Sivan Perwer

Samedi 29 janvier 2000 17h
SIVAN PERWER
Le chantre du Kurdistan
Kurdistan

Sivan Perwer voix, tenbûr (luth)
Zahid Brifcani violon
Allatin Ismet Demerbag nez, zurna, duduk
Hassan Kenco kanoun
Hejar Hussaini percussions

Sivan Perwer, la voix des Kurdes
Sivan Perwer est kurde. Viscéralement kurde. Il est le symbole du feu identitaire qui brûle le cœur de ces citoyens d’une nation sans État. L’Histoire a fait d’eux un peuple jeté aux quatre vents de ce Moyen-Orient compliqué. Disséminé au confluent de la Turquie, de l’Irak, de l’Iran et de la Syrie ou bien exilé. Sivan Perwer est une voix. Cette voix en laquelle chacun des siens se reconnaît. Une voix remarquable de beauté. La voix des Kurdes.
Héritiers, dit-on, des Mèdes de l’Antiquité, les Kurdes sont les dépositaires d’une longue histoire. Au fil des siècles, elle s’est transmise de génération en génération et s’est inscrite dans la mémoire populaire. Grâce à la musique qui célèbre les récits des guerres et insurrections, tisse la chronique des événements, magnifie les élans mystiques et romantiques, rythme les travaux des champs, chante les bonheurs et malheurs du quotidien et ainsi, féconde la mémoire. Elle est le vecteur privilégié de cette transmission orale.
Issu d’une famille de musiciens et de chanteurs, Sivan Perwer perpétue cette tradition. Il est l’héritier des dengbej, ces bardes qui allaient de village en village : ils chantaient l’amour et contaient l’histoire des héros.
Bravant les interdits, il apparaît en Turquie au début des années soixante-dix. Auteur, compositeur et interprète, il veut informer et motiver ses compatriotes : pour se faire entendre, au fil des années, il épouse des styles musicaux divers, traditionnels ou populaires. Il exalte les poètes. Porteur de tradition, il est l’héritier d’un patrimoine dont il assure la transmission. Il est un passeur.
Populaire au Kurdistan et dans la diaspora, il émeut aussi les peuples voisins. Aujourd’hui, âgé de 44 ans, en exil depuis 1976, il parcourt le monde. Il voyage nanti d’un viatique : récits épiques et chants d’amour traditionnels, et même chants politiques. Il s’accompagne d’un tenbûr, un luth à six cordes. Trois musiciens (nay, violon et percussions) escortent son chant.
On dit que là-bas, ses cassettes circulent sous le manteau. De main en main. Depuis le mont Ararat jusqu’aux vallées du Tigre et de l’Euphrate. À Paris, le mythe prendra chair. Il sera sur scène. Un privilège.

« De sa voix tendue, incantatoire, il conjure les souffrances des siens, non pas en exacerbant leur sentiment de révolte, mais en leur appliquant le baume de la poésie traditionnelle. »
Laurent Aubert, Musiques traditionnelles, Guide du disque, 1991, Georg éditeur

Mais que sait-on des Kurdes ?
Kurde ! Le mot évoque ces tragédies dont l’actualité est prodigue. Mais que sait-on des Kurdes ? Héritiers des Mèdes de l’Antiquité, ces guerriers farouches que Xénophon évoque dans l’Anabase, et qui jouèrent, écrit Christian Poché, « un rôle considérable dans la fondation de l’empire persan », ils sont aujourd’hui les dépositaires d’une longue et riche histoire. Au fil des siècles, elle s’est transmise de génération en génération et s’est inscrite dans la mémoire populaire. Grâce à la musique qui célèbre les récits des guerres et des insurrections, tisse la chronique des événements, magnifie les élans mystiques et romantiques, rythme les travaux des champs, chante les heurs et malheurs du quotidien, et ainsi féconde la mémoire. Elle est le vecteur privilégié de cette transmission orale. Ancienne, elle est proche de la musique persane, mais a su conserver son originalité : également sensuelle et mélancolique, elle est « plus instinctive et violente ». Tantôt musique de fêtes et de danse, tantôt musique d’intériorité et d’intimité : chansons et airs pour la tête et les pieds !
« La majeure partie du pays kurde, qui est aussi vaste que la France, étant montagneuse, écrivait en 1997 Kendal Nezan, directeur de l’Institut kurde de Paris, la musique traditionnelle kurde est assez largement une musique de montagne. Celle-ci a d’ailleurs en kurde un nom spécifique, straneñ serhedan, les chants des confins. » Ce terme évoque les provinces kurdes situées précisément aux confins de l’Arménie et de l’Iran. Là, dans ces montagnes qui abritent hauts plateaux et lacs nichés dans des cratères, deux fleuves illustres, le Tigre et l’Euphrate, puisent leurs sources.

« Ô Euphrate ! chante Sivan Perwer.
Ô Euphrate, Euphrate, Euphrate !
Tu es long et profond comme mes désirs.
Ô Euphrate, Euphrate !
Tu ne cesses de rouler tes douleurs, ta colère dans tes flots écumeux.
Comme moi tu ne connais ni sommeil, ni répit.

Tu gémis sans cesse, tu cries, tu hurles ;
Aspirerais-tu comme moi à la paix, à la liberté ?
Ô Euphrate, Euphrate ! »

« Les mugam (modes), poursuit Kendal Nezan, et l’accompagnement musical de ces chants diffèrent sensiblement de ceux des plaines (beri) de Mardin, Harran ou Sehrizor. On y trouve assez distinctement l’écho et le souffle des hautes cimes enneigées et des falaises faisant résonner la voix. » Originaire de la plaine, Sivan Perwer figure pourtant, aujourd’hui, parmi les meilleurs interprètes de ce répertoire montagnard.

Symbole du feu identitaire
Au cœur des montagnes kurdes, on dit Sivan Perwer comme sur les Ramblas à Barcelone, on dit Llach. Ou bien comme l’on disait Parra au pied des Andes et Rodriguès sur les rives du Tage. Emblématiques, de tels patronymes évoquent une identité culturelle. Symboles de toute une communauté qui féconde leur verve et dont ils traduisent les aspirations, ils chantent leur village, et ainsi accèdent à l’universel : chacun se reconnaît en eux.
Sivan Perwer est kurde. Viscéralement kurde. Il est le symbole du feu identitaire qui brûle le cœur des citoyens d’une nation sans État. L’Histoire a fait d’eux, depuis le traité de Lausanne en 1923, un peuple jeté aux quatre vents de ce Moyen-Orient compliqué. Disséminé au confluent de la Turquie, de l’Irak, de l’Iran, de la Syrie et, pour une minorité, de l’Arménie jadis soviétique, ou bien exilé. Sivan Perwer est une voix. Cette voix en laquelle chacun des siens se reconnaît. Une voix remarquable de beauté. La voix des Kurdes.
Issu d’une famille de musiciens et de chanteurs, Sivan Perwer est né au sein de la communauté kurde de Turquie. Bravant les interdits, il apparaît au début des années soixante-dix. Il est l’héritier des dengbej, ces bardes qui, de village en village, parcouraient vallées et hauts-plateaux du pays kurde : ils chantaient l’amour et contaient l’histoire des héros. Il est donc l’interprète des anciens chants épiques et des vieilles chansons d’amour. Il chante aussi les grands poètes kurdes des siècles passés comme Ferré chantait Rimbaud, Verlaine ou Baudelaire.

« Ô Beauté
Je l’ai vue au petit matin
Vêtue de sa robe fleurie.
Elle est passée devant moi,
Mon cœur s’est mis à palpiter.

Elle m’a regardé une fois,
Juste une œillade en passant.
Cette Beauté pleine de grâce
A planté sa flèche dans mon cœur et l’a déchiqueté.

Que faire des peines que m’inflige la Beauté ?
Je suis encerclé par son amour.
Pour combler Feqiyê Teyran
Daigne revenir ici, rien qu’une fois,
Ô Beauté. »

Pour se faire entendre, il épouse des styles musicaux divers, traditionnels ou populaires
Sivan Perwer interprète ce poème attribué par la tradition à Feqiyê Teyran, poète populaire kurde du xve siècle. Ainsi lègue-t-il aux générations nouvelles des œuvres vouées à l’oubli car interdites de publication. Sa voix brise l’interdit et fait revivre ces auteurs. Il est aussi, dit-on, le conteur favori des enfants qui « s’endorment en écoutant ses cassettes de contes et de fables… »
Porteur de tradition, il perpétue les valeurs d’un patrimoine dont il est l’héritier. Il en assure la transmission. C’est un passeur. Auteur, compositeur et interprète, il veut informer et motiver ses compatriotes : pour se faire entendre, il épouse, au fil des années, des styles musicaux divers, traditionnels ou populaires.

À Paris, le mythe prendra chair
Il est le héraut d’une cause kurde toujours d’actualité dont il demeure une sorte d’ambassadeur itinérant. Populaire au Kurdistan, il l’est aussi dans toute la diaspora. Il émeut également, dit-on, Azéris, Turcs et Iraniens. Aujourd’hui âgé de quarante-quatre ans, comme beaucoup de ses frères, il vit en exil depuis 1976. En 1983, il s’est établi en Suède. Il parcourt le monde nanti d’un viatique : récits épiques et chants d’amour traditionnels, et même chants politiques. Il s’accompagne d’un tenbûr, luth à long manche tendu de six cordes. Trois musiciens (flûte, violon et percussions) escortent son chant.
On dit que là-bas, dans ce pays à mettre au monde, ses cassettes circulent sous le manteau. De main en main. Depuis le mont Ararat jusqu’aux vallées du Tigre et de l’Euphrate. À Paris, le mythe prendra chair. Il sera sur scène. Le privilège d’une découverte.

Jacques Erwan