Saucejas

Samedi 27 avril, 17 heures
Théâtre des Abbesses
SAUCEJAS
Lettonie

Voix boréales, sur les ailes de la mémoire
C’était un autre temps ; celui d’un monde rural, aujourd’hui révolu : un monde de forêts et de champs, d’arbres et de buissons, une terre où coule une rivière, la Daugava. Les femmes s’habillent de blanc, corsage et tablier immaculés, les hommes sont vêtus de couleurs sombres. Le soir, elles fredonnent des berceuses, ils chantent le départ du soldat. Les garçons courtisent les filles. Ici, un berger convoque son troupeau et rassemble ses vaches ; là, un cheval tire une charrue, là-bas, un canasson traîne le corbillard … L’automne venu, la pluie gifle le paysage. L’hiver, la neige ensevelit la terre ; un cheval emporte le traîneau. Au printemps, le soleil dissout ce linceul et, la nature s’éveille, le rossignol s’égosille et, jaune, blanche ou rose, les fleurs éclatent et colorent la campagne. L’été, la lumière irradie et se tissent les amours. Ainsi, les saisons déroulent-elles leur cycle. Elles inspirent les chants, oubliés et restitués, qui, comme les photographies de l’époque, font revivre cet univers bucolique disparu.
La transmission orale s’est interrompue et la tradition s’est éteinte. C’est un patrimoine musical hérité des jours anciens que ressuscite l’ensemble Saucejas de l’Académie lettone de culture, fondé en 2003. Pour mettre au jour les trésors enfouis qui le composent et en restituer la splendeur, les femmes de l’ensemble ont plongé au cœur des archives sonores et audiovisuelles. Quand ne subsistaient que des traces écrites, elles ont entrepris de reconstruire la tradition en sollicitant les mémoires encore vives… Pour retrouver le son inouï de ces polyphonies, les femmes de l’ensemble se sont transportées sur les lieux, au cœur de l’environnement naturel de ces chants. Fonctionnels, ils jalonnent le cycle des saisons et accompagnent la vie quotidienne : éclosion du printemps, célébration de l’été, avènement de Noël et travaux collectifs, appel du berger à son troupeau, labeur du meunier, départ du soldat et encore, endormissement de l’enfant, mariage et funérailles… Au-delà du divertissement, ils scandent les jours et les nuits, les heurs et malheurs d’une population alors majoritairement rurale.
Deux disques édités, l’un en 2007, l’autre en 2012, témoignent de ce répertoire retrouvé. Le dernier opus, richement documenté, emprunte ses sources à deux collectages effectués respectivement, en 1891, par Andrejs Jurjans et, en 1923, par Emilis Melngailis dans les régions de Selpils et Varnava.
Sur scène, les sept femmes de Saucejas incarnent les traditions héritées des diverses régions de Lettonie. Elles profèrent à pleine voix ces chants de plein air expressifs et sonores : ceux que chantaient en chœur les jeunes-filles pour célébrer les beautés de la nature lors de l’arrivée du printemps (rotasana) ou le déclin de l’été. Ensemble, elles reprennent ceux qui stimulaient l’effort à l’occasion des travaux collectifs (talkas). En solo, retentit l’appel du berger à son troupeau (gavilesana), émaillé de cris divers. Un vaste répertoire de chants oubliés, dont certains, archaïques, manigancent d’étonnantes polyphonies à bourdon. Le chant traditionnel, disait le poète et musicien argentin Atahualpa Yupanqui, « les spécialistes doivent le prendre du peuple comme un poncho prêté. Une fois nettoyé, trié, teint ses couleurs délavées, il faut le rendre au peuple à travers un travail authentique de diffusion ». C’est à une telle besogne que se consacre Saucejas. Puissantes et belles, les voix dévoilent ce patrimoine boréal méconnu : une curiosité à découvrir !

Jacques Erwan