Lluis Llach

LLUIS LLACH
Catalogne

Jeudi 16 mai 20h30
Un pont de mar blava
(Un pont de mer bleue)
avec Nena Venetsanou, Amina Alaoui
et 14 musiciens

Samedi 18 mai 17h
Lluís Llach, voix et piano, interprète un florilège de ses plus belles chansons

Vendredi 24 mai 20h30
Porrera
avec 8 musiciens

Depuis bientôt trente ans, Lluís Llach vit, crée et chante à Barcelone
Les chants des hommes jalonnent la mémoire individuelle et collective. Tissés des heurs et malheurs des êtres, festonnés de leurs rêves, ils portent témoignage. Certains fleurissent le jardin des nostalgies. D’autres brillent comme des étoiles dans le ciel de l’espoir. Comme autant de repères, ils demeurent. Dans le temps et dans l’espace. Au-delà des Pyrénées comme ailleurs.
Barcelone, décembre 1995, dimanche d’hiver. Les fenêtres de l’appartement aux murs éclatant de couleurs vives regardent la place sombre et déserte. Badauds immobiles, seuls des palmiers balisent l’espace. Sous les arcades, des chaises vides… Il pleut. Chez lui, le chanteur parle : il tisonne les braises du passé et le feu de ses mots attise les flammes de l’avenir.
Depuis bientôt trente ans, Lluís Llach vit, crée et chante à Barcelone. Souvent, il s’aventure aussi outre-Catalogne, dans toutes les Espagnes et autre France. Et dans beaucoup d’ailleurs encore…

Vingt-cinq ans de chanson en France, anniversaire en forme de trilogie
Dès 1973, il vint. En novembre 1975, le Théâtre de la Ville l’accueillit. On l’estima. Il revint. Respectivement en 1981, 1985, 1987 et 1988. Inventif et unique, il suscita la surprise, l’émotion, l’émerveillement. On l’aima (1). Demain, il revient.
Pour ces retrouvailles, une célébration : vingt-cinq ans de chanson en France, anniversaire en forme de trilogie. Une rétrospective tout d’abord, seul au piano, Un pont de mar blava ensuite, entouré d’Amina Alaoui, Nena Venetsanou et des musiciens et, enfin, avec ses compagnons habituels, Porrera, inédit en France.
« Paris, se souvient Lluís Llach, c’était la ville lumière, le phare et la fenêtre ouverte. On est amoureux de Paris : c’est très répandu en Catalogne. C’est un point de rencontre, un symbole de rayonnement ».
En d’autres temps, plus obscurs, il avait choisi Paris comme havre. À l’abri de l’un de ces fauves de l’Histoire qui terrorisait l’Espagne.
Flash-back : années soixante, Franco règne donc. Sous la soumission perce la révolte. Un jeune homme timide sous les feux de la rampe : rencontre précoce de Lluís Llach et du public. Le succès scelle la rencontre ; l’idylle dure encore.
Parabole lestée d’espoir, “l’Estaca” échappe à la vigilance de la censure franquiste : elle fait le tour des Espagnes. Cette petite valse devient un hymne. Elle le demeure. De combats singuliers avec la censure en concerts-rassemblements, l’insoumis Llach instaure une profonde complicité avec les citoyens spectateurs. Ainsi que quelques complices, il féconde la conscience politique.
Il conjugue éthique et esthétique, marie lyrisme et protestation.

L’intranquillité fait partie d’une culture personnelle de confrontation avec la vie
« C’est génétique, dit-il. Je suis condamné à être soumis à une tension non conformiste. “L’intranquillité” fait partie d’une culture personnelle de confrontation avec la vie ». D’aucuns assurent qu’il a inventé une manière de vivre. « Lluís Llach, lit-on dans l’un des ouvrages écrits à son sujet, a fait d’aller à contre-courant une forme de vie. Ou mieux, Lluís a fait de sa liberté et de la défense de sa “différence” une forme de vie pleine d’indépendance, et sans aucun dogmatisme ». (2)
Lui, un exemple ? Il s’en défendrait.
Dans la nuit franquiste, il éclaire les consciences, il enflamme les cœurs. Il parle le langage de l’intimité sans récuser, si nécessaire, celui de la colère : à sa voix sied le murmure plus que le cri. Il sème l’amour, il sème le rêve. Ainsi va-t-il, prodiguant l’espoir.
Sur le passé, il ne s’appesantit guère. « Je vis très mal avec mon passé, dit-il. J’oublie vite ; je n’ai pas mes disques (3), ni les livres publiés à mon sujet, ni les articles me concernant. Je vis mon travail au jour le jour. Comme une surprise journalière. Ce que j’aime, c’est l’apprentissage et me ré-inventer. Sinon, je m’ennuie. Je n’ai pas d’ambitions de succès. À cet égard, des concerts comme celui de La Barca m’ont comblé. Dans mon travail, je veux m’amuser ».
Le 6 juillet 1985, Lluís Llach chantait à Barcelone : au Nou Camp, le plus grand stade d’Europe ! Depuis plus d’une semaine, l’événement nourrissait les colonnes et la une des gazettes catalanes et espagnoles. Un pari ? Un défi relevé fièrement par le public : 105.000 billets vendus la veille du spectacle !

Dans mon anarchie, je me mets au service d’une idée
« Dans mon anarchie, poursuit Lluís Llach, je m’impose cependant une discipline : je me mets au service d’une idée. Ainsi, en Catalogne, dans notre histoire, le métissage et la différence sont une constante. Sans ces deux piliers, le respect du droit à la différence et le plaisir du métissage conçu comme un apprentissage, l’Europe et la Méditerranée n’ont aucun futur ». Ces propos conduisent au cœur de la thématique de Lluís Llach. Ses deux dernières œuvres, Un pont de Mar Blava et Porrera explorent ces mêmes voies. Dans ce style toujours riche de métaphores qui participaient jadis à abuser la censure.
«Pour les paroles, reconnaît-il, la censure a contribué à mon apprentissage ». Modeste, il récuse aujourd’hui encore le titre de “poète”. Caustique, parfois noir et souvent dévastateur, l’humour épice l’œuvre et le discours. Thème récurrent, la mer participe de l’esthétique élaborée par Llach. Méditerranée, elle est aussi une “autoroute culturelle”, voie royale sur laquelle il vogue en quête de rencontres. Il y croise des cultures sœurs et, en compagnie d’Amina Alaoui et de Nena Venetsanou, il jette “un pont de mer bleue” entre les rives de cette mer, inventant ainsi une luxuriante musique panméditerranéenne. « J’ai fait, dit-il, l’apprentissage du métissage du son. J’ai procédé au mixage de diverses références musicales. Au service d’une idée, elles acquièrent une cohérence sonore évidente. »

Cet enracinement ne s’oppose cependant pas à la modernité
Chez Llach, la mémoire féconde le futur. Cet enracinement ne s’oppose cependant pas à la modernité.
« Depuis que l’opportunité existe, dit-il, je compose avec l’ordinateur. Je l’utilise également pour les textes. Mais la technique doit être au service de l’idée et non la conditionner ».
Avec Miquel Marti I Pol, illustre poète catalan, une étroite collaboration se poursuit par voie de… fax ! « Je lui envoie, raconte Lluís Llach, deux ou trois strophes avec une idée de texte accompagnées d’indications relatives au rythme et à l’accentuation. Ainsi, travaille-t-il sur une musique déjà composée et un scénario. Il me répond par fax. Moi de même… Enfin, nous nous voyons. C’est un travail subtil ! Les deux derniers disques, Un pont de mar blava et Porrera ont requis un an et demi de travail ». Ce dernier, matière du spectacle éponyme, s’enracine dans le nouvel univers quotidien que s’est choisi le chanteur : il vit désormais dans un village de trois cent cinquante habitants, celui de sa mère. « Tout le monde m’y connaît, dit-il. Derrière l’isolement apparent, se manifeste une opportunité de contacts avec les gens ».
« C’est difficile, affirme-t-il, d’apporter quelque chose dans la chanson si ce n’est à partir de nos racines profondes. La seule solution, c’est de puiser dans nos racines personnelles. Un grand artiste est universel à partir de son individualité et de la communauté à laquelle il appartient. Cela va à l’encontre du mimétisme de la mode, une obsession ! »
Chantant son “village”, ou jadis son “pays petit”, Lluís Llach ne cède ni au chauvinisme ni au nationalisme – « Mon village serait le monde », proclame-t-il – mais il atteint à l’universel. Ainsi Porrera, enraciné dans son village d’élection, s’adresse-t-il aux jeunes. A tous les jeunes. « Pour leur dire qu’il existe une autre manière de vivre que celle, truffée d’absurdes banalités, qu’on leur propose. Porrera est ici un prétexte : ce que nous racontons de ce village se situe aux antipodes de ce monde absurde dans lequel nous vivons. Sans sombrer pour autant dans le “ruralisme”. Les gens y vivent en relation avec la nature. Ils y vivent l’amour et déambulent sourire aux lèvres… Ils sont plus proches du bonheur que l’on pourrait le penser. En marge des mirages de la consommation.

Il y a une autre manière de vivre ensemble, d’aimer, de sourire s’écrie Lluís Llach
Disque et spectacle sont un même cri pour dire aux jeunes de ne pas se laisser abuser par le système de valeurs à la mode ».
« Il y a une autre manière de vivre, c’est sûr. Il y a une autre manière de vivre ensemble, d’aimer, de sourire, » s’écrie Lluís Llach, au terme de Porrera.
Un credo qui reflète sa propre hiérarchie des valeurs : « amour – amitié – nature – convivialité – travail épanouissant ».
Ce sont ces valeurs-là qui inspirent et irriguent la thématique de cette œuvre pétrie d’humanisme. « Les thèmes des chansons ne varient guère, constate-t-il. On développe trois ou quatre thèmes, toujours les mêmes, de manière différente. Comme des variations. Et l’on a toujours peur que l’inspiration se tarisse ».
L’inspiration demeure féconde et le public ne boude pas son plaisir. Chaque soir, à Barcelone, en cette fin d’année 1995, des myriades de garçons et de filles, jeunes, attendaient à la porte du théâtre ce chanteur phare que leurs parents sans doute appréciaient déjà.
Écouter ce Catalan universel est un besoin vital. Comme respirer. Tant pis pour les sourds, ils risquent l’asphyxie.

Jacques Erwan

1) Au Théâtre de la Ville, à l’Olympia, à Bobino, au Zénith, à l’Opéra-Comique, au Casino de Paris…
2) “Los autores, Lluís Llach”.
3) Plus d’une vingtaine à ce jour.

Théâtre de la Ville n°115 - avril mai juin 96 - Lluis Llach

Théâtre de la Ville n°115 – avril mai juin 96 – Lluis Llach

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Théâtre de la Ville n°115 – avril mai juin 96 – Lluis Llach