« ZIRYAB, MUSICIEN ANDALOU. HISTOIRE ET LEGENDE »
de Christian POCHÉ,
PREFACE (2012)

Riveneuve Éditions 2012

L’histoire est ancienne. Elle se déroule au IX° siècle. Mais ses racines plongent en des temps plus anciens encore. Voilà donc douze siècles que le dit Ziryab intrigue chercheurs et amateurs de musique arabe et stimule la quête des uns et l’imagination des autres. « Le merle noir gazouillant », tel était l’un de ses sobriquets, était-il un génie, « merveille d’al-Andalus », cette Espagne maure, ou bien une création de l’émir, son maître et mécène ? Histoire ou légende ? Histoire et légende ?

Christian Poché mène l’enquête avec la rigueur du plus fin des limiers. Il ne récuse aucune piste ni ne néglige aucun détail. Il recense les sources, les inventorie et les explore : de Ibn Hayan, historien vivant à Cordoue aux X° et XI° siècles à al-Maqqari, lointain collègue de Tlemcen, au XVII°, en passant par leurs confrères, oeuvrant au XIV° siècle, Ibn Khaldoun et al-Umari… Il interroge ce fameux manuscrit arabe du XI° siècle, découvert en Espagne : ce document recèle, entre autres, la biographie de Ziryab que l’on croyait perdue. La perspective de l’auteur était d’en livrer une traduction française en fin d’ouvrage. Le destin en a décidé autrement.

Reste le récit, vivant et suggestif. Le temps est aboli et l’on circule à travers les siècles : c’était hier, c’est aujourd’hui. L’époque apparaît, les personnages s’animent. Califat des Omeyyades, à Damas, à partir de 661, Abbassides, à Bagdad, en 750, et émirat de Cordoue, six ans plus tard, al-Andalus, futur califat. Christian Poché se promène au fil du temps et des sources et guide le lecteur. En compagnie de cet érudit méticuleux, on découvre quelques- uns des us et coutumes des califes et émirs de l’époque. Ici, en ce palais, édifié au sommet d’une colline de la ville, le troisième émir de Cordoue, al-Hakam, partage l’une de ses nuits de ce IX° siècle avec ses musiciennes anonymes, et probables concubines : transporté par la musique, il est en proie au tarab, l’extase et ses débordements, et voilà qu’il s’adonne à la boisson… Ailleurs, c’est la voix même de Ziryab que l’on entend : il entonne le chant dans une tessiture aigue puis, descend dans le registre des graves, accompagné de son luth, le oud, et escorté par un ensemble de voix féminines, de luths et de percussions. Sans doute improvise-t-il un chant avant d’interpréter une composition métrique. Et, à l’écoute de cette voix, on le sait, « le calife s’envola d’émoi ».

Mais qui donc était ce Ziryab qui, depuis des siècles, défraye la chronique ? Abu al-Hassan Ali Ibn Nafi, tel était son patronyme, était-il « un merle noir africain, kurde ou persan » ? La clé de l’énigme est livrée dans le dossier de cette enquête minutieuse qui se lit comme un roman ou bien comme un conte : il était une fois… La plume est alerte et le style vivant : on l’a dit, ils ressuscitent le passé et les personnages qui le peuplent.

Au-delà de Ziryab, de son rôle, important, de ses pérégrinations, de son histoire, l’auteur conduit le lecteur sur le chemin des origines et de la genèse de la musique classique arabe, de ses développements dans l’Espagne d’al-Andalus et de son influence en occident : « issu de la péninsule de l’Arabie, puis de l’Irak, l’art musical est devenu typiquement andalou… » Nous voilà donc d’abord en Perse, dès le III° siècle, à l’écoute du barbat, instrument tendu de deux cordes, ancêtre putatif du oud. Et, quelques siècles plus tard, à Médine, en Arabie, avant l’avènement du oud nanti de quatre cordes, où l’on frappe le tambour sur cadre circulaire duff ou quadrangulaire murabba. Et encore, au X° siècle, au cœur d’al-Andalus, où retentit le buq, instrument à vent sophistiqué de cette civilisation…

Au fil des pages, Christian Poché, comme à l’accoutumé dans ses écrits, respecte le profane et en bon passeur, veille à son initiation ; dans cette perspective, il définit nombre de termes cités, afférents à la musique arabe : tarab, extase, sawt, chant, san’a, science musicale, aghani, chanson, khabar, nouvelle, propos, anecdote, qasida, poème, taghanni, psalmodie, naqus, idiophone de bois ou de métal, sitâra ou sitr, rideau, mizmar, clarinette double à anche simple, huda, chant des chameliers, tariqa, voie, style, mode… et encore cette énumération n’est-elle pas exhaustive ! A la rigueur et à la probité du savant, Christian Poché allie précision, concision et clarté du style.

Grâce à lui, on sait que clan et disciples de Ziryab ont construit une tradition, assuré sa renommée et nourri la pérennité et la prospérité de sa mémoire. Ainsi va la transmission. Aujourd’hui, quels jeunes musicologues et/ou arabisants s’inscriront-ils dans le sillage de l’auteur pour poursuivre son œuvre, prolonger sa quête et relever le défi de la traduction –celle de la biographie de Ziryab s’impose- ? C’est l’appel d’une aventure exaltante, propre à débusquer le passé pour qu’il revive et qu’hier éclaire aujourd’hui.

 

Jacques ERWAN

Master II de Droit,
Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, 
Conseiller musiques du Théâtre de la Ville de Paris.