent. De cette esquisse de danse sourd une douce sensualité. Les voix suscitent une forte intensité émotionnelle.
Cramol succède sur la scène du Théâtre de la Ville à Amaliá Rodriguès, José Afonso, Trovante et Madredeus. Comme l’écrit le magazine portugais Blitz : «Bulgares, attention ! Voici le mystère des voix portugaises !»

Jacques Erwan

* “Musica tradicional açoriana”, J.M. Bettencourt Da Câmara, Biblioteca Breve, Instituto de Cultura e lingua Portuguesa.

** D’après le nom d’une mélodie typique des Açores : Bela Aurora.