LETTRE DE…

Kenton (Grande Bretagne), le 2 Juillet 1961

Maison anglaise, premier séjour.

Maison anglaise, premier séjour en Angleterre.

 

Bien chers…

Enfin une lettre ! Le voyage en avion m’a laissé le souvenir d’une féérie manigancée par la beauté des paysages, vus du ciel, sous le soleil : Dinard, Jersey, Guernesey, Sark, Aurigny, Sainte Anne, l’île de Wight, Plymouth, le Kent, le Surrey… Le train, ensuite, m’a conduit jusqu’à mes hôtes, madame A. et son fils Richard, qui m’attendaient.

Je n’ai guère eu le temps d’écrire jusqu’à présent : j’ai déjà visité Londres deux fois, et je reviens d’Oxford. Qui plus est, une chaleur accablante m’indispose et ne m’incite guère à prendre la plume : hier et avant-hier, nous avons connu, paraît-il, les journées les plus chaudes depuis 1947… Cependant,  je retrouve avec plaisir ce pays qui m’est désormais familier.

Dès jeudi, je me suis rendu à Londres. J’ai d’abord visité l’Université. J’ai ensuite consacré le reste de la journée à l’exploration du British Museum, en compagnie de Richard, le fils de la famille qui m’accueille ; élève dans une institution catholique, il n’avait pas classe ce jour-là, en l’honneur de la saint Pierre et saint Paul. Cette visite m’a fort intéressé, surtout les salles consacrées aux Etrusques et aux Egyptiens, ainsi que celles dédiées aux Grecs et aux Romains. On y voit des merveilles ; je vous raconterai cela à mon retour…

Le soir, monsieur A., le chef de famille, m’a aimablement proposé de l’accompagner, ainsi que Dick, diminutif de Richard,  à une réunion de fidèles catholiques. Quelque peu fatigué par mon excursion à Londres, mais curieux, j’acceptais l’invitation.

Surprise ! A l’arrivée sur les lieux, je découvrais l’archevêque (catholique) de Liverpool s’adonnant à une partie de tennis, sans faute majeure malgré les pièges de sa soutane… Sans doute futur cardinal, dit-on,  il passait le week-end dans la très jolie maison de la congrégation des Dominicains, où nous nous trouvions. Habitué à voir ce genre de personnage à l’abri d’un protocole rigide, j’étais très étonné ! Ne connaissant pas les autres personnes présentes, qui conversaient aimablement avec les uns et les autres, je pensais qu’ils étaient, allez savoir pourquoi, des petits fonctionnaires amis. Mais, sur le chemin du retour, monsieur A. me détaillait leurs situations respectives. Etaient présents à cette rencontre informelle deux Jésuites, en fait deux frères, dont l’un avait été ordonné prêtre un mois auparavant ; ils étaient venus de Belfast (Ulster, Irlande du Nord), le temps d’un week-end ; du fait de leur fort accent irlandais, je peinais à les comprendre. Il y avait aussi  une femme, affublée d’une voix criarde, et vêtue d’une robe fendue en deux, à la suite de la partie de tennis disputée en double contre, entre autres, his grace (ainsi s’adresse-t-on à monseigneur) ; elle est productrice sur la chaîne ATV, télévision commerciale, un Dominicain, father Agneles, producteur d’émissions télévisées pour ATV, les unes catholiques, les autres pas, ainsi qu’un autre Dominicain, father Luke, son assistant. Egalement un Jésuite fort drôle, conseiller religieux à ATV, un acteur de la  télévision, un autre Jésuite, actif dans une paroisse, et nous trois. Toutes ces personnalités me donnaient l’illusion d’assister à une réunion organisée par une chaîne de télévision… A l’issue de sa partie de tennis, l’archevêque nous a accordé à tous les trois une brève audience, donné sa bénédiction et offert son anneau à baiser. Puis, au moment de prendre congé, il m’a salué en français.

Vendredi, j’ai à nouveau visité Londres : Trafalgar square, National Gallery, Arche de l’Amirauté, Mall. A midi, je décidais de me diriger vers Buckingham palace : c’était l’heure exacte de la relève de la garde, ce jour-là, une relève solennelle. Les gardes du palais relevés regagnent leur caserne, celle-ci, celle de ces gardes écossais, est proche du château de la reine. Ils parcourent environ trois cents mètres, défilant accompagnés par la musique des gardes irlandais. En tout, une centaine d’hommes marchant comme à la parade : d’abord les musiciens puis, les vingt ou vingt-cinq gardes tout juste relevés et leur major. A leur passage, les policemen adoptent la position « fixe »et les officiers de l’armée anglaise présents dans l’assistance se figent en un  irréprochable garde-à-vous, et saluent militairement le drapeau de l’Union Jack » du deuxième régiment des Gardes écossais de sa Majesté. Arrivés à la caserne, la musique des gardes irlandais se sépare des gardes armés écossais et interprète le God save the Queen. Pendant l’hymne, les deux groupes, corps figé dans une absolue immobilité, saluent la reine tournant seulement la tête vers le palais de Buckingham, symbole de la monarchie, et en présentant les armes, les majors « sabre au clair », comme si la souveraine faisait face aux troupes. Au terme de l’hymne, retentit une marche anglaise, au fil de laquelle le drapeau change de porte-oriflamme à grands renforts de ruades… Ensuite, les majors des deux compagnies de gardes échangent le sabre de commandement ; leurs mouvements sont dirigés par les beuglements sinistres d’un major. Enfin, résonne le « rompez » que chacun attendait et tous se précipitent au fond de la cour de la caserne pour se changer à la hâte.

Je me rendis ensuite à Clarence House, résidence de la reine mère, ainsi qu’au Q.G. de de Gaulle pendant la guerre, sis au numéro 4 de la rue : les mots de son discours « la France a perdu une bataille, mais n’a pas perdu la guerre… » y sont gravés en français et en lettres d’or.  Puis, je m’acheminais vers Saint James Palace, le Strand et le lieu où sont regroupés la plupart des journaux anglais, Fleet street. Fuyant la chaleur étouffante, je me réfugiais à la cathédrale Saint Paul, œuvre de Christopher Wren. Fatigué, je regagnais, enfin, mes pénates…

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Samedi, une température excessive et éprouvante m’a convaincu de passer la journée au lit. La longue queue assaillant la piscine m’a dissuadé de m’y rafraîchir… Le soir, la télévision diffusait « Boule de suif » de Guy de Maupassant…

Aujourd’hui, c’est dimanche, jour de réunion de 134 des membres d’une association de catholiques, les Catinians, à Oxford : grand- messe avec chœurs… Seul le chapeau cloche mauve pâle d’une femme, assorti à la couleur de ses gants et de son parapluie, m’a rappelé que je me trouvais en Angleterre. Le lunch était servi dans un palace de la ville : cocktail de jus de tomate, assiette anglaise, charlotte russe, le tout arrosé de champagne. A l’issue de ce repas, vint le temps des discours, fort intéressants d’ailleurs, suivis d’un toast à la reine. Pourquoi avais-je envie de demeurer assis ?

L’après-midi était consacré à la visite des colleges, au sens anglais du terme : en français dirait-on « facultés » ? La bibliothèque, vue voilà deux ans, ne figurait pas au programme. Salut et retour en voiture, dotée d’un moteur neuf et donc en rodage…

Ce mardi 4 juillet, j’ai gagné Londres dès 9 heures pour traîner à la Tate Gallery, admirer, entre autres, quelques chefs-d’œuvre de la peinture anglaise, puis vagabonder au fil des rues de cette ville que je commence à apprivoiser : Westminster Abbey, Houses of Parliament, Palais de justice, 10 Downing street, la résidence du Premier ministre, caserne des Horse guards et ministère de la guerre (horrible terminologie !), Cenotaph… La suite, jeudi !

J’ai découvert à Kenton une église, qui vient d’être reconstruite ; elle évoque pour moi l’église Sainte Thérèse, à Brest.

Buckingham, la garde
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Buckingham, relève de la garde
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House of Parliament
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