HIROSHIMA, été 1988

D’emblée, Hiroshima surprend : c’est une belle ville, moderne et fleurie. A première vue, rien ne rappelle la catastrophe. Insouciant, on se promène sous le soleil ; on jouit du présent et, on oublie le passé. Mais, bientôt, « le dôme » s’impose ; seul monument laissé en l’état après la tragédie, il ravive la mémoire. La visite du musée de la ville achève la besogne. On y découvre avec stupeur la raison qui a présidé au choix de la date fatidique : le jour du bombardement, comme l’attestent des photographies de l’époque, des milliers de jeunes Nippons étaient réunis dans cette ville à l’instigation d’une organisation de jeunesse. Aucun n’a survécu. L’avenir assassiné! Au terme de la visite, pire encore, la sidération : sur les vestiges d’un trottoir, est imprimée à jamais l’ombre d’un corps humain surpris par la bombe. Indélébile dans la pierre, elle le demeurera dans la mémoire.

Les amis japonais qui m’accueillent ne maîtrisent ni l’anglais ni le français. Ils ont fait appel à une jeune Nippone anglophone pour m’accompagner. Toshiko offre le physique gracile d’une jeune-fille d’une vingtaine d’années et un visage avenant, encadré par une chevelure jais qui tombe jusqu’aux épaules. Le soir de la dernière journée, je la convie à boire un verre dans un bar de son choix. Assis au comptoir, nous bavardons. La conversation joue à saute-sujets, effleurant l’un, passant à un autre et tissant ainsi des motifs enchevêtrés comme ceux d’une broderie. Le temps passe aimablement ; un silence s’instaure. Elle me regarde et dit :

- « Je suis fiancée »

Redoutant qu’elle se défende ainsi d’un innocent jeu de séduction, je me réjouis de cette nouvelle. Son visage s’assombrit. Le silence s’invite à nouveau. Surpris et perplexe, je me tais. C’est elle qui rompt ce silence. En notre langue commune, elle dit :

- « Je suis une fille d’Hiroshima.

- « Oui.

- « La famille de mon fiancé enquête sur ma santé ; elle veut savoir si je recèle des séquelles de la bombe. »

Comment répondre ? Les mots se dérobent. « Bombe, enquête… » Des décennies après la tragédie… Je ris et, convaincu, j’affirme :

- « L’amour triomphera  de tous les obstacles ! »

Elle ne dit mot. Seule une larme brille sur sa joue gauche. Hiroshima, son amour !