La musique Celtique

L’histoire des Celtes est celle d’un long voyage ! Commencé au cœur de l’Europe aux alentours du VIème siècle avant notre ère, il se poursuit au fil des migrations et, trois cents ans plus tard, la majeure partie de l’Europe est celte. Au fil du temps, les vicissitudes de l’Histoire repousseront ces peuples aux confins de l’Europe, – Bretagne, Cornouailles, Galles, Man, Irlande, Ecosse – là où la terre, la mer et le ciel se confondent.

Aujourd’hui, le mot “celte” désigne cet ensemble géographiquement éclaté et dont l’Histoire a depuis longtemps séparé les diverses parties, forgeant à chacune un destin autonome et diluant ainsi l’identité commune. Formule magique, il exorcise la réalité et lui substitue une nostalgie : celle d’une grande famille, forte de racines communes et jadis unie mais maintenant dispersée : les descendants des frères d’autrefois sont des cousins éloignés depuis longtemps qui ont chacun vécu séparément leur vie. Idéal, le panceltisme rêve de rassembler ces cousins-là.

Sans doute détiennent-ils encore le patrimoine reçu en héritage, ce vieux fond celte qu’ils s’ingénient à préserver et à faire fructifier mais dont l’authenticité celtique et le contenu précis sont incertains. En revanche, les langues qu’ils parlent, même si elles ont évolué, sont archaïques et, entretiennent des relations de parenté. Elles sont, à l’exception du cornouaillais, toujours vivantes. Certaines connaissent même un regain d’intérêt. Toutes sont des citadelles assiégées par l’anglais ou le français.

Les traditions culturelles – et donc musicales – de l’ancien monde celte ont pour la plupart périclité, victimes de leur oralité, de l’évolution des hommes et des sociétés et de l’agression des Etats. D’autres sont nées de ces bouleversements.

En Bretagne, l’enseignement des druides était oral et les bardes n’ont pas laissé de partitions. L’absence d’écrits avant le XVème siècle ne permet guère de perpétuer ce qui a précédé. Ensuite, le vieux centralisme français, hostile aux différences, a fait le reste : il a beaucoup détruit. Surtout dans les consciences en apprenant aux Bretons à mépriser leur propre culture, y compris leur langue. Au début des années 70, Alan Stivell n’a pas seulement assuré la renaissance de la harpe celtique depuis longtemps disparue, il a contribué aussi à restaurer chez les Bretons le respect de leur patrimoine ainsi qu’une certaine fierté. La tradition qui subsiste de nos jours est donc récente. Elle s’enracine pour l’essentiel dans le barzaz breizh. C’est une compilation de chansons et de poèmes dûe à un noble, le vicomte Hersart de la Villemarqué. Cette œuvre, d’une grande beauté, est-elle le fruit du génie populaire ou de la verve du vicomte ?

Les festou-noz (fêtes de nuit), berceau et école de la tradition, continuent à en entretenir la flamme; quand les blessures du progrès technique n’en altèrent pas le sens. Couples de sonneurs (biniou – bombarde) et chanteurs de kan ha diskan (appel et réponse) ont fasciné des générations de Bretons. Des nuits entières des dizaines, des centaines, voire des milliers de danseurs ont, dans la Bretagne profonde, soumis leur corps à ces rythmes lancinants. Les célèbres sœurs Goadec, les inoubliables frères Morvan, Marcel Guilloux et tant d’autres ont dans ces fêtes distillé l’allégresse. Les jeunes y faisaient leur apprentissage : Yann Fanch Kemener, Erik Marchand, Denez Prigent, Annie Ebrel… ont fréquenté cette école. Ancienne, la tradition de la gwerz (chant dramatique), grâce à de jeunes et talentueux interprètes, est toujours vivace; et, elle se perpétue en s’enrichissant de créations nouvelles.

En Irlande, au XVIIème siècle, la victoire des Anglais sonne le glas des formes anciennes de musique et de poésie. Rares sont celles qui survivent. Seule la harpe résiste jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. A sa mort, en 1738, Turlough Carolan, harpiste aveugle et compositeur, laisse une œuvre importante : deux cents pièces ont survécu. Le siècle suivant, la tradition s’éteint. Elle renaîtra.

La plupart des chansons et danses qui constituent aujourd’hui la tradition sont récentes. Elles datent du XVIIIème et du début du XIXème : le reel, la danse la plus populaire, d’origine écossaise, atteint l’Irlande à la fin du XVIIIème.

Austère et beau comme les paysages de cet ouest irlandais au cœur desquels il s’épanouit, le sean nós est un style de chant sans accompagnement qui exprime une poésie délicate. Complexe et subtil, cet art de la variation mélodique et de l’ornementation s’enracine, dit-on, dans la lointaine tradition bardique. Il demeure la référence et le modèle des instrumentistes.

En Ecosse, une tentative de soulèvement des Stuart, en 1745, échoue à Culloden. Les Anglais la répriment avec férocité : répression militaire et culturelle, le vieil ordre gaélique s’effondre. La mémoire collective conserve encore le souvenir de ce traumatisme. Pour remplacer les instruments interdits, les Ecossais chantent des mots satiriques ou dépourvus de sens. La voix se substitue à l’instrument pour entraîner la danse. Ainsi naît le puirt-a-beul (“Mouth music”) dont cependant certains auteurs anglais attribuent l’avènement à la condamnation par certaines Eglises d’Ecosse, au XIXème siècle, de tous les instruments et de la musique profane.

Née au XVIème siècle à Skye (Hébrides), le pibroch, la musique classique des Celtes, survivra à la répression. Comparable au raga des Indiens, c’est une longue et lente variation autour d’un thème.

Chassés de leur terre après Culloden, les fermiers sont enrôlés dans les régiments de Highlanders ou contraints à l’exode en Australie, aux Etats-Unis ou au Canada. Soldats ou proscrits, ils contribuent à l’expansion sous toutes les latitudes, du Canada à l’Inde, de leurs traditions musicales.

Les Irlandais participent également à cette internationalisation de la musique celtique. Au milieu du XIXème siècle, poussés par la famine, ils émigrent en grand nombre dans la plupart des pays d’expression anglaise. 70 millions d’individus composent aujourd’hui la diaspora irlandaise dans le monde, dont 42 millions pour les seuls Etats-Unis. Une myriade de chansons témoigne de cette tragédie.

Fuyant une Bretagne rurale et pauvre, nombre de Bretons s’expatrient également : ils partent à Paris ou aux “colonies” et, plus tard, à New-York ou Montréal… Loin de leur “province”, ils créent associations et bagadou. Ainsi, les Celtes poursuivent-ils leur migration séculaire et leurs musiques font le tour du monde… De nos jours encore, elles s’exportent avec des fortunes diverses.

Au cours de son histoire, la civilisation celte s’est constamment enrichie d’apports étrangers : c’est sa force, sa grandeur et sa vitalité. Les musiques se sont, elles aussi, nourries d’emprunts qui ont fécondé leur évolution. La Bretagne adopte des airs entendus à la cour de Louis-Philippe, la clarinette et l’accordéon; l’Ecosse accueille le violon italien; l’Irlande naturalise un modèle littéraire français du Moyen-Age pour ses chansons d’amour, le soufflet de la musette française pour sa cornemuse (uilleann pipes) et le bouzouki grec… L’inventaire n’est pas exhaustif. Tant pis pour les puristes. Une tradition qui se fige ne risque-t-elle pas la mort ?

Les temps changent. Sociétés rurales, la Bretagne, l’Ecosse et l’Irlande se développent : les musiques s’épanouissent dans un contexte nouveau. Le monde est un village. Comme jadis, les musiciens celtes s’exercent au métissage et découvrent le monde (Erik Marchand, les Indiens et les Tsiganes…). Dès 1980, Alan Stivell avait ouvert la voie avec sa “Symphonie celtique”. Mais la tradition s’acoquine aussi avec tout ce qui palpite. Elle s’encanaille avec le rock (Planxty, Moving Hearts, The Pogues en Irlande…), épouse la techno (Denez Prigent…), flirte avec le jazz (Yann Fanch Kemener, Annie Ebrel…), s’aventure dans la new-wave (Enya en Irlande…), invite sous une forme ou sous une autre la modernité (Capercaillie en Ecosse…). Mais en Irlande on chante encore dans les pubs, ces fiefs de la tradition; les Chieftains n’en finissent pas de rajeunir et De Dannan dissuade de rester assis ! Parce qu’elle est un pont entre le passé et le futur, tisse un lien social entre les individus et instaure un convivialité, chez les Celtes, la musique traditionnelle vit !

Jacques Erwan

 

INSTRUMENTS

HARPE

Mentionnée en Irlande dès le VIIIème siècle. Les harpistes appartiennent à une élite : musiciens de cour, ils jouent pour l’aristocratie gaélique. La harpe est tendue de cordes métalliques, on en joue avec les ongles. Aujourd’hui, la harpe “néo-irlandaise” est chromatique. Ses cordes sont en boyau. On en joue avec les doigts.

 

CORNEMUSE

Née, croit-on, voici plusieurs milliers d’années sur les rives de la Méditerranée, elle connaît son âge d’or au Moyen-Age : elle jouit alors de la faveur des musiciens dans toute l’Europe. Elle arrive en Ecosse au XIIIème ou au XVème siècle, selon les sources et, au fil du temps, détrône la harpe.

La cornemuse des Hautes Terres (Highland bagpipes) se compose d’un bourdon basse, de deux bourdons ténors, d’un hautbois, d’un porte-vent et d’une poche en peau de mouton.

 

UILLEANN PIPES

Cornemuse irlandaise à soufflet. Apparue vers le début du XVIIIème siècle. Instrument de la noblesse (parlour style, délicat et retenu) et des vagabonds (traveller style, ornementé et démonstratif). Seamus Ennis, Liam O’Flynn et Davy Spillane figurent parmi ses meilleurs interprètes.

 

BODHRÁN

Tambour sur cadre en peau de chêvre que l’on frappe, en Irlande, avec une petite baguette de bois ou le dos de la main.

 

DISCOGRAPHIE COMMENTÉE

BRETAGNE

 

ALAN STIVELL

• ”Renaissance de la harpe celtique”
Disques Dreyfus (FDM 36190-21972), 1972.
Retour aux sources et panceltisme, un manifeste fondateur.

 

DAN AR BRAZ

• ”Héritage des Celtes”
Sony Music (COL 477763-2), 1994.
Irlande, Bretagne, Galles, Ecosse, le nouveau chant des Celtes.

 

KEMENER – SQUIBAN

• “Ile – Exil”
L’Oz (DB 17 – L’OZ II), diffusion Breizh, 1996.
Pure tradition et jazz subtil, un mariage réussi.

 

DENEZ PRIGENT

• ”Me’Zalc’h Ennon Ur Fullenn Aour”
Barclay (539254-2), 1997.
Le vent de la tradition chargé des embruns de la techno. L’avenir ?

 

IRLANDE

RÓISÍN ELSAFTY, TREASA NÍ CHEANNABÁIN

• ”L’art du Sean-Nós”
Buda Records (92711-2), distribution Adès, 1998.
Hérité de la tradition bardique, un chant sans accompagnement, subtil et complexe, nimbé d’une délicate poésie.

SINÉAD O’CONNOR

• ”Universal Mother”
Ensign (8 30549-2), 1994.
Mémoire de femme, mémoire d’Irlande. Une voix pathétique !

THE CHIEFTAINS

• ”The long black veil”
avec Sting, Mick Jagger, Sinead O’Connor, Van Morrison,…
BMG (74321-25167-2), 1995.
Les pionniers ! Accompagnés d’une pléiade de noms célèbres : Sting, Mick Jagger, Sinéad O’Connor, Van Morrison, Marianne Faithfull…

 

ÉCOSSE

PIOBAIREACHD, The classical Music of the Great Highland Bagpipe
Lismor (LCOM 9016), 1989, distribution Keltia Musique (Quimper).
Piobaireachd ou pibroch, depuis le XVIème siècle, la musique classique des Celtes, longue et lente variation autour d’un thème.

 

CORNEMUSES D’ÉCOSSE

Auvidis/Ethnic (B6829), 1996.
Un tour d’Ecosse des divers styles et formes de cornemuse.

 

LES ORCADES

Collection “Échos”, Buda Musique/Rym Musique (191 907-2), distribution Polygram, 1998.
La découverte d’un archipel écossais depuis le XVème siècle.

 

CAPERCAILLIE

• “Delirium”
Keltia Musique (SURCD 015), 1995.
Tradition et modernité, délicatesse et fougue, l’ensemble écossais de la décennie.

 

GALICE

CARLOS NÚÑEZ

Jeune prodige de la gaita auréolé désormais d’une notoriété internationale.

 

ÉTATS-UNIS

CHERISH THE LADIES

New-York : au cœur de la tradition irlandaise, un groupe de jeunes femmes (voix – instruments) nées sur le sol américain de parents irlandais.

 

CANADA

LOREENA Mc KENNITT

• “The Visit”
WEA (9031-75151-2), 1991.
Tradition et création. Voix, harpe et autres instruments. Textes de l’artiste et de… Tennyson, Henri VIII et Shakespeare !