Somei Otsuki et Genzan Miyoshi

Lundi 20 janvier 1992 à 20h30
SOMEI OTSUKI koto
GENZAN MIYOSHI shakuhachi
Japon

Le shakuhachi serait d’origine chinoise
Depuis des siècles, le Japon adopte et assimile des modèles étrangers : bouddhisme indien ou architecture chinoise, de multiples emprunts jalonnent son histoire.
Si l’on en croit la tradition, le shakuhachi, modeste flûte de bambou, serait d’origine chinoise. Comme d’autres instruments et des objets de culte, il fut probablement introduit au Japon vers la fin du VIIe siècle, époque fertile en échanges entre les deux pays.
Plus tard, le hitoyogiri, shakuhachi primitif et court — un seul nœud de bambou — sera un temps populaire. Mais l’étendue limitée de sa gamme entraîne sa disparition…
Le shakuhachi réapparaît au terme du XVe siècle : son apprentissage est alors intrinsèquement lié à la vie religieuse. Il est l’apanage des religieux bouddhistes de la secte Fuke, jusqu’à l’avènement de l’empereur Meiji, à la fin du XIXe siècle ; la disparition de cette secte suscite la vulgarisation de l’instrument.
C’est aussi à cette époque que les deux écoles qui, jusqu’alors, dispensaient, chacune avec un style original, l’enseignement du shakuhachi, perdent leur vocation religieuse : désormais l’école Meian (Kyoto) et l’école Kinko (Tokyo) accueilleront tous les disciples. A l’instar d’une troisième école qui apparaît alors, l’école Tozan.
La politique d’ouverture à l’Occident de l’ère Meiji entraîne un certain déclin de la musique japonaise : dépréciée, voire méprisée, on la considère volontiers comme “rustre et sans valeur”. C’est cependant dans ce contexte que le shakuhachi commence à être associé au koto et au shamisen…
Aujourd’hui, l’instrument est unanimement apprécié, et il arrive même de plus en plus souvent qu’il soit intégré à la musique occidentale.

Genzan Miyoshi
Genzan Miyoshi est originaire de Kyoto où il naquit en 1944. Il baigne dès son enfance dans un milieu propice à l’apprentissage de la musique traditionnelle : maître du koto, sa mère lui en donnera le goût. Mais c’est le shakuhachi qu’il choisira et les maîtres de l’école Tozan pour l’initier à cet art.
Très jeune, il maîtrise le répertoire classique. Chose exceptionnelle, il n’a pas quarante ans quand il obtient le prestigieux “Chikurinken”, le diplôme supérieur de shakuhachi.
Curieux, il s’est, dès sa prime jeunesse, intéressé aux autres musiques. Au fil de sa carrière, il a multiplié les échanges avec des musiciens de styles différents. Il a, par ailleurs, beaucoup voyagé… Eclectique, il partage la scène avec des kotos ou des percussions ; il joue avec des orchestres, des formations de jazz ou des groupes pop… Porteur d’une tradition dont il maîtrise les arcanes, Genzan est un artiste ouvert. Lors de ses récitals, le public apprécie la puissance et la suavité des sonorités qu’il dérobe au shakuhachi. Il aime aussi que cette flûte s’aventure en compagnie d’autres instruments.

Au Théâtre de la Ville, un répertoire traditionnel
Au Théâtre de la Ville, Genzan Miyoshi interprétera un répertoire traditionnel. Il alternera solos et duos au cours desquels le souffle du shakuhachi se mêlera aux sonorités du koto de Somei Otsuki.

Le koto compte treize cordes de soie
Comme le shakuhachi, le koto descendrait, lui aussi, d’ancêtres chinois : le guqin, le qin ? Dans sa forme actuelle la plus répandue, cette cithare compte treize cordes de soie. Il faut, pour les faire sonner, trois onglets d’ivoire fixés à trois doigts de la main droite.
Le koto fréquente la cour mais, ne dédaigne pas pour autant la roture : présent au sein de l’orchestre de Gagaku, on le retrouve également au cœur de diverses musiques populaires, traditionnelles ou modernes. Son vaste répertoire est composé de pièces accompagnées de chant (style kumiuta) ou bien purement instrumentales de type shirabemono par exemple : le célèbre “Rokudan”, composé comme d’ordinaire sur le modèle des pièces pour flûte du Nô, est un classique du genre.

Diverses écoles ont marqué l’évolution du koto
Diverses Ecoles ont, au fil des siècles, marqué l’évolution du koto : école Tsukushi au XVIe siècle, Yatsuhashi (XVIe – XVIIe), Ikuta (XVIIe), Yamada (XVIIIe)… Puis, plus récemment, au début de ce siècle, les expériences du mouvement de nouvelle musique japonaise qu’illustre la fameuse œuvre pour koto et shakuhachi de Michio Miyagi intitulée “Haru no umi”. Ce maître aveugle, parmi les plus illustres, renouvela l’art du koto et disparut accidentellement en 1957.

Somei Otsuki
Natif d’Okayama, cité industrielle proche de Hiroshima, où il voit le jour en 1933, Somei Otsuki en est le disciple. Il découvre la musique traditionnelle japonaise sous l’influence de son père, Chudo Otsuki, fondateur, en 1925, de l’école Daido de Musique Japonaise. Il étudiera donc le koto avec un maître prestigieux : Michio Miyagi.

Ses activités artistiques sur plusieurs registres
Il s’initie également à la composition à la faculté de Musique de l’université des arts de Tokyo, d’où il sort à vingt deux ans. Depuis, ses activités artistiques se déploient sur plusieurs registres. Maîtrisant parfaitement la plus pure tradition, il est également l’auteur de compositions très personnelles et parfois même un peu d’avant-garde.
Somei Otsuki donne de nombreux concerts au Japon et à l’étranger. Il voyage dans le cadre de missions “culture et musique” pour entretenir, grâce à la musique japonaise, des relations amicales avec les pays étrangers.
Considéré comme le représentant, à la quatorzième génération, du premier Kengyo* Yatsuhashi dont les conceptions musicales sont toujours vivantes actuellement au Japon, Somei Otsuki est aussi professeur de koto. Il prodigue son enseignement, entre autres, à l’université d’Okayama et compte une myriade de disciples.Parmi ceux-ci, quelques uns — où plutôt quelques unes — ont sollicité l’autorisation de l’accompagner à Paris ! Vêtues du traditionnel kimono, ces femmes interpréteront donc avec leur maître, sur la scène du Théâtre de la Ville, “Chidori”, un classique du répertoire.

Somei Otsuki seul ou en duo,
un répertoire instrumental traditionnel

Somei Otsuki, par ailleurs, jouera seul, ou en duo avec un autre koto ou bien encore avec le shakuhachi de Genzan Miyoshi, un répertoire instrumental traditionnel.
“Dans l’interprétation de Somei Otsuki, il y a le cosmos”, écrit Akira Gotho, critique musical. Et, il poursuit : “lorsque nous sommes bercés par de telles sonorités qui semblent émaner d’un espace d’une absolue transparence, nous nous sentons enveloppés d’un profond amour.

Son art transcende le temps
Dans l’univers de la musique traditionnelle japonaise, il existe différentes écoles. Chacune d’elles s’enferme dans son style et ne communique guère avec le monde extérieur. Otsuki est universel. Son art transcende le temps. C’est un futuriste qui vient de la plus authentique tradition “.
On ne saurait mieux dire !

Jacques Erwan

d’après Hiroki Bito, artiste et avocat ; Akira Gotho, critique musical ;
William P. Malm : “Japonese Music and musical instruments”,
éditions Charles E. Tuttle, 1978.
Traduction Wasaburo Fukuda.

* Titre conféré aux musiciens aveugles de grand talent