Bevinda & Ala Dos Namorados

Samedi 25 octobre 1997 20h30
BEVINDA
ALA DOS NAMORADOS
Portugal

Le rapprochement n’est guère fortuit. Outre une commune lusitanité, Bevinda et Ala dos Namorados sont les héritiers d’une même culture. Ils en partagent l’esprit et, chacun à leur manière, le propagent. Leurs musiques entretiennent des relations de parenté. Cheminement musical et poétique, le spectacle dévide le fil qui les unit.
Bevinda ouvre la soirée. Accompagnée par deux violoncelles, elle chante Pessoa. Ala dos Namorados, une voix escortée par quatre musiciens, lui succède. Bevinda réapparaît ensuite, entourée de ces cinq musiciens habituels, pour distiller son propre répertoire.
Longtemps isolé, le Portugal a préservé ses traditions musicales. Comme ailleurs, elles ont pâti de l’intrusion de la modernité et des modes planétaires. Certaines sont tombées en désuétude, d’autres demeurent toujours vivaces. Elles évoluent avec le temps et ceux qui les perpétuent. Elles sont une source à laquelle puisent nombre d’artistes pour féconder leur art. Cette fameuse modernité qui, régulièrement, s’empare du Portugal. La tradition, berceau du futur ? Amalia Rodrigues ou Madredeus y ont bercé leur chant. José Afonso, Trovante et Carlos Paredes aussi. Ce sont quelques uns des plus beaux fleurons de la musique populaire portugaise. Ils ont tous précédé, sur la scène du Théâtre de la Ville, Bevinda et Ala dos Namorados, eux aussi, dans une certaine mesure, porteurs de tradition.

Bevinda : un Portugal cosmopolite
Du Portugal, où elle naquit, à l’Auvergne et à la Bourgogne qui, émigration oblige, abritèrent son enfance et sa jeunesse, les déménagements ont doté Bevinda d’une âme vagabonde et cosmopolite.
Elle chante d’abord en français – entre autres Gainsbourg et Dutronc – dans les bals de province. Une bonne et dure école. À Paris, ensuite, au Studio des Variétés, elle se découvre et découvre ses racines : «Petit à petit, raconte-t-elle au magazine « Les Inrockuptibles », le français a déserté mon répertoire». Au profit du portugais. Avec passion, elle s’immerge dans le fado et dans Fatum, son premier album, reprend d’abord quelques classiques. Puis, elle crée ses propres mélodies et cisèle un chant original. Porté par “une voix ivre de nostalgie, mais qui n’hésite pas à s’envoler dans de grands éclats de rire”, il est nimbé de mélancolie et coloré d’espoir.
Bevinda ne s’embarrasse guère de conventions : stylisé, ce fado dans lequel s’enracine son chant, s’encanaille aux accents de l’accordéon, s’acoquine au tango et s’allie aux rythmes du Brésil… Ainsi va le métissage. C’est au fil de ses pérégrinations sur les chemins de l’Inde, du Pakistan et du Népal, où elle guide des voyageurs, que cette nomade compose nombre de ses mélodies et les cimes des montagnes, souvent, stimulent son imagination.
Au Théâtre de la Ville, Bevinda élargira son répertoire : aux chansons de ses deux albums, Fatum et Terra e ar, elle ajoutera celles, nouvelles, de Pessõa em Pessõas, créées à cette occasion. Ces huit poèmes, extraits du Gardeur de troupeaux d’Alberto Caeiro, l’un des hétéronymes du poète Fernando Pessõa, mis en musique par le compositeur capverdien Vasco Martins, seront chantés par la voix profonde de Bevinda accompagnée de deux violoncelles :
“Je suis un gardeur de troupeaux,
Mon troupeau, ce sont mes pensées,
Et mes pensées sont toutes des sensations.”

Lucien Zerrad guitare
Jean-Luc Pacaud percussions
Patrick Fournier accordéon
Etienne Roumanet contrebasse
Jean-François Ott violoncelle
Vincent Segal violoncelle

Pessõa em Pessõas création et répertoire
CD Terra e ar Celluloid 66977-2 (distribué par Mélodie)

 

ALA DOS NAMORADOS
4 musiciens et un contre-ténor

Ala Dos Namorados : les écorchures de l’âme
Au commencement, ils étaient trois. Ils se rencontraient pour écrire des chansons… Bientôt, ils seront quatre. En quête d’une voix, toujours introuvable, ils envisagent d’enregistrer un disque avec différents chanteurs. Le hasard d’une rencontre en décida autrement : la voix du groupe sera celle d’un tout jeune homme, Nuno Guerreiro, un contre-ténor. C’est ce timbre singulier qui confère à Ala Dos Namorados son cachet particulier.
Un premier disque en 1994, suivi d’un récital à Lisbonne, prélude à deux autres albums et de nombreux concerts au Portugal et à l’étranger. Trois ans plus tard, une première partie, en introduction de Cesaria Evora à l’Olympia, conduit au Théâtre de la Ville cette voix ailée et le quatuor acoustique qui l’escorte au fil d’un univers musical urbain teinté de vague à l’âme.
Ala dos Namorados, c’est donc une voix. Un timbre étrange et surprenant. C’est aussi un climat. Une atmosphère nimbée de cette nostalgie puisée dans l’inconscient collectif lusitanien. Un chant introspectif surgi du fond de l’âme portugaise. En scène, une sorte de rituel profane, célébré avec une grâce certaine et une finesse exquise, qui suscite une écoute recueillie.
Malgré les parcours éclectiques des compositeurs et instrumentistes, les musiques, originales, véhiculent des réminiscences de la tradition populaire. Voire se l’approprient et, au détour d’un disque, intègrent, le temps d’une chanson, un chœur d’hommes de l’Alentejo. Et combien de chansons qui expriment l’esprit du fado et combien d’autres en sont parfumées ! Combien, ici ou là, d’accents ou d’inflexions de la voix qui, à tort ou à raison, évoquent le fado ! Combien de vrais faux fados et de faux vrais fados ! Ne débusque-t-on pas un Fado Siciliano – il fallait oser ! – adapté de la version originale de Nino Rota et Larry Kuzik ! On repère aussi ces “Mystères du fado” qui, sans en épouser le style, en traduisent la quintessence : “Pourquoi est-il des gens capables/de chanter quand ils sont tristes/et de pleurer de joie.”.
Et plus loin, comme une réponse :
“Les nœuds de la contradiction/Sont le mystère du fado”.
Ce chant pour apprivoiser l’âme, à l’évidence, inspire le groupe. Mais à l’écoute des compositions raffinées de João Gil et Manuel Paulo et de leurs orchestrations, on décèle également d’autres influences. Celles, entre autres, du jazz et de la chanson. Divers apports qui enrichissent cette musique et lui confèrent un certain caractère baroque. Certaines mélodies contribuent à cette mémorisation qui d’une chanson fait un succès.
Souvent métaphoriques, les textes, pour la plupart de João Monge, s’inspirent généralement d’une thématique lusitanienne classique : la mer, le départ et la séparation, l’absence et la solitude, la nostalgie, le destin et la fatalité… Thèmes puisés eux aussi dans l’inconscient collectif d’un peuple de grands navigateurs et de conquérants, épris d’aventures et aujourd’hui relégué dans l’exiguïté de cette terre allongée au flanc de l’Espagne. Le chant portugais recèle souvent une charge pathétique.
Mais les chansons d’Ala dos Namorados prodiguent également leur provision de sensualité – le “pain chaud” et “le sol baigné d’une lumière de miel” – et de rêve. Celui, entre autres, du départ et du sud :…” J’inventerai le jour bleu/Et le désir de partir/Pour le plaisir d’arriver/Au sud”.
Cette chanson, “Ao sul”, suite à une représentation du groupe au dernier MIDEM, est désormais éditée au Japon.
Ala dos Namorados, une voix chante une âme, celle du Portugal. Dans “A voz e a alma”, l’une et l’autre dialoguent, “nées, dit la voix à l’âme, sœurs du même voyage”. Un voyage intérieur auquel chacun est convié.

Jacques Erwan