BRESIL 1991
OTRA VEZ !
(ENCORE UNE FOIS !)

La "Figa" protège du mauvais oeil et porte bonheur.

La « Figa » protège du mauvais oeil et porte bonheur.

GENERALITES- La République fédérale du Brésil s’étend sur 8 514 870 km² (France : 552 000 km²), soit la moitié du territoire de l’Amérique du Sud.

- Indépendante depuis 1822 (du Portugal), elle comprend 26 Etats et un district fédéral.

- La langue officielle est le Portugais. La devise du pays, Ordem e progresso, ordre et progrès, est inspirée de la théorie du Positivisme du philosophe français Auguste Comte (1798-1857).

- Sa population compte 206 millions d’habitants, à savoir 47,7% de « blancs » descendants de Portugais, d’Italiens, d’Allemands ou d’Espagnols, 43,1% de métis, 7,6% de « noirs » et environ 2% d’Asiatiques et d’Amérindiens.

- Monnaie : le real.

- Le pays est riche en ressources naturelles.

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Rio de Janeiro, le 9 mai 1991

C’est une « mission » de Radio France qui me conduit une nouvelle fois au Brésil, l’un de mes pays de prédilection … Surclassé en « classe affaires » lors de l’embarquement, j’arrive frais et reposé à Rio de Janeiro, au terme de plus de onze heures de vol. A l’aéroport, j’emprunte un taxi de la coopérative Transcoopass dont le tarif forfaitaire est de 22 dollars, payables en cette devise, qui est devenue l’une des monnaies locales. Malgré un défaut de diction assez prononcé, le chauffeur est causant. Tandis que nous traversons la populaire Zona norte (quartier nord), il me prévient qu’il est plus prudent, à Copacabana, ma destination finale, de porter sa montre en sautoir, sous la chemise, plutôt qu’au poignet. C’est la première fois que l’on me met ainsi en garde. L’avenida Brasil (avenue Brésil), bordée de ces immeubles que toutes les banlieues du monde recèlent, est assez encombrée à cette heure, mais n’est pas saturée par de véritables embouteillages. C’est ensuite le défilé de ces quartiers dotés d’un nom magique : Gloria, et sa petite église, photographiée voici plus de vingt ans, Flamengo, Botafogo, Copacabana… J’éprouve toujours cette même émotion lorsque le taxi arrive sur le front de mer : pourquoi ? Beauté du site ? Souvenirs d’une jeunesse enfuie ? Les deux, sans doute, y conspirent…

A gauche, Le Méridien, à droite l’hôtel Ouro Verde (Or Vert) qui m’accueille en son architecture audacieuse et confortable. Les tenanciers sont belges et la cuisine du restaurant jouit de la réputation d’être savoureuse. Je refuse la vue sur mer, et le risque de bruit provoqué par la circulation, et m’installe dans une vaste chambre. Ses fenêtres ouvrent sur les arrières de l’immeuble : forêt d’antennes et, au loin, le Corcovado, planté de son Christ Rédempteur, qui joue à cache-cache avec les nuages. Après le froid et la tempête qui, me dit-on, m’ont précédés, le temps est relativement clément. Les éboueurs ont repris le travail ; le ministre de l’Economie, lui, ne reprend pas le travail, il démissionne…

En fin d’après-midi, je somnole, allongé sur le lit, tandis qu’à la télévision, se succèdent telenovelas (feuilletons) débiles et publicités envahissantes… J’attends le telejornal dont les informations répétitives, entrecoupées de spots publicitaires, lassent le téléspectateur étranger. Aujourd’hui, à la une, le départ du gouvernement du ministre de l’Economie, Zelia Cardoso de Mello, et l’arrivée de son successeur, un diplomate de carrière, Marcilio Marques Moreira. Ainsi font, font, font les petites marionnettes en ce pays, gâté par la corruption, qui, pourtant, devrait être un pays de cocagne… Les informations présentées sont brèves et peu illustrées. Après un savoureux dîner, guère onéreux, au restaurant de l’hôtel, je succombe au sommeil du juste.
Rio, le 10 mai

Le décalage horaire fomente un réveil matinal. Le temps est clément. La température de 26 degrés justifie une courte promenade au bord de la mer en longeant la plage de Copacabana, au-delà du Copacabana Palace, et en revenant en direction du Méridien. A cette heure, peu d’adeptes fréquentent la plage. Les vagues violentes se brisent sur l’estran en un poudroiement d’écume. C’est beau, mais peu engageant, sauf pour les surfeurs.

J’emprunte une des rues commerçantes située derrière Le Méridien et achète le quotidien O Globo et deux cahiers de notes. Le reste de la matinée est consacrée aux nombreux contacts nécessaires à la réussite de ma mission. Suit le déjeuner et une conversation téléphonique avec la chanteuse Joyce, puis avec Gilda Mattoso, qui fut la dernière épouse du diplomate, poète et chanteur Vinicius de Moraes. Celle-ci m’annonce,  entre autres choses, une conférence de Presse, à 16 heures, ce jour, pour présenter « O Rio Show festival », un festival de musique populaire brésilienne (MPB), qui se déroulera du 24 mai au 2 juin. Manifestation organisée sans doute en réaction au «  Rock in Rio », qui a vécu, il y a peu sa deuxième édition.

Un taxi est appelé. C’est la mauvaise heure, celle des embouteillages qui, ici et là, coagulent la circulation. A I6 heures 30, j’arrive devant les grilles du Palacio da Cidade (le palais de la ville), la mairie, gardé par une brochette de soldats débonnaires. Ce palais est la résidence du prefeito, le maire de Rio. Il fut jadis celle de l’ambassadeur d’Angleterre. Une vaste pelouse « à l’anglaise », entourée d’arbres, entre autres  de hauts palmiers royaux, s’étend jusqu’à une imposante demeure de style géorgien : escaliers majestueux, colonnades, galerie…

J’ai une demie heure de retard, donc environ une heure d’avance en ce pays où le mot ponctualité n’appartient pas au vocabulaire : on s’affaire encore, sans trop d’empressement toutefois, pour accrocher et éclairer les images de la structure du lieu qui accueillera ce festival, le Riocentro ! Peu d’invités sont « déjà » arrivés et Gilda Mattoso est encore disponible. Elle me remet un dossier de Presse et me présente Dorival Caymmi, musicien de légende et délicieux vieillard (77ans), dont le visage ressemble quelque peu à celui de l’écrivain «  national » Jorge Amado. Cheveux blancs et fine moustache, cet homme effacé et timide semble égaré dans l’immensité de ce palais officiel… Arrive Tom Jobim, autre musicien de légende, cheveux mi- longs, furetant du regard et l’air un peu gêné lui aussi d’être là parmi tous ces gens…

Et moi, le crois rêver en me retrouvant, dès le lendemain de mon arrivée, en présence de l’un des inventeurs de la bossa nova. L’amour a tissé des liens entre les familles Caymmi et Jobim, et les deux hommes se connaissent bien et s’estiment. Et tandis qu’ils se saluent, photographes et télévisions se gavent d’images.

QUELQUES REPERESCAYMMI :

1964 : le disque « Caymmi visita Tom ». (Dorival Caymmi visite Tom Jobim).

- chansons « praieiras », (de plages ; relatives à la mer) :

« O mar », « Promessa de pescador », « Noite de temporal », « A jangada voltou so ».

- le précurseur de la modernité :

« Marina », « Nem eu », « Donalice ».

- l’homme qui a mis Salvador (Bahia) sur la carte de la MPB :

(Le nom exact de la ville est «  Sao Salvador da bahia de todos os santos », soit Saint Sauveur de la baie de tous les saints ; les Brésiliens ont retenu Salvador, les Français Bahia)

« O que é que a baiana tem », « Saudades da Bahia », « 365 igrejas », «  Sao Salvador ».

JOBIM :

- le père de la bossa nova :

« Desafinado », « Samba de uma nota so », « Garota de Ipanema », « Insensatez », « Corcovado ».

- l’écologiste pionnier :

« Aguas de março », « Passarim », « Borzeguim », « Matita Perê ».

- l’éternel chantre des muses :

Ligia, Luisa, Ana Luisa, Bebel.

Deux maîtres et inventeurs d’écoles distinctes et complémentaires. Caymmi est lancé en 1939 par la voix de Carmen Miranda. Il fait œuvre de concision poétique. Il atteint son ambition de composer une musique simple, qui se rapproche du chant populaire anonyme. Comme des « polaroids » qui fleurent l’odeur de la terre, sa terre : « A lenda do Abaeté », « Coqueiro de Itapoa », « Vatapa »…

Qui attend-t-on ? On ne sait… Précoce sous ces latitudes, la nuit a déjà enveloppé la ville quand, enfin, dans l’une des vastes pièces, autour d’une longue table, s’installe le maire, flanqué, à sa gauche de Dorival, et à sa droite de Tom. Les autres, artistes, organisateurs ou officiels, là où ils pourront ! On ne s’embarrasse pas de protocole ! En face, assis et debout, les journalistes. On écoute poliment les propos convenus du maire et des artistes. Sont également présents le leader de Barao Vermelho, Flavio Venturini, Veronica Sabino, la femme de Tom Jobim, la belle-fille de Caymmi, un comédien désopilant qui, paraît-il, n’était pas invité ! Tous sont unanimes : ils espèrent que le festival connaîtra le succès et la pérennité. Pour la plus grande gloire de la MPB et celle de Rio. Dorival Caymmi osera : « Rio mérite que l’on se sacrifie pour elle ».

Les journalistes poseront quelques questions à Tom et Dorival, généralement avares de leurs apparitions comme de leurs propos… Tout cela est un peu long, mais bon enfant et convivial. Pourtant, me dit-on, Tom Jobim trouve les lieux quelque peu solennels et écrasants. A l’issue de la conférence de Presse, avant le cocktail, je m’empresse de le saluer. Je lui rappelle le souvenir de ces heures passées, voici quelques années, à Juan les Pins, en sa compagnie, celle de « Antoine Charles Jobin », ainsi qu’il se présentait en France ! Il me regarde, sourit et dit en anglais : « je vous regardais et votre visage me semblait familier ». Puis, entraîné par son épouse, il s’échappe, enfin délivré…

La belle-fille de Dorival est belle comme le jour ; elle s’entretient avec moi du Théâtre de la Ville de Paris… A ses côtés, aimable interprète pour la circonstance, Deborah Cohen, avec laquelle, sans l’avoir jamais rencontrée, je me suis entretenu au téléphone. Jeune-femme de confession juive de Salt Lake City (Etats-Unis), la ville des Mormons, elle a vécu en France avant de s’installer au Brésil. Elle y travaille pour la compagnie discographique WEA, parle français comme une Française et portugais comme une Carioca (habitante de Rio).

Vers 19 heures, je tente en vain de héler un taxi. L’un des militaires en faction à l’entrée du Palais, sollicité, aimablement en arrête un à mon intention ! Le taxi pétarade jusqu’à l’hôtel. Dans ma chambre, j’avale un sandwich et un yaourt en regardant le journal télévisé, l’émission Meu bem, meu mal et Reporter. Aux alentours de 23 heures, avant la fin  de l’émission, je sombre…
Rio, le 11 mai

Il est 8 heures et le sommet du Corcovado baigne dans l’azur. Vers midi, je quitte ma chambre pour une longue promenade. J’ai revêtu ma « tenue de combat » : jeans, chemise légère, chaussures convenables (il faut parfois courir vite !), rien au poignet, rien dans les mains… Et, comme dit mon amie franco-brésilienne Anne Duquesnois, doté d’ « antennes » pour débusquer les importuns avant qu’ils ne se manifestent.

C’est samedi et les plages sont déjà envahies, mais un samedi d’hiver en cette partie du monde ; l’été, c’est pire ! A cette heure, cependant, la température s’élève déjà à 28 degrés à l’ombre ! Les jours qui ont précédé mon arrivée ont, dit-on, été froids et pluvieux. Mais j’arrive et tout s’arrange : il fait beau, les éboueurs cessent leur grève et reprennent le travail et Zelia Cardoso de Mello, ministre de l’Economie, démissionne !

Sur les trottoirs, ornés des célèbres mosaïques noires et blanches, qui serpentent le long du littoral, déambule une faune cosmopolite : Brésiliens de tous âges et de toutes conditions, toutes races confondues, étranges étrangers affublés de coiffures excentriques, Américains chenus et, fait nouveau, cyclistes envahissants, qui dribblent dangereusement pour éviter les piétons ou… le vélo qui surgit en face ! C’est le jeu de la mort et du hasard ! Il me semble que cette promenade du bord de mer est plus propre que lors de mon dernier séjour, et j’ai l’impression que moins d’adolescents démunis la hantent. Je m’étonne, par ailleurs, de ne pas être harcelé par les quémandeurs et vendeurs à la sauvette.

Je longe donc la mer, ourlée d’une frange de rouleaux qui éclatent violemment, en direction d’Arpoador. Au fil de mes pas, apparaissent en majesté et dans leur imposante splendeur, les montagnes aux formes diverses qui forment la baie de Guanabara. Comme dans un film dont le ralenti serait exagéré, elles se dévoilent au fil de mes pas sur fond de ciel bleu. Je suis subjugué ! C’est arrivé au terme du quartier de Copacabana, à la hauteur de la Colonia dos pescadores (colonie des pêcheurs) et de sa flottille de modestes embarcations en bois, que la vue est la plus belle : la baie est littéralement fermée par  la chaîne de montagnes.

Au pied du Rio Palace Hotel, à l’ombre d’un bouquet d’arbres, les pêcheurs s’affairent autour de leurs filets. Sur la crête des vagues menaçantes, les jeunes surfeurs à la peau hâlée planent sur leur esquif. Des adolescents jouent au foot -ball ou au volley sur le sable. Des légions d’éphèbes à demi nus vont et viennent avec nonchalance. Les vendeurs à la sauvette proposent glaces et rafraîchissements. Et, je songe à ce géant noir qui, autrefois, arpentait chaque jour des kilomètres de plage, la tête chargée d’un lourd panier d’ananas, et s’époumonait en criant le mot magique : « abacaxi, abacaxi, abacaxi », ananas, ananas, ananas, qu’il tranchait pour le chaland avec son coutelas… C’était il y a plus de vingt ans ! La mosaïque des trottoirs n’avait pas encore subi l’outrage des ans. Elle porte aujourd’hui, comme autant de rides sur un visage, les cicatrices infligées par le temps.

Je laisse le fort de Copacabana à main gauche et poursuis vers Arpoador, jolie plage au sable blond,  nichée au creux des rochers. Comme une parenthèse entre la longue bande de sable de Copacabana, et celles, ensuite, d’Ipanema et Leblon. Et tout au bout, là-bas, surgissant dans un halo d’humidité,  Pedra da Gavea (la Pierre de Gavea), couchée comme un gigantesque dolmen, se dresse derrière Dois Irmaos (les deux frères), deux hautes montagnes, comme deux seins pointés vers l’azur. Saisi par la beauté su site, je m’attarde, puis je rentre à l’hôtel pour y déjeuner face à la mer.

La sieste est bienvenue. La lecture des journaux me familiarise avec la pratique de la langue. Regarder la télévision également ; cependant, les programmes « populaires », feuilletons  et journaux télévisés en faveur du président Collor, m’ennuient.

Vers 22heures, Janine, une relation française établie au Brésil, et l’une de ses amies me persuadent de les accompagner au Mistura-up, à Ipanema, écouter une jeune comédienne de Salvador (Bahia) qui, outre jouer la comédie, chante. Nous sommes à deux pas du Caesar Palace où réside actuellement… l’ancien dictateur chilien, Pinochet!

Le Mistura-up est un café, situé à l’étage d’un immeuble ; d’où son nom ! Il dispose d’un joli coin bar, de petites tables et d’une estrade. Hélas ! L’air conditionné sévit et l’on gèle. Heureusement, la caipirinha (alcool de canne, citron vert, sucre et glace) compense le manque de calories !

Le récital commence une heure plus tard que l’horaire annoncé ! Pendant ce temps, les clients consomment… Enfin, Daoude paraît, escortée d’un batteur, d’un clavier, d’un saxophone, d’un bassiste et d’un guitariste doué. Tout ce petit monde se serre sur l’estrade tandis que les serveurs poursuivent leur noria, qu’ils n’interrompront à aucun moment pendant le récital.  Petite, fine et fragile, Daoude est mulâtre ; c’est une belle femme. Elle chante avec une douce énergie. Comédienne, elle connaît la scène, sait y évoluer et y dessiner ses mouvements. Elle maitrise les jeux du micro et ceux de la voix, voix dont le timbre est plaisant. Son répertoire semble quelque peu hétéroclite : Caetano Veloso, Bob Dylan ou bien encore, une chanson brésilienne ancienne relative à la cocaïne… L’interprétation de « 500 miles » de Dylan en reggae est surprenante. C’est probablement quand elle recourt à ce style qu’elle excelle. L’assiette de manioc frit est vide ; il est deux heures : nous quittons les lieux.

L’amie de Janine, qui a vécu à Paris, est professeur de musique et guitariste. Elle enseigne la musique à des étudiants en théâtre, au lycée Molière et dans une école privée de Santa Teresa, école où étudie Moreno Veloso, le fils de Caetano, âgé de 17 ans. Elle évoque le spectacle de Milton Nascimento, à Botafogo, partagé avec des Indiens, et la participation d’un Caetano Veloso très ému. Tom Jobim, lui, a donné un concert nocturne à Arpoador, usant de la mer et des surfeurs comme toile de fond ! Le paysage comme décor ; l’imaginaire brésilien est fécond !
Rio, le 12 mai

C’est dimanche, et, aujourd’hui encore, le ciel est d’azur. Vers midi-trente, je m’évade.

C’est dimanche ! La section de l’avenida Atlantica qui borde le littoral est fermée à la circulation. Elle est livrée aux promeneurs en tous genres : foule de joggeurs de tous âges, cohortes de vélocipédistes, broyeurs de canne à sucre, marchands  à la sauvette… Ici, un imposant mulâtre promène son chien, ces quadrupèdes, sans doute «  tendance », sont plus nombreux que par le passé ; là, à proximité de la boutique d’un marchand de noix de coco, quatre jeunes improvisent une samba (en portugais, le mot samba est masculin, o samba). Sur l’asphalte brulant de l’avenue, une femme noire étend son linge, des vêtements d’enfants…

C’est dimanche ! Tout au long de la chaussée, à l’ombre des palmiers ou en plein soleil, gambadent des ribambelles d’enfants, batifolent des nuées d’adolescents, paradent des myriades de filles dénudées…Assis sur un banc, des vieillards nostalgiques contemplent la mer.

C’est dimanche ! La pollution est atténuée et l’on respire à pleins poumons : quel plaisir ! La température s’élève à 30 degrés, et en sa zone ombragée, la plage est noire de monde.

C’est dimanche ! Je poursuis jusqu’au parc, j’escalade l’allée qui domine la plage d’Arpoador, et une fois encore, émerveillé, je contemple la mer et les montagnes grandioses, Pedra da Gavea et Dois Irmaos… Le paysage comme représentation de la beauté !

Sous un soleil de plomb, je rebrousse chemin jusqu’à l’hôtel et déjeune dans un restaurant comble en ce jour de fête des mères. Farniente, feuilletons et journal télévisé, collation dans la chambre et, à minuit, je cède au sommeil.

Rio, lundi 13 mai

Il est tôt et le soleil brille. Le petit-déjeuner, savouré face à la mer et aux palmiers, c’est un privilège !

Vers 10 heures 15, un taxi file en direction de Barra da Tijuca, un quartier situé à l’ouest de la ville ; Le chauffeur, Luiz, est d’origine portugaise, natif de… Bordeaux ! Etabli au Brésil depuis 38 ans, sans aucune visite en France depuis lors, il parle français sans le moindre accent. Marié à une brésilienne, il est père de deux enfants et grand-père d’une petite fille qu’il adore. Le Brésil est une terre d’immigration.

Le personnage, sympathique, cède à la nostalgie pour évoquer ses chanteurs favoris, de Tino Rossi  à Gilbert Bécaud. Il travaille avec des clients français ou suisses attitrés, recommande de visiter la boutique tenue par des amis parisiens à Copacabana et incite à arrondir le prix de la course, de 2180 cruzeiros à 2500… Privilège ?

Nous passons au pied de la Rocinha, la plus vaste favela (bidonville) de Rio, et à proximité, devant les greens impeccables du golf… Deux mondes, misère et richesse, se côtoient et parfois, s’affrontent.

Passée la grille du 918 avenida Erico Verissimo, on a l’impression de pénétrer en un lieu de villégiature : quelques bâtiments discrets se devinent à l’ombre des frondaisons luxuriantes d’arbres tropicaux.  Comment éprouver l’envie de travailler en un lieu pareil ? Et pourtant…

Gerald Seligman, new-yorkais, homme de radio et amateur de musique ethnique, dirige le catalogue brésilien de la compagnie discographique Polygram. A cette question, il répond qu’en effet, il  s’estime privilégié quand, chaque matin, il va du Jardim Botanico (Jardin botanique), où il demeure, à Barra da Tijuca, où il travaille. Privilège aussi d’œuvrer en un domaine qui le passionne et de passer la matinée avec l’illustre Joao Gilberto, et l’après-midi avec la célèbre chanteuse Elba Ramalho…

Il m’écoute attentivement me présenter et faire état des trois fonctions que j’exerce à Paris. Il m’offre, ensuite,  d’entendre quelques extraits de l’album de la chanteuse Selma Reis : aucun doute, cette jeune-femme est dotée d’une belle voix.

Par ailleurs, Gerald me confirme que Caetano Veloso, l’un de mes chanteurs brésiliens favoris, enregistre toujours chez Polygram. Il me sera donc accessible ; c’est une bonne nouvelle !

Fort bien organisé et méthodique, Gerald Seligman a tout prévu : console, disquettes, biographies en anglais, bloc-notes et une pile de disques choisis à mon intention. Un Américain doté de qualités professionnelles, on le sait, c’est l’usage ! Gerald évoque, par ailleurs, la possibilité d’enregistrer une session de pagode (« unformal jam session in the suburbs of Rio », dit-il) dans l’un des faubourgs de la ville, une fin de semaine… Il signale l’existence du groupe Fundo de Quintal, explique que, parfois, ce que l’on appelle funk au Brésil, est en fait du rap brésilien, M.C. Batata, par exemple. C’est en fait un mélange de rap et de MPB. Il confirme que la musique sertaneja (du sertao, région semi-aride au nord -est du pays) est à la mode : ce sont les disques de ce style de musique qui se vendent le mieux actuellement. Aujourd’hui, la MPB passe pour démodée ; le rock se vend davantage et la musique sertaneja plus encore. Au Brésil, le CD représente 10% du marché ; le reste concerne le disque vinyle (c’est une originalité) et, enfin, la cassette. Chitaozinho et Xororo vend 1 200 000 disques, Caetano Veloso, 100 000 en moyenne, Joao Gilberto, 60 000 en un mois (dont 27 000 CD).

 A l’issue de la rencontre, il me présente un jeune journaliste allemand, Christoph Becker, qui séjourne au Brésil pendant trois mois. Sympathique, curieux et passionné, il sera un agréable compagnon.

Nous effectuons une rapide visite des studios de la Polygram. Lors de mon précédent séjour à Rio, voici quelques années, Nara Leao, « la muse de la bossa nova », disparue depuis, y enregistrait. Aujourd’hui, c’est un protégé de Caetano Veloso, Periclès, qui y mixe son album, joyeux mélange de reggae, de salsa et de bossa nova qui sonne agréablement. Ici, s’invente la musique de demain. Le musicien, originaire de Salvador (Bahia), élevé à Sao Paulo et résidant maintenant à Rio, est lui-même un cocktail !

Brève rencontre, ensuite, avec le directeur artistique brésilien de la maison, un homme chaleureux et sympathique, à l’instar de la plupart de ses compatriotes…

On déjeune en compagnie de Gerald, au bord de la mer, dans un restaurant italien du quartier de la Barra : le pain est savoureux, comme la sole grillée ! Au cours du déjeuner, notre ami nous rappelle que Caetano Veloso a enregistré tous ses disques, depuis 1967, chez Polygram, compagnie à laquelle il est resté fidèle. Sans doute les ventes de ses disques ont-elles diminué, mais sa présence au sein du catalogue compte beaucoup pour le prestige et pour l’image de marque de la maison. De la direction, il obtient ce qu’il veut.

De retour au siège de Polygram, un radio- taxi conduit en direction de l’une des compagnies concurrentes, EMI Odéon, rua Mena Barreto 151, à Botafogo. Il file à travers Leblon, Ipanema, Copacabana et les nombreux tunnels creusés sur cet itinéraire. La circulation est relativement fluide, malgré quelques embouteillages à l’approche de Botafogo. Le vacarme déroute l’oreille européenne… Arrivé avec quelque avance, je suis reçu par Cristina Krauss qui m’offre le traditionnel cafezinho, ce « petit café » qui, dans ce pays, prélude à toute rencontre. Celle-ci ne présente que peu d’intérêt, mais j’obtiens documents discographiques et écrits dont j’ai besoin, et c’est l’essentiel. Une heure et demie plus tard, me voilà prêt à quitter les lieux. Je fais mander un radio-taxi qui arrive… une heure plus tard et embarque deux autres personnes et des colis ! Je suis furieux et m’énerve, ce qui au Brésil demeure incompréhensible au plus grand nombre… A cette heure (17h30-18 h), les embarras de la circulation sont denses, tous les taxis sont occupés, et les rares qui ne le sont pas, pour des raisons mystérieuses, ne s’arrêtent guère. On se croirait à Paris ! Absurde, la situation est sans issue ! Au terme d’une heure et demie d’attente, un taxi jaune, taxi ordinaire, s’arrête et prend la direction de Copacabana : le chauffeur se signe, accélère et dribble dangereusement pour se faufiler entre des véhicule qui font de même ! Coups de freins et accélérations alternent au point de susciter la nausée ! A ma grande surprise, j’arrive vivant à destination. Mais pour mille cruzeiros cependant : une fortune ! Ce chiffre est annoncé avec assurance par un chauffeur lisant un compteur éteint ! Escroc ! Mais dans une ville où les pauvres sont légions, l’étranger est une manne…

A 20 heures 30, la chanteuse Joyce et son agent me rejoignent pour dîner au restaurant de l’hôtel, dont la réputation est établie. C’est un repas aux chandelles et les fenêtres, à travers les palmiers, s’ouvrent sur la mer… Séquence d’un film d’avant-guerre, les beaux yeux bleus de Joyce me regardent… Et m’intimident ! Nous devisons aimablement, et je l’interroge au sujet de l’évolution de son répertoire : elle serait, dit-elle, incapable d’interpréter, aujourd’hui, les mêmes chansons que lors de son précédent récital au Théâtre de la Ville de Paris. Voilà qui est rassurant.

Son nouvel album, qui paraîtra aux Etats-Unis, recèle de nouvelles sambas, deux chansons, oeuvre de deux jeunes auteurs, un rap en anglais sur une musique brésilienne, qu’elle interprète accompagnée par un musicien de jazz américain…

Dans une dizaine de jours, elle entame une longue tournée au Japon et aux Etats-Unis, qui l’occupera jusqu’à fin juin. Nous évoquons ses séjours à Cuba. Je lui confirme que le Théâtre de la Ville l’invite à offrir un nouveau concert à Paris, courant novembre : « pourquoi un », dira-t-elle seulement. La Polygram France sortira-t-elle le nouvel album ? A voir…

Joyce vit avec son batteur à Copacabana, en compagnie de deux de ses enfants. La maison agrémentée d’une piscine est trop isolée pour que les enfants y demeurent pendant les tournées. Elle est désormais le refuge des fins de semaine.

Vers vingt- trois heures, après avoir tenté de partager l’addition –« je suis féministe », dit-elle- Joyce et son agent prennent congé. Pour ma part, je sors et fais quelques pas pour prendre l’air, mais encore épuisé, je me réfugie dans les bras de Morphée.
Rio, le mardi 14 mai

Lever matinal et rapide petit-déjeuner, au cours duquel résister à la tentation des fruits, censés véhiculer divers germes, est une difficile résolution. Je cède, ensuite, au rituel habituel du kiosque à journaux, au coin d’une rue, située derrière l’hôtel : à la une du quotidien O Globo, je lis le titre « A dança de Pinochet » ; et ébahi, je découvre une imposante photographie en couleurs de l’ancien dictateur chilien … dansant la lambada avec une Carioca ! C’était dimanche dernier,  sur l’île de Paqueta,  l’un des sites de la baie de Guanabara. La lambada est donc une danse macabre ? Et le Christ Rédempteur, là- haut sur son rocher, le Corcovado, qui me mate dès le matin, il va danser la lambada lui aussi ? Une ronde avec les enfants abandonnés qui peuplent les rues de Rio ? Ou bien une valse avec les membres de ces deux familles qui, faute de ressources et de logement, ont installé une minifavela (minibidonville), avenida Atlantica, en plein cœur de Copacabana, comme l’écrit le O Globo de ce jour ?

Ce journal, aujourd’hui, 14 mai 1991, annonce :

« La Banque Interaméricaine de Développement est intéressée par l’ouverture d’une ligne de crédit spéciale pour contribuer à dépolluer la baie de Guanabara. »

La première étape du projet serait la construction de trois usines d’ordures, des travaux de micro-drainage et l’assainissement de favelas et de collines proches de rivières.

« La baie de Guanabara…, poursuit le quotidien, reçoit quotidiennement 500 tonnes d’égouts domestiques et industriels in natura. »  Voilà qui n’est guère encourageant !

A dix heures trente, je retrouve Luiz, assis dans son taxi jaune, devant l’hôtel. Il m’embarque ; direction Jardim Botanico, via Botafogo et Parque Lage. C’est un quartier résidentiel : il jouit de la fraîcheur que lui prodigue quelque altitude, de l’ombre d’une abondante végétation tropicale et d’antiques figuiers- classés, dit-on, monuments historiques- du confort des demeures cossues et du charme de petites rues calmes… Un paradis pour privilégiés, blotti au pied des favelas.

Niché dans la verdure, on découvre le siège de la compagnie discographique Warner. Il est onze heures. Vingt-cinq minutes plus tard, Deborah Cohen me reçoit dans un bureau exigu dont les larges feuilles d’un figuier lèchent la fenêtre. Cette jolie maison est désormais trop modeste pour les activités de la Warner : plusieurs personnes s’entassent dans chaque pièce. La société va bientôt déménager ses bureaux à Botafogo.

C’est un excellent restaurant japonais qui accueille notre déjeuner, avant de rencontrer le successeur d’André Midani, un Français «  tropicalisé » qui a beaucoup oeuvré dans l’industrie discographique brésilienne. Un Brésilien, formé aux Etats-Unis, dirige aujourd’hui la société ! Un réel changement !

WEA BRESIL

Le catalogue international représente 92% des ventes, celui du pays (national), 8% et français… 0%.

WEA a voulu être la compagnie du rock. Aujourd’hui, elle vit une restructuration. Ainsi, Deborah Cohen a été engagée, voici quelques jours, pour développer le catalogue brésilien. De même, Paolo de Betio se charge de la musique populaire ; entre autres, de la musique sertaneja, à la mode depuis environ quatre ans, mais qui a explosé l’an dernier. Il existe à Rio une radio spécialisée dans la diffusion de cette musique, et un projet de festival qui lui serait consacrée.

WEA va prochainement éditer :

- un nouveau ao vivo (life, en bon français) de Jorge BEN-JOR (Jorge Ben),

- un album de NOUVELLE CUISINE, un groupe de jazz, qui s’apprête à enregistrer un disque de bossa nova,

- un nouveau disque d’Eddy MOTTA, le neveu de Tim MAIA,

- enfin, un KID DE ABELHA, un groupe « exportable », selon Deborah, dont elle espère vendre 100 000 copies.

Ici, le ROCK METAL connaît un succès certain : MTV (canal 9) a étrenné ses programmes en diffusant ce genre de musique. On découvre, en ville, des graffiti en faveur du groupe SEPULTURA, qui enregistre chez Eldorado. Dimanche dernier, à Sao Paulo, son show a réuni 20 000 personnes et occasionné un mort et plusieurs blessés. Sans oublier les dégâts.

Le REGGAE est descendu de Sao Luiz do Maranhao (prononcer san luiz dou maragnon) vers Salvador (Bahia), et ensuite vers Rio et Sao Paulo. Il est aujourd’hui fort à la mode. Il existe à Rio un groupe de reggae intéressant. Il est originaire de Baixada Fluminense (une région de l’Etat de Rio de Janeiro), s’appelle CIDADE NEGRA (ville noire) et enregistre chez Sony. Grâce à l’avance sur droits de sa maison de disques, le groupe a créé une fondation culturelle. Il offre un concert le vendredi 17 mai au stade de Fluminense.

Si l’on en croit Deborah, LEGIAO URBANA (prononcer légion ourbana) est le premier groupe de rock du pays ; les ventes de son dernier album (EMI) s’élèvent à  725 000 exemplaires. Au Brésil, pour obtenir un disque d’or, il faut vendre 100 000 copies d’un disque. Ce groupe précède TITAS (prononcer titanch) dont le premier album, en 1985, a atteint 50 000 exemplaires, le deuxième, un an plus tard,  350 000 et le troisième, en 1987, 250 000. Aujourd’hui la moyenne des ventes de cet ensemble s’établit à 250 000. Pour l’heure, il a enregistré six albums. Le septième devrait être publié en septembre-octobre. C’est un groupe que l’on pourrait définir comme « post-punk ». Il comprend huit musiciens, et exprime en portugais des textes qui suscitent l’intérêt.

BARAO VERMELHO (prononcer baron vermeliou), « baron rouge », fêtera ses dix ans d’existence en octobre. C’est un groupe de rock qui a atteint un niveau musical élevé et dont les textes revêtent un grand intérêt. Ses ventes se situent à 120 000 exemplaires en moyenne. Son dernier disque, encore dans les bacs, a déjà atteint les 35 000 copies.

ENGENHEIROS DO HAWAÏ (prononcer enjéniérous dou Hawaï), enregistre chez BMG : formé en 1985 à Porto Alegre (Etat du Rio Grande do Sul, Etat frontière, au sud, avec l’Argentine et l’Uruguay), son dernier album s’est vendu à environ 320 000 exemplaires.

Le chanteur Gilberto GIL vendait 200 000 disques en 1985, 75 000, en 1989. Il entre en  studio en octobre prochain.

A titre de comparaison, examinons les chiffres de vente des artistes suivants : INXS, environ 100 000 ; MADONA, 500 000 ; STING, 150 000 d’un double LP, 13 000 du dernier !

LES CONSEILS DE DEBORAH

- aller un dimanche en banlieue de Rio, de 16 à 22 heures, voir les domingueiras, le rendez-vous des rappeurs ;

- regarder, le mardi soir, à 21h30, le « funk », c’est-à-dire le rap, dans Programa legal, sur TV GLOBO ;

- écouter OLODUM (compagnie discographique Continental), illustre formation de la communauté noire de Salvador (Bahia), qui participe au carnaval de la ville en formation dite de bloco. Il se produit cette semaine au théâtre Joao Caetano, praça (place) Tiradentes, à 18h30 ;

- se rendre à Belem, ville qui accueille, le 24 mai, un grand show, auquel participe, entre autres, Barao Vermelho.

LES AVIS DE DEBORAH

- le spectacle de la chanteuse Marisa MONTE, qui a suivi une formation lyrique, est un  show théâtral.

- à Sao Paulo, existe un groupe extraordinaire d’une douzaine de jeunes issus de la rue, MOLEQUES DA RUA (gamins de la rue), une sorte de « réhabilitation ».

Il est 13 heures. Deborah propose de me conduire à Ipanema. Je l’invite à partager le déjeuner avec  Gilda Matoso et moi. Nous descendons en voiture vers la Lagoa (la lagune de la ville) et poursuivons en direction d’Ipanema… Derrière nous, une femme conduit une voiture, et ce n’est pas la fille d’Ipanema (« A garota de Ipanema »)… Elle s’énerve et klaxonne, elle a probablement une bonne demie heure de retard… Et alors ? Alors, Deborah, placide, observe avec beaucoup de justesse et de profondeur : « il n’y a qu’au volant que les Brésiliens soient pressés ! »

Déjeuner japonais au bien nommé Madame Butterfly, rua Barao da Torre, 472 : point de sushis pour cause de choléra, la nourriture est un peu trop grasse, mais le saké est excellent. Au cours du repas, Gilda évoque son travail avec Caetano Veloso, Elba Ramalho et Maria Bethania, la sœur de Caetano… Elle indique que Caetano Veloso se produira au théâtre Imperator, les 30 et 31 mai et les 1 et 2 juin… « Vers » 22 heures ! En juillet, il participera au festival de Montreux (Suisse) et effectuera une tournée en France.

RIO SHOW FESTIVAL

 Selon le quotidien O GLOBO du jour (14 mai 19981), un « évènement œcuménique » s’est déroulé hier au Rio Centro pour « nettoyer spirituellement le lieu ».

« Divers religieux liés à des sectes afro-brésiliennes (…) ont commencé le nettoyage en usant de fumée, d’eau douce et d’eau de mer, de pétales de fleurs… »

 Lutteurs de capoeiras, école de samba de la Rocinha, etc. se sont succédés lors de la cérémonie.

Je décide de rentrer à pied d’Ipanema à l’hôtel, une trotte !  D’autant qu’en cette fin d’après-midi (il est environ 16h30), le temps est lourd : l’orage menace. Le parcours longe la plage. Soudain, un petit cireur me hèle, me fait remarquer que l’une de mes chaussures est maculée et me propose ses services. Intuitivement, je refuse. Luiz, le chauffeur de taxi,  m’expliquera le lendemain le stratagème : un cireur hèle un chaland, un jeune comparse, profitant de l’instant d’inattention, jette de la graisse sur l’une des chaussures ; le cireur propose alors ses services, fait son office et lorsque le client de fortune le paye, il lui arrache l’argent des mains et s’enfuit à toutes jambes… Rusé le petit voleur ! La misère est mère de bien des maux.

Le soir, après le dîner, l’amie Janine de la compagnie de disques Kuarup vient me chercher à l’hôtel. Elle me remet un walkman, deux cassettes et l’album de la sélection effectuée par son collègue, Mario de Aratanha, de l’œuvre de Caetano Veloso pour le prix Shell. Nous rejoignons ensuite Mario dans un club, situé au sein de l’immeuble du Méridien, à deux pas. Chaque semaine, un ou plusieurs concerts s’y déroulent : la semaine prochaine, ce club accueillera Baden Powell. Ce soir l’affiche propose LENINE (prononcer lenini), un nordestin, avec la participation spéciale de Danilo Caymmi, fils de Dorival, flûte et chant. La salle est comble d’une bonne centaine de personnes assises autour de tables.

Le concert commence mal : le volume sonore est ridiculement élevé et le répertoire, semble-t-il, ne recèle aucune identité brésilienne. De plus, le musicien se prend très au sérieux : il vient d’inventer la guitare ? Il est entouré d’un clavier, d’une basse, d’une guitare, et d’une batterie sur laquelle tape un individu avec la grâce d’un Prussien éperonnant son cheval ! Les choses s’arrangent le temps d’une trop brève séquence nordestine et la guitare électrique  rugit à nouveau. Le public adore et nous, nous filons à l’anglaise avant les bis, les oreilles saturées et meurtries.

Dans la rue, un gamin implore une pièce : ses yeux, dont la misère assombrit le regard, me glacent ! Chaque regard d’enfant me renvoie une image du passé, lointaine mais indélébile : un garçonnet et sa jeune sœur, sales et en haillons,  mendiant sous le soleil dans une rue de Rio. Il ne me semble guère que «  la misère serait moins pénible au soleil », comme le chante l’un des papes de la chanson française. On ne s’habitue pas à la misère ni au désarroi des enfants. Mais que faire ?

Fin de soirée assis à la terrasse du bar de l’hôtel en compagnie de Mario qui questionne : tu ne me demandes pas pourquoi la MPB n’a pas eu de relève ? Pourquoi les canaux normaux de l’expression se sont asséchés ? Questions pertinentes, qui mériteront réflexion au terme de cette courte nuit qui commence…
Rio, le mercredi 15 mai

Ce matin, le temps est lourd et maussade. Je me plonge dans la lecture des quotidiens O Globo et Jornal do Brasil. La Presse rappelle que le salaire minimum passe aujourd’hui à 47 381 cruzeiros ;  elle annonce aussi la création d’un super jardin botanique, place de Paris, dans le quartier de Gloria, dans la perspective de Rio 92, conférence mondiale consacrée à l’environnement et au développement. Il sera le seul au monde créé au centre d’une mégalopole. Il devrait en principe suivre le tracé de la ligne de métro et s’étendra, au fil du temps, zone sud et zone nord.

Le restaurant de l’hôtel accueille une fois encore notre déjeuner ; c’est, me dit-on, un établissement apprécié par la classe politique.

A 14h30, Luiz, le chauffeur de taxi, me conduit Travessa Santa Leocadia, une petite rue pavée, escarpée, qui s’amorce rua Pompeu Loureiro, derrière l’avenida Atlantica et escalade un morro (colline). Là, se trouve la maison de Leonardo Netto, l’agent de Marisa Monte, l’étoile montante de la MPB. Elle sera en tournée en France du 27 octobre au 15 novembre prochains, escortée par quatorze personnes : huit musiciens, deux techniciens, un road manager, un  secrétaire, un éclairagiste et un producteur. Elle offrira un récital à La Cigale, à Paris. Son agent est dépité par la médiocrité de l’hôtel et la feijoada (viandes de porc, haricots  noirs, riz blanc, farine de manioc…), ce plat populaire brésilien, proposés à l’occasion de  ce concert.

Au terme de l’entretien, je prends à pied le chemin de l’hôtel ; il fait lourd.

En fin d’après-midi, le taxi file vers le théâtre Joao Caetano, praça Tiradentes, où se produit le groupe Olodum. Le concert commence à l’heure ! La vaste salle continue à se remplir tandis que les musiciens occupent la scène… De nombreux Brésiliens noirs composent le public. Peu à peu, les spectateurs se lèvent, dansent et chantent… « A jangada vai sair no mar » (la jangada -c’est un  bateau- va sortir en mer)… Beaucoup des thèmes des chansons sont inspirés par la mer. La rythmique est époustouflante, les danseurs souples et sensuels évoluent avec grâce, les chanteurs ne convainquent guère. Mais la rythmique est digne d’un métronome ! Une énergie à laquelle personne ne résiste ! Il faudrait voir les seize artistes dans la rue : six gros tambours cylindriques, deux petits tambours, deux caisses claires,  un chanteur et deux choristes, trois danseurs. A 20 heures, le spectacle s’achève. On rentre dîner à l’hôtel et travailler. A 23h30, deux amis étrangers me retrouvent au bar ; nous bavardons en anglais… Soudain inspiré, il me vient cette phrase: « bossa nova is just a lazzy way to make samba ! » Soit,  la bossa nova est une manière paresseuse de composer la samba!
Rio, le jeudi 16 mai

Le ciel est couvert et le Rédempteur joue à cache-cache avec les nuages…

La Presse du jour m’apprend que :

- « Le choléra arrive maintenant à la frontière de l’Etat d’Acre (nord du pays) et atteint un Brésilien. » (Jornal do Brasil, 16/5/1991)

-« Dans le Minas vit une femme de 121 ans. » (O Globo, 16/5/1991)

A 16 heures, j’ai rendez-vous avec Cristina, sœur de Chico Buarque, chez elle, à Copacabana. L’appartement, clair et meublé avec goût, se trouve au septième étage d’un immeuble qui s’élève à l’angle de la rue Almirante Gonçalves et de l’avenida Atlantica : la vue sur mer est magnifique !

Cristina m’accueille en short, un verre de bière à la main. Affligée d’un certain strabisme, elle ressemble cependant beaucoup à son frère. Timide, elle m’assure comprendre le français, mais le parler très peu, ce qui signifie, sans doute, pas du tout. Je lui explique mon projet : après le spectacle auquel elle participe aux côtés de Paulinho da Viola, à Rio Centro, le 25 mai, nous enregistrerons un court entretien en portugais chez elle, relatif à son travail, à la samba… Ensuite, nous parlons, entre autres, de la samba, cette danse populaire qui a fait le tour du monde. Les premiers disques de samba, dit-elle, datent des années 1920. Auteur de plusieurs albums, elle est proche de l’école de samba La Portela, adore la Mangueira et les vieux sambistes. Elle déplore que les patrons des maisons de disques brésiliennes n’aiment pas la samba. Ce sont les Japonais qui rééditent les trésors anciens : elle me montre une collection de CD, « Grandes sambistas », chez Bomba records (sic), Japon ! Et aussi : « Velha Guarda da Portela » (Vieille garde de la Portela), chez Kuarup et… Katsunomi Tanaka ! Et encore, « Velha Guarda da Portela, homenagem (hommage) a Paulo da Portela », « com a voz (avec la voix) de Cristina », chez Ideia Livre. Enfin, elle me signale un réseau de distribution de disques, Moto discos qui pratique l’échange de disques d’occasion et dispose d’un rayon de disques rares et épuisés dans le commerce. Avec une réelle spontanéité et une générosité certaine, Cristina m’offre plus d’une demie- douzaine de disques : les siens, un de Clementina de Jesus (disparue le 19 juillet 1987), de sa sœur Miucha, de Nelson Sargento, un trésor, comme les vieux sambistes de Mangueira (Cartola, Cavaquinho, Zezinho et Cachaça). Je suis au comble de l’émotion et ne sais  comment la remercier. Une amie présente m’assure que Cristina parle peu : ainsi cette femme généreuse est donc avare de paroles. Au terme d’une visite de plus d’une heure, je prends congé et rentre à pied sous un ciel de plomb.

Depuis ce matin, je dispose d’un électrophone… C’est un appareil coréen assez rudimentaire, mais pratique, aimablement prêté par le fils, âgé de treize ans, de l’un des patrons de l’hôtel. Je peux donc écouter Marisa Monte, Selma Reis, Legiao Urbana, des pièces de rap brésilien…

Tous les réseaux de télévision diffusent une émission comme « La parole est aux partis politiques.» Ce soir, le P.S.C. (Parti Socialiste Chrétien) soutient le président Collor (président du 15 mars 1990 au 29 décembre 1992). La libre parole est en fait orientée : l’émission célèbre les louanges du régime et ses réalisations (en particulier sociales). Collor est omniprésent, et le programme se prolonge une heure durant ! Les dictatures douces ont la vie dure ! Il pleut des cordes… Le mieux c’est de dormir !
Rio, le vendredi 17 mai

Le quotidien O Globo (17/5/1991)  m’apprend :

« La légalisation des casinos » (page 6), « Des étudiants affrontent la Police dans les rues de Belem » (page 8), « Le Brésil devrait avoir 90 000 cas notifiés de sida jusqu’en 1996 » (page 8). Par ailleurs, dans ce même journal, je lis ce titre : « Colera faz Bob Dylan cancelar excursao » (le choléra conduit Bob Dylan à annuler sa  tournée) : « de peur d’être contaminé par le virus du choléra », il annule la tournée prévue la troisième semaine de mai au Brésil, en Uruguay et en Argentine.

Le seul fait marquant du jour est le concert de Cidade Negra, groupe de reggae carioca, au Stade Fluminense. Je dispose de deux invitations à retirer à l’entrée. Bien sûr, elles ne s’y trouvent pas. Mais les choses finissent toujours par s’arranger… Nelson, charmant manager du groupe, nous informe des aléas de ce festival blues rock, organisé par un « mégalomane ». Il n’est pas encore sûr que le groupe joue : problème d’argent probablement…

Quand nous pénétrons dans les lieux, un ensemble de jazz est en scène. C’est l’une des salles de cet immense complexe sportif, qui comprend terrains de tennis, piscines, salles de sport, aires d’entraînement, etc.

Le concert se déroule dans l’une des salles de sport couverte, destinée à la pratique du basket ou du hand-ball… Le son est détestablement fort et fortement détestable ; les lieux sont quasiment vides : quelques dizaines de personnes sont disséminées dans cette vaste salle, trop vaste…

Après un  bref entracte, Cidade Negra entre en scène. Sans doute a-t-il  été payé. Le public s’est quelque peu étoffé, mais le volume sonore est toujours excessif et excessivement mauvais. Malgré ce handicap, on apprécie les qualités du groupe : les musiciens excellent et font preuve d’une belle aisance en scène. De plus, les paroles des textes récusent la banalité. Ce sont des chants « engagés », témoignages du quotidien de ces garçons issus de la Baixada Fluminense : il faut « lutter pour vivre », « cette vie est un passage », « ils sont incapables », il faut « dire la vérité » (ce titre est acclamé et chanté en chœur par le public), « rien n’a changé »… Il s’interroge au sujet de « l’inflation exagérée », interpelle ceux qui « assassinent la nature », épingle les politiciens qui «tentent une fois de plus de tromper avec de bonnes paroles ». Enfin, il célèbre la « Mère Afrique », figure imposée du reggae !

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Rio, le samedi 18 mai

Cette journée est consacrée à régler quelques problèmes d’intendance, à l’écoute de disques et à la rédaction de notes…
Rio, le dimanche 19 mai

Au terme d’une matinée studieuse, je décide de prendre l’air en début d’après-midi et de me promener à pied jusqu’à Arpoador. Hélas ! Le plaisir est gâché par une sonorisation tonitruante au long du chemin : on se demande pourquoi et, surtout, pour qui ? Aujourd’hui, même le broyeur de  canne à sucre est nanti d’un moteur, qui pétarade et pollue comme celui des nombreuses motos en circulation. Dans ce pays, le bruit inonde le quotidien !

Après dîner, un taxi file vers la Zona norte. Le Teatro Imperator, situé dans un quartier animé de la Zone nord, est un ancien cinéma admirablement réaménagé : accès spacieux et impeccables, salle vaste et haute de plafond, décorée dans les tons gris… Elle doit pouvoir accueillir au moins 2000 personnes, voire plus. L’Imperator, Zone nord, est le rival du Canecao (prononcer canecon), Zone sud…

La salle propose le choix entre deux formules : parterre garni de tables ou bien sans. Ce soir, le parterre est dépourvu de tables pour accueillir le public de Lulu Santos et Auxilio Luxuoso. Si l’on en croit le pavé publicitaire publié dans la Presse : « 35 mil pessoas ja assistiram » (35 mille personnes y ont déjà assisté). En tous cas, ce soir, la salle est pleine, et le spectacle commence à l’heure, soit 20h30. Tout semble organisé et moderne dans ce théâtre : la billetterie est électronique, les billets à mon nom sont à ma disposition à la caisse, le service « classe » est rapide, et le règlement des consommations s’effectue à la fin du spectacle, pendant les rappels. Le prix des places s’échelonne de 2500 cruzeiros (vendredi et dimanche) ou 3000 (samedi) pour la pista (parterre) à 48000 (vendredi et dimanche) ou 56000 (samedi) pour les camarotes (loges) de huit personnes.

LULU SANTOS est un rocker pur et dur, fort populaire. Sa musique n’est guère novatrice, mais en revanche, il chante avec un talent aiguisé quelques jolies ballades. En scène, il dégage un authentique charisme. Le public, jeune et populaire, chante avec lui et l’ovationne… Il est vêtu d’une tenue qui ressemble à celle que portent les joueurs de foot – ball, et le batteur est installé dans les buts !

Le concert se prolonge deux heures et demie durant pour la plus grande joie du public. En scène, l’artiste brûle un article d’un critique qui, semble-t-il, n’a pas aimé le spectacle et l’a écrit. A ce propos, Lulu Santos cite Godard… Il n’en demeure pas moins que sa prestation, malgré ses qualités, est plus intéressante sociologiquement que musicalement.

Le chauffeur de taxi qui nous conduit à l’hôtel roule à tombeau ouvert ; à l’arrivée il me réclame 7000 cruzeiros ! Arnaque ! L’étranger, pense-t-on, est naturellement fortuné…

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Rio, le lundi 20 mai

L’équipe de Radio France arrive demain. Je mets les bouchées doubles et passe la majeure partie de la journée à écouter des disques et à lire la documentation…

Vers 18h30, je file en taxi à Barra da Tijuca, à l’invitation de Gerald Seligman : Polygram a convié un certain nombre d’animateurs de radio à une projection de vidéos, assortie d’un cocktail. Dès mon arrivée, on m’offre quelques disques dont les CD des premiers albums de Caetano.

La réception se déroule dans un lieu ouvert aux quatre vents, qui d’ordinaire est le restaurant de Polygram : superbe ! En revanche mets et boissons laissent à désirer. Le premier clip, tourné par l’un des directeurs de la compagnie au Brésil, lors du séjour de Chitaozinho et Xororo au Mexique, est un désastre ! Suivent de nombreux clips d’artistes figurant au catalogue international de Polygram : ils ne présentent pour moi aucun intérêt ! A l’heure où je quitte les lieux, vers 21h30, aucun clip d’artiste brésilien n’a été projeté ! Incroyable dans cette société discographique qui possède l’un des catalogues majeur de musique brésilienne, et au cœur de ce pays, à juste titre, fier de sa musique ! Voilà qui illustre clairement la fonction d’une multinationale : vendre le répertoire international de la maison mère. Brésilien, je me sentirais offensé, voire humilié.
Rio, le mardi 21 mai

A l’heure du petit-déjeuner, apparaît l’équipe de Radio France que je n’attendais pas si tôt. Nous discutons longuement du planning d’enregistrement. L’interview de Caetano Veloso est confirmée depuis hier : elle se déroulera ce soir, à son domicile carioca de Leblon. Je décide que nous partirons dès demain pour Salvador (Bahia), puis Belo Horizonte (Etat du Minas Gerais) et retour à Rio, vendredi, pour l’ouverture du Rio Show Festival. Nous nous retrouverons à 16h30, à l’hôtel, pour partir chez Caetano, avec Luiz, o motorista (le chauffeur).

Je m’enferme dans ma chambre pour préparer l’interview : fébrile ! Je suis nerveux, comme jadis à l’approche d’un examen… A l’heure dite, nous partons : Caetano n’a pas annulé ! J’ai de la chance, il ne s’est jamais décommandé.

NOTES PREPARATOIRES
(originaux détruits après saisie informatique)

  (interview Caetano Veloso)

Santo Amaro da Purificaçao (Etat de Bahia) en 1942. Combien d’enfants (frères et sœurs) ?

1965 : Rio/ 1967 : 1° disque/ tropicalisme : 1968/ exil : 1969

Il y a beaucoup de Caetano :

-1 celui d’avant-garde décidé à agir radicalement sur les destins de la musique populaire brésilienne : avec « Alegria, Alegria » en 1967.

-2 celui, chanteur, chaque fois plus raffiné( ?) capable de donner une vie nouvelle à la musique des autres compositeurs : de Noel Rosa à Djavan, de Carlos Gardel à David Byrne, de Humberto Teixeira à Cazuza.

Comment trouver le lien entre

-3 le nostalgique mémorialiste de « No dia em que vim-me embora »

et

-4 le discours idéologique de « Podres poderes »,

-hédoniste carnavalesque de « Chuva, suor e cerveja »,

-5 le poète-philosophe qui reflète avec froideur et passion le phénomène amoureux dans « O quereres ».

C.V. contemple sa petitesse et celle de l’être humain perdu sur une petite planète bleue qui tourne dans un infini incompréhensible : « Terra »

 

« Muito romantico »/ lié à une terre, une époque et une société :

- de Bahia, il garde son  lien avec l’Afrique, origine de tout, ses dieux vigoureux et ses rythmes primitifs-fondamentaux dans sa musique.

- allégoriquement, il définit un pays entier dans la succession des images pop- rythmiques de « Tropicalia ».

- chante l’âme des villes :

*brésiliennes (« Sampa », « Aracaju »),

*ou pas (« London London » ou « Vaca profana »/ Barcelone).

—-A la fois philosophe, anthropologue, sociologue, scientifique, psychanalyste

Regard : triste, furieux, mélancolique ou visionnaire, mais toujours amoureux parcourt l’œuvre de Caetano/ contempler avec amour

Patchwork : Samba et rock, Dalva de Oliveira et Bob Marley, frevo et fado, Amalia Rodrigues et John Lennon, bolero et reggae, Elvis Presley et Vicente Celestino.

Avant et après la guitare électrique/ Caetano n’a pas de frontières/ Recherche du beau, esthète/« Chante le clair et l’obscur » (Caio Fernando Abreu).

Œuvre de C.V. : la carte d’une époque, de la sensibilité d’une époque.

« O quereres e o estares sempre a fim do que em mim é de mim tao desigual. » (C.V. « O quereres »).

« Trilhos urbanos » : C.V. nostalgique ; chanson de réminiscences de l’enfance, comme « Onde eu nasci …»  Référence au  PASSE.

« Cinema transcendental » ?/ « Oraçao ao tempo » : référence à la MORT/ Tempo est un orixa (divinité afro-brésilienne) : «Rocco »/ Lumière (appartient à Sao Jorge qui est « Oxossi »)= divinité.

ELOMAR : Chanson inspirée par Elomar : « Beleza pura » : argent ?/ Les Noirs de la ville de Salvador (Bahia) plus « Noirs » que « Brésiliens ».  Au Brésil, «  la majorité des Noirs est pauvre »

VOIX : -timbre aigu : « Muito »/ -timbre grave : « Terra »/  -timbre assez grave : « Cajuina » : Pourquoi ces différences de timbres ?

« Muito » puis « Cinema transcendantal » : arrangements simples… production domestique (contrairement à « Estrangeiro »)/ Forte influence nordestine/ Sans producteur

J’aime chanter (contrairement à Chico –Chico Buarque-)/ J’aime la scène, pas le studio : « Terra » et « Cajuina » : « gravadas diretes ».

Complexité des paroles/  Simplicité- Jovem Guarda/ Bossa nova/ tropicalisme et puis ? Beatles, Dylan, Milton, Gil …

SPONTANEITE

Luiz Gonzaga/ sa mère ?

Poète ?

Cinéma (Godard). Cinéma/télé ?

La musique populaire : l’art d’accommoder les restes ?

La critique. Si vous étiez critique ? rock,  jazz ?

Le Je ?

Jeu avec les mots ?                                                 ( tropicalisme

Musique de Bahia : « Atras do trio electrico »   (reggae

Le jeu de guitare (se libère en Angleterre)           (juju music

Le reggae : « Nine out of ten »

Deus dara”

Le CD?

Elis Regina?

Les duos?

“Doces barbaros” 1976 : Gal, Gil, Bethania, Caetano.

estrangeiro

Humour/ ironie/ l’espoir

Nigeria « Bicho » (1977) juju music

« Two naira fifty hobo »

« Muito » (1978)

Terra                         Sampa (J. Gilberto, le chant)

Sur mon île/ Extrema  forma de vida/ Samba (inédite)/ Juazeiro/ Qualquer coisa/

Carnaval songs

Show Botafogo : 50 000 personnes chantent « Terra »

« Uns » est le disque préféré de Caetano, (C.V.)

Claude Levi Strauss, dit Caetano, détesta «A Bahia da Guanabara », la baie de Guanabara, sur les rives de laquelle s’étend la ville de Rio.

« Tout est permis, rien n’est possible »

Pays tropical : dette interne et externe ?/ Instruction ?/ Maladies ?/  Pollution ?/ Délinquance= violence ?

Il est difficile de téléphoner, mais vivre, pour la plupart  est impossible.

(Il me manque « Bicho » (juju music) et  «Leaozinho »)

Cette longue journée s’achèvera après dîner, chez la chanteuse Joyce, à Copacabana, au fil  de l’enregistrement d’une intéressante interview, bilan (provisoire) de sa carrière.
Rio-Salvador (Bahia), le mercredi 22 mai

Dès 9 heures, nous prenons le chemin de l’aéroport du Galeao, et à 10 heures 45, nous décollons pour Salvador, où nous atterrissons à 12 h 40. L’hôtel, le Villa Romana, est situé dans le quartier de Barra. Une partie de la journée est consacrée à nouer les contacts nécessaires.

En fin d’après-midi, nous enregistrons des sons sur la plage de Barra, au pied du phare. Des bruissements éveillent mon attention. C’est le courant qui passe dans les fils électriques, m’assure l’équipe. Mais soudain, mon regard est attiré par des mouvements sur le sol où grouille tout un peuple de rats ! En pleine ville ! Nous plions bagages…

Aux alentours de 20 heures, un taxi nous conduit à Itapoa, que célèbre la chanson, puis au restaurant «  Casquinha de Siri ». Nous enregistrons à l’intérieur du restaurant, et, à l’extérieur, une marchande d’acarajé, spécialité de l’Etat de Bahia : boule à base de pâte de haricots noirs, oignon et sel, frite dans l’huile de palme.

A 23h30, un concert : Zouk Santana (Rio Vermelho) : Lazzo, c’est un groupe de reggae.
Salvador-Belo Horizonte, le jeudi 23 mai

A 9 heures, nous arrivons avenida Bonoco, vaste studio de répétition où nous écoutons et enregistrons les six musiciens de Tonho Materia et Banda Afâ, les six membres de Companha Clic et les vingt percussionnistes du jeune Carlinhos Brown et sa Banda Vai que vem. Le lieu résonne et le son est assourdissant. Les enregistrements ne pourront être diffusés.

A 13 h 15, nous prenons le chemin des célèbres Pelourinho (pilori) et praça (place) dâ Sê.

Ensuite, de l’hôtel nous partons pour Belo Horizonte, où nous arrivons à 17 h 30, après une escale à Ilheus. Le trajet en taxi jusqu’à l’hôtel Financial se prolonge pendant presque une heure. En début de soirée,  brève incursion à la Biblioteca Publica, praça da Liberdade (bibliothèque publique, place de la liberté). Nous buvons un verre sur une terrasse du quartier étudiant. Et, à 21 heures, c’est l’heure du concert de l’ensemble UAKTI, des musiciens talentueux, qui jouent sur des instruments insolites dont ils sont eux-mêmes les facteurs. Exceptionnel !

Le souper, tardif, se déroule au restaurant Arroz com Feijao…

Belo Horizonte-Rio

En fin de matinée, on retrouve Uakti, à l’église Boa Viagem (bon voyage). On enregistre ensuite un entretien avec Decio Souza Ramos filho (fils) au cœur du Parc municipal…

Notes préparatoires pour l’entretien avec Decio

- l’imagination au service de votre vocation de facteur d’instruments originaux ? /-sons nouveaux ? /-rythmes, harmonies… /-mélodies /-humour/ -influence de la musique du Minas Gerais/ – caractère brésilien de cette musique ?/ -paix, sérénité, élévation de l’âme/

- pourquoi si peu de monde à votre concert ?/ -musique du Minas : origine ? Caractéristiques ? Quels représentants ? (Milton Nascimento ?)

Au milieu de l’après-midi, on  décolle pour Rio, où nous atterrissons une heure plus tard.

Les accréditations pour le Rio Show Festival nous attendent à Ipanema… Et à 22 heures, y débute l’un des concerts phares, Dorival Caymmi et Tom Jobim… Nous réintégrons l’hôtel à… 2 heures 30 !
Rio, le samedi 25 mai

Notes préparatoires en vue de l’entretien avec Gilberto Gil

-Origine de la musique de Salvador (Bahia) : en quoi se distingue-t-elle des autres musiques du Brésil ?/ -Quelles sont ses caractéristiques ?/ Votre musique s’inscrit-elle dans cette tradition ?/ -Comment a-t-elle évolué/ -Le voyage en Afrique (tropicalisme)/ -Le reggae/ -Activités politiques ?/ -MPB ?/ – Le Rio Show Festival à Salvador ?

En fin de matinée, nous enregistrons l’entretien avec Gilberto Gil, à Sao Conrado. Et, à 14 heures, on déguste une feijoada au Caesar Park, à Ipanema.

Ce soir le Rio Show Festival offre un concert avec Paulinho da Viola et Gilberto Gil : exceptionnel !  A 2 heures, nous quittons les lieux.
Rio, le dimanche 26 mai

C’est la fête des mères ! Et un jour consacré au repos. Sauf, le concert du soir qui réunit Venturini, Beto Guedes et Arantes.
Rio, le lundi 27 mai

Aujourd’hui est une journée calme : « seulement » l’enregistrement de trois entretiens. L’un avec Flavio Marinho, au sujet du chanteur Edson Cordeiro, qu’il représente. Nous en profiterons pour capter quelques ambiance sonores au fil des plages, sur les terrasses et à l’intérieur des cafés. L’autre avec la chanteuse Selma Reis, à la Polygram, sa maison de disques.  Le dernier avec Felipe, l’un des membres de l’illustre groupe Os Paralamas do Sucesso, dans les locaux d’EMI. Le dernier album du groupe s’est vendu à 115 000 exemplaires ; celui de Legiao Urbana à … 745 000 !

Notes préparatoire en vue de l’entretien avec Felipe

-Historique : fondé en… Combien d’albums ?/ -Le dernier disque, « Arquivo », mélange des rythmes d’Afrique, de Salvador (Bahia) ou de Kingstone (Jamaïque)…/ -Est-ce en cela que vous êtes «  brésilien » ?/ -« O pé que dança decodifica melhor o recado » (le pied qui danse décode mieux le message) ?/ -Quelques mots de présentation de : « Melo do marinheiro » en 1986 (rap ?), « O beco » en 1988, « Quase um segundo », la même année, une jolie chanson douce et lente, un écart avec le rock ? Et « Perplexo », en 1989 ?/ -Comment vous situez-vous au sein du rock brésilien ?/ -De quels autres groupes vous sentez-vous proches ?

Le soir, rien de prévu !
Rio, le mardi 28 mai

Notes préparatoires pour l’entretien avec Mario de Aratanha

-Histoire et mélange des races et des cultures au Brésil/ -Le métissage féconde une musique originale ? (80 M. de disques, 70% Brésil)/ -Variété des rythmes ?/ -Jésuites et Indiens (catarete, danse indienne) ?/ -Pagode (Rio) et afoxé (Salvador : percussion/rythme))= retour aux sources africaines (samba-reggae) ?/ -Musique de l’intérieur de la région du Nordeste : (instruments indigènes et arabes !) ?/ -Côte= Afrique : à Recife, maracatu ?/ -Musique nordestine du littoral= fusion ?/ -Sao Paulo et Parana ; dupla caipira ; musique sertaneja…/  -Rio : le choro ? (différent de la samba)/ -MPB ?/ -L’empire du rock :pourquoi ?/ -Salvador : afoxés et trio electrico ?

Entretien matinal à l’hôtel avec Mario de Aratanha de Kuarup discos. Puis, en fin de matinée, interview de Dado Villalobos, le bassiste du célèbre groupe Legiao Urbana, dans les locaux d’EMI. C’est lui qui m’explique pourquoi, au Brésil, la plupart des musiciens de rock sont des fils de… Fils de diplomates, par exemple : les enfants des favelas n’ont guère les moyens d’acheter ne serait-ce qu’un ampli !

Au début de l’après-midi, c’est au tour de la chanteuse Marisa Monte, dans le quartier de Laranjeiras, de répondre à mes questions.

La deuxième partie de l’après-midi est consacrée à l’écoute de disques.

En début de soirée, l’équipe de Radio France gagne l’aéroport, au terme d’une mission fructueuse pour les ondes de France Culture.
Rio, le mercredi 29 mai

Rien à noter d’intéressant, si ce n’est une succession de rendez-vous dans les maisons de disques (BMG, Continental…) et un déjeuner avec Nelson Meirelles, le représentant de l’ensemble Cidade Negra.
Rio, le 30 jeudi mai

Aujourd’hui est un jour férié, propice à la détente et aux plaisirs de la plage.

En début d’après-midi, une balade me conduit à Ipanema. Ensuite, je m’astreins à travailler         à l’hôtel jusqu’à l’heure du dîner, au restaurant de l’hôtel.

A 21h30, le Teatro Imperator accueille un concert de Caetano Veloso. C’est l’évènement du moment ! Un moment magique ! Les paroles de ses textes sont des poèmes, ses musiques éclatent d’originalité et sa présence en scène est unique. A l’issue du concert, une jeune femme nous conduit à sa loge. Avant que nous ayons le temps de lui faire part de notre enthousiasme, il interroge en un anglais parfait : « Did you like it ? Was it good ? »  L’humilité de cet artiste talentueux et illustre, à sa sortie de scène, est une leçon !

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Rio, le vendredi 31 mai

J’obtiens une copie du nouveau disque de Joyce : à mon retour, les auditeurs en profiteront…

Le soir, le Rio Show Festival invite deux célébrités, deux femmes, Rita Lee et Gal Costa. Un beau spectacle !

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Rio, le samedi 1 juin

Le séjour s’achemine vers son terme. Le Caesar Park propose la traditionnelle feijoada : elle est toujours délicieuse et fort appréciée.

Le soir, au restaurant japonais Musashi de Leblon, en compagnie de Nelson, on  évoque Casa grande et sanzala…

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Rio, le dimanche 2 juin

En cette fin de semaine, comme les Cariocas, on profite des plaisirs de la plage et de la mer…

Le soir le Rio Show Festival offre un concert qui réunit Cassia Eller, Barao Vermelho, Loboa et la Bateria da Mangueira, c’est-à-dire l’ensemble de percussions de l’école de samba Mangueira : extraordinaire !
Rio, le lundi 3 juin

Derniers rendez-vous avant le départ, achat et écoute de disques… Dîner avec un ami à la churrascaria Palace, à Copacabana.  Le churrasco est, paraît-il, une tradition du sud du pays, étrennée  par les éleveurs de bétail : dans une churrascaria, on déguste diverses variétés de viandes grillées, généralement embrochées, qu’une noria de serveurs propose et découpe sous les yeux du client. Végétariens s’abstenir !
Rio, le mardi 4 juin

Cette ultime journée est consacrée aux préparatifs du départ : aujourd’hui s’achève en effet ce long séjour brésilien. A 19 heures, Luiz, le chauffeur file vers le Galeao, l’aéroport de la ville. L’avion décolle à 22h20 et atterrit le lendemain 5 juin, à 14h20 locales à Paris. Fin !

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