Kazue Sawai

Lundi 24 mai 1993 à 20h30
KAZUE SAWAI
koto
avec 5 musiciens

Faire du koto «un instrument d’expression universelle»
Kazué Sawai joue du koto. Concertiste, elle parcourt le monde : de l’Australie au Brésil, du Sud-Est de l’Asie aux Etats-Unis, de l’Inde à l’Europe. A Paris, en 1989, elle joue pour le bicentenaire de la Révolution française.
Aux côtés de son époux Tadao Sawai, compositeur célèbre interprète de koto, elle dirige l’école de koto Sawai, fondée en 1965. Cette école prodigue un enseignement traditionnel et moderne du style Ikuta pour le koto et Jiuta pour le shamisen. Renommée comme centre de la musique moderne de koto, elle est fréquentée par plus de trois mille étudiants.
Kazué et Tadao Sawai poursuivent ainsi l’œuvre du maître Michio Miyagi : ils souhaitent faire du koto «un instrument d’expression universelle». Ils sont «ouverts aux nouvelles musiques, aux techniques de jeu novatrices et à toute la palette des sons.»
Tous deux président, par ailleurs, aux activités de l’Ensemble de Koto, créé en 1979 ; l’une des formations les plus actives de la musique moderne de koto.
Kazué Sawai, dont les interprétations novatrices au koto basse sont fameuses, a enregistré plusieurs disques.
«Historiquement, la musique pour koto n’a jamais atteint un niveau élevé. Seul le Nô s’est haussé à un tel niveau.» Celle qui profère ces propos blasphématoires, Kazué Sawai, est pourtant l’une des illustres interprètes de koto, issue de ce monde clos et généralement conformiste de la tradition.

Elève du légendaire Michio Miyagi
Elle est en effet, dès l’âge de huit ans, l’élève du légendaire Michio Miyagi(1), maître aveugle qui, au début du siècle, rénova profondément l’art du koto et disparut accidentellement en 1957.
Diplômée également de la faculté des Beaux-Arts et de la Musique à l’université de Tokyo, madame Sawai, à l’exemple de son maître, œuvre – on pourrait écrire qu’elle “milite” – en faveur de la modernisation de son art.
A l’image de ce Japon d’autant plus puissant qu’il s’enracine au plus profond de la tradition pour féconder l’avenir, Kazué Sawai, tout en refusant le carcan de la tradition, puise dans sa richesse les ferments de sa modernité. « Elle a, selon le mot d’un critique, tracé un chemin du cœur de la tradition aux lointains horizons de l’expérimentation.”
Cithare d’ascendance chinoise, le koto a des origines anciennes : dix-huit siècles, avancent certains ! Mais c’est surtout au cours de la période Edo, de 1600 à 1867, que cet instrument connaît un véritable essor et une vogue incomparable. Ce qui inspire à Kazué Sawai ce constat lapidaire : «Quand on parle de koto en tant qu’instrument traditionnel, on parle d’une tradition vieille de seulement 300 ans!»
Une tradition régie cependant, comme tous les arts traditionnels au Japon, par le système rigoureux et contraignant du iemoto auquel elle devra d’abord se conformer. «Dans mon enfance, se souvient-elle, tout était décidé dans le cadre de canevas traditionnels que je devais suivre. Il y avait beaucoup de règles et j’avais l’impression que c’était étouffant.»

Non-conformiste, Kazué Sawai aspire à s’évader
Non-conformiste, Kazué Sawai aspire à s’évader. Elle jouera certes du koto traditionnel – qui compte treize cordes – mais aussi, de ce koto basse, riche de dix-sept cordes, qu’inventa, dans les années vingt, son maître Michio Miyagi. «Je veux, explique-t-elle à un journaliste américain, entendre le son même du koto sans arrière-plan traditionnel. Le koto nanti de dix-sept cordes prodigue un son plus bas qui n’est pas raffiné et dont il est plus facile pour moi de jouer. J’ai l’impression de pouvoir faire tout ce que je veux… Le koto traditionnel n’offre pas une telle possibilité.»
Cette revendication de liberté artistique résume une démarche : Kazué Sawai a en effet multiplié les expériences. Ainsi lui arrive-t-il, depuis 1987, de collaborer avec des musiciens de jazz. Ou bien, à l’occasion, de travailler avec David Van Tieghem, John Zorn et John Cage. D’ailleurs, «fascinée, selon ses propres mots, par le son du piano préparé», elle transcrit Three dances, œuvre de ce dernier compositeur, pour… quatre kotos préparés ! et, de Steve Reich, elle interprète Piano Phase… A sa demande, des compositeurs américains – Christian Wolff, John Zorn – composent à son intention. «Je voulais, dit-elle, voir le koto non pas comme un instrument traditionnel japonais mais comme un instrument.»
Mariant rituel et technologie, Kazué Sawai cherche à échapper au moule de la tradition. Elle improvise(2) avec des musiciens du monde entier ou bien a recours à l’ordinateur…
Epouse de Tadao Sawai, compositeur fécond et novateur, elle est, bien entendu, son interprète privilégiée.

Deux facettes de son art
Sur la scène du Théâtre de la Ville, Kazué Sawai proposera deux facettes de son art. Des classiques, tout d’abord, tels Midare (Ecole Yatsuhashi, XVIe-XVIIe siècles) et Zangetsu, une pièce pour shamisen et voix de koto minezaki (fin XVIIIe). Des œuvres contemporaines aussi: Mizu no Hentai, composé en 1909 par Michio Miyagi ; Aoku, une pièce de Kuribayashi dont un critique du “New York Times” évoque “les attributs minimalistes” ; et, enfin, Homura, une composition de Tadao Sawai pour koto de dix-sept cordes – un véritable feu d’artifice sonore!
Un récital unique en France, au cours duquel Kazué Sawai est accompagnée par cinq disciples de l’Ensemble de koto Sawai.
Kazué Sawai, un jeu brillant, éclatant d’énergie et de virtuosité, de finesse et de grâce.

Jacques Erwan

(1) De même que Somei Otsuki invité, le 20 janvier 1992, au Théâtre de la Ville.

(2) Kazué Sawai rappelle que, pendant la période Edo, les interprètes de koto improvisaient pour orner l’accompagnement d’un autre koto.

d’après
“Ear” (décembre-janvier 1990)
“New York Times”, 14 mai 90
“New York Times”, 28 mars 90
“The Washington Post”, 7 octobre 90
“Japonese Music”, William P. Malm