Musiques et danses du Mozambique

Samedi 13 avril 2002 20h30
MUSIQUES ET DANSES DU MOZAMBIQUE

Silita
Laurindo Cuna percussions
Simão Adriano Nhacule timbila (balafon)
Linda Jamisse voix

José Mucavele
chant, guitare
avec José Esteves Guimarães, voix
et percussions

Danses et chants des femmes Macuas
groupe Tufo de Mafalala

Momade Mutalipo percussion
Muanacha Simela Maconde voix
Pihaque Ussene voix
Hawa Ossufo Ali voix
Amina Uissa voix
Momade Guilherme Abdala percussion
Carlota Rukia Abudala voix
Simana Ismael Vacande voix
Maiassa Ernesto voix
Elisabete Clemente voix
Assana Charamatane voix
Hute Ussene Buana voix
Cozicula Muanacaia voix
Abel Rachid percussion
Alde Saide Rapaz percussion

avec la collaboration du Centre Culturel Franco-Mozambicain de Maputo

Mozambique : une autre Afrique
Mozambique. Ce nom évoque-t-il autre chose qu’une colonie portugaise, autrefois, une guerre civile, jadis, et des inondations naguère ? Le temps des colonies est révolu, la guerre est finie, depuis plusieurs années déjà, et les inondations sont accidentelles. Oublié en cette lointaine Afrique australe, le Mozambique s’emploie à renaître. Encore meurtri et pauvre, le pays est riche d’une culture ! Le sait-on ? Là-bas comme ailleurs, poètes, écrivains, peintres, chorégraphes… et musiciens imaginent l’art d’aujourd’hui et de demain. En ce vaste territoire, les diverses ethnies d’origine bantoue conservent un patrimoine original et perpétuent leurs traditions. Leurs musiques et leurs danses restent, pour l’essentiel, à découvrir en France.
Le Théâtre de la Ville propose , le temps d’une soirée, une première approche de la musique mozambicaine : un trio, un duo et un groupe de femmes, trois expressions différentes, en dessinent une image contrastée.
Jeune trio urbain, Silita invente la tradition d’aujourd’hui : deux timbilas, xylophones issus de la tradition du sud, escortent une voix féminine.
José Mucavele, lui, est une figure de la musique mozambicaine. Un personnage ! Imprégné des traditions des diverses ethnies de son pays et familier de leurs rituels, il enrichit ainsi son univers musical et exprime son propre imaginaire dans des chansons originales. Sa guitare les accompagne ainsi que les percussions et la voix de José Esteves Guimarães
Les femmes macuas de Mafalala, un quartier de Maputo, enfin, appartiennent à cette ethnie de l’Ile du Mozambique, l’ancienne capitale, au nord du pays, dont la musique porte encore l’empreinte d’une ancienne influence arabe. Elles sont porteuses d’une tradition vivante de chants et de danses dont elles poursuivent le cours : dança da corda, dança do tofu et niconco. Un petit ensemble masculin de percussions les accompagne.
Une autre musique africaine.

Lettre de Maputo
Le jour se lève sur l’océan Indien. D’imposants navires marchands glissent lentement sur les eaux du port. Deux boutres font voile vers le large… Le soleil éclaire de larges avenues jalonnées de jacarandas et bordées de trottoirs le plus souvent défoncés. Voire jonchés d’immondices dont se régalent des gallinacés en vadrouille. La voirie est dégradée.
De vieilles et belles demeures coloniales, parfois décrépies, subsistent au milieu d’un paysage d’immeubles de béton, pour la plupart, victimes du temps qui passe et de l’humidité qui corrode. De nombreux chantiers métamorphosent la physionomie de la ville. La circulation, devenue intense ces dernières années, pollue l’atmosphère. Les pauvres sont légion. Policiers et gardes veillent. À proximité de l’hôtel Polana, majestueux édifice colonial qui contemple l’océan, des enfants occupent une benne déposée sur le pavé. Sales et misérables, ils vivent là. C’est là qu’ils font cuire leur maigre pitance sur un brasero. Là qu’ils mangent. Là qu’ils dorment. Oubliés des balbutiements de l’économie libérale et ignorants, sans doute, des richesses de leur terre. Ils sont « moins que la neige sur une toile d’araignée 1 ». Comme d’autres enfants, plus jeunes encore, qui s’essaient pour quelques pièces à ces danses guerrières du sud, proches de celles des Zoulous.
« Ils sont fins, les Mozambicains, dit l’étranger. Souffrent-ils de la faim ?
– Non, mais ils dansent ! » lui répond-on.

La danse, au cœur de la culture populaire de ces ethnies bantoues
« La musique mozambicaine amputée de la danse, affirme un connaisseur, c’est une exposition de peinture qui exhiberait seulement… les cadres ! »
La danse, en effet, est au cœur de la culture populaire de ces ethnies bantoues qui, au fil d’une expansion de plusieurs siècles, ont atteint cette terre australe aux alentours des iiie et ive siècles…
À partir de 1507, les Portugais occupent l’Ile du Mozambique. En l’espace d’un siècle, ils colonisent la côte. En revanche, l’intérieur du pays est épargné jusqu’au xxe siècle ! Faible urbanisation et maigre développement économique ont également contribué à préserver cultures et musiques traditionnelles.

Silita, jeune trio urbain, invente la tradition d’aujourd’hui
À la Casa da Cultura do Alto Maé, à Maputo, Silita répète. Jeune trio urbain, il invente la tradition d’aujourd’hui : deux timbilas, ces xylophones hérités de la tradition du sud, et des tambours, joués par deux garçons, escortent une voix féminine. Les paroles des chansons, imaginées par le groupe, prônent le respect de l’autre, incitent au travail, évoquent la pauvreté, assurent que l’espoir meurt le dernier ou bien célèbrent les héros de la libération nationale…

José Mucavele, figure de la musique mozambicaine
Les temps héroïques, mais aussi celui de la guerre civile, sont toujours présents dans l’inconscient collectif de quelque 17 millions de citoyens mozambicains. La cinquantaine révolue, José Mucavele n’a sans doute pas oublié ces temps-là. Figure de la musique mozambicaine, c’est un personnage ! Au fil de longues pérégrinations au cœur de son pays, il a collecté les traditions de ses diverses ethnies ; il s’est familiarisé avec leurs rituels d’initiation. Nanti de ce patrimoine, il enrichit ainsi son univers musical et exprime son propre imaginaire dans des chansons originales. Sa guitare les accompagne ainsi que les percussions et la voix de José Esteves Guimarães.

Elles sont dix, elles chantent et dansent assises
Mafalala, banlieue de Maputo, est le fief des Macuas. Venus de l’île du Mozambique, au nord, ils appartiennent à l’une des ethnies les plus importantes. Comme souvent dans ce pays, les hommes jouent des instruments et les femmes chantent en chœur. Elles sont dix. Belles et sensuelles, vêtues de jaune et rouge, elles chantent et dansent assises. Seuls hanches et épaules, bras et mains cisèlent une lente chorégraphie animée par le chant de leurs voix aiguës. Elles se lèvent et leur buste ondule avec langueur de droite à gauche et d’avant en arrière. C’est la danse du Tufo. Un petit ensemble masculin de quatre percussions l’accompagne. Sa musique porte encore l’empreinte d’une ancienne influence arabe. «L’océan Indien, avant l’arrivée des Portugais, est un océan arabe. » […] « La côte de l’Afrique orientale est arabisée et islamisée » rappelle Daniel Jouanneau 2.

Trois danses, pour honorer la curiosité du public parisien
Héritée des Arabes, la danse du Tufo était initialement l’apanage des hommes. L’Islam étant modéré sous ces latitudes, les femmes, protégées par le voile et des vêtements à manches longues, se sont, au fil du temps, approprié cette danse. Couleurs chatoyantes et rythmes soutenus par quatre tambours ont, ensuite, assuré son succès. Il ne se dément pas. Aujourd’hui, les paroles relatent les événements du quotidien. Enfin le Licongo, également d’origine arabe, recelait à l’origine une connotation religieuse. Pratiqué par les jeunes garçons fraîchement circoncis, il témoignait de la force de l’homme accédant au statut d’adulte. Cette coutume tombée en désuétude, les femmes ont pris le relais. Par ailleurs, pour se divertir, les femmes ont inventé la danse de la corde. Elle anime désormais mariages et fêtes bien au-delà des frontières de l’île du Mozambique. Ce sont ces trois danses qu’elles ont choisies pour honorer la curiosité du public parisien qui découvrira aussi Silita et José Mucavele.

« Terra de Boa Gente », terre des gens aimables ?
En fin d’après-midi la nuit tombe sur l’océan Indien.
Au « Tchova », le soir, on peut boire et manger en écoutant les rythmes endiablés des percussions du sud. Quelques jeunes, fiers de leur corps, dansent pour oublier les vicissitudes du quotidien et les méfaits du sida. Il frappe un Mozambicain sur trois… L’espérance de vie aujourd’hui n’excède guère 49 ans.
La nuit, dit-on, est dangereuse en certains quartiers de la ville, à l’heure où d’aucuns, privilégiés et corrompus, transgressent l’ordre. Mais comme le rappelle avec sagesse un dicton local, « si on doit nourrir un crocodile, mieux vaut qu’il ait déjà le ventre plein ».
Malgré ces turpitudes et les blessures du quotidien, les gens sont affables et doux. Pauvres, ils sont généreux et chaleureux. Vasco de Gama n’avait-il pas baptisé cette contrée  » Terra de Boa Gente « , terre des gens aimables ?

Jacques Erwan

1 La Véranda du frangipanier, Albin Michel 2000
2 Le Mozambique, Karthala 1999
CD Silita, « Ziva Tako » Lusafrica 2001, distribution Mélodie.