Anúna

Samedi 10 février 1996 17h
ANUNA
Irlande

Inouï !
Anúna est unique ! Anúna récuse les étiquettes. Comment définir, en effet, un chœur mixte irlandais – dix-sept voix qu’accompagnent, à l’occasion, un instrument ou bien… deux danseurs ! – qui interprète un répertoire de chants religieux et profanes gaéliques, latins et anglais ? Oui, comment ?
Anúna est à l’évidence le groupe le plus original que l’Irlande ait engendré cette dernière décennie ! Inventeur – comme l’on « invente » un trésor – d’un répertoire celtique médiéval qui avait sombré dans l’obscurité, il puise aussi au sein de douze siècles de la riche et turbulente histoire irlandaise. Ainsi sollicite-t-il aussi bien les écrits de saint Columba, religieux du VIIe siècle que les poèmes de Yeats, prix Nobel 1923.
Le mentor du groupe, Michael McGlynn – fondateur, directeur, compositeur et arrangeur – cisèle compositions originales et arrangements subtils.
Une esthétique sonore d’une précision raffinée et une esthétique visuelle d’une sombre beauté irriguent l’interprétation scénique : plaisir de l’oreille, plaisir des yeux !
Anúna, inouï hors d’Irlande et du Royaume-Uni : premières escapades à Paris et à Mulhouse.

Le secret de la vitalité de cette musique
Au royaume de la musique celte, l’Irlande est reine. Dès le XIXe siècle, Thomas Moore, poète anglais né à Dublin (1779-1852), adapte des mélodies traditionnelles irlandaises et confère ainsi à cette musique une audience internationale. L’émigration contribue également à son rayonnement ; des millions d’Américains ne s’enorgueillissent-ils pas de leurs origines irlandaises ?
Ces dernières décennies, Dubliners, Planxty, De Dannan, groupes illustres, assurent sa pérennité et perpétuent son renom. Les Chieftains, quant à eux, appréciés de Dublin à Tokyo et sollicités par Garfunkel ou McCartney, depuis plus de trente ans, “se sont ingéniés à renouveler les harmonies de morceaux traditionnels dont ils ont aussi renouvelé l’instrumentation”. (1)
Peut-être est-ce là le secret de la vitalité de cette musique : l’art de faire du neuf avec l’ancien.

Anúna, un groupe unique qui récuse les étiquettes
Une fois encore, c’est d’Irlande que souffle un vent nouveau chargé d’embruns du passé : Anúna ! Un groupe unique, fondé en 1993, qui récuse les étiquettes.
Chœur mixte (dix-sept voix polyglottes), Anúna cisèle en latin, gaélique et anglais, un répertoire sacré et profane. Une curiosité donc ! À contre-courant des modes ?
Sinead O’Connor, Sting ou Barry Manilow ont déjà apprécié la collaboration de cette formation. Sans doute la plus originale que l’Irlande ait engendrée cette dernière décennie. Outre ses qualités artistiques, elle bénéficie aussi de ce nouvel engouement pour la voix, le dépouillement et l’intériorité, suscité par les voix bulgares, les polyphonies corses ou le chant grégorien.
Anúna : ce nom tient du manifeste. Il a pour origine celui d’un harpiste dont la harpe, dit la légende, excellait dans trois styles : berceuses, chansons gaies et complaintes. Autrement dit, naissance, heurs et malheurs : la vie ! Tout un univers.

Textes poétiques, lyriques, mystiques ou fantastiques
Anúna lève le voile sur un pan “ignoré ou négligé” de la musique irlandaise, le répertoire celtique médiéval : un trésor dont il est l’inventeur. Mais il puise aussi à d’autres sources : des écrits de saint Columba, moine décédé en 615, aux poèmes de Yeats, prix Nobel en 1923, un vaste panorama de douze siècles de la riche et turbulente histoire irlandaise.
Les textes poétiques, semés de métaphores et de symboles, sont lyriques, mystiques ou fantastiques. Ils exaltent la nature, évoquent l’Histoire, célèbrent le surnaturel… D’hier, ils sont aussi d’aujourd’hui.

Le chant virtuose d’un chœur de chambre
Influencé, dit-il, par Debussy, Bowie et Machaut ainsi que par les musiques médiévales, folk et rock, Michael McGlynn, fondateur et directeur du groupe, en est aussi le compositeur et l’arrangeur.
Certains textes anciens lui inspirent des compositions originales, d’autres, déjà nantis d’une musique, de subtils arrangements. Ceux-ci, parfois, combinent des influences diverses : harmonies du XXe siècle et parties solos ornementales évoquant le chant populaire d’Europe de l’Est, se mêlent dans le “Pater Noster”
Dans le cerveau de Michael McGlynn, génie pour les uns, mégalomane pour les autres, coule, dit-on, “une rivière de sons”. Ils irriguent le chant virtuose d’un chœur de chambre.
l tout conspire pour surprendre,
charmer, émerveiller
Une esthétique sonore d’une précision raffinée alliée à une esthétique visuelle d’une sobre beauté, inspirent l’interprétation scénique et concourent à la splendeur du chant. Tout conspire pour surprendre, charmer, émerveiller… L’émotion est profonde et, parfois, confine à la stupeur voire à l’extase.
Une caresse de l’âme.
En route vers la gloire, Anúna apparaît pour la première fois en France au Théâtre de la Ville de Paris et à Mulhouse (2).
Une promesse de lendemains qui chantent.

Jacques Erwan

1) Bernard Geniès, Le Nouvel Observateur, 20-26 avr. 95
2) À « La Filature », le 11 février 1996