Bonzom

Lundi 28 janvier 2002 20h30
BONZOM
France

L’art du comédien sert celui de l’interprète
Encore en culottes courtes, Bonzom a rencontré son avenir. C’était, en sortant de l’école, à l’Olympia en 1981 : Yves Montand chantait. Une révélation pour l’enfant émerveillé ! Ce jour-là, Montand ne se doutait guère qu’il adoubait un nouveau chevalier de la chanson au « physique de héron déjanté croisé d’albatros dubitatif » si l’on se réfère à l’autoportrait brossé par petit Bonzom devenu grand. En tout cas, la chanson ne le quitte plus. « Elle guidera, dit-il, ses choix artistiques : du théâtre au chant, du chant à l’écriture, de l’écriture à la musique ». C’est ainsi.
Disciple du Roy Art Theatre, il étudie la comédie et le chant. Nanti de ce double apprentissage, c’est un artiste complet. Pour autant, Bonzom n’est pas un comédien qui chante. Happé dans sa prime jeunesse par la chanson, il est un chanteur né qui, depuis 1987, joue Molière, Jules Romain ou Jean-Paul Sartre, dit Lafontaine et Andersen et s’adonne, à l’occasion, au théâtre de rue… Ainsi l’art du chanteur se nourrit-il avec bonheur de celui du comédien. Il sait faire parler son long corps et incarner les chansons dont il s’empare. Expressif, il développe « une gestuelle rigoureuse qui ne tue pas l’émotion ». L’envol de ses mains est un atout précieux. L’art du comédien sert donc celui de l’interprète.
En 1993, comme pour s’enraciner dans une tradition, Bonzom s’approprie le répertoire du début du xxe siècle, celui d’Yvette Guilbert entre autres. Il peaufine ensuite son art en chantant les classiques, de Trenet à Brel… « Chanter, dit-il, est avant tout un acte physique, primaire ». C’est comme respirer.

L’écriture sera une autre passion
Quand il rencontre Mickaël Guillaume, un pianiste qui, ensuite, accompagnera son chant, c’est, pour lui, l’occasion, de découvrir la création musicale. L’écriture sera une autre passion. En 1977 naissent ses premières compositions originales.
De cafés-concerts (Ailleurs, Le Limonaire…) en théâtres (Tourtour, Dix Heures…) en passant par les festivals (Chorus, Francofolies…), il éprouve ses qualités d’homme de scène.
En septembre 2000, il imagine un nouveau spectacle au cours d’une résidence au Centre Georges Brassens, à Avrillé. Il présente ensuite au Lavoir moderne parisien ce récital riche de ses propres chansons et de celles des autres. En effet, il « partage l’écriture », dit-il, avec de jeunes auteurs : Éric Chantelauze, Olivier Comte, Wladimir Anselme dont la plume alerte enrichit son répertoire.

Un univers ouvert au monde et à l’autre
Bonzom aime aussi exercer ses talents en « ouvrant » le récital de certains de ses illustres confrères : de Marie-Paule Belle à Arthur H en passant par Anne Sylvestre, Romain Didier ou Georges Moustaki, aimable témoin invité à comparaître en cette page.
Le goût des échanges musicaux est une autre facette et il pratique volontiers l’hommage, célébrant ainsi Anne Sylvestre, Gribouille, Jacques Brel, Jacques Debronckart, Léo Ferré, Maurice Fanon ou bien Jules Jouy, chansonnier de la Commune… On comprend bien que chanter l’occupe.
Écrire aussi. Il sait cependant choisir avec discernement les mots des autres et se les approprier. C’est également un art. Ainsi nourri, le répertoire exprime un univers ouvert au monde et à l’autre. Même si l’autobiographie est, à l’occasion, source d’inspiration. Sa longue silhouette – « j’tirais mon ombre comme un fardeau » – suscite humour et ironie : « J’ai tenté la publicité/Mais mon seul grand vrai beau succès/Fut d’incarner un coton tige ».
Avec verve, il ose aussi la chanson leste tel l’amusant chant du coq dont seule la chute donne la clé… Ou bien ce Victor Noir, insolite objet d’érotisme dans un lieu inattendu, un cimetière, qui en rougit encore : « des morts au Père Lachaise il y en a tant et plus/ bourgeois de l’au-delà au superbe manoir/ ou simple locataire sous un remblai d’humus/ moi j’ai mon préféré son nom est : Victor Noir ».
La suite, bien sûr, est plus explicite.

Un récital composé, comme un tableau
Dans une autre veine, il se moque de ces « coqs de comptoir » pétris de certitudes. Sur un registre plus grave, il évoque l’Algérie ensanglantée, le suicide d’un couple désenchanté, le triste destin d’une jeune immigrée et tant d’autres choses encore dans des chansons parfois décalées, teintées d’humour noir ou bien nimbées d’amour et d’humanité. Un récital composé couleur par couleur, comme un tableau.
Doté d’un beau timbre, Bonzom sait chanter. Il chante juste et, c’est un autre plaisir. Une formation originale et subtile l’entoure : piano et violon, saxophones et percussions. Ces quatre musiciens participent sobrement aux jeux de la mise en scène. Celle-ci repose sur quelques idées simples : elles contribuent à faire de chaque chanson une comédie ou une tragédie miniature. La tendresse et l’humour le disputent à la gravité. Tout est juste, tout est maîtrisé. Pourquoi se priver ?

Jacques Erwan

« Nous nous sommes retrouvés pour manger une glace chez Berthillon. J’ai découvert qu’il était aussi gourmand de sorbet aux figues que de mots, de musique et de chansons.
Je l’avais connu lors d’une de ses brèves apparitions sur la scène de l’Espace Kiron où son corps désarticulé et son humour impassible (comment ne pas penser à Valentin-le-désossé et Buster Keaton) se prêtaient aux styles les plus divers; grâce à ses dispositions vocales et ses dons de comédien.
Plus tard, j’ai « surfé » sur la toile pour trouver les paroles d’une de ses chansons sur Alger qui m’avait particulièrement touché. Quelques temps après, nous avons partagé la même affiche. En attendant de lui succéder sur le plateau, j’entendais, depuis les coulisses, sa folie poétique, sa tendresse un peu rockeuse.
Le 14 juillet dernier nous a réunis sur la scène du Trianon où nous célébrions la mémoire de Léo Ferré. Il présentait ses confrères avec respect et talent. Il m’a donné rendez-vous en janvier pour l’écouter au Théâtre de la Ville. Ce sera enfin l’occasion d’ouïr et de jouir, in extenso, de l’art de ce funambule chantant qui marie si bien la tradition et l’invention. »

Georges Moustaki