Inauguration 04 09 93

FIERTE !

L’inauguration de La Filature, « Nouvel Espace culturel de Mulhouse », le 4 septembre 1993, est l’une de mes fiertés ! Tout commence par une provocation : avant l’été, Christopher Crimes, le directeur, m’annonce la date de l’inauguration prévue dès la rentrée. La réponse du « conseiller musiques » que je suis jaillit, acide :

- « Prendre l’avion et venir à Mulhouse pour boire une coupe de mauvais champagne et avaler de quelconques petits fours, en compagnie de quelques notables locaux, merci ! »

La répartie est cinglante :

- « Puisque vous êtes si malin, proposez-moi autre chose !

- Aujourd’hui, non ; mais, à mon retour, dans une quinzaine, promis ! »

Le piège s’est refermé ; il faut inventer une inauguration originale. Les jours qui suivent sont studieux et les nuits agitées : les idées se bousculent. Lectures, Histoire de la ville, rencontres des diverses « communautés » qui peuplent la cité, ainsi que des diverses associations et artistes locaux… Laurent Stahl, jeune star de la scène locale, m’assiste et son concours est précieux. Au fil du temps, j’acquiers la conviction qu’il faut apprivoiser la ville, dans la complexité de toute ses composantes ; complice, Laurent partage ce point de vue.

Mais pour comprendre, d’abord un peu d’Histoire ! Ilot protestant au sein d’un océan catholique, Mulhouse est longtemps indépendante avant de s’unir à la France, le 15 mars 1798. Sa prospérité est assurée par les filatures qui fabriquent des « indiennes » : la première manufacture « d’indiennes » est créée en 1746. C’est le début du développement économique de la ville. Avisés, les entrepreneurs locaux développent l’activité chimique (teintures des étoffes) et les transports (commercialisation de la production)…

A ce stade de nos réflexions, on rencontre le patronat local : trois patrons, trois religions, un dîner oecuménique ! Ensuite, on rend visite au rabbin et à la bonzesse de la pagode… Puis, on retrouve le plasticien Louis Perrin, connu jadis… Diversité donc ! Apprivoiser la ville, c’est lui tendre le miroir de sa diversité. Naît alors l’idée d’un défilé inaugural juxtaposant (réunissant ?) tous ces citadins d’origines et de confessions diverses : gaulois, alsaciens, étrangers… On matérialise cette idée de défilé, à l’aide de post-it, sur le bureau du directeur. L’homme est attentif ; il questionne, écoute les réponses, réfléchit… Et le verdict tombe, inattendu et inespéré : feu vert ! Autrement dit, la confiance ! Le maître- mot ! Cependant inquiet, on soumet l’idée à un collègue estimé et respecté, un génial créateur, le vidéaste et chorégraphe François Verret. Il dit : « Erwan, moi, je ne ferais pas cela comme ça. » C’est alors le temps des hésitations et des tourments… Et finalement, on décide de mettre en œuvre le projet : le travail est écrasant, mais au fil du temps, le défilé se dessine…

Le jour dit, tandis que, comme mes collègues, je distribue le programme des réjouissances de cette journée inaugurale, François Verret, aperçu dans la foule, me sourit et lève le pouce : la réussite de cette inauguration doit beaucoup à ce sourire et à ce geste !

Un défilé donc ! Encadré par « les filants », inventés par Louis Perrin, qui déroulent leur bobine de fil attachée dans le dos, le défilé s’ébranle. Il part du Rathaus (l’ancien hôtel de ville), au cœur du vieux centre-ville, se dirige vers La Filature, franchit le pont de bois, bâti pour l’occasion sur le canal… Au fur et à mesure du passage des groupes devant le « nouvel espace culturel », je raconte l’histoire de ces ensembles polonais, portugais, alsaciens… et des communautés auxquelles ils appartiennent, et donc, de la ville… Des heures durant ! Puis, un funambule, en équilibre sur son fil, escalade l’édifice accompagné par la musique. La Filature ouvre ses portes : elle est prise d’assaut par le public. Citoyen, il s’approprie cet « Espace culturel ». Jusqu’à deux heures du matin, les spectacles, théâtre, musique et danse, s’enchaînent… Un succès au-delà de toute espérance ! Une fois n’est pas coutume, je suis fier !