Uakti

Lundi 18 novembre 1991 à 20h30
UAKTI
Ensemble instrumental

Milton Nascimento, Manhattan Transfer, Phil Glass et Paul Simon le savent depuis longtemps : Uakti est unique !

“La musique du Minas Gerais est universelle. Elle dit l’âme du Brésil. C’est comme une ballade romantique, tendre et douce”
Decio Souza Ramos

Uakti
Malgré les clichés qui, en France, ont la vie dure, la M.P.B. (musique populaire brésilienne) ne saurait se réduire à la samba et à la bossa-nova. Pas plus que la musique populaire française à la java et au musette. Le Brésil est vaste et sa musique multiple. Les musiques populaires brésiliennes sont aussi nombreuses et diverses que celles de l’Europe dans son ensemble.

Le Minas Gerais région aussi riche en musique qu’en pierres précieuses
Etat du centre du Brésil, le Minas Gerais doit ce nom de “mines générales” aux richesses que son sous-sol recèle. Mais Musicas Gerais — musiques générales — conviendrait également à cette région aussi riche en musiques qu’en pierres précieuses. Tandis qu’au XVIIIe siècle, on y découvre or, diamants et autres trésors, un prêtre déjà compose symphonies et messes baroques… Déportés d’Afrique, les esclaves, eux, ont importé leurs chants, leurs musiques et leurs rythmes. Et, à l’époque, certains orchestres symphoniques intègrent des esclaves noirs. Voire des Indiens, comme le prétendent certains. Le métissage est donc à l’œuvre et, dès le XVIIIe siècle, le Minas Gerais est un pôle musical fécond. Loin de la côte, à l’écart des métropoles et à l’abri de ses monts, il le demeurera et conservera jusqu’à aujourd’hui sa personnalité et son originalité. “Ne dit-on pas au Brésil, plaisante un musicien du cru, que les artistes à Belo Horizonte — la capitale de la région — sont dans un cimetière ! Alors, nous sommes purs !”.
Les manifestations traditionnelles y sont encore vivaces et, en février-mars surtout, rythment l’été et l’automne brésiliens. A la campagne mais aussi à Belo Horizonte, des amateurs, souvent mulâtres, chantent et dansent au son des guitares et des percussions lors des modas, reisadas, folias de reis… Mais la plus jolie sans doute de ces fêtes traditionnelles est la congada : chants et per-cussions, deux orchestres s’avancent l’un vers l’autre, se rejoignent, se mêlent en musique puis s’éloignent…
Empreintes de religiosité, la plupart de ces musiques rurales ont influencé nombre de compositeurs et de chanteurs contemporains du Minas. Entre autres, Milton Nascimento, qui débuta jadis en France sur la scène du Théâtre de la Ville. Mais également Beto Guedes et Flavio Venturini, ses complices du fameux Clube da Esquina qui, au début de la dictature — fin des années 60, début des années 70, — rassemblait par ailleurs, à Belo Horizonte, Wagner Tiso, Lo Borges, le groupe Quatorze Bis… Ils sont aujourd’hui illustres au Brésil et, pour certains, à l’étranger.

C’est autour de Marco que naîtra Uakti
Tandis que les novateurs du Clube da Esquina œuvrent à Belo Horizonte, un jeune homme Marco Antonio Guimaraes — dit “Marco” — étudie, de 1966 à 1970, le violoncelle et la composition à l’école de Musique de l’université fédérale de Bahia. Disciple de Walter Smetak, philosophe et poète, auteur dramatique et compositeur, mais aussi facteur d’instruments, il s’initie avec ce Suisse génial aux arcanes de cet art. C’est autour de Marco que naîtra Uakti quelques années plus tard…

L’histoire commence en 1977 à Belo Horizonte
L’histoire commence en 1977, à Belo Horizonte, dans le petit atelier où Marco fabrique des instruments étranges qui ne sont pas encore tempérés mais “accordés au hasard”. A son invitation, Decio Souza Ramos, percus-sionniste, l’y rejoint pour improviser…
Bientôt le groupe comptera cinq membres. Mais, fina-lement, après le départ de l’un d’entre eux, quatre : outre Marco et Decio, Paulo Sergio Santos (clarinettiste et percussionniste de formation) et Artur Andres (flûtiste). Nantis d’une solide formation classique et riches d’une longue expérience des orchestres symphoniques, les quatre musiciens de Uakti sont aussi férus de cette M.P.B. qu’ils ont chacun pratiquée : Marco a joué de la guitare, de l’accordéon et de l’harmonica, Artur de la flûte à bec, Decio de la batterie et Paulo des percussions populaires dans la rue. Un viatique éclectique pour un voyage musical original !

Des instruments écologiques inédits et merveilleux
Compositeur du groupe, Marco à l’ère de l’électronique, invente des instruments écologiques : inédits et mer-veilleux, ils sont façonnés dans toutes sortes de maté-riaux naturels : bois, verre, caoutchouc, calebasse… Animés par la seule énergie humaine, ils adoptent des formes étranges et produisent des sonorités inouïes. Leurs noms mêmes — Chori, Biospi, Panelario, Trilobita, Yaragunga… — invitent au rêve… Mais, acquérir la maî-trise de leur jeu postule une longue patience : Uakti répète tous les jours. «Ce n’est pas facile de jouer de ces instruments, avance Decio Souza Ramos. Quand Marco en fabrique un nouveau, il est nécessaire de le pratiquer assidûment pour en connaître toutes les possibilités. Mais, Marco sait comment écrire pour les instruments qu’il invente. Il écrit d’abord la musique puis il indique où l’on peut improviser». Instruments inédits et sons inouïs mais système musical conventionnel.
«Nous utilisons, poursuit Decio, l’harmonie, la mélodie, le rythme… Les instruments sont accordés selon le système tempéré de l’échelle chromatique. Comme la musique occidentale. Mais, nous sommes aussi des mu-siciens populaires et nous savons improviser. Nous som-mes influencés par le jazz américain, la samba de Rio, la Folia de Reis du Minas…»

Milton Nascimento découvre le travail de UAKTI en 1980
A l’affût de talents novateurs, Milton Nascimento découvre le travail de Uakti en 1980 et invite le groupe à collaborer à deux des musiques de son album “Sentinela”. Puis, aux… cinq disques suivants ! Marco composera d’ailleurs les musiques de deux chansons de Milton, “Lacrima do sul” et “Dança dos Meninos”.
Conquis, Milton n’hésitera pas à exiger de sa compagnie discographique (à l’époque Polygram) que Uakti y enregistre trois albums ! Ce qui fut fait ! respectivement en 1981, 1982 et 1984*. Ainsi diffusé, le travail du groupe commence à être connu. En 1987, Manhattan Transfer le convie à jouer dans son disque “Brasil” puis à tourner aux Etats-Unis.
Plus récemment, en 1989, Paul Simon, corsaire gour-mand de musiques du monde, s’empare du talent de Uakti pour corser trois titres de son dernier album, “The Rhythm of the Saints”. Le groupe jouit désormais d’une notoriété certaine. A l’étranger plus qu’au Brésil tant il est vrai que nul n’est prophète en son pays.

Une musique à la fois classique et nouvelle, étrange et inventive
Uakti distille une musique à la fois classique et nouvelle qui ne récuse pas l’humour. Une musique étrange et inventive, nourrie d’influences orientales et nimbée de mysticisme.
“La musique de Uakti, explique Decio Souza Ramos, est brésilienne mais elle est aussi universelle. Elle est brésilienne par le rythme: le tempo très marqué, les syn-copes, les contretemps, caractéristiques du rythme de la musique brésilienne. Les mélodies aussi sont brési-liennes ; certaines du Minas : ce sont des mélodies pay-sannes que l’on peut entendre à la campagne. Notre musique porte l’empreinte de la musique rurale du Minas Gerais. Elle est universelle car nous avons assimilé aussi de nombreuses influences musicales venues d’Europe, des Etats-Unis (le jazz) et d’Asie (en particulier d’Inde, de Chine et du Japon).
En ce qui concerne le mysticisme, il est vrai que Marco lit beaucoup : il connaît bien les religions d’occident mais également, un peu, celles d’orient. La musique qu’il compose porte la marque d’une philosophie “que partagent les autres membres du groupe”, assure Decio. “Notre musique, poursuit-il, est une musique sereine, douce, placide et candide mais aussi forte et rythmique qui fait rêver, méditer et imaginer une vie meilleure. Je pense que Marco est un sorcier ! “ Et Uakti une tribu unique.

Jacques Erwan

* Il y aura même à New-York, en 1987, un album Uakti chez Polygram/Verve

Discographie
- UAKTI – Oficina Instrumental (1981) Polygram/Barclay
- UAKTI II – (1982) Polygram/Barclay
- Tudo e todas as coisas (All and everything) (1984)
Polygram
- UAKTI (1987 – New York) Polygram/Verve
- MAPA (1989) Visom (Brasil)